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La propriété dans le ‘Hamets. Traité Pessa’him 5b

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 19 Avril 2022

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I.
La Guemara dans Pessa’him 4a demande :

בעו מיניה מרב נחמן בר יצחק המשכיר בית לחברו בארבעה עשר על מי לבדוק על המשכיר לבדוק דחמיראדידיה הוא או דלמא על השוכר לבדוק דאיסורא ברשותיה קאי.

‘On a posé la question à Rav Na’hman bar Yits’hak : si quelqu’un loue une maison à son prochain le jour du quatorze Nissan, à qui incombe l’obligation de faire la recherche du ‘Hamets ? Est-ce que cela incombe au loueur, au propriétaire de la maison, car le ‘Hamets est à lui ? Ou bien cela incomberait au locataire car le ‘Hamets se trouve dans son espace, dans son domaine ?’

Nous rapportons le commentaire de Rabbi David Bonpère élève du Ramban sur ce passage (nous en donnons notre traduction agrémentée de quelques notes): ‘La vérité sur ce sujet est que personne ne transgresse ni Bal Iraé ni Bal Imatsé, ni voir du ‘Hamets, ni trouver du ‘Hamets, ni le propriétaire de la maison ni le locataire, celui-ci parce que le ‘Hamets ne lui appartient pas, et celui-ci parce que le ‘Hamets n’est pas dans son espace. En effet le locataire, ayant loué formellement le lieu avec de l’argent, avec un contrat ou avec d’autre mode légal d’acquisition, est considéré propriétaire par rapport au ‘Hamets, bien qu’en général nous disions que la location ne fasse pas acquisition, néanmoins étant donné que la Torah s’exprime dans le sujet de ‘Hamets sous la forme de Lo Imatsé, לא ימצא, « tu n’en trouveras pas », étant donné que le ‘Hamets de fait se trouve dans le domaine du locataire, indubitablement le propriétaire ne transgresse aucun interdit, bien que le ‘Hamets lui appartienne.’

Ici Rabbi David suit la démarche de son Maître le Ramban selon laquelle le ‘Hamets de quelqu’un se trouvant concrètement déposé dans le domaine d’une autre personne ne rendre sous le coup d’aucun interdit d’après la Torah pendant Pessa’h en cela que la Torah nous enjoint que l’on ne trouve pas de ‘Hamets dans notre domaine, or ici ce ‘Hamets n’est pas à la disposition de son propriétaire.

‘Et raison de plus que le locataire ne transgressera aucun interdit car le ‘Hamets ne lui appartient pas, bien qu’il soit de fait dans son espace. Et ainsi est-il enseigné dans la Mekhilta (Mekhilta Bo, Parashat 10 et 17) : « Le verset exclut le ‘Hamets du non-juif qui se trouve dans le domaine d’un juif. Ce ‘Hamets est dans le domaine du juif mais il ne lui est pas donné de le détruire. Le verset exclut le ‘Hamets d’un juif qui se trouve dans le domaine d’un non-juif, cas où il peut le détruire mais il n’est pas dans son domaine ». Ce cas revient au cas traité dans la Guemara (6a) où un dépositaire a indiqué au déposant où mettre son ‘Hamets de manière précise où le dépositaire ne transgresse alors aucun interdit. Ceci posé, étant donné que si le ‘Hamets d’un juif se trouve dans le domaine d’un non-juif, cet Israël ne transgresse pas d’interdit car le ‘Hamets n’est pas dans son espace, de même si son ‘Hamets se trouve dans le domaine d’un autre Israël le propriétaire ne transgressera pas d’interdit.’

Il ressort deux points fondamentaux de ce commentaire de Rabbi David :
– premièrement, le propriétaire d’un ‘Hamets qui se trouve dans le domaine d’un non-juif ou d’un autre Israël ne transgresse d’après la Torah aucun interdit.
– deuxièmement, un Israël qui a dans son domaine le ‘Hamets d’un autre Israël ne transgresse aucun interdit d’après la Torah.

Nous allons dans un premier temps nous attacher à cette seconde affirmation. En effet ce point est largement sujet à controverses.

II. Le ‘Hamets d’un Israël qui se trouve chez un autre Israël. Le verset dit (Shemot 13,7) : ולא יראה לך חמץ ולא יראה לך שאור בכל גבולך, ‘Et l’on ne verra pas pour toi de pâte levée et l’on ne verra pas pour toi de levain dans tout ton domaine’.

La Guemara dans le Traité Pessa’him 5b analyse ce verset en disant :

שלך אי אתה רואה אבל אתה רואה של אחרים ושל גבוה.

‘Le tien tu ne vois pas, mais tu peux voir celui d’autres ou celui du Très Haut.’
Rashi explique :
לפי שנאמר ולא יראה לך. דמדכתב לך משמע מינה שלך אי אתה רואה אבל אתה רואה בגבולך של אחרים כגון נכרי ושל גבוה אם הקדישן לבדק הבית.
‘Etant donné que le verset dit « on ne verras pas pour toi », le mot « pour toi » laisse entendre que le tien tu ne dois pas voir dans ton territoire, mais tu peux voir dans ton territoire celui des autres, par exemple du ‘Hamets d’un non-juif ou bien du ‘Hamets du Très-Haut, c’est-à-dire s’il a sanctifié du ‘Hamets pour la caisse du Temple, le Bédèk HaBayt.’
Pour expliquer le terme של אחרים, ‘le ‘Hamets d’autres’, Rashi a pris comme exemple du ‘Hamets qui appartient à un non-juif. Est-ce à dire que pour Rashi le ‘Hamets d’un autre juif qui se trouve dans mon domaine s’appelle ‘mon ‘Hamets’, ou bien Rashi a pris ce cas comme exemple comme c’est ce cas qui va être analysé dans la suite de la Guemara au sujet des dépôts d’un non-juif ?

Le Shoul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 443,§2, ארח חיים סימן תמ »ג ס »ב) dit :
ישראל שהיה בידו חמצו של ישראל אחר בפקדון יעכבנו עד שעה חמישית ואם לא באו בעליו ימכרנו לגוי ואם לא מכרו חייב לבערו בזמן איסורו אפילו אם אינו חייב באחריותן.
‘Un Israël qui a déposé son ‘Hamets chez un autre Israël, celui-ci doit le garder jusqu’à la cinquième heure (saisonnière), et ensuite si les propriétaires de ce ‘Hamets ne sont pas venus, il doit le vendre à un non-juif. S’il ne l’a pas vendu il doit le détruire lorsque le ‘Hamets devient interdit, même s’il n’en a pas pris la responsabilité de la garde. ‘
Pourquoi le dépositaire doit-il détruire ce ‘Hamets, mais il n’en est pas le propriétaire !
Le Maguen Avraham explique §5 : bien que le dépositaire ne soit pas le propriétaire et ne transgresse pas le fait de posséder du ‘Hamets, néanmoins il doit le détruire pour que le déposant ne transgresse pas l’interdit d’en posséder.’
Le Maguen Avraham prend deux options :
– il considère que le mot לך, « pour toi », du verset prend en compte le fait d’en être ou pas le propriétaire.
– il considère que la personne transgresse le fait de posséder du ‘Hamets même si son ‘Hamets se trouve déposé chez quelqu’un d’autre. Ce point soulève de grandes discussions. Voir l’opinion des Guéonim dans le Rosh Siman 4.
Voir le Prisha §7 (à la suite du Ba’h):
‘Bien que dans un tel cas au sujet du ‘Hamets d’un non-juif il n’est nullement nécessaire de détruire le ‘Hamets comme nous le voyons au chapitre 440, il y a une différence car ce n’est pas donné à la disponibilité du Israël de détruire le ‘Hamets du non-juif qui est déposé chez lui, tandis que dans le cas d’un juif qui a déposé du ‘Hamets, à partir de la sixième heure le ‘Hamets lui devient interdit de profit, c’est pourquoi le dépositaire doit le détruire au profit du déposant pour qu’il ne transgresse pas les interdits. Par contre il me semble que le dépositaire ne transgresse aucun interdit lié au ‘Hamets puisqu’il n’a pris sur lui aucune responsabilité de gardien’.
Le Mishna Beroura (§14) explique que d’après le Ba’h, le Maguen Avraham et le Prisha l’obligation de détruire au dernier moment le ‘Hamets d’autrui s’impose en vertu du principe כל ישראל ערבים זה בזה, ‘tout Israël est garant l’un de l’autre’[1].
Le Gaon s’oppose à leur démarche §11 :
‘Rashi a expliqué « mais tu peux voir le ‘Hamets d’autres, par exemple celui des non-juifs ». Pourquoi n’a-t-il pas dit « le ‘Hamets d’un autre Israël » ? de même Rashi dans Pessa’him 6a דה »מ חמצו של נכרי où Rashi dit que si l’Israël n’a pas pris sur lui de responsabilité de gardien il a le droit de le garder, il est sous-entendu dans Rashi que si cela avait été d’un autre Israël il aurait été obligé de le détruire de manière structurelle, et non par solidarité, ce qui est contre l’opinion du Ba’h.’

Il ressort de l’ensemble de ces opinions qu’il y a une discussion de fond sur notre sujet. Le Maguen Avraham, le Ba’h et le Prisha pensent sur notre point comme Rabbénou David que fondamentalement un Israël ne transgresse pas l’interdit de voir et de trouver du ‘Hamets sur du ‘Hamets d’un autre Israël qui se trouverait déposé chez moi, dans la mesure où je n’aurais pas pris sur moi la responsabilité de le garder. Le Gaon déduit de Rashi que lorsque le verset dit ‘tu ne verras pas pour toi’, cela englobe toutefois le ‘Hamets d’un autre Israël, et que l’expression ‘Pour toi’ exclut le ‘Hamets du non-juif et celui du ‘Hékdèsh.

III. Preuve pour la démarche du Gaon de Vilna. Pessa’him 29a.


Le Shaar Hatsioun (סימן תמ »ג ס »ק כ’) cite le Hémèk Halakha au chapitre 126 qui analyse en profondeur notre question. Le Hémèk Halakha apporte une preuve pour la démarche du Gaon d’une Guemara dans Pessa’him 29a, cette preuve avait déjà été envisagée par le Tsla’h dans son commentaire sur 29a.

La Mishna dans le second chapitre nous enseigne (28a) :
חמץ של נכרי שעבר עליו הפסח מותר בהנאה ושל ישראל אסןר בהנאה שנאמר לא יראה לך שאור.
‘Le ‘Hamets qu’un non-juif aurait possédé pendant Pessa’h est permis de profit après Pessa’h pour un Israël. Le ‘Hamets qu’un Israël aurait possédé pendant Pessah’ est interdit de profit après Pessa’h, comme dit le verset « l’on ne verra pas pour toi de levain ».’

La Guemara afférente rapporte qu’il y a trois opinions sur les interdits relatifs au ‘Hamets dans les Tanaïm.
Rabbi Yéhouda pense que le ‘Hamets dès midi de la veille de Pessa’h, le quatorze Nissan, est interdit par la Torah. De même pour le ‘Hamets après Pessa’h qui aurait été possédé pendant Pessa’h. Durant Pessa’h la consommation de ‘Hamets n’est pas seulement interdite, elle est passible du châtiment de Karèt.  Avant Pessa’h et après Pessa’h le ‘Hamets est interdit de profit, raison de plus pendant Pessa’h même.
Rabbi Shimon pense qu’il n’y a pas d’interdit relatif au ‘Hamets ni avant Pessa’h ni après Pessah’. Le ‘Hamets n’est passible d’interdit et de châtiment de Karèt que pendant Pessa’h. Le ‘Hamets pendant Pessa’h est interdit de consommation et aussi de profit.
Rabbi Yossi HaGalili pense que le ‘Hamets n’est interdit que pendant Pessa’h mais n’est interdit que de consommation et non de profit.

La Guemara se demande alors selon quel avis va l’enseignement de notre Mishna. En effet, la Mishna ne peut suivre l’opinion de Rabbi Yossi HaGalili puisque le ‘Hamets du Israël est interdit de profit même après Pessa’h, or d’après lui le ‘Hamets d’Israël est permis de profit même pendant Pessah’.
La Mishna ne peut suivre l’opinion de Rabbi Shimon car d’après lui le ‘Hamets du Israël est permis de consommation et de profit après Pessa’h.
La Mishna ne peut pas suivre non plus l’opinion de Rabbi Yéhouda car d’après lui le ‘Hamets sur lequel est passé Pessah’ est interdit de profit même après Pessa’h en vertu du verset qui dit (Shemot 13,3) ולא יאכל חמץ, « et que le ‘Hamets ne soit pas mangé ! », or dans ce verset n’est aucunement spécifié si ce ‘Hamets est celui d’un juif ou celui d’un non-juif. Si c’est ainsi pourquoi la Mishna dit-elle que le ‘Hamets qu’un non-juif a possédé pendant Pessa’h est permis de profit après Pessa’h ?
La Guemara va proposer plusieurs démarches pour répondre à cette question. La première proposition est celle de Rav A’ha bar Yaakov. Nous allons essayer de synthétiser sa démarche.
Nous pouvons dire que la Mishna va d’après l’opinion de Rav Yéhouda. Il est vrai que le verset duquel nous apprenons que le ‘Hamets sur lequel est passé Pessa’h est interdit de profit ne spécifie par si ce ‘Hamets était celui d’un juif ou non, cependant nous pouvons dire que l’interdit de consommer du ‘Hamets suit l’interdit d’en posséder. De la même manière que la Torah me spécifie לא יראה לך שאור, « tu ne verras pas pour toi de levain », et que la tradition nous explique « le tien tu ne verras pas, mais tu verras celui d’autres ou celui du Très-Haut », de la même manière il faudra dire que Rabbi Yéhouda comprend : du tiens tu ne mangeras pas mais tu pourras manger du ‘Hamets d’autres ou du Très-Haut.
Nous comprenons bien d’après cela pourquoi le ‘Hamets du non-juif sur lequel est passé Pessa’h est permis de profit après Pessa’h, néanmoins la Mishna aurait dû dire un point plus innovant et dire que le ‘Hamets du non-juif sur lequel est passé Pessa’h est permis même de consommation ! La Guemara répond qu’étant donné que la seconde proposition nous dit que le ‘Hamets du juif sur lequel est passé Pessa’h est interdit de profit, de même enseigne-t-on par rapport à celui du non-juif, mais en fait il serait même permis de consommation.
La Guemara demande :
Mais si c’est ainsi cela aurait été encore plus innovant de nous dire que le ‘Hamets du non-juif serait permis de profit durant Pessa’h même si tu déduis l’interdit de manger et de profiter de l’interdit d’en posséder ?
La Guemara répond de la même manière qu’étant donné que dans la seconde proposition on parle du ‘Hamets du juif après Pessa’h de la même manière on nous enseigne le statut du ‘Hamets du non-juif après Pessah’.

Rashi (דה »מ ויליף שאור דאכילה) nous dit que d’après l’analyse stricte de Rav A’ha bar Yaakov le ‘Hamets du non-juif serait permis même de consommation pour un juif pendant Pessa’h. D’après cela, si l’on dit qu’une personne ne transgresse pas l’interdit de « tu n’en verras pas pour toi » sur le ‘Hamets d’un autre juif, il serait donc permis de manger du ‘Hamets d’un autre juif pendant Pessa’h selon l’analyse stricte de Rav A’ha ben Yaakov. D’après cela la Mishna aurait dû nous enseigner une plus grande innovation et nous dire que le ‘Hamets qu’un autre juif a gardé pendant Pessa’h serait permis de profit et même de consommation pour un autre juif après Pessa’h. Pourquoi ne parler que du ‘Hamets du non-juif ?
En résumé la Mishna aurait dû dire que le ‘Hamets d’un juif sur lequel est passé Pessa’h est interdit pour lui de profit. Néanmoins un autre juif pourrait récupérer ce ‘Hamets et le manger car son propriétaire initial n’en a plus aucune propriété. Le lui donner serait prohibé car cela est considéré comme un profit.
Bien que le Tsla’h fasse un Pilpoul extraordinaire sur ce point précis et que l’on puisse réfuter cette preuve, néanmoins il a l’air de ressortir de la simplicité du sujet que le ‘Hamets d’un autre Israël est interdit de conserver chez soi pour tout Israël, et que le verset de « tu ne verras pas pour toi de levain » inclut dans le « pour toi » le ‘Hamets de tout juif et n’exclut que le ‘Hamets du non-juif, comme la démarche du Gaon de Vilna.

Le Tsla’h apporte une seconde preuve à cette démarche de la question de Rabbi Yaakov d’Orléans dans Tossefot (דף ה’ ע »ב דה »מ אבל אתה רואה). En effet Rabbi Yaakov d’Orléans demande comment peut-on exclure le ‘Hamets du non-juif et celui du Hékdèsh d’un seul mot Lékha, לך, nous voyons que pour un sujet similaire le Talmud exige dans le Traité Mena’hot deux mots spécifiques, l’un pour exclure le non-juif et l’un pour exclure le Hékdèsh. Le Tsla’h soulève que si Rabbi Yaakov d’Orléans pensait que si du mot Lékha était exclu tout ce qui n’est pas à toi simplement il ne poserait pas sa question. Donc il ressort de sa question que tout ce qui n’est pas à toi n’est pas exclu au sens simple, donc cela signifie que Rabbi Yaakov d’Orléans et Tossefot à sa suite pensent que le ‘Hamets d’un autre Israël n’est pas exclu du mot Lékha. Il faut dire d’après cela que les enjeux des méandres de ce Tossefot et du Tossefot suivant (דה »מ משום דכתיב) tournent autour de ce point précis, la conclusion du second Tossefot étant qu’il faut bien deux termes, l’un pour exclure le ‘Hamets du non-juif et l’un pour exclure le ‘Hamets de Hékdèsh. Donc d’après Tossefot, dit le Tsla’h il ressort que le ‘Hamets d’un autre juif n’est pas exclu en vertu du verset « tu n’en verras pas pour toi ».

IV. Synthèse.

Deux démarches se mettent à jour dans les Rishonim, Rabbi David Bonpère, et la plupart des A’haronim après lui, tiennent que s’il se trouve chez quelqu’un du ‘Hamets d’un autre juif et qu’il n’a pas pris sur lui de responsabilité de garde à l’égard de ce ‘Hamets il ne transgresse aucun interdit de la Torah. Il devra s’en débarrasser avant Pessa’h pour que le propriétaire de ce ‘Hamets ne transgresse pas d’interdit d’en posséder.
Le Gaon de Vilna, en se basant sur Rashi dans Pessa’him 5b (דה »מ לפי שנאמר ולא יראה לך), et le Tsla’h, en se basant sur Tossefot, affirment qu’est inclus dans le terme Lékha le ‘Hamets d’un autre juif. Il y a d’un côté le ‘Hamets du juif, même si au niveau juridique il ne m’appartient pas, et d’un autre il y a le ‘Hamets du non-juif par rapport auquel il n’y a aucun problème (tant que je n’ai pas pris de responsabilité de garant à son égard).

Reprenons le débat en d’autres termes. La première démarche met l’accent sur le fait de posséder ou non ce ‘Hamets. Si ce ‘Hamets ne m’appartient pas je ne transgresse pas l’interdit d’en trouver dans ma maison ni d’en voir dans mon territoire. Ce ‘Hamets n’entre pas dans la catégorie de Lékha, ‘à toi’.
La seconde démarche nous parait a priori plus difficile d’abord. Or nous voyons que le Gaon de Vilna insiste pour en prouver la centralité légale. Mais quelle en est la logique ? Pourquoi le terme Lékha, ‘pour toi’, n’exclurait-il pas le ‘Hamets d’autrui ?
La lecture simple de la Guemara de 29a, l’enseignement de Rav A’ha bar Yaakov, passage qui servira de preuve à cette démarche, nous donnera une direction de travail. En effet selon la lecture serrée du texte il ressort, nous dit Rashi, qu’il serait peut-être même permis d’après la Torah de manger pendant Pessa’h du ‘Hamets d’un non-juif [2]. Cette hypothèse n’est pas retenue par la Guemara, c’est la lecture de Rava qui sera la lecture finale de la Mishna de 28a. Néanmoins cette hypothèse est envisagée par Rav A’ha bar Yaakov. Mais comment cela est-il imaginable ?
Nous sommes ici, d’après cette démarche, en face d’un paradoxe invraisemblable. D’un côté, il serait permis selon la Torah de manger du ‘Hamets d’un non-juif, sachant la gravité extrême de manger du ‘Hamets à Pessa’h, et, d’un autre côté, conserver chez soi du ‘Hamets d’un non-juif sur lequel on aurait pris l’engagement de le garder serait prohibé.
Il faut dire que selon cette seconde démarche des Rishonim (Rashi et Tossefot) le point cardinal n’est pas la propriété. C’est la définition de ce ‘Hamets qui est visé : le ‘Hamets d’un juif (ou bien un ‘Hamets qui a une incidence dans la vie pratique d’un juif) a un statut de ‘Hamets et le ‘Hamets d’un non-juif n’a pas le statut de ‘Hamets, quand bien même serait-il de la pâte levée. Mais comment est-ce possible, physiquement c’est la même matérialité ! Il nous semble que le grand Maître Rabbi David ben Zimra, le Radbaz, nous donne des éléments pour répondre à notre question dans une de ses Teshouvot.

V. Réponse à notre question sur la base de la Teshouva du Radbaz (troisième tome Teshouva 977, חלק גתשובה תתקע »ז).
Il nous parait nécessaire dans le fil de notre étude de rapporter la Teshouva 977 du troisième tome des Teshouvot du Radbaz. Nous en donnons notre traduction.

‘Tu m’as sollicité pour que je te donne mon avis sur le fait que le ‘Hamets à Pessa’h fait l’objet de la part de la Torah d’exigence de gravité que l’on ne retrouve dans aucun autre interdit. En cela uq ela Torah exige qu’on le brûle, qu’on le détruise, et qu’on l’annule. Nos Sages ont ajouté recherche dans les recoins et anfractuosités, de le rechercher, de le déraciner de tout notre territoire. Et qu’on transgresse à son sujet « n’en vois pas » et « n’en trouve pas ». Nos Maîtres ont aussi interdit durant Pessa’h tout mélange de ‘Hamets quelle qu’en soit la proportion. On ne trouve pas ces exigences dans les autres interdits de la Torah. Si tu me dis qu’il y a ces éléments de gravité car la consommation de ‘Hamets à Pessa’h est passible de Karèt [3], je te retorquerai que la consommation de ‘Hélèv, de graisses interdites, et de sang sont aussi passibles de Karèt. Si tu me dis qu’il y a ces éléments de gravité car le ‘Hamets à Pessa’h est non seulement interdit de consommation mais aussi interdit de profit, nous trouvons de multiples interdits dans la Torah qui sont aussi interdit de profit et qui n’entrainent pas ces exigences multiples. Tu peux aussi me dire que le ‘Hamets est spécifique en cela que toute l’année il est tout à fait licite et que durant quelques jours seulement il se trouve être prohibé, et que cela entraine que les gens risquent de ne pas s’en détacher, tu vois que le vin pour le Nazir [4] ou la récolte nouvelle [5] avant le seize Nissan n’entrainent pas ces exigences.
Réponse.
Deux choses ont été dites pour répondre à cette question. Premièrement on ne trouve dans aucun autre interdit que s’associent ensemble ces trois conditions, interdit de profit, condamnable de Karèt et que l’on ne s’en détache pas tout au long de l’année. Du fait de cette connexion de gravités, la Torah ajoute d’autres exigences, et les Sages, sur le modèle de la Torah, sont venus ajouter encore d’autres exigences.
De plus le ‘Hamets à Pessa’h est comme une chose qui deviendra permise car son interdit n’est pas permanent mais au contraire est limité à quelques jours. Et nous avons le principe que quelque chose d’interdit qui passés quelques jours deviendra permis n’entre pas dans les lois d’annulation. Certes ce ‘Hamets précis je dois le détruire pour ne pas transgresser le fait de le posséder, mais dans l’absolu le ‘Hamets est comme quelque chose qui aura une permission plus tard.
Mais j’ai une question sur cette explication. En effet cela rend compte du fait que le ‘Hamets ne s’annule pas lorsqu’il y en a un mélange durant Pessa’h, mais cela n’explique en rien pourquoi il est exigé de le rechercher, de le bruler, de l’extirper et de le sortir de notre territoire.
Et on ne peut pas dire non plus que la première explication que nous avons donnée soit satisfaisante car en quoi le ‘Hamets serait-il plus grave que l’idolâtrie au sujet de laquelle la Torah nous dit (Devarim 13,18) « que ne se colle rien dans ta main de ce qui est banni [6] ! », et au sujet de laquelle la Torah nous dit que celui qui y adhère est considéré comme s’il niait l’ensemble de la Torah ? Or au sujet de l’idolâtrie on ne trouve que la Torah exige recherche et annulation qu’en terre d’Israël où il y a certes un commandement de rechercher après toute idolâtrie et de l’extirper de notre terre. Mais hors d’Israël nous n’avons aucune obligation de la rechercher pour la détruire, simplement là où nous avons un pouvoir hors d’Israël nous devons détruire toute idolâtrie que nous trouvons, selon les paroles de Rambam. Tu vois donc que la Torah n’a pas été exigeante au sujet de l’idolâtrie comme elle l’est au sujet du ‘Hamets, ceci nécessite de trouver une explication !
C’est pourquoi je m’appuie sur ce que Nos Maîtres disent dans les Midrashim que le ‘Hamets est une allusion au Yétsèr HaRa, au mauvais penchant, qui est le levain qui est dans la pâte, c’est pourquoi l’homme doit le détruire, le repousser de lui, le rechercher dans tous les recoins possibles de ses pensées, et qu’un rien ne s’annule pas, ceci est vrai et fondé. Voici ce qui semble à ma pensée.’

Le grand Maître, le Radbaz, grand décisionnaire et talmudiste, après avoir décortiqué le sujet avec précision, nous enseigne que nous sommes obligés d’affirmer que quant au fond même juridique le ‘Hamets fait allusion au mauvais penchant appelé Yétsèr HaRa, יצר הרע.
Il nous semble que cet enseignement peut nous apporter des éléments pour rendre compte de la seconde démarche des Rishonim dans notre sujet, démarche soutenue par le Gaon de Vilna.

Nous avons demandé : comment est-ce possible de concevoir que le ‘Hamets d’un non-juif n’ait pas le statut de ‘Hamets durant la fête de Pessa’h ?
La Guemara dans le Traité Souka 52a nous enseigne que le Yétsèr HaRah délaisse les Nations du monde et ne s’attaque qu’à Israël.
La Guemara analyse un verset du Prophète Yoël (2,20) :
ואת הצפוני ארחיק מעליכם והדחתיו אל ארץ ציה ושממה את פניו אל הים הקדמני וספו אל הים האחרון ועלה באשו ותעל צחנתו כי הגדיל לעשות.
‘Et l’enfoui [7] J’éloignerai de vous, Je le refoulerai vers une terre desséchée et désolée. Il avait porté son visage sur l’océan primordial, et son regard final sur l’océan dernier, sa puanteur s’exhalera, sa saleté se mettra à nu, car il a fait des choses terribles.’

VI. Guemara du Traité Souka (52a) sur le sujet du Yétsèr HaRah. Synthèse du sujet.


ת »ר ואת הצפוני ארחיק מעליכם זה יצה »ר שצפון ועומד בלבו של אדם והדחתיו אל ארץ ציה
ושממה למקום שאין בני אדם מצויין להתגרות בהן את פניו אל הים הקדמוני שנתן עיניו במקדש ראשון והחריבו והרג תלמידי חכמים שבו וסופו אל הים האחרון שנתן עיניו במקדש שני והחריבו והרג תלמידי חכמים שבו ועלה באשו ותעל צחנתו שמניח אומות העולם ומתגרה בשונאיהם של ישראל כי הגדיל לעשות אמר אביי ובתלמידי חכמים יותר מכולם כי הא דאביי שמעיה לההוא גברא דקאמר לההיא אתתא נקדים וניזיל באורחא אמר איזיל אפרשינהו מאיסורא אזל בתרייהו תלתא פרסי באגמא כי הוו פרשי מהדדי שמעינהו דקא אמרי אורחין רחיקא וצוותין בסימא אמר אביי אי מאן דסני לי הוה לא הוה מצי לאוקומיה נפשיה אזל תלא נפשיה בעיבורא דדשא ומצטער אתא ההוא סבא תנא ליה כל הגדול מחבירו יצרו גדול הימנו.

‘Nos Maîtres enseignent : « Et l’enfoui J’éloignerai de vous », c’est le mauvais penchant qui est enfoui dans le cœur de l’homme. « Je le refoulerai vers une terre desséchée et désolée », dans un endroit non fréquenté par les hommes de manière à ce qu’il ne pourrait pas s’attaquer à eux. « Il avait porté son visage sur l’océan primordial », il a porté ses yeux sur le Premier Temple, l’a détruit, et a assassiné les Maîtres de Torah de l’époque. « Et son regard final sur l’océan dernier », il a porté ses yeux sur le Second Temple, l’a détruit et a assassiné les Maîtres de Torah de l’époque. « Sa puanteur s’exhalera, sa saleté se mettra à nu », car le mauvais penchant délaisse les Nations du Monde et ne s’attaque qu’aux ennemis d’Israël.[8]  « Car il a fait des choses terribles », Abayé nous enseigne : il s’attaque plus aux Maîtres de Torah qu’à tout homme. Et justement une fois il est arrivé à Abayé la chose suivante. Il entendit quelqu’un dire à une jeune-fille : pouvons-nous faire la route ensemble ? Abayé s’est dit : je vais les suivre pour pouvoir les empêcher de fauter !  (A l’époque les voyages se faisaient à pied) Il les suivit trois Parsahot (environ quatorze kilomètres) dans le bas-côté du chemin. Quand il les vit se séparer, il les entendit se dire : le chemin était long mais la compagnie fort agréable ! Abayé se dit : si celui qui me hait (c’est-à-dire lui-même en antiphrase) avait été seul avec elle, il n’aurait pas pu se retenir ! Il s’est appuyé sur la barre transversale qui fermait une porte et souffrait. Un vieux est passé [9] et lui a dit : plus quelqu’un est grand, plus son mauvais penchant est grand.’

Notre ambition n’est pas de rentrer dans les détails de ce passage impressionnant. Quelques soient les démarches d’entrée dans ce texte, il y est affirmé que le Yétsèr HaRah laisse tranquille les Nations du Monde et ne s’attaque qu’à Israël. Aussi étonnant que cela puisse être il nous semble que cet enseignement nous éclaire en quoi le ‘Hamets d’un non-juif, selon la démarche défendue par le Gaon de Vilna et le Tsla’h, n’a pas un statut de ‘Hamets, tandis que celui d’un autre Israël en a le statut, même si ce ‘Hamets ne lui appartient pas juridiquement.


[1] Voir le Dagoul Merbava de Rav Yé’hezkel Landau sur les Hil’hot Kidoush, Ora’h ‘Haïm 271, Saïf 1 vers la fin comme quoi le principe de Arvout, de responsabilité collective, ne s’applique pas dans tous les cas (דגול מרבבה סימן רע »א על סעיף א’ בסוף דבריו).

[2] Si tant est que ce cas eût été envisageable pratiquement, voir Tossefot (דף כ »ט ע »א דה »מ בדין הוא דאפילו בתוך זמנו מותר ).

[3] Retranchement de l’âme.

[4] Un Nazir est quelqu’un qui a pris sur lui de s’abstenir du vin durant un temps précis.

[5] La nouvelle récolte de céréale est interdite de consommation avant que ne soit passée la date du seize Nissan.

[6] Ce qui est banni, c’est-à-dire l’idolâtrie.

[7] Ce qui est enfoui dans le cœur de l’homme, c’est-à-dire le mauvais penchant, le Yétsèr HaRah.’

[8] ‘Les ennemis d’Israël’, c’est une sorte d’antiphrase, cela désigne les enfants d’Israël, mais nos Maîtres disent ‘ennemis d’Israël’ pour ne pas sortir de leurs bouches quelque chose de désobligeant.

[9] Traditionnellement on dit que ce vieux était le prophète Elie.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“La propriété dans le ‘Hamets. Traité Pessa’him 5b”

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