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Les limites de l’homme

par: Rav Raphaël Bloch

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Le cinquième livre de la Thora commence par ces mots : « Voici les paroles ».
Nos Sages nous enseignent que l’expression « voici » crée une rupture avec les textes qui précèdent.

Le cinquième livre de la Thora commence par ces mots : « Voici les paroles ».
Nos Sages nous enseignent que l’expression « voici » crée une rupture avec les textes qui précèdent. En l’occurrence, la rupture pourrait être le fait que dans ce livre sont répétés les événements et les mitsvot, au point que certains le considèrent comme un corpus séparé (voir l’opinion de Rabbi Yehoshua dans le traité Nedarim 7a).

Mais il existe également une différence notable : cette partie de la Thora est constituée du discours de Moché et non plus de la parole divine. Dans cette Thora, reçue de D. de la première à la dernière lettre, un livre entier n’est autre que la parole d’un homme : « Voici les paroles qu’a dites Moché ». Mais cet homme est celui qui fut le Maître des prophètes.

De plus, Moché s’adresse au peuple d’Israël juste avant sa mort. Ce discours commence le premier jour du mois de Chevat et s’achève à la disparition de Moché le sept du mois suivant. En quelque sorte, Moché n’a plus qu’un pied sur terre. C’est ce moment, précisément, que celui-ci choisit pour dresser un bilan, pour répéter ses recommandations et surtout pour réprimander le peuple pour ses erreurs passées. Erreurs commises par ses pères puisque nous sommes à l’issue des quarante ans de pérégrinations dans le désert pendant lesquels sont morts les hommes de la génération de la sortie d’Egypte.

Ce peuple écoute son Maître et accepte les reproches sans chercher d’excuses, sans répondre que ce sont les pères qui ont fauté. Cette attitude admirable donne lieu à une bénédiction de Moché. C’est ainsi que le Midrach Rabba justifie cette bénédiction qui ne parait pas à sa place dans le contexte des réprimandes. Nous lisons au chapitre 1, verset 11, ces paroles de Moché Rabbenou : « Que l’Eternel, D. de vos pères, vous rajoute, comme vous, mille fois et qu’Il vous bénisse comme il vous l’a dit ». Comme vous, dit le Midrach, comme des hommes qui savent recevoir des reproches et qui méritent la bénédiction.

Or, justement à ce propos, Rachi rapporte le Midrach selon lequel il y a eu un dialogue à propos de cette bénédiction de Moché :
« Que signifie, à la fin de la bénédiction, la reprise : et qu’Il vous bénisse comme il vous l’a dit ? C’est parce que le peuple dit à Moché : Tu donnes une limite à nos bénédictions ! Déjà le Saint Béni soit-Il a promis à Avraham : ‘Si un homme peut compter la poussière de la terre, ainsi ta descendance sera comptée’. Moché leur répond : Ceci est de ma part mais Lui vous bénira comme Il l’a dit ».

Les Bné Israël se plaignent à Moché Rabbenou : ta bénédiction est certes magnifique, mais limitée à un facteur mille, alors que Hachem nous a promis à l’époque d’Avraham une multiplication sans limite, indénombrable comme la poussière de le terre ! Moché leur répond qu’il les bénit en tant qu’homme, et souhaite que Hachem les bénisse en plus comme Il l’a déjà promis.
C’est un enseignement fondamental : Moché donne sa bénédiction en tant qu’il est homme donc être limité, alors que la bénédiction de D. est, à son image, infinie. Ce dialogue, qui est peut-être le seul de tout le livre de Devarim, est d’une importance capitale.

Moché apparaît presque dégagé de son enveloppe charnelle. Il a toujours été le « porte-parole » de D., par excellence. C’est justement pour ces raisons qu’il tient à souligner par cette bénédiction qui est une sorte de provocation qu’il est un homme soumis aux mêmes limites que ses frères, il ne doit pas devenir un gourou ! C’est la portée particulière du livre de Devarim : paroles d’un être créé, limité, à ses semblables.

Juste avant d’entrer en Erets Israël, le peuple doit se préparer à recevoir une parole humaine à un autre niveau que la prophétie de Moché, dont l’élévation était inégalée. Le peuple va mettre en pratique la Thora en s’appuyant sur l’enseignement de ses Maîtres, il n’aura plus de contact aussi direct avec Hachem. Les paroles de Moché dans notre Paracha constituent ainsi une introduction aux mitsvot derabanan, aux commandements institués par les Sages.

La notion même de berakha, de bénédiction, est une disposition d’ordre rabbinique. On sait que David Hamelekh a institué de dire 100 berakhot par jour, chaque berakha valant 10 pièces d’or selon la Guemara dans le traité Mena’hot. Le Baal Tourim relève que le produit de ces deux nombres nous amène justement au facteur 1000 par lequel Moché a béni les enfants d’Israël.

Le Chela Hakadoch fait remarquer au nom du Ari Zal que la valeur numérique du nom de D. א-ל ש-די (E-l Cha-daï), 345, est la même que celle de משה (Moché). E-l Cha-daï est le nom de D. qui exprime la limite fixée à l’expansion de la création, Cheamar leolamo daï (« Il a dit à Son monde : cela suffit ! »). Aussi grand soit-il, nous retrouvons une allusion au fait que Moché Rabbenou est limité, parce qu’il est un être humain.

Calculons maintenant la valeur numérique développée de l’expression א-ל ש-די (E-l Cha-daï), c’est-à-dire en écrivant chacune des lettres telle qu’elle se prononce avant de faire la somme des lettres obtenues :

אלף = 111

למד = 74

שין = 360

דלת = 434

יוד = 20

Ajoutons une unité pour l’ensemble (c’est ce que l’on appelle le כולל), on obtient justement… 1000 ! Ce nombre représente donc la limite des capacités humaines. Au-delà, le Maître ne peut que se référer à la berakha promise par Hachem.

Nous pouvons proposer de conclure en disant que notre Paracha, à l’image du livre de Devarim tout entier, est une invitation faite à l’homme de travailler par lui-même à se rapprocher de Hakadoch Baroukh Hou. Et d’ailleurs, les sifré Kabala définissent la berakha comme un travail de l’homme dans le cadre de ses limites pour éveiller sa nechama. Il y aurait bien d’autres axes de réflexion possibles.

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