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Le sang du Pessa’h et le sang de la circoncision. דם פסח ודם מילה.

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 20 Décembre 2021

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Ce texte est rédigé à la mémoire de mon père M. Léon Zyzek


Cette étude est un appel vibrant à prendre son temps pour lire les versets de la Torah avec les commentaires de nos Maîtres. En effet, lorsque l’on lit patiemment les versets, on se rend compte d’anomalies et d’énigmes qui seront sources de réflexions infinies, ces réflexions étant la base des débats entre les grands Maîtres des générations.
C’est ainsi qu’en étudiant la Parashat Bo, פרשת בא, lors de nos études suivies du Guevourot Hashem du Maharal de Prague, nous nous sommes aperçus de la problématique suivante.

Après que la Torah a enseigné au début du chapitre 12 du livre de Shemot les lois du Korban Pessa’h, du sacrifice [1] du Pessa’h, la Torah nous rapporte le récit de la plaie de la mort des premiers-nés égyptiens et la sortie d’Egypte, comme dit le verset (Chemot 12,41) :
ויהי מקץ שלשים שנה וארבע מאות שנה ויהי בעצם היום הזה יצאו כל צבאות ה׳ מארץ מצרים
‘Ce fut à l’échéance de quatre cent trente ans, ce jour-là même, sortirent toutes les armées de D. de la terre d’Egypte.’
Néanmoins, deux versets plus loin commence un nouveau paragraphe enseignant de nouvelles lois relatives au Korban Pessa’h (Shemot 12,43 à 50). [Rappelons la chronologie des faits et des enseignements. Le premier du mois de Nissan, D. enjoint Moshé de transmettre aux enfants d’Israël ce jour là-même que le dix de ce mois, ils devront prendre un agneau ou un chevreau pour l’égorger le quatorze de ce mois dans l’après-midi. Ils le mangeront le quinze au soir et D. passera sur les maisons des enfants d’Israël où sera consommé ce Pessa’h et frappera les premiers-nés égyptiens. Le verset que nous venons de citer relate que les enfants d’Israël sortirent d’Egypte le quinze au matin.]

Chapitre 12, verset 43 :
ויאמר ה׳ אל משה ואהרן זאת חוקת הפסח כל בן נכר לא יאכל בו
‘D. dit à Moshé et Aaron : voici le décret du Pessa’h, tout fils étranger n’en mangera pas.’
Verset 44 :
וכל עבד איש מקנת כסף ומלתה אותו אז יאכל בו
‘Et tout esclave d’un homme, tu lui feras la circoncision, alors seulement il pourra en manger (du Pessa’h).’
Verset 45 :
תושב ושכיר לא יאכל בו
‘Un résident (dans la terre d’Israël) ou un salarié (d’un Israël) n’en mangera pas.’
Verset 46 :
בבית אחד יאכל לא תוציא מן הבית מן הבשר חוצה ועצם לא תשברו בו
‘Il sera consommé dans une même maison, ne sors pas de la maison de la chair à l’extérieur, et un os vous n’en briserez pas.’
Verset 47 :
כל עדת ישראל יעשו אותו
‘Toute l’assemblée d’Israël se devront de le faire.’
Verset 48 :
וכי יגור אתך גר ועשה פסח לה׳ המול לו כל זכר ואז יקרב לעשותו והיה כאזרח הארץ וכל ערל לא יאכל בו
‘Et si habite en ton sein un Guèr, un prosélyte, et qu’il voudrait faire le Pessa’h pour D., circoncis-lui tout mâle, alors seulement il pourra s’approcher pour l’accomplir et il sera comme le citoyen de la terre, et tout incirconcis ne pourra pas en manger.’
Verset 49 :
תורה אחת יהיה לאזרח ולגר הגר בתוככם
‘Une seule loi sera pour le citoyen et pour le prosélyte qui habite en votre sein.’
Verset 50 :
ויעשו כל בני ישראל כאשר צוה ה׳ את משה ואת אהרן כן עשו
‘Tous les enfants d’Israël firent comme D. avait ordonné à Moshé et à Aaron, ainsi firent-ils.’

La question se pose, et tel sera le sujet de cette étude : pourquoi la Torah n’enseigne-t-elle pas ce groupe de lois avant le récit même de la sortie d’Egypte, c’est-à-dire avec les premiers paragraphes qui nous enseignent le corps des lois relatives aux Korban Pessa’h ? D’autant plus que le dernier verset de ce paragraphe atteste indubitablement que ce dont on parle ici était nécessaire au déroulement du Korban Pessa’h en Egypte même, donc le quatorze Nissan.

 

I. Démarche de Rabbi Avraham Ibn Ezra et démarche de Rashi.

Rabbi Avraham Ibn Ezra dans son commentaire sur ces versets (verset 43 et verset 50) prend position au niveau du Pshat [2] en disant que cet ensemble de versets parle des lois du Korban Pessa’h pour les générations à venir et non du Korban Pessa’h de la sortie d’Egypte. D’après cela, il est légitime que ce passage se trouve après le récit précis de la sortie d’Egypte. Cette lecture est suivie par plusieurs grands commentateurs classiques : ‘Hizkouni, Sforno.
Selon cette démarche, Rabbi Avraham Ibn Ezra explique que le verset 50, « Tous les enfants d’Israël firent comme D. avait ordonné à Moshé et à Aaron, ainsi firent-ils », parle du Pessa’h de la deuxième année, lorsque les enfants d’Israël se trouveront dans le désert et qu’il sera d’actualité de faire la circoncision de personnes qui auront à cœur d’aller à la rencontre des enfants d’Israël dans le désert et deviendront donc des prosélytes. [On peut se poser la question : finalement qu’a gagné Ibn Ezra dans cette lecture puisque selon lui ces versets n’ont aucune place chronologique non plus ? Il répond lui-même à cette question (voir sa réponse). Des éléments vont dans son sens en cela qu’indubitablement ce passage parle du statut de la personne et de l’appartenance nationale, ‘le citoyen et le prosélyte’, problématiques qui prendront leur pertinence plus tard dans la terre d’Israël.]
Ramban dans son commentaire s’oppose avec virulence à cette lecture de Ibn Ezra. Son argument principal est que le Korban Pessa’h qui a été fait la deuxième année de la sortie d’Egypte dans le désert était une loi d’exception, הוראת שעה, et n’est pas inclus dans les lois relatives au Pessa’h, comme le dit précisément le verset (chapitre 12, verset 25) : ‘Ce sera lorsque vous viendrez dans la terre que D. vous donnera comme il vous l’a promis, vous ferez ce service (du Pessa’h)’ [Sous-entendu, et non dans le désert].
Rabbi Haïm Ben Attar dans le Or Ha’Haïm (verset 3) réfute la lecture de Ibn Ezra en rapportant la Mekhilta (Parashat Bo §15) qui affirme que, selon tous les avis des Tanaïm, le paragraphe qui nous occupe concerne le Pessa’h fait en Egypte. Ramban, Rabbi Haïm Ben Attar, le Maharal dans le chapitre 38 du Guevourot HaShem et surtout Rashi diront que les versets qui nous occupent ont été dits le quatorze Nissan.
Rashi :
זאת חוקת הפסח. בארבע עשר בניסן נאמרה להם פרשה זו
‘Le quatorze Nissan leur a été dit ce passage’.

Dire que ce passage a été enseigné le quatorze Nissan a des incidences majeures dans notre compréhension de la sortie d’Egypte. En effet, la base des lois relatives au Pessa’h a été dite à Moshé et à Aaron et transmise au peuple le premier du mois de Nissan. Entre dans ces lois le fait de prendre un agneau ou un chevreau dès le dix de ce mois et de le surveiller qu’il n’ait de défaut qui pourrait l’invalider [3]. Par contre il n’a pas été enseigné dans ce premier groupe de lois qu’il faille être circoncis pour consommer du Korban Pessa’h. Selon l’explication de Rashi (et de la Mekhilta), l’obligation de faire la circoncision pour pouvoir consommer du Pessa’h n’a été dite et transmise que le jour-même de la She’hita, de l’abattage, du Pessa’h.
Tous les éléments sont maintenant en place pour nous reposer notre question initiale : pourquoi ce groupe de commandements relatifs au Korban Pessa’h n’a-t-il pas été enseigné avec tous les autres commandements du Pessa’h, c’est-à-dire le premier du mois de Nissan ?
Il nous semble impossible de répondre à cette grande question de manière tranchée et univoque. Il nous semble même nécessaire de prendre plusieurs angles d’approche pour pouvoir y répondre.

Dans un premier temps, nous reprendrons le début de la Parasha (Bo, chapitre 12).

 

II. Début de la Parasha (Bo, chapitre 12).

Versets 1 et 2 :
ויאמר ה׳ אל משה ואל אהרן בארץ מצרים לאמר
‘D. parla à Moshé et à Aaron dans la terre d’Egypte pour dire [4].’
החודש הזה לכם ראש חדשים, ראשון הוא לכם לחדשי השנה
‘Ce renouveau de la lune est pour vous ! C’est le premier des mois de l’année’.

On apprend deux notions de ce verset. Premièrement : ‘ce renouveau de la lune’, D. désigne à Moshé la forme de la lune dans son renouveau et lui montre comment sanctifier le début du mois. C’est le grand tribunal rabbinique qui fixe le nouveau mois. Le calendrier juif est fixé par les hommes, par les instances centrales du droit comme Moshé et Aaron. Ce commandement est le premier commandement qui s’adresse à ce peuple qui va se constituer par la sortie d’Egypte [5]. Deuxièmement, la Torah nous enjoint que ce premier mois qui sera fixé par les hommes et qui sera le mois de la sortie d’Egypte devra être le premier mois de l’année. Ceci signifie que toutes les fêtes et les événements devront être indiqués en référence à ce premier mois, communément appelé Nissan. Par exemple le mois de Tishri est appelé dans la Torah le septième mois, en référence à Nissan.

Verset suivant :
דברו אל כל עדת ישראל לאמר בעשור לחודש הזה ויקחו להם איש שה לבית אבות שה לבית
‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël en disant : le dix de ce mois-ci, qu’ils prennent pour eux chaque homme un agneau par maison paternelle, un agneau par maison.’

Ce verset soulève plusieurs questions au niveau du Pshat. Tout d’abord il n’était pas dit au verset précédent « parlez à toute l’assemblée d’Israël ». Quelle est la différence entre le premier sujet et celui-ci ? Deuxièmement, Moshé et Aaron sont enjoints de transmettre cet enseignement à tout le peuple d’Israël, mais quand doivent-ils le leur enseigner ?

Nous avons déjà mentionné quelques lignes plus haut que la sanctification du nouveau mois est un commandement qui ne s’adresse qu’aux instances supérieures de la loi dans le peuple d’Israël, par contre la Mitsva de prendre un agneau et d’en faire le Korban Pessa’h s’adresse à tout un chacun et sera constitutive de la formation du peuple d’Israël, qui va se former par cette sortie d’Egypte.

Rashi, rapportant la Mekhilta, répond à notre seconde question :
אל כל עדת ישראל לאמר בעשור לחודש. דברו היום בראש חודש שיקחוהו בעשור לחודש
‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël, en disant « le dix de ce mois-ci ». Parlez aujourd’hui à Rosh ‘Hodesh, le premier jour du mois, qu’ils prennent l’agneau le dix du mois.’

Le problème posé par la Mekhilta est le suivant : il y a une ambiguïté dans le verset, d’un côté il y a un אתנחתא, c’est-à-dire comme une virgule après le mot הזה, comme s’il fallait lire le verset en disant : parlez à toute l’assemblée d’Israël en disant le dix de ce mois-ci (virgule). Mais d’un autre côté, s’il fallait que Moshé et Aaron transmettent cet enseignement le dix du mois, il eût été plus légitime qu’il soit écrit : parlez à toute l’assemblée d’Israël le dix de ce mois-ci en disant. La Tradition Orale tranche en disant que Moshé et Aaron ont été enjoints le premier du mois de transmettre le jour-même ce commandement de prendre l’agneau le dix de ce mois.

D’après cette explication de la Mekhilta rapportée par Rashi, la suite des événements est la suivante :
Rosh ‘Hodesh Nissan, Moshé et Aaron reçurent l’injonction de parler ce jour même aux enfants d’Israël pour qu’ils prennent le dix de ce mois l’agneau qu’ils offriront à D. le quatorze après-midi et qu’ils consommeront le soir du quinze (verset 8).

Nous pouvons nous demander quel est l’enjeu de cette prise de position de nos Maîtres, de lire dans le verset que cette injonction de prendre l’agneau le dix a été dite aux enfants d’Israël le premier du mois et non le dix même, comme il aurait été possible de lire. La suite de notre étude nous donnera des éléments de réponse à cette question.

 

III. Verset 6. Et la Mekhilta sur le verset.

והיה לכם למשמרת עד ארבעה עשר יום לחודש הזה ושחטו אותו כל קהל עדת ישראל בין הערבים
‘Cet agneau sera pour vous sous surveillance jusqu’au quatorze de ce mois-ci, et toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgeront vers le soir.’

Pour synthétiser, HaKadosh Baroukh Hou enjoint aux enfants d’Israël de prendre le dix du mois un agneau sans défaut (verset 5) et de surveiller justement durant quatre jours qu’il n’ait pas de défaut qui invaliderait le Service, de faire ce Service le quatorze après-midi, et de le consommer la nuit du quinze (verset 8), nuit à venir de la plaie des premiers-nés et de la sortie d’Egypte.

La Mishna dans le neuvième chapitre du traité Pessa’him (96a) nous enseigne que bien que pour les Pessa’h des années à venir il faudra aussi quatre jours de surveillance pour bien voir que cet animal n’ait pas de défaut, néanmoins seul le Pessa’h de la sortie d’Egypte (dont ce verset traite) exige que ce soit le propriétaire de l’animal qui fasse cette surveillance. Pour les autres années, une personne peut aller au Temple de Jérusalem le quatorze Nissan matin et acheter un agneau dont le tribunal rabbinique atteste que cela fait quatre jours que l’on a inspecté que cet animal n’ait pas de défaut. Par contre, notre verset nous enseigne que les personnes qui feront le Pessa’h de la sortie d’Egypte doivent elles-mêmes posséder dès le dix du mois l’agneau et le surveiller elles-mêmes jusqu’au quatorze après-midi.

Rashi sur notre verset rapporte cette Halakha et demande au nom de la Mekhilta : pourquoi ici la Torah exige-t-elle que cet agneau ait été acquis avant l’abattage quatre jours, ce qui ne sera pas exigé pour les Pessa’h des autres années ?
La Mekhilta (et Rashi) rapporte deux réponses à cette question. Nous rapporterons ici notre traduction de la Mekhilta.

‘Cet agneau sera pour vous sous surveillance. Pourquoi fallait-il acquérir cet agneau quatre jours avant son abattage ?
Rabbi Matia ben ‘Harash disait. Le verset dans Yé’hezkel (16,8) dit « Je suis passé au-dessus de toi, et Je t’ai vue, le moment de l’amour est arrivé », est arrivé le moment qu’avait promis HaKadosh Baroukh Hou à Avraham de délivrer ses enfants, mais ils n’avaient pas dans leurs mains de Mitsvot dans lesquelles ils pourraient être investis pour être délivrés, comme dit le verset (16,7) « Ta poitrine s’est affermie, tes poils [6] ont poussé mais tu es nue et vulnérable », nue de toutes Mitsvot. HaKadosh Baroukh Hou leur a donnée deux commandements, le sang du Pessa’h et le sang de la circoncision, de la Mila, pour qu’ils soient investis dans des Mitsvot pour pouvoir être libérés, comme dit le verset (16,6) « Je suis passé au-dessus de toi et Je t’ai vue, tu es vagissante dans ton sang, et Je t’ai dit : Vis par ton sang ! Vis par ton sang [7]! ». Le verset dit aussi (Zekharia 9,11) « Et toi aussi, par le sang de ton alliance Je renverrai tes captifs du trou où il n’y a pas d’eau ». C’est pourquoi le verset fait précéder l’acquisition du Pessa’h quatre jours avant son abattage, car on ne peut prendre de récompense et de mérite que par un acte.’

Ceci est la première thèse présentée par la Mekhilta. Apparemment il y a une incohérence dans le texte. En effet, on veut répondre à la question de savoir pourquoi HaKadosh Baroukh Hou ordonne aux enfants d’Israël d’acquérir l’agneau quatre jours avant son abattage, et la Mekhilta rapporte l’enseignement de Rabbi Matia ben ‘Harash qui parle de l’abattage du Pessa’h et du sang de la circoncision, deux éléments qui n’ont rien à voir avec la question posée !
Le Natsiv, Rabbi Naftali Tsvi Yéhouda Berlin, répond à notre question dans son commentaire sur la Mekhilta, le Birkat HaNatsiv, en disant que nous voyons dans l’enseignement de Rabbi Matia ben ‘Harash que D. ne va pas délivrer les enfants d’Israël sans qu’ils ne s’habillent de Mitsvot, d’actes concrets. Nous voyons de l’enseignement de Rabbi Matia ben ‘Harash qu’ils doivent être investis dans des actes de Mitsva pour pouvoir être délivrés ; de même ici, D. leur donne la possibilité d’être actifs pendant quatre jours en s’occupant activement de leur agneau, en faisant attention qu’il n’ait pas de défauts l’invalidant au Service du Pessa’h.
D. avait promis à Avraham de délivrer ses enfants à une échéance précise. L’échéance est arrivée, mais Il ne veut pas les délivrer s’ils ne sont pas investis dans des actes de Mitsva. Le Natsiv explique que la Mekhilta va plus loin que l’enseignement de Rabbi Matia ben ‘Harash. En effet, l’aspersion du sang du Pessa’h est un acte ponctuel qui peut être accompli par le chef de famille pour toute la famille, par contre s’occuper activement de l’agneau durant quatre jours est un acte de Mitsva actif et prenant.

La Mekhilta apprend de Rabbi Matia ben ‘Harash que D. ne veut pas délivrer les enfants d’Israël s’ils ne sont pas investis dans des actes de Mitsva, bien que concrètement Rabbi Matia ben ‘Harash ne parle pas de la question précise posée par la Mekhilta. C’est fort de ce principe que la Mekhilta expliquera la raison de cette exigence d’acquérir l’agneau quatre jours avant l’abattage.

[Nous pouvons nous poser la question : pourquoi n’était-ce pas possible de les délivrer sans qu’ils soient investis dans des actes de Mitsva étant donné que le moment de l’échéance promise était arrivé ? Le Natziv répond (dans le ברכת הנצי״ב) que lorsque vient à la volonté de D. d’élever la gloire d’une nation ou d’un individu mais que cette récompense ne lui vient pas selon la juste mesure de ses actes, HaKadosh Baroukh Hou fait se présenter à cette nation ou à cet individu des Mitsvot et des מעשים טובים, des actes vertueux, pour que par leur accomplissement cette nation ou cet individu reçoive cette élévation véritable selon la mesure de justice. [8]]

 

IV. Seconde démarche de la Mekhilta.

La Mekhilta rapporte un second avis, opposé à la première explication.

‘Rabbi Elazar HaKapar Bérébi [9] dit : Mais n’est-ce pas que les enfants d’Israël avaient dans leurs mains quatre Mitsvot incomparables ? Ils étaient de mœurs exemplaires, ne pratiquaient pas la médisance, le Lashon HaRa, n’avaient pas changé leurs noms (ils avaient, malgré l’exil, gardé leurs noms hébreux) et n’avaient pas changé leur langue (ils parlaient, malgré l’exil, toujours le Lashon HaKodesh, l’hébreu). Si c’est ainsi qu’ils étaient méritants par le biais de l’accomplissement de ces commandements fondamentaux, pourquoi D. fit-il précéder l’acquisition de l’agneau quatre jours à son abattage ? Parce qu’ils étaient complètement engoncés dans l’idolâtrie des Egyptiens et que la gravité de l’idolâtrie est équivalente à la transgression de toute la Torah dans sa globalité.’

La Mekhilta rapporte l’opinion de Rabbi Yéhouda ben Betera qui conforte la démarche de Rabbi Elazar HaKapar Bérébi :

‘Rabbi Yéhouda ben Betera dit : le verset dit (Shemot 6,9) « Ils n’écoutèrent pas Moshé par manque de respiration et par trop de servitude ». Mais est-ce qu’il existe un homme à qui l’on annonce une bonne nouvelle et qui ne s’en réjouit pas, comme dit le verset (Yirmiyah 20,15) « Il t’est né un enfant mâle, lui causant une grande joie ». De même son maître le sort à la liberté, ne se remplirait-il pas d’allégresse ? Si c’est ainsi pourquoi n’écoutèrent-ils pas Moshé ? C’est qu’il leur était insupportable de se séparer de l’idolâtrie, comme dit le verset (Yéh’ezkel 20,7 et 8) « Je leur ai dit : que chacun rejette les abominations qui sont sous leurs yeux et qu’ils ne se souillent pas dans les idoles infâmes de l’Egypte, Je suis l’Eternel votre D. ! Ils Me rejetèrent et ne voulurent pas M’écouter, chacun garda précieusement les abominations qui étaient sous ses yeux, et ils n’abandonnèrent pas les idoles infâmes de l’Egypte ». Ceci est corroboré par le verset (Shemot 6,13) « D. parla à Moshé et à Aaron et les a ordonnés au sujet des enfants d’Israël », D. les a ordonnés de les séparer de l’idolâtrie [10].’

L’opinion de Rabbi Elazar HaKapar s’oppose à celle que l’on tire de l’enseignement de Rabbi Matia ben ‘Harash. En effet, Rabbi Matia ben ‘Harash dit que les enfants d’Israël n’avaient pas le mérite nécessaire à ce que D. les délivre et qu’il fallait qu’ils soient investis dans Torah et Mitsvot. Rabbi Elazar HaKapar s’oppose et dit que les enfants d’Israël avaient beaucoup de mérite ! Ils étaient ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui ‘des bons juifs’. Malgré le fait qu’ils habitaient dans un pays dont la dépravation était légendaire, néanmoins ils maintenaient une pureté et une grande retenue dans leurs mœurs. De même gardaient-ils un attachement et une fierté nationale et un amour de leur peuple, éléments qui leur sont considérés comme des grands mérites. Si c’est ainsi, pourquoi fallait-il faire précéder l’acquisition de l’agneau quatre jours à son abattage ? Pour qu’ils se sèvrent de leur addiction à l’idolâtrie des égyptiens.  En effet notre Tradition nous enseigne que l’agneau était l’animal sacré par excellence des égyptiens et les enfants d’Israël, tout au moins une partie importante d’entre eux, étaient complètement intégrés dans cet univers culturel. Pour sortir d’Egypte, HaKadosh Baroukh Hou leur enjoint de se séparer de ce culte idolâtre et d’immoler cet animal sacré.

Ce second avis de la Mekhilta ne cesse de nous interroger : non, dit-il, je ne suis pas d’accord avec toi Rabbi Matia ben ‘Harash, les enfants d’Israël en Egypte sont pétris de Mitsvot et d’attachement à D., par contre ils sont complètement enfoncés dans l’idolâtrie. Il va falloir qu’ils se dépassent pour sortir d’Egypte et qu’ils aient la force et le courage de rompre avec leur attachement addictif à ces cultes ineptes des Egyptiens. N’y a-t-il pas ici une contradiction interne ?

Là commence véritablement notre étude présente, ou tout au moins son actualité. Ici nos Maîtres pointent du doigt une situation paradoxale : d’un côté Rabbi Elazar HaKapar s’oppose frontalement à Rabbi Matia ben ‘Harash et affirme : mais non, il n’était pas nécessaire de donner du mérite aux enfants d’Israël car ils étaient restés des bons hébreux, très attachés à leur identité et à leur Dieu ! Par contre, si dès Rosh Hodesh Moshé a dû les enjoindre de prendre un agneau dès le dix du mois pour l’immoler le quatorze après-midi, c’était pour qu’ils se préparent à faire un effort surhumain de s’arracher de l’idolâtrie dans laquelle ils étaient complètement engoncés.

Nos Maîtres, dans leur sagesse et leur regard pénétrant, mettent en relief la capacité d’être d’un côté un ‘bon juif’ (si nous nous permettons cet anachronisme) et en même temps complètement détaché de D., complètement intégré au système des ennemis forcenés du D. Un et de Son peuple. Il nous semble que cette articulation de notre étude va nous donner un éclairage complètement nouveau sur le passage de la Torah que nous étudions ici. Ces juifs qui ont du mal à sortir d’Egypte et que D. va prendre par la main étape par étape pour qu’ils puissent se sevrer de leurs contradictions, en fait, c’est nous [11].
Nous pouvons maintenant comprendre la pertinence de la Mekhilta citée dans Rashi que nous avons rapportée au second paragraphe de cette étude :
‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël, en disant « le dix de ce mois-ci ». Parlez aujourd’hui à Rosh ‘Hodesh, le premier jour du mois, qu’ils prennent l’agneau le dix du mois.’

En effet, cette nuance de la Mekhilta change tout. Si le commandement avait été de dire le dix du mois aux enfants d’Israël de prendre l’agneau ce jour-même, cela aurait été un ordre simple, un diktat imposé et c’est tout. Par contre ordonner à Moshé et à Aaron de parler le premier du mois pour qu’ils prennent un agneau le dix du mois, cela procède d’une préparation, cela invite les enfants d’Israël à se travailler à l’intérieur d’eux-mêmes pour aborder petit à petit cet acte incroyable : ficeler quatre jours chez soi l’idolâtrie des Egyptiens pour se préparer à l’égorger !

 

V. Démarche du Zohar (Shemot 39b).

Le Rabbin Elie Munk dans son commentaire ‘la Voix de la Torah’ cite le Zohar (Shemot 39b) sur notre verset (Shemot 12,4) qui, nous semble-t-il, apporte un éclairage important sur tout notre sujet.

דברו אל כל עדת ישראל לאמר בעשור לחודש הזה ויקחו איש שה וכו׳. אמאי בעשור. אמר רבי אבא בזמנא דאנהיר יובלא לסיהרא, דכתיב ביובלא בעשור לחודש השביעי הזה יום כיפורים הוא

‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël en disant : le dix de ce mois-ci, qu’ils prennent pour eux (…). Pourquoi le dix ? Rabbi Abba dit : au moment où le Yovel luit sur la lune, comme dit le verset au sujet du Yovel (Vayikra 25,9) « Tu feras passer un Shofar de soufflerie le septième mois le dix du mois, le jour de Kippour vous ferez passer un Shofar dans toute votre terre ».’

Ce passage est bien évidemment extrêmement concis et difficile d’accès. Essayons de le décrypter. Le Zohar fait le rapprochement entre notre verset et un verset de la Parashat Béhar (Vayikra 25,9) où la Torah dit que l’année du Yovel, du Jubilé, on souffle du Shofar le dix du mois de Tishri et à cette soufflerie les esclaves sortent à la liberté.
De quoi s’agit-il ?
Dans un certain contexte du peuple d’Israël, la Torah envisage la possibilité qu’un juif puisse être vendu en esclave à un de ses frères juifs. Néanmoins ce statut n’est pas éternel. La cinquantième année d’un cycle, année appelée Yovel (‘Jubilé’ en français), la Torah enjoint chaque famille à souffler du Shofar le dix du septième mois, Tishri, le jour de Yom Kippour, et qu’à ce moment-là les esclaves hébreux soient libres. Le Zohar met en parallèle ce commandement dont l’accomplissement a lieu le dix du mois, à Yom Kippour, et le fait que le premier du mois de Nissan, Moshé et Aaron soient enjoints d’ordonner aux enfants d’Israël qu’ils prennent un agneau le dix du mois de Nissan.
Outre ce rapprochement, le Zohar ajoute quelques mots : Rabbi Abba dit : au moment où le Yovel luit sur la lune, comme dit le verset au sujet du Yovel (Vayikra 25,9) « Tu feras passer un Shofar de soufflerie le septième mois le dix du mois, le jour de Kippour ».
Que signifie cette expression ‘au moment où le Yovel luit sur la lune’ ? Nous ne connaissons pas la science spécifique du Zohar, mais peut-être pouvons-nous apprendre de là au sens simple que le Zohar met en relation le fait de prendre l’agneau le dix du mois avec ce qui se passe le jour de Yom Kippour. Yom Kippour est le jour spécifique de Teshouva, de retour, de repentir. Ce jour est l’aboutissement d’un processus qui a débuté le premier de ce mois à Rosh HaShana. La Teshouva vient d’un processus de maturation, de réflexion intérieure appelée Binah, comme dit le verset (Yishaya 6,10)  ולבבו יבין ושב, « son cœur comprendra et il reviendra ». De même dans la prière du Shemoné Esré, le sujet de la quatrième bénédiction exprime le fait que nous demandons à D. de l’intelligence et de la compréhension, et la cinquième bénédiction exprime le fait que nous demandons à D. que nous puissions retourner à Lui. La Guemara dans le traité Méguila 17b justifie cette juxtaposition de la manière suivante :
ומה ראו לומר תשובה אחר בינה. דכתיב ולבבו יבין ושב
‘Pourquoi nos Maîtres rédacteurs de la prière ont-ils juxtaposé le retour, la Teshouva, après la compréhension ? C’est en vertu du verset « son cœur comprendra et il reviendra »’.
Le Yovel est la définition profonde du jour de Kippour où l’on sort libre de ses fautes. Le Yovel est la dimension de Binah, de la compréhension intérieure. Le retour à D. ou le retour à soi ?
Voir le Midrash Shir HaShirim Rabba (chapitre 5, §2) :
אמר רבי חייא בר אבא אכן מצינו שנקרא הקב״ה לבן של ישראל, מן הדין קרא דכתיב צור לבבי וחלקי אלקים לעולם
‘Rabbi ‘Hiya bar Abba dit : où trouvons-nous que HaKadosh Baroukh Hou soit appelé Liban Shel Israël, le cœur des enfants d’Israël ? Comme dit le verset (Tehilim 73,26) « Le fondement de mon cœur et ma part, D. pour toujours ».’

Ainsi pouvons-nous comprendre au sens simple cette phrase du Zohar : ‘au moment où le Yovel luit sur la lune’.
La lune est une parabole de la réalité prosaïque du monde, de notre réalité. Comme la lune, nous ne sommes rien si nous ne recevons pas la lumière d’un ailleurs, nous ne serions qu’un morceau de terre inerte et morte. C’est notre capacité à recevoir qui va nous donner vie et lumière. Le premier jour du mois de Tishri, à la nouvelle lune, il y a un petit éveil, un petit rayon de soleil. Ce petit rayon peut faire son chemin et s’approfondir jusqu’à devenir une clameur de liberté le dix du mois, la liberté concrétisée et effective sera le quinze du mois.

Grâce à ce passage concis du Zohar rapporté par le Rabbin Elie Munk, nous pourrons apprécier la profondeur des paroles des Maîtres de la Tradition Orale, Maîtres de la Mekhilta, et de Rashi qui les cite.
Comme nous l’avons vu plus haut, le verset ‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël en disant : le dix de ce mois-ci, qu’ils prennent pour eux chaque homme un agneau par maison paternelle, un agneau par maison’ est ambigu. Moshé et Aaron doivent-ils parler le jour-même, c’est-à-dire le premier Nissan, pour que les enfants d’Israël prennent l’agneau le dix du mois, ou bien doivent-ils dire le dix qu’ils prennent l’agneau le jour-même ? La Tradition Orale nous enseigne que cette parole doit être dite le premier Nissan pour qu’ils prennent cet agneau le dix. Le Zohar nous fait le rapprochement avec le processus de Teshouva qui s’opère au mois de Tishri. D. ne cherche pas à ce que nous soyons des petits robots qui changent leurs actes au doigt et à l’œil, mais D. nous donne les outils pour que s’opère en nous une démarche et un mûrissement et qu’il y ait une rencontre entre Lui et nous, Ses créatures.
Pour résumer, ce passage du Zohar nous apporte une innovation complète dans notre manière d’aborder la fête de Pessa’h. De la même manière que les fêtes de Tishri forment un processus de retour et de concrétisation progressive de ce retour, de la même manière les différentes étapes de la sortie d’Egypte et de la fête de Pessa’h seront aussi un processus étape par étape d’accession à la liberté.

 

VI. Retour à notre question initiale.

La question de départ de cette étude est de rechercher pourquoi certaines lois importantes relatives au Korban Pessa’h sont écrites dans la Torah après le récit de la sortie d’Egypte, alors qu’apparemment ces lois ont dû être enseignées avant cette sortie d’Egypte effective, et telle est la thèse de la plupart des commentateurs et indubitablement de la Mekhilta et de Rashi à sa suite.

Nous avons étudié dans les paragraphes précédents les différents avis dans la Mekhilta qui dévoilaient clairement les tensions intérieures chez les enfants d’Israël face à cette injonction de prendre l’agneau quatre jours à l’avance. Le Midrash Rabba (Shemot Rabba chapitre 19, §6) va rapporter une discussion assez parallèle pour expliquer pourquoi le Korban Pessa’h est appelé חוקה, ‘décret’, ‘Houka’.

‘ « Voici le décret du Pessa’h ». Rabbi Shimon ben ‘Halafta dit. Lorsque les enfants d’Israël allaient sortir d’Egypte, HaKadosh Baroukh Hou (D.) dit à Moshé : enjoins aux enfants d’Israël les commandements relatifs au Pessa’h « tout fils étranger n’en mangera pas », « tout esclave d’un homme, tu lui feras la circoncision, alors seulement il pourra en manger » (etc.). Lorsque les enfants d’Israël virent que les incirconcis se trouvaient être exclus de la consommation du Korban Pessa’h, tous se prirent en main et, vite fait, circoncirent leurs esclaves [12], leurs enfants, et tous ceux qui allaient sortir avec eux, comme dit le verset (12,50) « Tous les enfants d’Israël firent comme D. avait ordonné à Moshé et à Aaron [13]». Cela ressemble à un roi qui a organisé un festin pour ceux qui l’aiment (ou qu’il aime). Le roi dit : s’il n’y a pas mon emblème sur tous les convives, qu’aucun d’entre vous ne rentre !
De même D. leur a fait un festin de viande grillée au feu (le Pessa’h), de Matsot et d’herbes amères car Il les délivre des malheurs. Il leur dit : s’il n’y a pas le tampon d’Avraham dans votre chair, n’en goûtez pas ! Aussitôt tous ceux qui étaient nés en Egypte (et qui n’avaient pas fait la Mila, la circoncision) se précipitèrent pour faire la Mila. C’est à leur sujet que le verset dit (Téhilim 50,5) « rassemblez moi mes fidèles, ceux qui tranchent une alliance (la Mila) sur un sacrifice (le Pessa’h) ».
Mais nos Maîtres s’opposent (à Rabbi Shimon ben ‘Halafta) et disent : les enfants d’Israël ne voulaient pas faire la circoncision en Egypte [14]. Seule la tribu de Lévy garda l’alliance, comme dit le verset (Devarim 33,8 et 9) « Et à Lévy il (Moshé) dit : Tes Toumim et Tes Ourim seront pour l’homme qui T’est dévoué… ils respectèrent Ta parole et gardèrent Ton alliance [15] ». Tes Toumim et Tes Ourim seront pour l’homme qui T’est dévoué car Ils gardèrent Ton alliance. HaKadosh Baroukh Hou voulait les libérer mais ils n’avaient pas de mérite. Que fit HaKadosh Baroukh Hou ?
Il convoqua Moshé et lui dit : va circoncire les enfants d’Israël ! Une opinion dit que c’était Yéhoshoua qui était là et qui leur fit la circoncision, comme dit le verset (Yéhoshoua 5,2) « à nouveau circoncis les enfants d’Israël une seconde fois ». Mais bien nombreux étaient ceux qui n’acceptèrent pas de faire la circoncision. D. leur dit alors de faire le Korban Pessa’h. Lorsque Moshé fit son Pessa’h, D. décréta aux quatre vents du monde et ils soufflèrent dans le Jardin d’Eden et ces vents allèrent et se collèrent à l’agneau de Moshé, comme dit le verset (Shir HaShirim 4,16) « Eveille-toi vent du Nord [16], et viens vent du Sud ! Souffle dans mon jardin et qu’exhalent ses odeurs ! Que vienne mon chéri dans son jardin et qu’il mange ses fruits délicieux ! ». Et cette odeur (du Jardin d’Eden) se répandait sur une distance de quarante jours de marche [17]. Tout Israël se retrouva auprès de Moshé et ils le supplièrent : donne-nous à manger de ton Pessa’h car nous défaillons de l’odeur de ton Pessa’h !
Alors D. leur dit : « voici le décret du Pessa’h (…) tout incirconcis n’en mangera pas ». Tout de suite ils se présentèrent disposés à être circoncis, ils firent la Mila, et s’est mélangé le sang du Pessa’h avec le sang de la Mila. D. passe et prend chacun et l’embrasse et le bénit, comme dit le verset (Ye’hezkel 16,6) « Je suis passé au-dessus de toi et Je t’ai vue, tu es vagissante dans ton sang, et Je t’ai dit : Vis par ton sang ! Vis par ton sang ! », vis dans ton sang du Pessa’h, vis dans ton sang de la Mila.’

Deux avis s’opposent dans ce Midrash. Rabbi Shimon ben ‘Halafta tient que les enfants d’Israël avaient gardé le signe de l’alliance en Egypte. Par contre avec la sortie d’Egypte va être exigé un investissement supplémentaire dans la circoncision, investissement synthétisé par le terme חוקת הפסח, ‘décret du Pessa’h’, que même la non-circoncision de ses subordonnés empêche de manger du Pessa’h. Les enfants d’Israël se sont investis avec enthousiasme dans cette exigence nouvelle et ont fait la circoncision de leurs esclaves (car les enfants d’Israël eux-mêmes esclaves avaient donc des esclaves) et de ceux à qui ils n’avaient encore pas fait la circoncision par négligence ou par une crainte quelconque (Ets Yossef). Et c’est ce que dit le verset qui conclut le passage : ‘Tous les enfants d’Israël firent comme D. avait ordonné à Moshé et à Aaron’. Il est écrit ici ‘tous les enfants d’Israël’, alors qu’au verset plus haut (12,28) il est écrit ‘Les enfants d’Israël allèrent et firent comme D. avait ordonné à Moshé et à Aaron’, et il n’est pas écrit ‘tous’.

L’avis majoritaire s’oppose à Rabbi Shimon ben ‘Halafta et tient que la plupart des enfants d’Israël avaient abandonné le signe de l’alliance en Egypte. Lorsque Moshé leur enseigna la nécessité d’être circoncis pour manger du Pessa’h et donc la nécessité d’être circoncis pour être libérés d’Egypte, ils refusèrent. Le Midrash nous rapporte alors le stratagème que D. employa pour les encourager à faire la Mila et pouvoir ainsi être délivrés.

Nous retrouvons ici un peu le même débat que nous avions vu dans la Mekhilta entre un avis qui disait que les enfants d’Israël étaient restés vertueux en Egypte et un avis qui disait qu’ils étaient démunis de tout mérite. Il nous semble devoir dire que ces deux avis se complètent et nous montrent la situation hautement problématique dans laquelle se trouvaient les enfants d’Israël après toutes ces années passées dans une autre culture, et même dans une culture antagonique à celle spécifique du peuple choisi par le D. Un. Nous pourrions dire que les deux opinions sont vraies : d’un côté le peuple hébreu, malgré les années, a gardé son attachement puissant à son identité et au D. de ses pères, et en même temps on peut dire qu’il s’en est détaché et désintéressé, et refuse profondément de reprendre le contact. Les deux sont vrais.
Rentrons un peu plus dans les détails du second avis.

 

VII. D. comme pédagogue.

Depuis qu’Avraham eut l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, sa descendance fut enjointe de faire la circoncision, comme disent les versets de la Parashat Lèkh Lèkha (Béréshit 17, 7 à 14), et ainsi est-ce rapporté dans Rambam (Hilkhot Melakhim chapitre 10, Halakha 7) :
‘Avraham et sa descendance seule ont été enjoints de se circoncire, comme dit le verset (Béréshit 17,9) « toi et ta descendance après toi ». Ceci exclut la descendance d’Ishmaël, comme dit le verset (Béréshit 21,12) « Car dans Yits’hak sera nommée ta descendance ». Essaw aussi est exclu car Yits’hak a dit à Yaakov (Béréshit 28,4) « Et qu’Il te donne la bénédiction d’Avraham à toi et à ta descendance ». Nous déduisons d’ici que seul Yaakov est considéré le descendant d’Avraham qui maintient son héritage et va dans ses chemins de droiture, ce sont eux qui sont enjoints de la circoncision.’
Néanmoins la plupart des commentateurs nous enseignent qu’exceptée la tribu de Lévy, les enfants d’Israël, les Hébreux, abandonnèrent la Mila en Egypte [18]. Or la Mila est l’expression première de l’alliance entre les descendants d’Avraham et HaKadosh Baroukh Hou. Il est donc nécessaire, vital, que les enfants d’Israël fassent la Mila pour que D. puisse les délivrer. Bien que dans les premiers commandements qui aient été ordonnés par l’intermédiaire de Moshé et de Aaron au début du chapitre 12 de Shemot, ces commandements enseignés à Rosh ‘Hodesh, n’apparaisse pas le commandement de faire la circoncision, il était évident qu’il était nécessaire qu’elle soit effectuée car pour le moment c’était le seul commandement qu’ils avaient entre leurs mains. Rabbi Yits’hak d’Evreux, cité par le Daat Zékénim MéBaalé HaTossefot (12,4), explique d’ailleurs de cette manière pourquoi l’ordre de prendre l’agneau précédait de quatre jours son abattage : pour qu’ils soient occupés quatre jours avec le sang de l’agneau et le sang de la circoncision, en faisant la Mila le dix, et qu’ils aient trois jours pour récupérer avant de partir en chemin le quatorze au soir.
Pour Rabbi Yits’hak d’Evreux, bien que l’obligation de faire la Mila n’apparaisse nullement dans les commandements enseignés à Rosh ‘Hodesh, néanmoins il était considéré comme évident que ce seul commandement qui s’appliquait à toute la famille abrahamique se devait d’être appliqué avant toute chose.

Toutefois il est clair que la démarche du second avis du Midrash Rabba ne va pas dans le sens de la lecture de Rabbi Yits’hak d’Evreux. Il a l’air de ressortir de ce Midrash qu’il n’avait pas été mentionné de faire la circoncision avant le quatorze Nissan, comme Rashi le dit justement (12,43) : זאת חוקת הפסח. בארבעה עשר בניסן נאמרה פרשה זו, ‘Voici le décret du Pessa’h. Le quatorze du mois de Nissan leur a été enseigné ce passage’.
Il ressort du Midrash Rabba que beaucoup d’enfants d’Israël ont fait le Korban Pessa’h comme Moshé et Aaron le leur avaient ordonné, mais beaucoup étaient réfractaires à faire la circoncision. Et là est le point subtil et le cœur de notre étude. Moshé les a laissé faire bien qu’il savait que cela poserait un problème sérieux car il faudrait être circoncis pour pouvoir en manger. Cela pose encore un autre problème : le verset 12,4 enseigne איש לפי אוכלו תכוסו על השה , « Chacun selon sa capacité de manger du Pessa’h, sera associé sur l’agneau ». Nos Maîtres apprennent de ce verset deux choses : premièrement qu’on ne peut abattre le Pessa’h que pour des personnes qui ont été comptées au préalable pour cet agneau, deuxièmement qu’on ne peut abattre l’agneau que pour quelqu’un qui pourra en manger plus tard. C’est ce que dit le verset : « chacun selon sa capacité d’en manger sera compté sur l’agneau ». Or dans la seconde liste de commandements, celle dite le quatorze le jour de l’abattage, est enseigné qu’un incirconcis ne peut pas en manger, כל ערל לא יאכל בו   !
Rav Naftali Tsvi Yéhouda Berlin dans le Haemek Davar (Shemot 12,48) pose notre question originelle (pourquoi ces commandements n’ont-ils pas été enseignés dès Rosh ‘Hodesh ?) et donne une réponse sublime :
Si nous pouvons nous exprimer ainsi, D. savait que beaucoup d’enfants d’Israël seraient réfractaires à se faire la circoncision. Or, si le fait qu’être incirconcis invalidait de manger du Pessa’h avait été enseigné dès Rosh ‘Hodesh, les incirconcis auraient été exclus de l’abattage le quatorze après-midi. C’est pour leur donner la possibilité de s’associer à la libération que cet enseignement ne fut donné que le quatorze après-midi, après l’heure de l’abattage. La plupart des enfants d’Israël firent le Service du Pessa’h comme il leur avait été prescrit par Moshé et Aaron. Beaucoup d’entre eux étaient incirconcis à ce moment-là. Vient le moment de manger du Pessa’h, D. donne alors le commandement : כל ערל לא יאכל בו, ‘Tout incirconcis n’en mangera pas [19]’.
Donc au moment de faire l’abattage du Pessa’h les incirconcis n’ont pas été disqualifiés, l’interdit qui leur était relatif n’ayant pas encore été enseigné [20].
Mais finalement en quoi retarder l’enseignement de cette Mitsva a-t-il résolu quoi que soit, puisque le Midrash rapporte que même à ce moment-là beaucoup d’enfants d’Israël refusèrent encore de faire la Mila ?

Reprenons le Midrash :
‘Mais bien nombreux étaient ceux qui n’acceptèrent pas de faire la circoncision. D. leur dit alors de faire le Korban Pessa’h. Lorsque Moshé fit son Pessa’h, D. décréta aux quatre vents du monde et ils soufflèrent dans le Jardin d’Eden, et ces vents allèrent et se collèrent à l’agneau de Moshé, comme dit le verset (Shir HaShirim 4,16) « Eveille-toi vent du Nord [21], et viens vent du Sud ! Souffle dans mon jardin et qu’exhalent ses odeurs ! Que vienne mon chéri dans son jardin et qu’il mange ses fruits délicieux ! ». Et cette odeur (du Jardin d’Eden) se répandait sur une distance de quarante jours de marche [22]. Tout Israël se retrouva auprès de Moshé et ils le supplièrent : donne-nous à manger de ton Pessa’h car nous défaillons de l’odeur de ton Pessa’h !
Alors D. leur dit : « voici le décret du Pessa’h (…) tout incirconcis n’en mangera pas ». Tout de suite ils se présentèrent disposés à être circoncis, ils firent la Mila, et s’est mélangé le sang du Pessa’h avec le sang de la Mila. D. passe et prend chacun et l’embrasse et le bénit, comme dit le verset (Ye’hezkel 16,6) « Je suis passé au-dessus de toi et Je t’ai vue, tu es vagissante dans ton sang, et Je t’ai dit : Vis par ton sang ! Vis par ton sang ! », vis dans ton sang du Pessa’h, vis dans ton sang de la Mila.’

Que signifie ce stratagème assez fantasmagorique ?

Le dernier grand Rav de Kovno, Rabbi Avrohom Dov Beer Kahana Shapiro, auteur du Devar Avraham, interroge ce Midrash dans sa Drasha de Shabbat HaGadol publiée par son fils après la seconde guerre mondiale (Devar Avraham, ‘Helek HaDroush). Nous rapportons ici son commentaire que nous fera avancer dans notre recherche.

 

VIII. Démarche du Devar Avraham.

Le Devar Avraham pose une grande question sur le Midrash qui nous occupe. Nous voyons qu’une partie importante des enfants d’Israël ont fait le Korban Pessa’h sans aucune réticence. Ils ont appliqué l’injonction redoutable de prendre l’animal sacré des Egyptiens, de le ficeler pendant quatre jours au vu et au su des Egyptiens, et finalement de l’égorger le quatorze après-midi. Par contre, faire la circoncision leur était impossible.
Nous avons vu plus haut au nom de la Mekhilta l’arrachement que constituait pour une partie importante des enfants d’Israël de rompre avec l’idolâtrie. Mais finalement ils ont surmonté ce déchirement et ont égorgé le Pessa’h. Par contre, refus total de faire la circoncision. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Et là va se jouer la capacité ou non de sortir d’Egypte.
Il faut dire qu’il y a deux aspects dans le Korban Pessa’h, dans le Service du Pessa’h.
Le premier jour du mois de Nissan a été enseignée l’injonction première du Pessa’h où D. explique le sens de ce commandement : Pessa’h signifie ‘sauter’, D. sautera au-dessus des maisons des enfants d’Israël qui feront ce Service lorsqu’Il frappera les premiers-nés égyptiens, et ce Service sera pour vous un signe de libération.
Le second groupe de commandements qui seront enseignés le jour du quatorze débute par les mots זאת חוקת הפסח, ‘voici le décret du Pessa’h’. Commence ici un nouvel aspect, appelé ‘Hok, ‘décret’.
Le Devar Avraham explique que la plupart des enfants d’Israël ont compris qu’allait se jouer avec le Korban Pessa’h leur définition nationale, leur identité nationale et qu’il fallait assumer avec courage, voire dévouement total, de se démarquer de l’oppression égyptienne et de son idéologie mortifère. Ceci leur a été compté comme un mérite exceptionnel, comme nous l’avons vu dans la Mekhilta citée plus haut (§ 3 et 4).
Arrive maintenant le moment décisif du Service du Pessa’h, sa consommation. C’est à son sujet qu’ont été enseignés ces commandements appelés ‘Hok, ‘décret’. Nous pouvons nous demander en quoi la consommation du Pessa’h est-elle tellement importante, tellement décisive ? L’abattage n’exprime-t-il pas plus de dévouement, de fidélité, d’abnégation ?
C’est ce point précis qui faisait obstacle et qui empêchait une partie non négligeable des enfants d’Israël de faire la circoncision. Et le Midrash nous enseigne comment D. organisa les choses pour qu’ils surmontent cette incompréhension.

Nous allons prendre un détour pour pouvoir mettre en relief la problématique.

 

IX. Loulianous et Papous. Les martyrs de Loud.

Dans plusieurs endroits du Talmud, la Guemara mentionne les martyrs de Lod, appelés הרוגי לוד, Harougué Loud. L’étude de ces passages peut nous apporter un éclairage dans le sujet qui nous occupe, en cela qu’ils représentent les exemples mêmes de la bravoure nationale et du dévouement à leur peuple et à ce qu’il représente.

Traité Pessa’him 50a et traité Baba Batra 9b :

רב יוסף בריה דר׳ יהושע בן לוי חלש ואיתנגיד כי הדר אמר ליה אבוה מאי חזית אמר ליה עולם הפוך ראיתי עליונים למטה ותחתונים למעלה אמר לו בני עולם ברור ראית ושמעתי שהיו אומרים אשרי מי שבא לכאן ותלמודו בידו ושמעתי שהיו אומרים הרוגי מלכות אין אדם יכול לעמוד במחיצתן ומאן נינהו אילימא ר״ע וחביריו משום הרוגי מלכות ותו לא אלא הרוגי לוד

‘Rav Yossef fils de Rabbi Yéhoshoua ben Lévy est tombé malade et expira. Il revint à la vie. Son père lui a dit : mon fils, qu’as-tu vu ? Il lui dit : j’ai vu un monde à l’envers, ceux d’en haut (Rashi : dans ce monde, les riches) en bas, et ceux d’en bas (dans ce monde, les pauvres), en haut. Il lui dit : mon fils, tu as vu un monde de clarté. Il ajouta : j’ai entendu qu’ils disaient, heureux celui qui vient ici avec son étude de Torah dans sa main [23]. J’ai entendu aussi qu’ils disaient : personne ne peut voisiner dans le monde-futur (tellement leur niveau est élevé) ceux qui ont été tués par le pouvoir impie. Qui sont-ils ? Serait-ce Rabbi Akiva et ses pairs (les dix grands maîtres qui ont été assassinés par les Romains) ? Leur niveau d’excellence ne leur vient-il que par le fait qu’ils ont été assassinés ! Non, ce sont les martyrs de Loud.’

Rashi et Rabbénou ‘Hananel expliquent :
Loulianous et Papous étaient deux frères qui ont été assassinés sous l’ordre de Trajan à Loud, comme il est rapporté dans le traité Taanit 18b. Les Romains avaient décrété un ordre d’extermination de la ville de Loud car on avait trouvé une princesse romaine tuée, et les Romains en rejetaient la responsabilité sur les gens de Loud.  Ces deux frères se sont présentés aux Romains et avouèrent que c’était eux les assassins de la princesse (ils firent cela pour sauver toute la population de la ville).

Donc la Guemara atteste du mérite suprême de ces deux frères qui se sacrifièrent pour éviter un pogrom certain.

 

X. Contradiction à partir de la Guemara dans Berakhot 61b.

La Guemara dans le traité Berakhot 61b rapporte un dialogue entre Rabbi Akiva et un certain Papous ben Yéhouda. L’identité de ce Papous ben Yéhouda fait débat entre les commentateurs. Néanmoins traditionnellement on rapporte au nom du Gaon de Vilna que ce Papous ben Yéhouda serait la même personne que ce martyr de Loud. La preuve à ce rapprochement est le commentaire de Rabbi Shimshon de Sens sur le Sifra (פרשת בחוקותי פרק ה׳, אות ב׳).
Rapportons cette célèbre Guemara.

תנו רבנן. פעם אחת גזרה מלכות הרשעה שלא יעסקו ישראל בתורה בא פפוס בן יהודה ומצאו לרבי עקיבא שהיה מקהיל קהלות ברבים ועוסק בתורה אמר ליה עקיבא אי אתה מתירא מפני מלכות אמר לו אמשול לך משל למה הדבר דומה לשועל שהיה מהלך על גב הנהר וראה דגים שהיו מתקבצים ממקום למקום אמר להם מפני מה אתם בורחים אמרו לו מפני רשתות שמביאין עלינו בני אדם אמר להם רצונכם שתעלו ליבשה ונדור אני ואתם כשם שדרו אבותי עם אבותיכם אמרו לו אתה הוא שאומרים עליך פקח שבחיות לא פקח אתה אלא טפש אתה ומה במקום חיותנו אנו מתיראין במקום מיתתנו על אחת כמה וכמה אף אנחנו עכשיו שאנו יושבים ועוסקים בתורה שכתוב בה כי הוא חייך ואורך ימיך כך אם אנו הולכים ומבטלים ממנה עאכ״ו אמרו לא היו ימים מועטים עד שתפסוהו לר״ע וחבשוהו בבית האסורים ותפסו לפפוס בן יהודה וחבשוהו אצלו אמר לו פפוס מי הביאך לכאן אמר ליה אשריך רבי עקיבא שנתפסת על דברי תורה אוי לו לפפוס שנתפס על דברים בטלים

‘Nos Maîtres enseignent. Une fois la royauté impie (les Romains) décréta que les enfants d’Israël n’étudient pas la Torah sous peine de mort. Papous ben Yéhouda rencontra Rabbi Akiva qui organisait de grands rassemblements et étudiait la Torah. Papous lui dit : Akiva, ne crains-tu pas le pouvoir ? Il lui dit : je vais te donner une parabole. Un renard passe au bord d’une rivière et voit des bancs de poissons qui nagent d’un endroit à un autre. Il leur dit : devant quoi fuyez-vous ? Ils lui dirent : nous fuyons à cause des filets que nous jettent les pécheurs. Il leur dit : voulez-vous monter sur la terre ferme et que nous vivions moi et vous comme vivaient mes pères avec vos pères [24] ? Ils lui dirent : c’est toi que l’on qualifie du plus intelligent des animaux, nous seulement tu n’es pas intelligent mais tu es bête ! Si déjà dans notre milieu naturel de vie nous sommes en danger (l’eau), dans le lieu de notre mort assurée (la terre ferme) raison de plus ! De même nous, les enfants d’Israël, lorsque nous sommes dans notre lieu de vie, l’étude de la Torah au sujet de laquelle le verset dit (Devarim 30,20) « car c’est ta vie et cela allonge tes jours », nous sommes en danger, dans notre lieu de mort, si nous arrêtons d’étudier la Torah, raison de plus que nous serons dans un danger encore plus certain !
Peu de jours passèrent qu’ils attrapèrent Rabbi Akiva et qu’ils le mirent au cachot, ils attrapèrent aussi Papous ben Yéhouda et le mirent dans le même cachot. Rabbi Akiva lui dit : que t’est-il arrivé ? Il lui répondit : heureux es-tu Rabbi Akiva, tu as été pris pour des paroles de Torah ; malheur à Papous, qui a été pris pour des choses de rien !’

Si l’on prend ce passage du traité Berakhot isolément du reste du corpus des textes traditionnels, il nous semblerait que ce cher Papous, exemple même du juif moderne, sécularisé, a été arrêté par les Romains pour de quelconques malversations financières ou autres. Et voyant le grand maître en Torah qui face à l’adversité reste toujours dans sa noblesse et sa grandeur, il vient à se lamenter sur sa petitesse et sa couardise. Mais si l’on suit la démarche indiquée par Rabbi Shimshon de Sens sur la base du Sifra (et citée au nom du Gaon de Vilna), et que l’on identifie ce Papous comme étant un des martyrs de Lod, on reste perplexe : comment Papous ben Yéhouda peut-il dire qu’il a été pris pour des choses de rien ?

Il nous semble possible d’expliquer ainsi.
Les oppresseurs, les Romains en l’occurrence, font un décret d’interdire d’étudier la Torah sous peine de mort. Rabbi Akiva, comme dans sa parabole du renard et des poissons, vit sa vie. Pourquoi serait-il soumis aux décrets impies du pouvoir pervers ? Il vit sa vie, il fait ce qu’il a à faire. La Torah c’est ma vie et cela allonge mes jours. Si j’arrête, je me dessèche comme une plante sans eau et je meurs par moi-même, sans que l’oppresseur ne m’ait même touché [25].
Les martyrs de Loud, nonobstant leur mérite hors norme, quelque part ne sont pas sortis de l’univers de leurs ennemis. Qu’ont-ils amélioré dans leur vie personnelle ? Qu’ont-ils amélioré dans leur pâte humaine ? Ce sont des héros, d’accord, mais cet acte de bravoure, incroyable, n’a quelque part rien à voir avec le quotidien prosaïque de la vie. Face à la grandeur simple de vie de Rabbi Akiva, c’est rien, du vide, דברים בטלים, Devarim Betélim.

[Nous voulons répondre dans une démarche similaire à la question classique : pourquoi la Torah ne parle-t-elle pas explicitement du fait qu’Avraham a été sauvé de la fournaise ardente. Rashi, dans son commentaire sur la fin de la Parashat Noa’h (Béréshit 11,28), rapporte le Midrash Rabba qui apprend d’une allusion du verset qu’Avraham, refusant de se prosterner au dieu du feu, idole de l’empereur Nemrod, fut jeté par celui-ci dans la fournaise ardente, de laquelle le D. Un le sauva. Mais pourquoi cet épisode fondateur n’est-il pas écrit explicitement dans la Torah ? La première chose que la Torah nous dit explicitement au sujet d’Avraham est qu’il se maria, qu’il prit une épouse, en l’occurrence Saraï. Nous voulons dire que se marier est le premier acte effectif de monothéisme. Ne pas se prosterner à l’idole est fondamental, mais quelque part ne pas se plier à l’oppresseur reste encore dans l’univers mental de cet oppresseur. Avraham qui se marie et prend femme, concrétise dans son quotidien que le D. qui a créé le monde a un lien intime avec sa Création et que je peux avoir confiance dans le fait de construire ma vie avec l’épouse que mon intuition profonde m’encourage à épouser, et que cette intuition a un sens. C’est cela le monothéisme]

 

XI. Revenons à la démarche du Devar Avraham. 

Nous avons vu plus haut qu’il y a deux dimensions dans le Korban Pessa’h. Une première dimension que beaucoup d’enfants d’Israël comprirent : se démarquer de l’idolâtrie de l’Egypte et se construire comme unité nationale distincte. Et une seconde dimension appelée ‘Houka, décret divin, qui se concrétise par le fait de se faire la circoncision.
Mais que signifient ces expressions quelque peu fantasmagoriques du Midrash : ‘D. décréta aux quatre vents du monde et ils soufflèrent dans le Jardin d’Eden et ces vents allèrent et se collèrent à l’agneau de Moshé’, et aussi ‘Tout Israël se retrouva auprès de Moshé et ils le supplièrent : donne-nous à manger de ton Pessa’h car nous défaillons de l’odeur de ton Pessa’h !’ ?
Rav Avrohom Dov Beer Kahana Shapiro donne l’explication suivante :
Il y avait une différence essentielle dans la manière dont ces enfants d’Israël firent le Korban Pessa’h et celle dont Moshé et Aaron firent le leur.
Les versets 12,11 et 12 nous enseignent :
וככה תאכלו אותו מתניכם חגורים נעליכם ברגליכם ומקלכם בידכם ואכלתם אותו בחיפזון פסח הוא לה׳
‘Et ainsi vous le mangerez, la ceinture aux reins, les sandales à vos pieds, votre bâton dans vos mains, vous le mangerez à la hâte, c’est le Pessa’h pour D.’
ועברתי בארץ מצרים בלילה הזה והכתי כל בכור בארץ מצרים וכו׳
‘Et Je passerai dans le terre d’Egypte cette nuit-là, et Je frapperai tout premier-né dans la terre d’Egypte etc.’

D. le premier du jour de Nissan n’a pas seulement enjoint de prendre l’agneau le dix du mois, de l’égorger l’après-midi du quatorze, mais Il a aussi ordonné de le manger au début de la nuit du quinze dans une confiance suprême que le D. Un Lui-même passerait la nuit du quinze, frapperait l’Egypte et les délivrerait.
Nous sommes après les événements, nous savons que cela s’est passé, et ainsi nos pères nous l’ont transmis à chaque soir de Pessa’h. Mais eux qui avaient grandi dans la culture égyptienne, comment pouvaient-ils avoir cette Emouna complète ? Et de manger au début de la nuit l’agneau prêts à partir on ne sait où ?
C’est ce que dit le Midrash : D. ordonna qu’un vent fasse exhaler la bonne odeur de Jardin d’Eden du Korban Pessa’h de Moshé et d’Aaron. Cette odeur de Jardin d’Eden, c’est l’odeur de la confiance profonde dans ce que l’on vit et dans le devenir de ce que l’on vit. Cette confiance qui change tout manquait dans le sacrifice de la plupart des enfants d’Israël. En face du Korban Pessa’h mangé dans la confiance totale que le D. Un allait les prendre par la main et les sortir d’Egypte, la plupart étaient inquiets, confiants quelque part mais désemparés. Moshé, donne-nous à manger de ton Korban ! supplièrent-ils. En face du Korban Pessa’h de Moshé et d’Aaron, ils étaient un peu comme Papous ben Yéhouda en face de Rabbi Akiva, désemparés en face de leur petitesse et de leur manque de confiance, manque de profondeur, de densité de vie.
Moshé leur répondit : pas de problème, il faut appliquer le second aspect du Pessa’h, כל ערל לא יאכל בו, « tout incirconcis n’en mangera pas », faites la circoncision et vous pourrez manger de votre Pessa’h [26].
Le deuxième groupe de commandements du Pessa’h a trait à la consommation du Pessa’h.
Il y a deux aspects dans le Pessa’h. Première étape, le préparer et l’égorger, se démarquer de l’Egypte, et seconde étape le manger. Manger c’est intégrer dans sa vie, intégrer dans mon corps, en faire quelque chose dans mon quotidien, pour cela il faut être circoncis. La Mila est l’expression d’une implication de mon intimité, de mon vécu, de ma confiance intime.

Et à ce moment ultime, au début de la nuit du quinze Nissan, tous les enfants d’Israël firent la Mila, comme dit le verset (12,50) :
ויעשו כל בני ישראל כאשר צוה ה׳ את משה ואת אהרן כן עשו
‘Tous les enfants d’Israël firent comme D. ordonna à Moshé et à Aaron, ainsi ils firent.’

Le Natsiv demande : que signifie l’expression « ainsi ils firent » ?
Il répond qu’il faut lire le verset ainsi : « tous les enfants d’Israël firent comme D. leur avait demandé de faire la Mila, et c’est Moshé et Aaron qui leur firent la Mila ». Ce sont eux-mêmes qui firent la circoncision aux enfants d’Israël.

[Tous les commentateurs posent la question : mais au niveau de la conclusion légale il est rapporté qu’il est interdit de faire la circoncision la nuit, même si la Mila est retardée et que l’on n’a pas fait la circoncision le huitième jour, voir Rambam Hilkhot Mila chapitre 1, Halakha 8 :
אין מלין לעולם אלא ביום אחר עלות השמש בין ביום השמיני שהוא זמנה בין שלא בזמנה שהוא מתשיעי והלאה שנאמר ביום השמיני ביום ולא בלילה
‘On doit toujours faire la Mila après le lever du soleil, que la Mila soit le huitième jour qui est son temps imparti ou bien hors de son temps imparti, le neuvième jour ou plus, comme le spécifie le verset (Vayikra 12,3) « le huitième jour », le jour et non la nuit.’
Si c’est ainsi, comment est-ce possible que la plupart des enfants d’Israël firent la circoncision la nuit ?
Beaucoup de Maîtres se sont penchés sur cette question. Nous proposons de dire au sens simple que le verset de la Parashat Tazria dans Vayikra donnera cette exigence après le don de la Torah au Sinaï.]

Lorsque Rabbi Matia ben ‘Harash, dans la Mekhilta que nous avons citée au troisième paragraphe de cette étude, dit que D. a vu deux sangs, le sang du Pessa’h et le sang de la Mila, il faut réaliser la confiance hors norme qu’ont eue les enfants d’Israël ; la plupart d’entre eux ont accepté de faire la Mila quelques minutes avant de partir pour une destination inconnue [27] ! Réalisons que lorsque nous disons le soir de Pessa’h le verset de Ye’hezkel (16,6) « Je suis passé au-dessus de toi et Je t’ai vue, tu es vagissante dans ton sang, et Je t’ai dit : Vis par ton sang ! Vis par ton sang », le sang du Pessa’h et le sang de la Mila, ce sang de Mila était là présent au moment même de la Sortie d’Egypte.

Nous comprenons aussi maintenant l’incongruité apparente de cette phrase. En effet nos Maîtres disent : ‘ « Vis par ton sang ! Vis par ton sang », le sang du Pessa’h et le sang de la Mila’. A priori il aurait été légitime de dire : le sang de la Mila et le sang du Pessa’h, étant donné qu’il est interdit de consommer du Pessa’h si l’on est incirconcis. Notre étude nous enseigne que les enfants d’Israël étaient majoritairement incirconcis lorsqu’ils firent la She’hita du Korban Pessa’h en Egypte.

Cette inversion des termes témoigne donc et de la pédagogie supérieure d’HaKadosh Baroukh Hou et de la confiance supérieure des enfants d’Israël qui partirent d’Egypte le jour même de leur Mila.

 

XII. D. comme pédagogue supérieur.

Notre problématique est venue de l’étonnement que nous avons eu lorsque nous nous sommes rendus compte qu’après le récit de la Sortie d’Egypte, la Torah nous enseigne une liste importante de lois relatives au Korban Pessa’h et que Rashi rapporte que ces lois ont été enseignées à la dernière minute le quatorze Nissan. Pourquoi donc scinder l’enseignement des lois du Pessa’h en deux moments très distincts, le premier Nissan et le quatorze ?

Il ressort de l’ensemble de notre étude que les enfants d’Israël étaient tiraillés entre une volonté de faire la volonté de leur Créateur et d’un autre côté un refus tenace de se détacher de l’idolâtrie qui faisait partie intégrante de leur être, ou tout au moins de leur éducation, tiraillés entre une volonté de se révolter contre l’Egypte oppressive et d’un autre côté récalcitrants à s’en démarquer.
L’heure était arrivée d’accomplir la promesse faite à Avraham de délivrer ses enfants de l’esclavage. Mais comment donner à ses enfants les outils pour être aptes à cette délivrance ?
Une minorité était consciente et prête à faire la volonté de D., et certains même n’avaient pas cessé d’être fidèles à la tradition de leurs pères. Mais la majorité était tiraillée.
La première partie des enseignements relatifs au Pessa’h est liée à la prise de conscience collective. Cette conscience collective se perçoit au sein de la cellule familiale, comme dit le premier verset relatif au Pessa’h (12,3) :
דברו אל כל עדת ישראל לאמר בעשור לחודש הזה, ויקחו להם איש שה לבית אבות שה לבית
‘Parlez à toute l’assemblée d’Israël en disant : le dix de ce mois-ci, qu’ils prennent pour eux chaque homme un agneau par maison paternelle, un agneau par maison.’
Certes il était connu que pour faire partie de la maison d’Avraham et de sa tradition, il fallait faire la circoncision ; et il était évident qu’il n’était pas envisageable que D. les délivrât s’ils ne rentraient pas dans l’Alliance. Néanmoins D. ne bloqua pas la capacité de faire le Pessa’h en étant incirconcis. Le second avis du Midrash Rabba nous dit que c’est par l’exemple du Korban de Moshé et d’Aaron qu’ils acceptèrent finalement de faire l’impossible, et d’accepter que Moshé et Aaron les circoncirent quelques minutes avant de partir. Il est à souligner que nos Maîtres nous enseignent que c’est Moshé et Aaron qui leur firent la circoncision, ou bien Yéhoshoua d’après un autre avis. C’est-à-dire qu’à la dernière minute, ils comprirent l’intérêt de ces personnalités qu’ils avaient du mal à apprécier et à comprendre.

Il nous semble que ces enseignements n’ont pas un intérêt historique, peu nous importe ce qui s’est passé précisément à la sortie d’Egypte. Ces versets traversent les générations et nous enseignent comment la parole d’HaShem s’articule à l’intérieur d’un peuple complexe, fondamentalement hétérogène, tiraillé essentiellement entre une volonté de faire la volonté de son Créateur et d’un autre côté fondamentalement réfractaire à L’écouter. Et nous apprenons ici comment D. ne brusque pas, donne des possibilités, sachant que s’il y a des moments exceptionnels d’écoute, cela ne veut pas dire que cinq minutes après ce peuple ne retournera pas à son addiction à l’idolâtrie, comme nous le verrons avec le Veau d’Or. Donnons la possibilité à ce qu’il y ait une histoire et non à ce que se finisse l’histoire [28].

[Nous avons surtout développé dans ces derniers paragraphes de notre étude le second avis du Shemot Rabba chapitre 19, §6. Le premier avis, Rabbi Shimon ben ‘Halafta, relève, contrairement au second avis, que l’ensemble des enfants d’Israël furent zélés à faire la circoncision. Selon cette opinion, comment se fait-il que ces enseignements ne furent enseignés que le quatorze Nissan et non le premier jour du mois ? Il nous semble que le Maharal dans le trente-huitième chapitre du Guevourot HaShem répond à cette question. Le premier groupe de commandements s’applique à la préparation du Pessa’h, ce sont des commandements positifs. Le second groupe enseigné le quatorze concerne des restrictions, qui n’est pas habilité à en manger (etc.). Même d’après Rabbi Shimon ben ‘Halafta qui montre l’empressement des enfants d’Israël à faire la volonté de D., néanmoins comme ils viennent de loin, d’un monde idolâtre, dans un premier temps il faut leur donner des actes positifs dans lesquels s’investir. Les restrictions viendront après cet apprentissage actif et positif.
Nous voyons ce distinguo dans les deux premiers paragraphes du Shema Israël. Dans le premier paragraphe, le verset parle de l’étude et de l’enseignement de la Torah avant le commandement de mettre des Téfilin. Dans le second paragraphe du Shema, le verset parle du commandement de mettre les Téfilin avant le commandement lié à l’étude de la Torah et à son enseignement. Le premier paragraphe parle d’un niveau parfait où il n’y a pas de chute. Dans cette dimension supérieure, l’étude de la Torah et son enseignement qui représentent un engagement corps et âme viennent avant l’accomplissement des Mitsvot positives et leur donnent justement leur sens. Dans le second paragraphe du Shema qui parle d’une situation où les enfants d’Israël se sont détournés vers l’idolâtrie, la Torah nous enseigne que la première chose qu’ils doivent faire lorsqu’ils se reprennent c’est de s’investir dans des actes positifs, mettre les Téfilin, et ensuite s’engager petit à petit corps et âme.]

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[1] Nous traduisons Korban par ‘sacrifice’ pour ne pas alourdir nos propos bien que la conception de la Torah du Korban soit éloignée de la connotation habituelle du mot ‘sacrifice’.

[2] La Guemara dans plusieurs endroits nous enseigne אין מקרא יוצא מידי פשוטו, ‘un verset supporte toujours un sens simple et cohérent’ (dont Yévamot 24a). C’est ce que l’on appelle ‘le Pshat’. Des grands Maîtres de notre tradition se sont attachés à dégager ce Pshat, sens simple et cohérent, comme Ibn Ezra, Rashi, Rashbam, ‘Hizkouni et d’autres. 

[3] En vertu du verset (12,5) שה תמים, ‘un agneau parfait’. 

[4] לאמר peut avoir deux sens : soit ‘en ces termes’, c’est-à-dire voici la teneur de cette parole divine, soit ‘pour transmettre’. Ici les deux sens sont concevables. 

[5] Voir le premier Rashi sur le début de Béréchit. 

[6] ‘Tes poils pubiens ont poussé’, c’est-à-dire que tu es arrivée à une certaine puberté, une certaine maturité car tu t’es laissée convaincre par les prophéties des prophètes en Egypte (explication de Radak). 

[7] Deux sortes de sang, le sang du Pessa’h et le sang de la Mila.

[8] Nous constatons aussi ici que les Mitsvot sont comparées à un habit honorifique qui vient cacher la nudité et la vulnérabilité. Shem, qui recouvrit la nudité de son père Noa’h avec un manteau, mérita la Mitsva de Tsitsit (Rashi sur Béréchit 9,23 sur la base de Béréchit Rabba et Tanhouma). 

[9] Bérébi signifie ‘grand homme’. 

[10] Cette Drasha est difficile. Il y a une anomalie dans le verset (relevée par Rashi sur le verset). En effet D. ordonne Moshé et Aaron sur les enfants d’Israël, mais le verset ne dit pas quel est cet ordre. Rabbi Yéhouda ben Betera dit que le langage Tsav, ordonner, ne peut signifier en soi que se séparer de l’idolâtrie. Voir dans le traité Sanhédrin 56b que l’expression Tsav, ordonner, est relatif et à l’interdit d’idolâtrie et aux mœurs idolâtres, comme dit le verset (Hoshéa 5,11) « Ephraïm (la tribu d’Ephraïm) est écrasé, brisé par la justice (divine) car il s’est plu à aller après les ordres (des prophètes de l’idolâtrie) ». C’est-à-dire que l’idolâtrie est caractérisée par l’expression Tsav, ‘ordonner’, quand cette même expression signifie ici le fait de s’en séparer. Apparemment on dirait qu’il y a une contradiction, comment une expression peut-elle signifier une chose et son contraire ? 

[11] Pour prendre une image, qu’il ne faut pas prendre au premier degré. J’ai entendu une fois cette remarque de M. le professeur Claude Riveline : mais regarde ces juifs orthodoxes ! Monsieur est informaticien et madame est psychologue, les deux systèmes idolâtres de la culture d’Esaü, ennemi juré de Jacob ! (La psychologie est l’invention de la révolution industrielle au dix-neuvième siècle lorsque l’occident pensait que l’homme pouvait se concevoir comme une machine)

[12] A remarquer que d’après ce Midrash, les enfants d’Israël qui sortaient à ce moment précis de la maison d’esclaves possédaient eux-mêmes des esclaves.

[13] Le Midrash Rabba en fait cite un autre verset (12,28) mais nous suivons ici le grand commentateur du Midrash Rabbi ‘Hanokh Zondel de Bialystok dans le Ets Yossef qui se permet de corriger, car sinon il y aurait un anachronisme puisque le verset 12,28 se situe le premier du mois de Nissan, ou tout au moins le 10 du mois, et non le 14.

[14] A la mort de Yossef, ils arrêtèrent de faire la Brit Mila (Shemot Rabba 1,10) : ‘ Lorsque Yossef mourut, ils effacèrent le signe de l’alliance et dirent « soyons comme des Egyptiens ». De là tu peux apprendre que Moshé leur fit la circoncision lorsqu’ils sortirent d’Egypte’. (Ets Yossef)  

[15] Moshé, pour bénir Lévy, s’adresse à D.

[16] Le Ets Yossef explique que ce verset parle de la circoncision car d’ordinaire, il eût été plus normal de parler en premier du vent d’Est. Parler en premier du vent du Nord fait allusion à la circoncision, car nos Maîtres disent que le vent du Nord est absolument nécessaire à la circoncision (Yévamot 72a).

[17] Le Reshash sur le Midrash explique que ceci correspond à toute la superficie de l’Egypte.

[18] Et ainsi est-ce rapporté dans Rambam, Hilkhot Issouré Biah chapitre 13, Halakha 2.

[19] Nous rapportons la traduction simple du verset, bien que Rashi en donne une autre explication. Nous ne voulons pas alourdir le propos avec des problématiques annexes, bien qu’importantes.

[20] Le Haemek Davar va encore plus loin en relevant que pour Rambam (Hilkhot Korban Pessa’h chapitre 2, Halakha 6, voir Le’hem Mishné) pour les générations à venir un Pessa’h dont l’abattage a été fait pour des incirconcis est disqualifié mais pas à titre de איש לפי אוכלו תכוסו על השה , « Chacun selon sa capacité de manger du Pessa’h, sera associé sur l’agneau ». Ce qui profondément laisse une ouverture à ceux qui ont fait le Pessa’h en n’étant pas circoncis (ce qui n’est pas la démarche de Rashi et Tossefot dans Pessa’him 61a).

[21] Le Ets Yossef explique que ce verset parle de la circoncision car d’ordinaire il eût été plus normal de parler en premier du vent d’Est. Parler en premier du vent du Nord fait allusion à la circoncision, car nos Maîtres disent que le vent du Nord est absolument nécessaire à la circoncision (Yévamot 72a).

[22] Le Reshash sur le Midrash explique que ceci correspond à toute la superficie de l’Egypte.

[23] Rabbénou ‘Hananel explique : qui a révisé tout le temps son étude comme si elle était posée dans sa main. Autre explication : il applique tout ce qu’il étudie, elle est dans sa main, dans son acte et pas seulement dans sa tête. Le Maharsha ajoute : il a rédigé tout ce qui lui a été révélé comme innovation dans son étude.

[24] Nous sommes tous frères, n’est-ce pas ? L’argument ‘nous sommes tous frères’ est toujours un piège…

[25] On peut rétorquer à Rabbi Akiva qu’il aurait alors pu continuer à étudier, mais de là à rassembler de grands rassemblements pour enseigner la Torah, il y a une marge ? Tous les grands Maîtres soulèvent cette grande question. Il faut dire que transmettre la Torah, l’enseigner fait partie intégrante de la dimension d’étude de la Torah.

[26] Commentaire du Ets Yossef sur ce Midrash, car ils ne pouvaient pas manger du Pessa’h de Moshé puisqu’ils n’y avaient pas été associés au départ. Par contre une fois qu’ils auront fait la Mila, ils pourront manger de leur propre Pessa’h.

[27] Nous avons cité plus haut Rabbi Yits’hak d’Evreux qui a une autre lecture du sujet.

[28] Les différents exils nous ont balloté dans des cultures qui ont développé l’idée d’un dieu paranoïaque qui, s’il existe, se devrait de tout contrôler et bloquer. Le D. de la sortie d’Egypte donne la possibilité à ce que l’homme accède à une histoire, et non qu’elle se termine.  Voir le chapitre 24 du Guevourot HaShem דה״מ ויאמר ראה ראיתי.



 

 

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Le sang du Pessa’h et le sang de la circoncision. דם פסח ודם מילה.”

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