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Lâchez tout ! Une réflexion autour des lois du Séder.

par: Franck Benhamou

Publié le 25 Mars 2021

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Même un pauvre en Israël ne pourra manger jusqu’à ce qu’il s’accoude. Le pauvre est spécifiquement pointé ici. Pourquoi ? N’est-il pas soumis lui aussi aux impératifs ? Pourquoi sa condition sociale l’exempterait-il de ses obligations ? (Traité Psahim 99b)

 

  • L’accoudement : une présentation générale.

La signification de cet accoudement est indiquée par Rachbam : signe de liberté. Pour un pauvre, ce geste fait-il signe ? Ne fait-il signe que vers son indigence ? La michna répond positivement à cette question : même un pauvre s’accoude, même si sa maison est vide et que cet accoudement fait signe vers sa pauvreté. Reste à comprendre en quoi ce signe garde sa pertinence malgré sa signification imposée par la pauvreté réelle ? C’est que la pauvreté ne s’oppose pas à la signification de liberté. Plus, le fait d’avoir introduit ce thème dès la première Michna de ce chapitre indique que la pauvreté est en phase avec la soirée pascale. La thèse que nous proposons c’est que l’accoudement est signe non pas d’une liberté au sens d’une autodétermination, mais au contraire l’accoudement est le signe que notre histoire ne nous appartient pas, que nous en sommes les acteurs plutôt que les metteurs en scène. Cette histoire nous la vivons, nous la subissons, tel est le sens de cet accoudement. Le geste n’est pas une imitation des mœurs des riches romains. Et c’est en cela qu’il convient de commencer par ce thème : même le pauvre s’accoude. L’accoudement préconisé ici est justement le subvertissement de l’usage romain, son inversion polémique. L’accoudement est très concrètement une gêne à la consommation, le corps se sent, s’affaisse, est lourd, devient encombrant. Cette position est inconfortable, inadaptée au repas, montrant un corps désarticulé : « il faut s’accouder sur le côté droit » car « on mange avec la main droite » (Rachbam). Il s’agit donc de sentir dans son corps un décalage entre ce que l’on fait et sa position. Cet écart que vient-il dire ? Il vient dire l’inconfortable position de l’homme au sein de sa propre histoire : histoire qu’il ne veut peut-être pas, histoire dont il n’est pas responsable.

« Un élève ne s’accoude pas auprès de son maitre » : la position d’élève est inconfortable, elle consiste à se mettre à l’écoute d’autrui par devers soi-même.  L’histoire de l’élève ne lui appartient pas, il vit à travers une parole qu’il n’est pas. Au contraire d’un enfant devant son père « car il n’est pas tellement assujetti à son père » comme le dit Rachbam. L’enfant n’est pas dans l’inconfort devant son père, il est chez lui. Il devra s’accouder.

Loin des fantasmes d’autodétermination, des idéaux de liberté politique, l’accoudement nous ramène à la profonde contingence de notre libération. On comprend que la consommation du maror (herbes amères) ne nécessite pas d’accoudement : ceux-ci ramènent en eux même à cette position d’inconfort.

 

 

  • Accoudement et verre de vin : une analyse des réponses de Tossefot.

Se pose la question suivante : faut-il s’accouder lorsque l’on boit les quatre verres de vin requis lors de la soirée pascale ? Discussion : certains l’oblige pour les deux premiers verres, d’autres pour les deux derniers. « Ce qui a été a été » dira succinctement le Talmud, et donc il n’est pas utile de s’accouder pour les deux derniers verres : la première partie où sont bus les deux premiers verres concerne le ‘passé’ alors que la seconde concerne les délivrances futures, or l’accoudement concerne un rapport au passé, donc inutile d’y revenir pour les derniers verres. Tossefot pose alors la question : et qu’en est-il pour la consommation de la matsa (pain non levé) qui a lieu après la bénédiction relative à la libération ? Plusieurs réponses sont proposées, et nous voudrions les articuler.

Première réponse : la matsa est l’essentiel du repas. Et donc ce qui est requis c’est de faire un repas accoudé, en consommant accoudé la matsa, on donne le ton de l’ensemble du repas. Ce ton ne peut être donné qu’à travers l’acte le plus significatif de ce repas. La bénédiction en tant que simple parole n’exprime pas cette idée à travers un geste, elle dit une idée, mais cette idée n’est pas incarnée dans cette soirée. Il faut que toute cette soirée tourne autour de ce thème. En posant ce geste d’accoudement sur la consommation de la matsa, c’est toute la soirée qui est orientée. En s’accoudant en buvant le vin, on ne touche à ce thème que de façon partielle. (Même s’il faudra se poser la question de la pertinence de cet accoudement lors de la consommation du vin).

Deuxième réponse : en s’accoudant pour les deux premiers verres, on affirme cette idée sur la boisson, mais pas encore sur l’intégralité du repas, c’est pourquoi il ne sera pas nécessaire de s’accouder pour les derniers verres. Mais on n’a pas encore incarné cette idée dans l’autre domaine qu’est la nourriture. Même si finalement cette seconde réponse rejoint la première, elle articule boisson et nourriture d’une autre façon : alors que la boisson constituait un accompagnement du repas dans la première réponse, dans cette seconde réponse l’hypothèse est que la boisson dit cette idée de façon indépendante de la nourriture. La boisson serait donc à part, le repas. Cette seconde hypothèse est appuyée par le fait que l’on boit alors même que le repas n’a pas encore commencé.

Troisième réponse : « le verset affirme que la consommation de la matsa est un signe de libération, comme il est dit ‘car leur libération intervient alors même que leur pâte n’avait pas eu le temps de fermenter’. Et même si la matsa est qualifiée de ‘pain de pauvreté’ il faut la consommer à la façon des hommes libres ». Cette troisième réponse propose une démarche très différente, mais qui permet d’approfondir les deux premières. La matsa consommée en Egypte, en tant qu’esclave était aussi le signe d’une histoire qui n’appartient pas à son acteur : c’est le lot des esclaves. Mais en la consommant accoudée, celle-ci prend une interprétation différente. Alors que l’interprétation naturelle du vin pointe vers une forme d’indolence, une forme de lâcher prise ; cette interprétation n’est pas simplement tenable pour la matsa : celle-ci indique deux directions, d’une part l’esclavage d’autre part la libération. L’accoudement vient alors lever la double interprétation possible et la restitue à l’intention première : un pain de libération. Contrairement aux deux autres réponses, qui s’appuyaient sur une interprétation spontanée du vin ou de la matsa, dans cette réponse Tossefot montre une résistance à l’interprétation de la matsa comme dépendance vis-à-vis de Dieu ; elle peut tout aussi bien dépeindre une dépendance vis-à-vis des hommes. Et si notre histoire ne nous appartient pas, c’est qu’elle appartient à d’autres hommes, ceux qui ont barre sur notre vie. Dans cette troisième réponse Tossefot en pointant ce conflit d’interprétation spécifique à la matsa, vient montrer que la réorientation de l’interprétation que joue l’accoudement dans ce cas, est différente de celle qui joue pour le vin. L’accoudement semble aller dans le même sens interprétatif que le vin. Et en s’accoudant pour boire du vin on ne montre pas que cette interprétation est susceptible de défaire une interprétation contraire : nous sommes prêts à admettre que notre histoire ne nous appartient pas, que nous lâchons prise sur notre volonté illusoire de diriger notre vie, lorsque celle-ci nous sourit, lorsque nous sommes en phase avec elle. Mais qu’en est-il si l’histoire que l’on nous propose ne nous convient pas ? Que les gestes qui nous sont proposés vont dans le sens contraire, et nous dérangent ? C’est pourquoi s’accouder pour manger de la matsa relève d’un régime différent que de s’accouder pour boire du vin. Même si l’idée est la même, son contexte s’oppose à son expression. Même le pain de pauvreté prend un sens différent. « Un pauvre aussi doit s’accouder ».

  • Nourriture et boisson.

Les différentes lectures de Tossefot s’organisent autour du rapport entre la consommation de nourriture et de boisson. Dans la première lecture, une fois la matsa consommée, le vin ne joue plus qu’un rôle secondaire, les deux premiers verres n’étaient -relativement- chargés que d’annoncer le centre du repas.

Dans la seconde lecture, nourriture et boisson forment deux domaines séparés du repas, ce qui a été dit pour l’un n’induit rien pour l’autre. Quel est le rôle de la boisson indépendamment de la nourriture. Voilà la question à laquelle convie Tossefot. Pour l’appréhender il suffit d’aller au…bar. Le bar est une institution qui tourne autour de l’absence de nourriture et d’eau, c’est-à-dire ce qui nous ramène au besoin et à la nécessité de certains actes pour continuer à vivre : le Michna Broura (OH 472.10) précisera qu’on pourra boire des alcools pour s’acquitter de l’obligation. Inutile d’évoquer la question de la convivialité pour répondre à notre question car le manger ensemble relève de l’être ensemble. Le lâcher-prise signifié par la boisson est différent de celui signifié autour de la nourriture. La signification du lâcher prise par la boisson est relative à notre espace intérieur, plus intime que le lâcher-prise lié à la nourriture qui relève plutôt d’une affirmation que la satisfaction de nos besoins n’est pas totalement de notre ressort. Lâcher prise sur son espace intérieur, ses habitudes de pensée, ses ‘dadas’, ses certitudes sur l’existence, car eux aussi ne sont pas le fruit de nos méditations profondes, la plupart du temps, mais de pensées qui nous traversent, bien malgré nous. Nous nous y accrochons comme à notre identité constitutive, comme si nous « les » étions.

Dans la troisième réponse, il s’agit plutôt de mesurer le rapport entre le geste de s’accouder et les consommations : entrant en résonnance avec le vin, il dénote avec la matsa. Ce qui est affirmé c’est que la signification de l’accoudement renverse même l’idée de la matsa. L’ambiguïté imposée par le verset implique une réévaluation du lâcher-prise. C’est un lâcher-prise devant les significations qui sont imposés par les textes. L’obligation rabbinique des verres de vin n’heurte pas de front les significations bibliques, en s’accoudant même pour la matsa, on affirme que la possibilité interprétative de cet accoudement au-delà d’un sens définitif des mots.

  • Le Hallel.

Reprenons la première interprétation de Tossefot qui se base sur un découpage de la soirée en deux : la première partie autour de la lecture de la Hagada (qui renvoie à l’obligation de ‘raconter’ l’histoire). La seconde partie après le repas : consommation de la matsa, à l’époque du Temple, à la fin du repas on consommait le sacrifice pascal et tournée vers les délivrances futures.

Le Hallel, ensemble des Psaumes 113 à 118, est lui-même partagé en deux. La première partie est dite avant le repas, la seconde après le repas. Pourquoi le lire en deux temps ? Les commentateurs précisent qu’il s’agit à chaque fois d’accompagner la consommation des quatre verres de vin par des paroles. Le premier verre est lié au Kidouch (sanctification du jour par la parole), le second à la première partie du Hallel, le troisième verre de vin est lié au Birkat Hamazon (bénédiction après le repas) et le dernier verre est accompagné de la fin du Hallel.   Comment couper ce Hallel ? C’est l’objet d’une discussion. Pour l’école de Chamaï il s’agit de ne lire dans un premier temps que le psaume 113, alors que l’école d’Hillel soutient qu’il faut aussi lire le Psaume 114 avant le repas. Le Talmud de Jérusalem explique que la discussion porte sur la pertinence de dire le Psaume 114 qui commence par « quand Israël sortit de l’Egypte… ». On peut expliquer ainsi la discussion : au cours de la nuit Pharaon a ordonné de sortir d’Egypte, mais la sortie effective a eu lieu le lendemain. Le Midrash (Yalkout chimoni béréchit 208) met d’ailleurs en scène ce hiatus : Pharaon frappe à la porte de Moïse en disant : sortez, (c’est l’empressement des égyptiens, ‘hipazone démitsrayim) ; Moïse répond : nous ne sommes pas des voleurs ; et finalement ils s’empressent de sortir le lendemain (‘hipazone déisraël). Il y a donc deux dimensions de la libération : une première relative à la perte du statut d’esclave égyptiens, et la seconde relative à la sortie de l’Egypte.   Mais les deux opinions s’accordent sur la lecture du psaume 113 : « Louez le seigneur les serviteurs de Dieu », c’est-à-dire que la dimension de ‘serviteurs de Dieu’ est présente dès que Pharaon a donné l’ordre de sortir. Les versets expriment ceci : « car les hébreux sont mes serviteurs » et le Talmud de commenter « mes serviteurs et non pas serviteurs de serviteurs » « Mon contrat précède les autres » expliquera Rachi. En racontant les miracles, on raconte l’investissement de Dieu pour cette libération, ce qui corrélativement nous oblige plus envers lui. C’est le revers de cette sympathique histoire. On retrouve d’ailleurs cette même idée dans le Midrash cité plus haut « Pharaon dit : vous êtes libres, vous êtes sous la domination de Dieu ». C’est ce double mouvement que raconte la Hagada. Le peuple juif ne s’appartient pas, son histoire le dépasse. Pessah est la fête d’une retrouvaille, d’une proximité plus proche que la proximité d’un maitre et de son esclave.  Quoi qu’il en soit à partir du psaume 115, il s’agit de célébrer les délivrances futures, c’est-à-dire de faire de Dieu leurs acteurs.

  • La deuxième partie du Hallel : un autre enjeu.

Cette remarque nous permet de comprendre l’autre avis donné dans le Talmud : il faudra s’accouder pour les deux derniers verres. Dans ce cas la signification de l’accoudement est beaucoup plus simple : c’est un geste glorieux qui signifie la victoire, et pourquoi montrer un signe de victoire alors que la première partie parle d’asservissement ?

A la surprise générale il conclut : « aussi bien les deux premiers que les deux derniers verres nécessitent de s’accouder ». C’est étonnant puisque personne ne tient un tel avis. Seules les deux dernières démarches esquissées par Tossefot permettent de comprendre ce revirement.

En affirmant une signification spécifique de l’accoudement pour la boisson, on reconduit cette signification même pour les délivrances futures : la relation que l’on entretient avec notre futur collectif est identique à celle que l’on entretien avec notre passé ; il s’agit « de ne pas hâter la délivrance », de ne pas l’anticiper et d’opter pour une attente confiante en l’avenir.

Tossefot de conclure que l’on doit s’accouder aussi bien pour la première matsa que pour l’ ‘afikomane’, dernière matsa que l’on consomme. La signification de ce lâcher prise ne s’épuise pas dans la consommation de la première matsa. La première matsa signifie la libération de hébreux. En admettant la validité de l’analyse que nous avons faite plus haut : il s’agit donc de réaffirmer ce lâcher prise même vis-à-vis de l’avenir collectif. En d’autres termes la contingence de l’histoire juive ne s’arrête pas à la période antique, mais d’une part nous en sommes les témoins consternés actuellement, et l’affirmons pour le futur. Contingence qui est un fait et un destin. Comment mieux dire l’inadaptation du projet divin qui se joue à travers le peuple juif ? Comment mieux dire que l’assignation à notre histoire relève du miracle non pas accidentel mais essentiel : le projet divin pour le peuple juif n’est pas de ce monde, et si ce n’était une intervention miraculeuse, rien n’en permettrait la pérennité.

  • Boire simultanément les quatre verres de vin.

« Celui qui aurait bu les quatre verres ensemble est quitte de son obligation », Rachi précise « c’est-à-dire qu’il a versé les quatre verres dans une grande coupe et les a consommés ensemble ». En buvant les quatre verres simultanément on a perdu la trace de chacun des verres qui se fondent en une unique coupe. Alors que traditionnellement on consomme les quatre verres à différents moments de la lecture, Rachi propose donc ici la possibilité d’une indépendance de la consommation des verres et des dires qui les accompagnent. Le nombre de quatre ne vient donc pas scander les paroles mais vise à la consommation d’une quantité de vin. La consommation de cette quantité montre bien un lâcher-prise, mais celui-ci ne s’articule pas à des mots. Rachi rapporte au cours de ce passage talmudique le rêve du maitre échanson qui dit quatre fois dans son discours le mot ‘verre’. Le parallèle entre ce rêve et la libération n’est pas du tout fortuit : il exemplarise la libération de la prison du ministre de la boisson. Mais l’interprétation -tout comme la libération- se fonde sur un geste : le dernier, lorsque Pharaon prend la coupe signifiant le retour en grâce du ministre. Pourtant le Talmud rétorque : non, en buvant ses quatre verres d’une traite, il n’a accompli que partiellement son obligation, « il s’est acquitté du vin, mais non de la libération », il faudra boire les quatre verres séparément. Là encore pas de paroles, mais plusieurs gestes, plusieurs temps. Rachi sur la Michna n’avait pas cité le rêve du maitre échanson comme appuie à la consommation des quatre verres, mais le fameux verset de Chémot (6) « Je vous ai fait sortir, Je vous ai libéré, Je vous ai fait sortir, Je vous ai pris ». On retrouve bien cette dimension de lâcher prise, mais cette fois ci elle est articulée à quatre dimensions. (Le Maharal précisera qu’il s’agit de mettre en regard les différents stades de l’asservissement). La monstration des quatre verres doit s’accompagner à présent d’une consommation. Et la consommation impose le silence : passivité de l’employé devant sa tâche, passivité du travailleur face à son employeur, passivité de l’esclave face à l’absurdité de la demande du maitre, passivité de l’esclave devant son histoire. Ainsi selon cette seconde lecture, le silence qui accompagne l’esclave n’est pas relevé par la possibilité d’une parole. Rachi est très radical sur la question du lâcher prise. Rachbam va au contraire essayer d’humaniser ce lâcher-prise. Et il le fera à partir d’une simple réflexion :  quiconque aurait consommé ses quatre verres d’une seule traite n’a bu qu’un verre finalement. Il ne peut s’agir de ce que propose Rachi. Il faut boire quatre verres. Comme si la possibilité de la libération ne pouvait se ramener à un seul mouvement, le geste qui consisterait à résumer à un seul geste l’ensemble du mouvement de libération oublie le déploiement de la libération pour ne retenir que la conclusion indistincte et confuse. Pour le Rachbam, même en buvant les quatre verres ont n’est pas quitte de l’obligation de ‘libération’, pour reprendre le terme talmudique. A minima, il faut quatre temps, mais ces quatre temps doivent être scandés, chantés à travers les paroles qui transforme la passivité en histoire et en mots.

Tossefot tout en s’appuyant sur le Rachbam ira plus loin : il fait remarquer qu’a priori -selon l’usage de l’époque- il faut couper son vin ; or il rapporte un autre modèle qu’il va confronter à celui ici présenté : le verre de vin qui accompagne la bénédiction d’après le repas. Or celui-ci ne doit pas être coupé. Sans entrer dans les différentes manières de répondre, ce qui importe c’est le présupposé de la question : en mettant en parallèle les verres de vin du Séder et celui de la bénédiction d’après le repas, on déplace complétement le thème. Il n’y a pas une obligation de boire quatre verres de vin, mais d’accompagner les diverses paroles de vin. Le vin n’est qu’un élément au service des discours. Le Yérouchalmi s’interroge sur la possibilité de consommer d’une traite les quatre verres de vin ; il fait remarquer que cela est possible dès lors qu’on aurait entendu le Hallel. Ici, il n’est plus question d’une obligation de boire une quantité de vin. A aucun moment il n’aurait été question d’une consommation brutale de quatre verres de vin, sans aucune parole. Quel est le rôle du vin si ce n’est d’interrompre le flot du discours ? Peut-on alors parler de discours ? Alors qu’en s’accoudant il est toujours possible de parler, en buvant du vin, le lâcher prise prend une autre dimension : interrompre le discours, non pas le silence de la jouissance, mais le silence de l’interruption. Le Rif proposera de faire une bénédiction sur chaque verre de vin. « Puisqu’il n’est pas possible de boire et de bénir en même temps, la boisson fait scansion, et il faudra faire la bénédiction du vin à chaque reprise ». Nous étions partis (selon Tossefot) de l’importance de chaque étape en elle-même qui nécessitait une interruption. Pour le Rif il ne s’agit pas de marquer les scansions, au sein du discours, comme ses différentes étapes nécessaires et suivies, mais de découdre le discours, le désarticuler. C’est sans doute pour lui la manière de dire la passivité devant l’histoire, et de raconter n’est pas une tentative de se réapproprier l’histoire pour lui donner une unité fictive et non vécue, mais plutôt de maintenir au sein même de la parole l’impossibilité de récupérer l’histoire comme sienne.

 

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1. La plupart des références de ce texte se trouvent dans le traité Psa’him 108 a, à l’exception de quelques unes que je signale dans le corps du texte.

תלמוד בבלי מסכת פסחים דף קח עמוד א

ואפילו עני שבישראל לא יאכל עד שיסב. איתמר: מצה – צריך הסיבה, מרור – אין צריך הסיבה. יין, איתמר משמיה דרב נחמן: צריך הסיבה, ואיתמר משמיה דרב נחמן: אין צריך הסיבה. ולא פליגי, הא – בתרתי כסי קמאי, הא – בתרתי כסי בתראי. אמרי לה להאי גיסא, ואמרי לה להאי גיסא. אמרי לה להאי גיסא: תרי כסי קמאי – בעו הסיבה, דהשתא הוא דקא מתחלא לה חירות. תרי כסי בתראי לא בעו הסיבה – מאי דהוה הוה. ואמרי לה להאי גיסא: אדרבה, תרי כסי בתראי בעו הסיבה – ההיא שעתא דקא הויא חירות, תרי כסי קמאי לא בעו הסיבה – דאכתי עבדים היינו קאמר. השתא דאיתמר הכי ואיתמר הכי – אידי ואידי בעו הסיבה. פרקדן – לא שמיה הסיבה, הסיבת ימין – לא שמה הסיבה, ולא עוד אלא שמא יקדים קנה לוושט ויבא לידי סכנה. אשה אצל בעלה – לא בעיא הסיבה, ואם אשה חשובה היא – צריכה הסיבה. בן אצל אביו – בעי הסיבה. איבעיא להו: תלמיד אצל רבו מאי? תא שמע, (אמר) +מסורת הש »ס: [דאמר]+ אביי: כי הוינן בי מר זגינן אבירכי דהדדי, כי אתינן לבי רב יוסף, אמר לן: לא צריכתו, מורא רבך כמורא שמים. מיתיבי: עם הכל אדם מיסב, ואפילו תלמיד אצל רבו! – כי תניא ההיא – בשוליא דנגרי. – איבעיא להו: שמש מאי? – תא שמע, דאמר רבי יהושע בן לוי: השמש שאכל כזית מצה כשהוא מיסב – יצא. מיסב – אין, לא מיסב – לא, שמע מינה: בעי הסיבה, שמע מינה.

תוספות מסכת פסחים דף קח עמוד א

מאי דהוה הוה – שכבר אמרו גאולה לפני הסעודה ואף על גב דמצה צריכה הסיבה ולא אמר מאי דהוה הוה שאני מצה שהיא עיקר סעודה יותר מיין ועוד ביין היסב כבר בשני כוסות הראשונים ועוד שכתובה בתורה זכר לחירות שלא הספיק בצקם להחמיץ עד שנגאלו ואף על גב דהויא לחם עוני יש לאוכלה דרך חירות ומה שצריך הסיבה במצה היינו כשמברכין על אכילת מצה ובאפיקומן.

תלמוד בבלי מסכת פסחים דף קח עמוד ב

שתאן חי – יצא, שתאן בבת אחת – יצא, השקה מהן לבניו ולבני ביתו – יצא. שתאן חי – יצא. אמר רבא: ידי יין יצא, ידי חירות לא יצא. שתאן בבת אחת, רב אמר: ידי יין – יצא, ידי ארבעה כוסות – לא יצא. השקה מהן לבניו ולבני ביתו יצא.

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רש »י מסכת פסחים דף קח עמוד ב

בבת אחת – עירה ארבעתן לתוך כוס אחד.

רשב »ם מסכת פסחים דף קח עמוד ב

בבת אחת. עירה ארבעתן בתוך כוס אחד כך פירש רבינו שלמה. ולא נהירא דאפי’ שותה הרבה בכלי אחד לא חשיב אלא כוס אחד דהאי רביעית אינו אלא למעוטי פחות מרביעית אבל טפי מרביעית בכוס אחד חשוב כוס אחד. ונ »ל דהכי פירושו בבת אחת שלא על סדר משנתינו אלא שתאן רצופין:

תוספות מסכת פסחים דף קח עמוד ב

בבת אחת – נראה כפירוש רשב »ם ששתאן רצופין ולא כפירש »י שעירה ארבעתן לתוך כוס אחד דשתאן משמע הרבה כוסות

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