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Étude sur le neuf Av. En quoi la mort des Tsadikim lors de persécutions est-elle la souffrance la plus intense ?

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 4 Aout 2024

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Les jours de בין המצרים, des trois semaines de deuil entre le dix-sept Tamouz et le neuf Av, nous interpellent chaque année et exigent de nous que nous nous endeuillions sur la destruction du Temple et la destruction de Jérusalem. Mais cette exigence est quelque part violente car dans la vie de tous les jours, on ne voit pas où le problème se pose. En quoi l’absence du Temple de Jérusalem est-elle un manque véritable dans notre vie ? Certes il y a de l’antisémitisme, des pogroms, des souffrances, mais est-ce de cela précisément qu’il est question dans ce deuil des trois semaines ? Finalement la vie juive de nos jours est sympathique, on peut passer de belles vacances à la montagne dans des hôtels strictement cachères, les synagogues, grâce à D., ne désemplissent pas, on peut y faire des Kidoushs royaux. Où est le problème ? Et surtout une partie importante de notre peuple est installée en terre d’Israël et il est difficile de percevoir que Jérusalem est détruite et abandonnée.

Nous aimerions apporter quelques éléments en abordant la souffrance particulière que représente la mort des Justes lors des persécutions.
Nos Maîtres ont institué de dire lors de la prière de Min’ha du jour du neuf Av les mots suivants :

ויהרגו בזדון חסידי עליון על כן ציון במר תבכה וירושלים תתן קולה, לבי לבי על חלליהם, מעי מעי על חלליהם.

‘Ils ont tué sciemment des ‘Hassidim supérieurs, ceux qui Te servaient avec le plus de ferveur, c’est pourquoi Tsion dans l’amertume pleurera, et Jérusalem donnera sa voix, mon cœur, mon cœur est sur ses cadavres ! mes entrailles, mes entrailles sont sur leurs cadavres !’

I. Que représente Jérusalem dans notre Tradition ? Commentaire du Maharal de Prague au chapitre quarante-sept du Guevourot HaShem.

(Nous proposons notre traduction de ce passage du Guevourot HaShem. Remarque qui nous paraît importante lorsque l’on aborde les textes du Maharal : au début de ses exposés très souvent le Maharal aborde des généralités qui nous paraissent très abstraites et fréquemment incompréhensibles. Mais ensuite, après de longues introductions, soudain il traduit ces abstractions en des termes extrêmement simples et proches de nos préoccupations les plus vitales. Mais on ne peut aborder ces décryptements qu’en ayant la patience de suivre tout son développement)

‘Il est écrit trois fois dans la Torah que les enfants ont eu confiance, Vayaminou, ויאמינו.  Lorsque Moshé est venu les délivrer, le verset dit (Shemot 4,31) ויאמן העם כי פקד ה’ את עמו וכי ראה את ענים, « Le peuple a eu confiance que D. portât Son attention à Son peuple et qu’Il vît leur détresse ». A la traversée de la Mer Rouge, le verset dit (Shemot 14,31) ויאמינו בה’ ובמשה עבדו, « Ils eurent confiance en D. et en Moshé Son serviteur ». Et au sujet de la Montagne de Sinaï le verset dit (Shemot 19,9) הנה אנכי בא אליך בעב הענן למען ישמעו העם בדברי עמך וגם בך יאמינו לעולם, « Voici Je viens vers toi dans l’épaisseur de la nuée pour que le peuple entende lorsque Je parle avec toi, et aussi en toi ils auront confiance pour toujours ». Trois Emounot, confiances, se sont mises à jour avec la Sortie d’Egypte. Sache que ces trois Emounot, ces trois confiances, sont la base de notre Tradition, et que si l’une, à D. ne plaise, vienne à tomber, toute la Tradition en viendrait à chuter.  La première est la Emouna, la confiance, dans l’attention qu’Il porte aux réalités d’en bas, et pas comme disent les hérétiques que D. aurait abandonné la terre, ce qui aurait comme conséquence qu’il n’y aurait aucune raison de Le servir puisqu’Il ne porte pas Son attention, Sa Hashga’ha, aux réalités inférieures pour scruter leurs actes et leur demander des comptes. La seconde Emouna est que tout est dans la Main de D. et qu’il n’y a rien d’extérieur à Lui. Ceci correspond à la confiance dans l’existence de D. ; en fait tous reconnaissent l’existence de D., seulement que l’on ne dise pas, à D. ne plaise, qu’Il n’est pas tout et qu’il serait possible de sortir de Son pouvoir. C’est sur ce point que vient la Emouna de l’existence de D. qu’Il est tout et qu’il n’y a rien hors de Lui. La troisième Emouna est que D. parle avec l’homme et lui donne la Torah. C’est la Emouna que la Torah est divine, vient du Ciel.  C’est pourquoi lorsque Moshé vient les délivrer et que D. a vu leur détresse et qu’Il ne les a pas abandonnés, le verset dit « Le peuple a eu confiance que D. portât Son attention à Son peuple et qu’Il vît leur détresse », c’est la Emouna dans la השגחה, Hashga’ha, dans l’attention.  A la traversée de la Mer Rouge ils réalisèrent la véracité de l’existence de D. et qu’il n’y a rien qui sorte de D., et que tout est en Son pouvoir et dans Ses capacités en cela qu’il changea la mer en terre sèche, c’est ce que dit le verset « Ils eurent confiance en D. ». Et au Don de la Torah, le verset dit « et aussi en toi ils auront confiance pour toujours », ceci est la troisième Emouna.
La finalité de la Sortie d’Egypte fut par les miracles et les prodiges de leur faire acquérir toutes les confiances véritables dont ces trois Emounot qui sont les bases et les fondements de notre Tradition.

La personne qui serait dubitative sur cela se condamne à sa perte, comme la Guemara du Traité Erouvin 19a nous l’expose :

ואמר רבי ירמיה בן אלעזר שלשה פתחים יש לגיהנם אחד במדבר ואחד בים ואחד בירושלים במדבר דכתיב וירדו הם וכל אשר להם חיים שאולה בים דכתיב מבטן שאול שועתי שמעת קולי בירושלים דכתיב נאם ה’ אשר אור לו בציון ותנור לו בירושלים ותנא דבי רבי ישמעאל אשר אור לו בציון זו גיהנם ותנור לו בירושלים זו פתחה של גיהנם.

Rabbi Yérmiya ben Elazar enseigne : le Guihinam, l’enfer, a trois portes, l’une dans le désert, l’une dans la mer, et l’une à Jérusalem. Dans le désert, comme dit le verset (Bamidbar 16,33) « Ils descendirent eux et tout ce qu’ils possèdent vivants dans le néant ». L’une dans la mer, comme dit le verset (Yona 2,3) « Du ventre du néant j’ai prié et Tu as entendu ma voix ». L’une à Jérusalem comme dit le verset (Yéshayahou 31,9) « Paroles de D. dont le feu est à Tsion et la fournaise à Jérusalem », et l’on enseigne dans la Yéshiva de Rabbi Yishmaël : « dont le feu est à Tsion » c’est le Guihinam, l’enfer, « et la fournaise à Jérusalem » c’est la porte du Guihinam, de l’enfer.’

Le Maharal ensuite va entrer dans les détails de ce passage apparemment hermétique de la Guemara. Nous en proposons ici la substance. Kora’h, bien qu’il ait été présent au Don de la Torah au Sinaï, remettait en question le fait que la Torah ait été donnée par D.. Son châtiment fut d’être englouti, lui et tout ce qu’il possédait au plein cœur du désert, endroit où la Torah justement a été donnée. C’est ce que la Guemara dit : il y a une porte du Guihinam dans le désert. Nous pouvons expliquer que cette image de la porte de l’enfer qui se trouve dans le désert est en quelque sorte la parabole de la personne qui ne porte pas confiance à la Tradition qui viendrait du Sinaï. Cette personne erre dans un monde indistinct, où chaque dune ressemble à une autre dune. Cette personne est complètement perdue, c’est cela la porte du Guihinam qui se trouve dans le désert.

Rabbi Moshé ‘Haïm Luzzato, dans le troisième chapitre du Messilat Yésharim (בביאור חלקי הזהירות) compare l’homme qui dénigre l’enseignement des Sages à une personne qui se trouve dans un labyrinthe, s’imagine que ce chemin qui se trouve en face de lui l’amènera à la sortie recherchée, mais ne fera que se perdre encore plus.  Yona était un prophète d’HaShem. Il était bien évident qu’il avait une confiance absolue dans l’existence de D. . Néanmoins il refusait d’accomplir la mission que D. exigeait de lui. Que faire ? Il décida de partir hors de la terre d’Israël, lieu où la Présence Divine, la Shekhina, ne réside pas. Mais l’océan l’engloutit. Et du fond du néant de l’abîme il appela HaShem. Nous pouvons expliquer que cette image de la porte de l’enfer qui se trouve dans la mer représente la parabole de la personne qui vit qu’il y a des forces indépendantes de D., des forces qui fonctionnent pour elles-mêmes. Il y a D., Son existence n’est pas remise en question mais il y a les forces de la nature qui fonctionnent par elles-mêmes, et en suivant ces forces je vais m’en sortir dans la vie. En fait on ne se laisse que s’engloutir. Nos Maîtres ont institué de dire tous les matins le Cantique de la Mer Rouge. Cette institution nous enseigne que la vie du juif ressemble aux enfants d’Israël qui à la sortie d’Egypte se retrouvèrent en face de la Mer Rouge. A gauche il y avait le désert, derrière eux il y avait les Egyptiens qui fonçaient sur eux pour les exterminer, et à droite il y avait les bêtes sauvages. D. transforma l’eau en son contraire, la terre sèche. Tout est dans la capacité d’HaShem. La personne qui ne vit pas cette confiance se laisse engloutir [1] dans les contradictions absolues du quotidien de la vie, comme dit la Mishna dans Pirké Avot (chapitre trois, Mishna 5)

רבי נחוניא בן הקנה אומר כל המקבל עליו עול תורה מעבירין ממנו עול מלכות ועול דרך ארץ וכל הפורק ממנו עול תורה נותנין עליו עול מלכות ועול דרך ארץ.

‘Rabbi Né’hounia ben Hakana dit :  toute personne qui accepte sur elle le joug de l’étude de la Torah, on la débarrasse du joug de la royauté (des sollicitations du pouvoir et de sa politique) et du joug du quotidien (des sollicitations multiples et diverses du quotidien et de la recherche effrénée de la subsistance). Et toute personne qui rejette le joug de l’étude de la Torah, on l’écrase par le joug de la royauté et par le joug de la vie quotidienne.’  Quant à la porte du Guihinam qui se trouve à Jérusalem, nous reprenons les mots du Maharal : ‘Et une porte à Jérusalem, cela correspond à la השגחה, Hashga’ha, à l’attention de D. dans le monde. Et cette notion est perceptible particulièrement depuis Jérusalem que D. protège toujours, comme dit le verset (Yéshayahou 62,6) « Sur tes murailles Jérusalem J’ai posté des gardiens toute la journée et toute la nuit ». Cela correspond au texte de la Tefila, de la prière, que nos Maîtres ont instituée de dire à l’entrée du Shabbat : פורס סוכת שלום עלינו ועל כל עמו ישראל ועל ירושלים, Celui qui étend Sa protection de paix sur nous et sur Son peuple Israël et sur Yéroushalaïm. En effet cette ville, D. la protège toujours, comme dit le verset (Tehilim 127,1) « Si D. ne protège pas la ville, le gardien ne s’investit pour rien ». Et ceci était éloquent lorsqu’Israël faisait la Volonté de D. alors Il portait Son attention pour la protéger. C’est pour cela que la Guemara amène comme preuve le verset d’ Yéshayahou « Paroles de D. dont le feu est à Tsion et la fournaise à Jérusalem ». Ce verset a été dit au sujet de San’hériv, l’empereur assyrien qui venait faire le siège de Jérusalem, où le prophète garantissait que D. protègera la ville que San’hériv ne la détruise pas et qu’elle soit intacte. Et le prophète continue en disant que si quelqu’un n’a pas cette confiance puissante que D. porte Son attention et protège Jérusalem, alors il y a là-bas à Jérusalem même feu et fournaise.’

II. Jérusalem représente la Hashga’ha, l’attention et l’intervention de D. dans l’histoire humaine.

Le Maharal, dans son décryptage de la Guemara du Traité Erouvin 19a, nous prouve que Jérusalem représente l’attention de D. et Son intervention dans l’histoire des hommes. Le verset rapporté par la Guemara a été dit dans un contexte tragique. Après qu’il ait conquis tout le Moyen-Orient et exilé les dix tribus du royaume d’Israël, San’hériv avec sa formidable et invincible armée fait le siège de Jérusalem.
Un juif hérétique, Ravshéké, se joint à San’hériv et, en bas des murailles de Jérusalem, harangue les enfants d’Israël et leur démontre l’inutilité de suivre leur roi ‘Hizkiahou et les encourage à rejoindre les rangs du grand empereur invincible San’hériv et de se soumettre à sa grandeur. Que faire ? Comment tenir bon ? Là-dessus le prophète Yéshayahou explique au nom d’HaShem que Jérusalem peut devenir un vaste brasier intérieur si l’on n’a pas cette confiance profonde que ce n’est pas la puissance des armes et des armées qui protège Jérusalem mais la Emouna dans le Créateur de toute chose.  Ce feu et cette fournaise qui se trouvent à Jérusalem quelque part représente l’impossibilité de vivre, d’exister sans Emouna. Le peuple juif n’existe que si HaShem est auprès de lui et le protège. La personne dont la Emouna n’est pas vivace en elle est écrasée, brûlée, par le tumulte constant des masses qui n’ont de cesse de vouloir éradiquer le peuple d’Israël. La porte du Guihinam qui se trouve dans la mer, c’est l’engloutissement de l’humain qui veut avancer dans la vie, qui veut mettre un pied devant l’autre sans Emouna, mais il est noyé dans les sollicitations permanentes du quotidien. La porte du Guihinam qui se trouve dans le désert c’est l’égarement de la personne qui n’a pas confiance que la Torah vient du Ciel, il se construit des idéologies dans lesquelles il se perd et s’égare.

Le Maharal apporte une seconde preuve à ce que représente Jérusalem du texte de la prière que nos Maîtres ont instituée de dire à la réception du Shabbat le vendredi soir : פורס סוכת שלום עלינו ועל כל עמו ישראל ועל ירושלים, Celui qui étend Sa protection de paix sur nous et sur Son peuple Israël et sur Yeroushalaïm.  Pourquoi à l’entrée de Shabbat faut-il mentionner le fait que D. protège Israël et Jérusalem ? Quel est le lien entre le jour de Shabbat et Jérusalem ? Il nous semble que là est la preuve du Maharal. Il est impossible de respecter Shabbat comme il se doit si on n’a pas la Emouna vivace que l’on est accompagné et protégé par le Boré Olam, le Créateur du monde. A combien d’épreuves la personne qui respecte Shabbat est-elle confrontée ? Durant des générations et des générations, le principal du commerce se passait le samedi. De nos jours combien de jeunes étudiants et étudiantes juifs qui se trouvent à l’université ont des examens le Shabbat ou les jours de fêtes et néanmoins malgré ces impasses respectent Shabbat ! Quelle confiance ! Le respect du Shabbat est le dévoilement de la Hashga’ha, de l’attention de D. vis-à-vis des Ses créatures, comme Jérusalem, c’est-à-dire la pérennité du peuple d’Israël est le dévoilement de la Hashga’ha.

III. Pourquoi attend-on la reconstruction de Jérusalem ?

Hors de notre intention de répondre de manière exhaustive à cette grande question. Nous aimerions, à la suite de ce que nous venons de découvrir, apporter quelques éléments de réponse.

La Guemara au début du second chapitre du Traité Méguila (17b et 18a) analyse la structuration de la prière appelée Shemoné Essré, ‘dix-huit bénédictions’. Il y a une logique précise pour laquelle telle bénédiction suit telle autre bénédiction. Le Shemoné Essré débute par trois bénédictions de Shéva’h, de glorification. Ensuite il y a douze bénédictions de demandes précises. Le Shemoné Essré se conclut par trois bénédictions de remerciements. Nous nous attacherons ici aux dernières demandes précises.
La douzième bénédiction, neuvième des médianes, dit : שובר אויבים ומכניע זדים, ‘Il brise les ennemis et soumet les méchants’.
La bénédiction suivante demande de prier pour les justes, les Tsadikim, les érudits d’Israël, et les Guérim [2], les convertis authentiques. Quel est le lien entre cette bénédiction et la précédente ? La Guemara explique :

וכיון שכלו הפושעים מתרוממת קרן צדיקים דכתיב וכל קרני רשעים אגדע תרוממנה קרנות צדיק וכולל גירי הצדק עם הצדיקים.

‘Et lorsque s’effondrent les impies, s’élève le rayonnement des Tsadikim, comme dit le verset (Téhilim 75,11) « J’abattrai la puissance des impies, s’élèvera la puissance du juste »’

Il nous semble expliquer en d’autres termes que tant qu’il y a les impies qui soumettent le monde à la loi du plus fort, du plus débrouillard, du plus effronté, les justes souffrent à trouver leur place. Lorsque s’effondre l’arrogance de l’impie, le juste commence à émerger, à avoir une place, à respirer.

Continuons.
והיכן מתרוממת קרנם בירושלים שנאמר שאלו שלום ירושלם ישליו אוהביך.
‘Et où s’élève le rayonnement des Tsadikim, des justes ? A Jérusalem, comme dit le verset (Téhilim 122,6) « Demandez la paix de Jérusalem, qu’y soient sereins ceux qui T’aiment ».’

Mais où est l’endroit où ces justes pourront trouver leur tranquillité ? A Jérusalem. Nous pouvons expliquer selon ce que nous avons appris dans le Maharal que Jérusalem est le lieu où se dévoile le lien particulier et vivant entre l’homme et son Créateur, là précisément le juste a du plaisir et de la jouissance, comme dit le verset (Yéshayahou 58,14) אז תתענג על ה’, « Alors tu te délecteras sur D. ». La plupart d’entre nous aimons être pris en charge dans la vie. Nous aimons que les choses roulent, soient prévisibles. Mais que notre vie soit liée à une relation avec notre Créateur, soit dans un relationnel, ce qui, comme tout relationnel, est vivant et non figé, ceci nous est insupportable. Nous aimerions être des machines. Le roi David dit (Téhilim 73,28) ואני קרבת אלוקים לי טוב, « Et pour moi la proximité d’HaShem est bonne », pour David la proximité avec HaShem est bonne, cela signifie que pour les autres cette proximité n’est pas bonne, elle est insupportable. Et où est le lieu de cette proximité ? A Jérusalem. Mais pourquoi à Jérusalem ? Nous avons vu plus haut dans l’épisode du siège de Jérusalem par Sanh’ériv à l’époque du roi ‘Hizkiahou qu’il n’y avait aucune autre possibilité de s’en sortir qu’en tissant un lien effectif et vivant avec le Boré Olam, avec le Créateur, sinon c’était la porte du Guihinam. Il y a plusieurs manières d’aborder les textes prophétiques. On peut les prendre comme des récits historiques, ce qu’ils sont dans une certaine mesure. On peut les écouter et entendre leurs dimensions transhistoriques et relire nos vécus à travers eux. Jérusalem est le lieu où le juste retrouve sa véritable place, au cœur du vivant de la vie, dans du pur relationnel, médié par aucune béquille que l’homme se fabrique. Et là le juste se délecte de cette véritable satisfaction.

Continuons.
וכיון שנבנית ירושלים בא דוד שנאמר אחר ישובו בני ישראל ובקשו את ה’ אלוקיהם ואת דוד מלכם.
‘Et à partir du moment où Jérusalem est reconstruite, alors vient David, comme dit le verset (Hoshéa 3,5) « Après qu’ils soient revenus de l’exil, ils rechercheront leur D. et David leur roi ».’

L’abord habituel est de dire que le roi David, ou tout au moins son descendant le Mashia’h, va venir et ensuite il construira le Temple de Jérusalem. Ici nos Maîtres abordent, par le biais de la rédaction du Shemoné Essré, les choses d’une toute autre manière. Tout d’abord émergeront les Tsadikim qui nous éduqueront à aimer la proximité avec HaShem, et ne pas en être dégouté. Alors émergera la construction de Jérusalem, le lieu destiné à vivre intensément cette relation. Et alors les enfants d’Israël réclameront de vivre véritablement ici dans ce monde-ci cette vie de Torah et de Mitsvot, sans être influencés par les systèmes idolâtres des Nations parmi lesquels ils ont été ballotés. Alors viendra le roi David, ou tout au moins son rejeton. Que signifie ‘le roi David’ ? Nous voyons, lorsque nous étudions le livre de Shemouel qui rapporte les détails du mode d’être du roi David, que celui-ci menait une vie politique complètement originale, paradoxale, et totalement contre-intuitive. Tellement que plusieurs de ses fidèles à un moment ou un autre se sont révoltés contre lui en disant qu’une telle politique ne mène à rien. Ils ne supportaient pas qu’il y ait une manière de vivre le pouvoir soumise au fait qu’il y ait un D. au-dessus de nous.

Continuons.
וכיון שבא דוד באתה תפלה שנאמר ב והביאותים אל הר קדשי ושמחתים בבית תפילתי.
‘Et à partir du moment où vient David, vient la Tefila, vient la prière, comme dit le verset (Yéshayahou 56,7) « Je les amènerai dans ma montagne sainte et Je les réjouirai dans Ma maison de prière »’.

Là aussi nous sommes en face d’un paradoxe, ou tout au moins d’un abord que nous n’aurions pas imaginé. Le Talmud nous aide à lire ce verset connu et rabâché : « Je les amènerai dans ma montagne sainte », c’est la construction de Jérusalem et du Temple. Et alors seulement : « Je les réjouirai dans Ma maison de prière ». Nous pouvons nous poser la question : la Guemara nous dit qu’il y a d’abord la construction de Jérusalem, la venue du Machia’h, le fils de David, et alors commencera la prière : mais où y aura-t-il la matière à prière puisqu’il y aura toutes les félicités ? Nous pouvons comprendre qu’en exil, sous les oppressions nous suffoquons et que nous sommes acculés à prier, mais lorsqu’il y aura la Guéoula, la délivrance finale, où y aura-t-il matière à prier ?  La Guemara nous dit que c’est juste le contraire. Lorsque nous sommes en exil, nous sommes influencés par les Nations du monde idolâtres qui suivent le cours du monde. Certes lorsque quelqu’un croule sous les problèmes il se tourne vers D. en se disant que ça ne peut pas faire de mal, mais s’il avait trouvé d’autres solutions terrestres cela aurait été mieux. C’est ce que d’aucun appelle ‘l’opium du peuple’. Avec la construction de Jérusalem vient alors la Tefila, la prière, c’est-à-dire que l’on réalise avec joie que notre vie est dans une relation intense avec notre Créateur, chaque microélément de notre vie, comme dit justement le roi David (Téhilim 109,4) ואני תפילה, « Et je suis Tefila ». Toute ma vie, c’est Tefila, tous les détails de la vie. L’innovation est que nous croyons de manière première que la prière est une manière de nous débarrasser de nos problèmes. La Guemara nous enseigne que la Tefila est l’aboutissement. Notre vie, l’aboutissement de notre vie, est d’avoir une relation avec La source de notre vie par la Tefila. Les manques que nous avons dans la vie ne sont pas des accidents malencontreux mais sont là a priori pour que l’on se lève et que l’on demande à HaKadosh Barou’h Hou.

Maïmonide explique au début des lois relatives à l’idolâtrie que les idolâtres anciens ne niaient pas qu’il y ait un D. Créateur, seulement ils se sont imaginés dans leurs pensée ineptes que celui-ci avait abandonné le monde aux forces de la nature. Alors comme tout humain a besoin de spiritualité, ils ont inventé des protocoles, des cultes, du cinéma religieux l’un plus spectaculaire l’un que l’autre. La Guéoula c’est retrouver ce lien vivant dans la vie de tous les jours, qui se vit au sein de Jérusalem.  Et quelque part c’est découvrir que j’existe, que je ne suis pas balloté par ces forces multiples et diverses du monde.

Nous pouvons maintenant entendre l’enseignement de Yéhouda ben Téima dans Pirké Avot (chapitre 5, Mishna 20 ou 23 selon les éditions) sous forme de Tefila : יהודה בן תימא אומר יהי רצון מלפניך שיבנה בית המקדש ותן חלקנו בתורתך ‘Yéhouda ben Teima dit : que soit la Volonté devant Toi que se reconstruise le Temple et donne notre part dans Ta Torah.’

La question se pose : quel est le lien entre la reconstruction du Temple et que l’on ait chacun d’entre nous une part spécifique dans la Torah de D. ?  Il ressort de notre étude que l’exil est de percevoir sensitivement que le monde procède par lui-même. On peut être juif pratiquant mais on est dans un monde qui procède pour lui-même, notre but est de nous insérer dans la société, d’entrer dans les codes politiques de cette société. Nous n’imaginons pas que D. me donne de l’existence à moi, qu’Il porte de l’attention à moi, comme à toi d’ailleurs. Je n’imagine pas que moi dans ma simplicité de ce que je suis j’aie une part spécifique, inédite dans la Torah. Il y a la Torah et bien loin derrière cela il y a moi, petit machin abandonné. Là est la catastrophe de l’exil, de la destruction du Temple.

IV. Le Temple comme réactualisation du Jardin d’Eden. Étude d’un passage du Alé Chour de Rav Shlomo Wolbe, premier tome, seconde partie, chapitre 16.

La Guemara enseigne dans le Traité Shabbat 119b :
אמר ריש לקיש כל העונה אמן בכל כוחו פותחין לו שערי ג »ע שנאמר פתחו שערים ויבא גוי צדיק שומר אמונים אל תקרי שומר אמונים אלא שאומרים אמן מאי אמן א »ר חנינא אל מלך נאמן.
‘Reish Lakish nous enseigne : toute personne qui répond Amen avec toute sa force, on lui ouvre les portes du Jardin d’Eden, comme dit le verset (Yeshayahou 26,2) « Ouvrez les portes et que vienne le peuple Tsadik qui a gardé la confiance, la Emouna ». Ne comprends pas « qui a gardé la Emouna », mais « qui a dit Amen ». Rabbi ‘Hanina dit : que signifie le mot Amen ? C’est l’acronyme de El Melekh Nééman, D. Roi de confiance.’

Rabbi Shemouel Eliezer Eidels, le Maharsha, dans son commentaire sur cette Guemara explique :
‘Le jardin d’Eden possède beaucoup de portes, des péristyles derrière d’autres péristyles, des pièces derrière d’autres pièces. Nos Maîtres disent que la personne qui répond (à une bénédiction) Amen de toute sa force on lui ouvre toutes les portes de toutes ces pièces pour qu’elle puisse entrer dans le Jardin d’Eden’.

(Langage de Rav Wolbe)
‘Dans le monde qui a suivi la faute d’Adam nous nous trouvons dans un monde où quelque part D. se cache, הסתר פנים, Ester Panim. Il est possible de percevoir que le monde est détaché de son Créateur et procède par lui-même, c’est ce que l’on appelle ‘la nature’. De même, il est possible de regarder l’histoire comme une suite d’événements qui ont été induits par des données sociologiques, psychologiques, historiques. Dans notre vie individuelle, nous sommes tentés de voir nos réussites comme le résultat de nos talents, de notre esprit d’entreprise, de la force de nos poignets, כוחי ועוצם ידי. Nous sommes aussi à voir nos échecs comme le résultat de causes externes, d’accidents. Petit à petit se dresse un écran de fer entre l’homme et son papa qui est dans le Ciel. La Emouna dévoile la présence du Créateur du sein même du caché, et brise cet écran de fer entre la création et son Créateur. La personne qui répond Amen avec toute la force de sa Emouna s’ouvre devant elle les portes du Jardin d’Eden : elle se trouve au sein de ce monde du caché mais elle voit en face d’elle le monde dans sa situation réparée. Le reflet de la Emouna qui scrute les pièces de la création dévoile que la création n’est pas ‘nature’, que l’histoire n’est pas une suite d’accidents, que nos actes ne sont pas débrouillardises. (…) Le D. Roi de confiance l’accompagne dans tous les chemins de sa vie.’

Mais qu’est-ce que le Jardin d’Eden, Jardin de délice, de douceur ? La Guemara dans le Traité Sanhédrin (59b) explique :
היה ר’ יהודה בן תימא אומר אדם הראשון מיסב בגן עדן היה והיו מלאכי השרת צולין לו בשר ומסננין לו יין.
‘Rabbi Yéhouda ben Teima [3] disait : Adam était attablé dans le Jardin d’Eden et les anges du services lui grillaient de la viande et lui filtraient le vin.’

Rav Wolbe [4] explique que cette image des anges du service qui sont aux petits soins envers Adam signifie que le Jardin d’Eden est la perception que les forces de la nature, les anges du service, sont au service de l’homme, que l’homme n’est pas abandonné dans un monde dans lequel il n’a pas sa place. Ce monde a été créé et fonctionne pour lui, comme nos Maîtres nous enseignent (Traité Sanhédrin 37a):
כל אחד ואחד חייב לומר בשבילי נברא העולם. ‘Chacun et chacun a l’obligation de se dire : c’est pour moi que le monde a été créé.’  Et là se trouve le délice de ce jardin.  Le désastre de la destruction du Temple est la perte de ce délice de l’existence.

V. La perte des Tsadikim est pire que la destruction du Temple.

Traité Rosh HaShana 18b.
La Guemara énonce les différents jeûnes que l’on doit faire durant l’année. Le dix-sept Tamouz, le neuf Av, le 10 Tevet et aussi le trois Tishri. Les trois premiers sont liés à la destruction de Jérusalem et du Temple. Mais que représente le trois du mois de Tishri ?
ג’ בתשרי שבו נהרג גדליה בן אחיקם ללמדך ששקולה מיתתן של צדיקים כשריפת בית אלוקינו.
‘Le trois Tishri, jour où Guedalia ben A’hikamaa été assassiné. Ceci t’enseigne que la mort des Tsadikim, des justes, est équivalente à la destruction par le feu de la Maison de notre D.’.

Le Midrash va encore plus loin (Yalkout Shimoni sur Yéshayahou 29,1) : קשה הוא סילוקן של צדיקים לפני מי שאמר והיה העולם מחורבן בית המקדש. ‘Plus dure est au Yeux de D. la disparition des Tsadikim’.

Quel est le lien entre la perte des Tsadikim et la destruction du Temple, et où y a-t-il place pour dire que ces disparitions seraient encore plus sévères que la destruction du Temple ?  Il nous semble expliquer ainsi. Le verset dit (‘Habakuk 2,4) : הנה עופלה לא־ישרה נפשו בו וצדיק באמונתו יחיה. « L’âme de l’impie est perturbée, elle n’est jamais tranquille (il en veut toujours plus), et le juste vit dans sa Emouna, dans sa confiance ».

La vie quotidienne du juste est dans le dévoilement de cette Emouna, de cette proximité au sein du quotidien avec le Créateur. Lorsque le juste disparaît, même si nous nous renforçons intérieurement sur notre Emouna, néanmoins le dévoilement de cette Emouna s’est brisé.
Nous avons étudié plus haut qu’une des portes du Guihinam se trouve à Jérusalem. Le Maharal nous a aidés à comprendre qu’à Jérusalem, lieu spécifique où l’humanité se connecte intimement avec son Créateur, si on ne se relie pas justement avec Sa proximité, si l’on ne perçoit pas Sa Hashga’ha, Son attention, alors on est grillé dans le four des incertitudes et des désarrois constants de la vie. L’impie qui ne veut pas se relier avec HaShem de manière puissante, se perçoit comme ‘Habakouk le décrit : perturbé et jamais tranquille. Alors percevant qu’il y a des justes qui ne vivent pas le même enfer que lui, le même vide existentiel que lui, la même panique intérieure, l’impie dira que son enfer est de la faute du juste. Pourquoi y aurait-il des gens heureux alors que ma vie est horrible, alors que ma vie est un enfer ? C’est lui la source de tous mes problèmes. Mort aux juifs [5] !  Et D. a fait l’homme libre. L’impie peut arriver à ses fins. Et ceci est une grande souffrance. Peut-être n’y en a-t-il pas de plus grande.

[Nous ne cherchons pas à expliquer le pourquoi de ces souffrances et de ces malheurs. Il est possible de donner de multiples explications sur la mort violente des Tsadikim mais la compréhension juste vient des pleurs car on pleure lorsqu’on est submergé par ce que l’on vit. Et la mort sous persécution des justes est une souffrance qui dépasse l’intellect. L’intellect est limité. L’intériorité de notre cœur touche l’infini.]


[1] L’expression populaire est de dire : je suis sous l’eau.

[2] Que viennent faire les Guérim, les convertis authentiques, au milieu des sages et les justes d’Israël ? Le Maharal explique dans son ouvrage Nér Mistva qu’un non-juif qui vient s’associer au peuple juif sans intérêt des intérêts du monde et assume d’être déclassé comme immigré au sein même du peuple juif, est considéré comme un sage du peuple juif et quelqu’un qui apporte par la simplicité de sa démarche au peuple juif.

[3] C’est le même Maître que nous avons vu dans le paragraphe précédent.

[4] Je ne retrouve plus la référence de cette explication.

[5] Ou bien, c’est à cause des religieux ces parasites qu’il y a des problèmes en Israël.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Étude sur le neuf Av. En quoi la mort des Tsadikim lors de persécutions est-elle la souffrance la plus intense ?”

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