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Le kidoush de Shavouot : avec ou sans les enfants ?

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Le soir de Shavouot, la pratique répandue de nos jours dans la plupart des communautés est d’attendre la nuit noire pour réciter la prière de Maariv, suivie du Kidoush.

Cette pratique est spécifique à Shavouot puisqu’à l’occasion de tous les autres Yamim Tovim et Shabatot, on se doit au contraire de réciter Maariv tôt, alors qu’il fait encore partiellement jour, à titre de Tossefet kedousha (surcroit de sainteté consistant à faire « déborder » le jour sanctifié sur le jour précédent), et il en va de même pour le kidoush qui doit être dit aussitôt que l’on rentre de la synagogue.

La raison de cette différence serait la suivante : il s’agit d’appliquer la prescription du verset dans Vayikra 23 :

« Puis, vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête, depuis le jour où vous aurez offert l’ômer du balancement, sept semaines, qui doivent être entières (temimot)» (traduction du rabbinat)

Ce verset concerne la période du Omer, séparant Pessah et Shavouot. Pour que les semaines soient complètes, il faut que le 49ème jour de la sefira soit tout à fait révolu, ce qui ne serait le cas qu’à la nuit noire.

Pourtant, si cette lecture est simple et logique, il est à noter qu’elle ne figure ni dans le Talmud, ni dans les midrashim, ni dans les rishonim. Elle est en réalité d’apparition tardive, et n’est pas sans susciter quelques problèmes.

L’un des buts de cette étude est de montrer qu’une pratique d’allure rigoriste doit (comme toute chose) être considérée avec recul, et parfaitement comprise avant d’être éventuellement appliquée.

Sources de la coutume

Le rav Yeshaya Horowitz, le Shlah ha-Kadosh (grand maître polonais du XVIème-XVIIème siècle), rapporte dans le shnei louhot ha-brith la coutume transmise depuis Rabbi Yaakov Pollack (une centaine d’années auparavant) d’atteindre la nuit pour réciter le kidoush de Shavouot (il précise en revanche explicitement que maariv se fait avant la nuit)

Il est intéressant de noter que plusieurs autorités contemporaines se sont élevées contre cette recommandation du Shlah, en particulier son collègue au beth Din de Francfort-sur-le-Main (où le rav Horowitz siégea un temps), Rabbi Yossef « Yozef » Hahn Norlingen :

« Vraiment, je n’ai jamais vu parmi les vénérables rabanim pointilleux dans leurs actions qui se trouvent dans notre pays d’Allemagne, qui que ce soit qui agisse ainsi. » (Yosef Ometz).

Ce n’est que des dizaines d’années plus tard que le Taz, David ha-Levi Segal (dans le siman 494 de Orah Hayim) innovera le fait d’attendre la nuit même pour maariv (pour une raison identique à celle avancée par le Shlah pour le kidoush)

Nous précisons que même dans ces cas, la plupart des décisionnaires sont d’accord sur le fait que les interdits inhérents au yom tov débutent avant la nuit, et nous développerons ce point plus bas.

Preuves du caractère tardif – difficultés

Cette pratique, comme nous l’avons dit plus tôt, n’est pas mentionnée dans le Talmud et les rishonim. Mais on pourrait dire qu’elle est tellement évidente, qu’il n’y avait pas de besoin de l’expliciter. Il existe pourtant quelques arguments pour avancer le contraire :

Le Rosh (Rabbi Asher ben Yehiel, 1250-1327) rapporte dans son commentaire sur le traité Pessahim (Rosh chap. 10 alinéa 2) qu’il existe un din (loi) spécifique au soir de Pessah d’attendre la nuit pour réciter le kidoush, en rapport avec le fait que le sacrifice pascal n’est lui-même consommable qu’à partir de la nuit, et le met en opposition avec les autres shabatot et yamim tovim où l’on peut rajouter du kodesh sur le hol, et prendre ainsi le repas de yom tov avant la shekia. Le Korban Netanel (Rabbi Nethanel Weill, XVIIIème siècle) déduit que le Rosh est donc en désaccord avec le fait d’attendre la nuit le soir de Shavouot. Ce commentaire est écrit par le Rav Weill à une époque où la pratique du Shlah est déjà fort répandue.

En outre, le terme temimot du verset cité plus haut est déjà interprété dans la gemara (Menahot 66a), pour enseigner que la supputation du Omer doit se faire la nuit et non le jour, mais la gemara ne va pas plus loin dans l’interprétation. Il est difficile de contraindre plus le verset pour en apprendre une halakha supplémentaire : on n’apprend pas la halakha en lisant les versets (mais par l’étude de la torah shebeal peh) ! Ce problème est pointé du doigt dans le Birkat Avraham du Rav Avraham Tsvi Brodna.

Au delà de ces problèmes un peu formels, il nous semble que cette pratique nous interroge sur le statut de tossefet yom tov.

La gemara Yoma 81b enseigne que les lois de Yom Kipour débutent avant la nuit, et en déduit à partir d’un verset la notion de tossefet Yom Tov/Shabat. Cette notion semble contredite par une autre gemara dans Moed Katan 4a qui dit que les interdits de Shabat ne débutent qu’au moment de shabat, et pas avant, contrairement aux lois de shemita.

En pratique la plupart des rishonim rapportent l’avis que tossefet kedousha est une obligation de-oraïta, à l’exception notable du Rambam qui ne mentionne pas cette notion (d’après son commentateur le Magid Mishne, il existerait toutefois selon le Rambam une obligation rabbinique de tossefet shabbat/Yom Tov).

Intégrons ces notions dans notre discussion. Si on considère que tossefet Yom Tov est une obligation stricte, de par la torah, alors il n’y a aucune raison de dire que Shavouot constitue une exception. Dès lors, il faut signifier cette kedousha. Dans la démarche de Rabbi Yaakov Pollack et du Shlah, maariv est récité avant la nuit et signifie l’accueil de la kedousha du yom tov. Pourquoi alors attendre la nuit pour le kidoush ? le Yom tov est déjà complètement présent, quel intérêt d’attendre pour réciter le kidoush (c’est ce que dit Rabbi Shlomo ha-Kohen de Vilna (XIXème), éditeur du fameux Shas Vilna, dans ses responsa Binian Shlomo). Autrement dit le temimot du verset ne peut, quoi qu’on y fasse, pas se réaliser de cette façon.

On est alors amené à considérer le kidoush à la nuit comme une simple coutume (on dirait hanhaga be-alma) destinée à marquer les esprits, nous éveiller (c’est le cas de le dire) sur le fait qu’une période importante (la période de la sefira) se termine.

D’après le Taz, la difficulté est un peu différente. Tossefet Yom Tov ne s’exprime dans ce cas que par le issour melakha, les interdits. S’il s’agit effectivement d’une mitsva de-oraïta, il est difficile de dire qu’elle ne s’exprime que dans une dimension négative.

Est-ce à dire que le Taz pense que tossefet Yom Tov est une injonction rabbinique ?

Il est étonnant de voir que la plupart des grands décisionnaires récents, dont le Mishna Beroura et le Kitsour Shoulhan Aroukh, rapportent l’avis du Taz sans discussion particulière dans le siman 494.

De nos jours, toutes les pratiques coexistent, et aucune n’est moins « froum » qu’une autre. Il nous paraît néanmoins important de saisir les implications de chacune.

Terminons sur cette citation croustillante de Rav Chlomo Zalman Auerbach : « Les gens sont très pointilleux sur le temimot de sefirat ha-omer, bien que ce soit une simple allusion dans le verset, alors que sur « Tu seras intègre (même racine, tamim) avec Hashem ton Dieu » (Devarim 18), un verset explicite, les gens sont moins pointilleux. » (rapporté par le Rav Stefanski)

Pour approfondir nous conseillons la lecture du chapitre sur le sujet du Rav Binyomin Shlomo Hamburger dans Shorshei Minhag Ashkenaz (Tome 4), d’où sont tirées l’idée et la plupart des sources de cet article.

“Le kidoush de Shavouot : avec ou sans les enfants ?”

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