בס »ד
שבעה דנחמתא – les Semaines de Consolation – 5776 par Rav Emmanuel GIES
נחמו – נצבים – roch hachana
Du 17 Tamouz à roch hachana (RH) ce sont 10 semaines, qui terminent l’année, et dégagent l’horizon des fêtes de Tichri. Ces 10 semaines se subdivisent comme suit : les Trois Semaines, de deuil, entre 17 Tamouz (Veau d’Or[1], invasions de J’lem[2]) et 9 Av (Explorateurs[3], destruction des Temples), puis, Sept Semaines de consolation, qui mènent du 9 Av à RH. On lit alors, chaque chabath, des haftaroth tirées de la prophétie de yecha’yahou (Isaïe), annonçant la Dernière délivrance (rétablissement d’Israël sur sa terre dans l’abondance et la sécurité, reconnaissance par les Nations de sa centralité autour du 3° Temple et du règne de David).
Ces textes ne concernent pas l’apanage qui rétribue les serviteurs de hachem dans le Monde à venir. Ceci est du ressort de l’indicible[4]. Ce qu’exposent ces prophéties, c’est la chelémouth – שלמות – plénitude à laquelle peuvent aspirer créatures et Création en ce monde. Ce monde – ci ne saurait prétendre qu’à configurer la représentation la plus fidèle de la plénitude à venir, celle du monde futur. Lorsque c’est le cas, c’est l’époque messianique (rétablissement, reconnaissance, 3° Temple). C’est la Délivrance dernière. Dernière, parce qu’elle préfigure l’état futur, elle constitue l’évolution ultime de l’Histoire, avant son accession au ‘olam haba (monde à venir). Elle fait donc parvenir ce monde à maturité, au point de mutation en « à venir », et comme telle, elle est vouée par essence à lui laisser la place. A disparaître pour faire place au futur. Elle est donc bien Dernière. Mais la satisfaction de l’être dans son amplitude la plus totale ne se réalise que dans le monde à venir, le ‘olam haba, lequel, ici, ne se trouve qu’à l’état d’allusion. La CHeLeMouth véritable, celle du futur, notre monde dans sa plénitude messianique en est le MaCHaL – image, représentation et métaphore. CHaLoM שלם et MaChaL [5]משל.
« Tous les prophètes » disent nos sages (chabath 63) « n’ont prophétisé leurs consolations que pour l’époque messianique, mais pas pour le monde futur ». Les prophètes étant de ce monde, il faut savoir que tous les éléments de plénitude dont sont emplis leurs livres, ne décrivent que la plénitude de ce monde, et non celle du monde futur. Et ce, non parce que la réalité du monde à venir est de peu d’importance dans le vécu juif. Elle fait au contraire l’unanimité de nos décisionnaires[6], qui ont arrêté que, celui qui ne vit pas, ici, dans la conscience de l’examen du quotidien de ses actes par la Providence, pour lui en faire vivre là-bas la réalité (bien pour la bonne action, le meilleur pour la meilleure) il lui manque le pilier de l’existence juive, et très logiquement, il ne sera pas dans le monde futur. Il vit l’immédiat, ne lui reste que l’immédiat. La posture qui consiste à ne vivre l’instant que comme opportunité de semer un futur durable est donc primordiale, et même, raison d’être. C’est elle qui déclenche le processus de Création[7].
Mais pour autant, quelle que soit la prépondérance du ‘olam haba, la Thora ne saurait parler que vrai[8], c.à.d. réel et recevable. Le réel recevable en nous, c’est que ce futur n’est qu’interprétation de notre réel[9]. Et c’est pourquoi, moché ne nous en parle dans sa Thora que sur le mode de l’interprétation ou de l’allusion. On n’y trouvera des garanties d’abondance, de sécurité, de pleine sensation d’être enfin, qu’exprimées dans notre vocabulaire actuel, nos mots d’ici et de maintenant. Que des mots qui décrivent la plénitude de l’être-ici. Abondance, protection etc.
C’est d’ailleurs cette articulation entre plénitude d’ici et de là-bas, en même temps lien et différenciation qui fait la charnière entre la dernière paracha de va’éthh’anan et la première de ‘ékev[10].
1.
Fin de va’éthh’nan :
7, 9 : « Reconnais donc que hachem, ton D-ieu, Lui seul est maître du monde[11], Il est donc capable de concrétiser Ses engagements : l’alliance et la bienveillance à ceux qui L’aiment et obéissent à Ses lois, jusqu’à la millième génération; 10 mais Il punit Ses ennemis directement, en les faisant périr, et ne retarde point, à l’égard de Son contempteur, le paiement qui lui est dû.11 Tu observeras donc la mitsva (les actions par lesquelles tu lies ton existence à celle de Hachem), et les lois et les jugements[12] que Je t’ordonne en ce jour de faire ».
Où et quand, dans notre monde, voyons-nous ‘Ses ennemis périr directement’ et ‘Ses contempteurs recevoir leur châtiment sans ajournement’ ? Bien au contraire, au sein du PJ comme au dehors, ce sont bien Ses ennemis qui engraissent, et Ses contempteurs qui font florès ![13]
Aussi, rachi nous éclaire ce texte par un petit commentaire, mots courts mais ciblés, à son habitude : ‘Il punit Ses ennemis directement’, fait remarquer rachi, est dit, littéralement dans les mots suivants : Il paie, rembourse à Ses ennemis directement pour leur perte. Ce qui signifie, explique-t-il, que hachem les rembourse de leur vivant ce qu’Il leur doit pour leurs mitsvoth accomplies en ce monde, afin qu’ils soient défaits du monde futur. Lo ye’aH’eR lesson’e’o לא יאחר ,’Il ne retarde point à Son ennemi’, signifie qu’Il ne donne pas à Son ennemi un aH’aR / un ‘après’ אחר , un maH’aR / lendemain. Un futur. Au contraire, le paiement des mitsvoth de Son ennemi, c’est אל פניו , de son vivant qu’Il lui paye (comme dans על פני תרח אביו ; ou bien encore על פני אהרן אביהם beréchith 11, 28 et bemidbar 3, 4). Dans sa direction à lui. PaNim, la face, la direction, vers où sa face se dirige. « Il lui paye vers sa face », Il lui paye, lui complète (rembourse leCHaLeM) là vers où il va. Il ne va, le disssocié de hachem, que vers ici, et puisque son objectif reste dans cette terre, hachem lui donne l’aboutissement de ses mitsvoth dans la monnaie de cette terre. Il les en-terre. Les ensevelit.
Et dans le verset suivant, rachi enfonce le clou. ‘Tu observeras la mitsva… que Je t’ordonne en ce jour de faire’ : faire, accomplir, s’accomplir et se réaliser, c’est en ce jour, dans ce monde-ci, commente rachi, et c’est demain (maH’aR) qu’on recueille les fruits de son propre accomplissement[14].
Autrement dit, d’après rachi, ce passage s’éclaire comme suit : tu attendras, tu observeras, tu réaliseras la mitsva, ce qui lie, ce qui fait de toi un ami dans ce monde-ci (le seul dans lequel tu peux choisir tes amis), afin de n’être pas un ennemi, lequel ne vit que l’illusion de pouvoir s’organiser seul, en opposition avec hachem. Il ne profite pas de sa liberté d’ici pour se créer sa vie future, seule durable (en se liant à la Source de vie).
Petite explication. Ce qui précède peut être dit comme suit : hachem, en créant l’homme dans ce monde ci, lui donne un potentiel de vie, à réaliser dans le monde futur, dans la mesure où il choisit d’utiliser ce potentiel pour se lier (mitsva) à Lui. Seul l’ami vit ; puisque la Source de vie, c’est Lui, et celui qui ne se lie pas à Lui, n’a donc pas de racines dans la source de vie. Il n’a qu’une vie contingente, limitée, réduite à l’instant ; l’inverse de la vie, donc, de la pérennité.
De même, il ne saurait non plus être lié aux vivants, aux créatures dont le vivant provient précisément de Lui. S’il se présente comme tel – ami des créatures – ce ne saurait être que méprise, tromperie ou traîtrise. En vérité, un tel homme ne saurait que les en-terrer.[15]
Note 1 : maH’aR – lendemain, est vu, compris par les h’akhamim comme faisant référence au monde à venir – celui de l’épanouissement du salaire. maH’aR littéralement : lieu / moment de ce qui est entraîné à la suite (aH’aR) de l’aujourd’hui – notre monde étant celui de l’effort du choix.
C’est parce que la guerre contre ‘amalek concluent nos efforts en ce monde pour y faire régner hachem, que la notion du « demain » y est récurrente. Voirchemoth 17, 9, esther 5, 8, et chemouel I – 28, 19.
Note 2 :
Ésav et yichmaël.
L’un affirme qu’il n’y a pas de vie autre que celle d’ici. Il hait D-ieu et Son peuple parce qu’il veut pouvoir tranquillement gérer son maintenant tout seul, sans D-ieu et Son projet ; il veut pouvoir vivre tranquille dans l’illusion qu’il n’a de compte à rendre à personne, même si, au fond de lui, il sait que cela implique l’enterrement de sa vie dans cette Terre, et la renonciation à tout futur durable[16].
L’autre affirme qu’il n’y a de vie que dans le Paradis futur, conteste donc, toute possible gestion du présent comme préparant ce futur : détruit les monuments, les lieux de vie (bourses, marchés etc.),se vante d’aimer la mort, et manifeste sa haine du D-ieu vivant et de Son peuple, particulièrement lorsque ce dernier est dans sa terre, en eretz yisraël, lieu de prédilection pour donner, ici, à la vie future, une racine. eretz hah’ayim.
Dénominateur commun à ésav et yichmaël : ils nient l’existence d’une alliance qui lie l’ici au là-bas – là-haut, plutôt – le maintenant au demain. Ils ne connaissent pas le chemin qui va du Ré_CHith/ראשיתdébut/projet au AH’aRith/אחרית fin/finalité. Ceci est l’apanage de « ceux dont les pieds se sont tenus au Mont Sinaï », fils de l’alliance בני ברית , filiation certifiée d’avraham, premier « aimant D », premier « ami de D – ידידיה ». Alliés de D-ieu, alliés des créatures, liant la Terre au Ciel, l’ici au là-haut. Amis de la vie. De la vraie – parce qu’elle va jusqu’à l’au-delà d’ici – contrairement au système d’essav. Vraie parce qu’elle se construit dans le réel d’ici – contrairement au système de yichmaël.
Il ressort de ce texte, que la mitsva a son salaire dans le monde futur. Ce n’est que là-bas qu’elle fructifie, qu’elle s’exprime pleinement.
Est-ce à dire que nous n’attendons rien dans ce monde-ci ?
2.
Début ‘ekev :
7, 12 : « La finalité – עקב ‘eKeV (litt. talon, fin de la stature humaine) de votre écoute de ces lois sera que hachem sera fidèle à l’alliance et la bienveillance qu’Il a juré à vos Pères. Il te fera aimer (par les nations), te donnera l’abondance, te grandira (comme dans ‘grand homme’)… il n’y aura en toi rien de stérile ». Toute entreprise aboutit, aucun effort n’est vain. Tout travail construit l’avenir, et est ici et maintenant, visible comme constructeur. Tout potentiel laisse voir la puissance de son réel, l’avenir éternel dont il est porteur. Le futur n’est plus au conditionnel, mais participe du présent, participe au présent[17].
Cette description est celle de l’époque messianique de notre monde : reconnaissance des nations, abondance, Présence divine manifeste déjà ici et maintenant, dans tout objet, dans toute action.
Il ne Lui suffit pas de nous assurer que nous sommes bien le peuple de l’Alliance (fin va’éthh’anan), que nous sommes ceux qui peuvent, par leur choix, construire l’avenir, le demain – l’être avec (Lui). Encore veut-Il, encore voulons-nous que notre capacité de production d’avenir soit visible et reconnue aujourd’hui, dans l’ici et maintenant[18]. A cela, une condition : עקב תשמעון que votre écoute parvienne jusqu’au talon.
3.
Explication.
Rachi dit : si vous arrivez à avoir une écoute même pour les mitsvoth que l’on foule d’ordinaire aux talons.
Le talon eKeV est cette partie du corps la plus éloignée de la tête – R_oCH ראש – de la pensée, d’un projet. Il fonctionne comme par lui-même, sans y penser. A la limite, il ne semble pas avoir besoin de vie pour fonctionner. C’est par excellence, le mouvement animé qui nécessite le moins de tête, de réflexion. Un peu comme un poulet, qui, ½ heure après la cheh’ita, après avoir perdu la tête, peut continuer à courir.
Si tout notre être se porte à l’écoute des jugements de la Thora, on finit par avoir une maîtrise totale de soi. Même de nos instincts les plus basiques, même de nos traits de caractère les plus innés, les plus automatiques. Ceux que nous voyions naguère comme inhérents à notre être. Lorsqu’on arrive à mettre la tête dans le talon, on cesse d’être bête comme ses pieds pour devenir celui dont l’intelligence est une telle plénitude, qu’on pourra dire d’elle qu’elle a des pieds sur terre. Une démarche, enfin (souguya en araméen, pour ceux qui savent). Un יעקב – ya’_aKoV. Mais oui, vous savez bien, celui qui avait une échelle[19], qui était une échelle dont les pieds étaient sur terre et la tête au ciel. Dont la tête arrivait au ciel (שם – là-haut, jusqu’à son devenir) parce que ses pieds étaient érigés solidement sur Terre. Je veux dire, celui dont on voit les pieds établis sur Terre, parce qu’il ne tire, il ne tracte, il ne produit son existence que de sa tête qui elle, n’est que dans le céleste, le là-haut où il veut parvenir. Ses pieds sont établis sur terre, parce qu’il les ‘entête’, il s’entête à les jumeler avec ce que sa tête conçoit de céleste[20].
Et, encore une fois logiquement, lorsque l’écoute de Ses Lois est confrontée à notre vécu, raisonnée, au point d’en faire résonner nos talons, de résonner jusque dans nos ‘talons’[21], alors hachem investit notre réalité terrestre – Son marchepied de toute Sa présence possible : reconnaissance des Nations, abondance etc. Son projet, le « bien[22] » – טוב
Répétons : les « fils de l’alliance », nous sommes et nous le restons quoi qu’il arrive[23]. Quoi que nous choisissions d’être, nous portons Sa filiation (pas plus qu’un fils de chair et de sang ne peut éluder son père). Autrement dit, de toute manière, nous témoignons de Son projet[24], nous portons ‘Ses gênes’ dans un autre milieu que le Sien (sur Terre ; alors que Lui c’est dans le Ciel qu’est Sa résidence [‘aleynou lechabé’ah’] – maharal). Mais lorsque nous adoptons Son « caractère » – midoth, lorsque nous suivons Ses voies et que nous en devenons réflecteurs jusqu’aux « talons » de notre être, la Terre ne se contente plus de n’être que la matière première du ciel, notre univers ne se suffit plus d’être seulement voué à disparaître au profit du monde à venir : il se révèle alors être déjà marchepied vers l’avenir.[25]
4.
C’est ce manque de visibilité de l’avenir dans notre présent que nous avons pleuré le 9 av. Celui qui pleure ne peut voir. Il ne peut pas non plus parler, formuler – donner une forme, un pro-jet[26] – à ce qu’il est en train de vivre.
C’est le 9 av que nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd’hui : un peuple sans avenir visible, parce que sans racines en Terre, quoiqu’en disent de doux rêveurs, illuminés ou illusionnistes, qui prennent chimères pour réalité. Sans terre à partir de laquelle construire un avenir, sans terre dans laquelle enraciner un avenir. Sans reconnaissance des Nations, mais dans l’ire et le mépris continuel, quand ce n’est pas l’éruption sanglante de fer, de feu et d’eau. Sans abondance, mais dans l’appréhension perpétuelle de la crise du lendemain – sociale, politique ou économique.
C’est le 9 av qu’a été détruit le beyth hamikdach, lieu de connexion visible entre la Terre et son avenir céleste. Lieu inspirant la crainte[27] du Ciel à tous les hommes, parce que lieu de visibilité du Ciel en Terre. Lieu d’où, par nos offrandes, s’écoulait la bénédiction divine dans nos entreprises, et, par delà, au monde entier.
Alors, devant ses ruines, devant la ruine d’un avenir perceptible, nous avons porté le deuil comme le fait « celui dont un proche est là, devant lui, sans vie – כמי שמתו מוטל לפניו » (tha’anith 30b). Nous avons porté le deuil de notre mort dans ce monde. Non parce que l’Alliance est dénoncée et que nous ne serions plus capables – à D. ne plaise – de construire l’avenir par nos actions présentes ; non parce que la Thora, ce chemin d’ici jusqu’au Ciel nous serait enlevée. Mais parce que cette construction toujours possible et encore seule raison d’être ne se matérialise plus sous nos yeux, et que, ce que nos yeux voient, c’est une société perdue, désorientée sans rime ni raison, qui s’éloigne de plus en plus de sa Source, et donc, de son aboutissement. Une société humaine qui a bouté Le seul digne de porter la couronne du roi, pour en accoutrer des arlequins, des augustes, de mesquins pantins enfin, pantins articulés par leurs petitesses, corporatismes ou égocentrismes ; quand ce ne sont pas plus simplement, de grotesques clowns, sanglants et avides.
5.
Et c’est parce que nous l’avons pleuré 3 semaines durant, que nous nous sommes mis en l’état de requête. Nous allons demander une seule chose, durant les Journées Formidables, du 1er au 10 thichri[28]. Lisez dans un mah’zor le texte inséré par nos Sages dans la 3ème bénédiction de la ‘amida de RH et Kippour. Ce n’est que cela qu’il s’agit : la transformation de la société des homme en lieu de crainte du Ciel, disparition du mal, honneur retrouvé du PJ et des justes.
6.
Les 7 Semaines de Consolation sont dès lors naturellement adossées aux 3 semaines de deuil, afin de leur articuler l’arrivée des jours de respect, considération et joie que sont les fêtes de thichri. Une fois actée la dérive de la société par rapport à son ancrage dans le projet divin tel qu’écrit et parlé dans la Tora Orale et Ecrite ; conscients de la réduction, du rabais de l’humanité d’aujourd’hui, en regard du plein développement de sa stature lorsque son avenir se reflète dans son quotidien – travail des 3 Semaines – nous sommes alors en mesure de souhaiter, d’implorer, de supplier, de demander la révélation de hachem, de la Raison enfin,comme seul maître du monde, et la configuration du monde comme réceptacle de Son projet seulement. Eh ! oui, nous venons bien de constater avec le 9 av, à quel point la tentative de substituer tout autre projet que le Sien pour structurer notre univers ne conduit qu’à l’échec et à la catastrophe.
7.
Ce qui précède nous permet de comprendre le sens du mot נחמה consolation.
Car cela posé, encore nous faut-il éviter l’écueil du désespoir.
La raison pour laquelle on ne passe pas du 9 av à RH directement, mais par une transition de Semaines de Consolation, c’est que l’intégration de l’échec, seule, est risquée. La prise de conscience d’un échec peut engendrer dépression, abandon de tout projet de vie structuré sur le long terme voire suicide. Contre productif, reconnaissons-le. Pour que le deuil de 3 semaines rebondisse sur un avenir et ouvre les portes de la consolation, il nous faut lui faire suivre une compréhension nouvelle de notre quotidien. Il faut que l’on arrive à entrevoir dans notre réalité défaillante du maintenant, le reflet de l’accomplissement et de la plénitude de demain.
C’est ce changement d’humeur, cette métamorphose, qui s’appelle נחמה – néh’ama. Ce terme signifie aussi bien changement d’avis, que consolation. Car en effet, se consoler, c’est sortir de la prison que nous avons dans la tête, construite par les malheurs dont nous avons-nous-même tissé la toile, par nos choix. C’est porter un regard d’avenir sur une condition de vie que l’on ne concevait à l’instant, dans notre malheur, que comme autant de conditions de détention.
8.
Les oreilles fines et les cœurs sensibles auront analysé que la transformation de la consolation n’est pas une transmutation. Le monde de la néh’ama ne se construit pas seulement sur l’éradication du monde défaillant. Il y a dans la racine du mot נחמה le radical נח qui renvoie à une notion de guidance aboutissant au repos, au soulagement de l’arrivée à terme. Hachem, lorsqu’il nous envoie par Ses prophètes Ses garanties de bonheur final pour l’humanité, n’en parle pas comme d’un changement d’humeur (da’ath thevounoth). Il ne s’agit pas pour Lui, de laisser le monde s’abîmer dans le chaos de ses propres pulsions dans un premier temps, pour ensuite amener l’équilibre et le repos du temps de la délivrance, sans corrélation aucune, deus ex machina.
Bien au contraire, c’est le monde qu’Il a créé à partir des ténèbres qui accouche de la lumière. La Consolation, ce n’est pas de prendre l’esclave et de l’élargir – passer à autre chose. Certes, on peut consoler un affligé en tentant de lui faire oublier ses fléaux, en le divertissant de sa misère par des images de bonheurs. Mais ce serait alors simple refoulement et perte de conscience, chimères. Laissons cela à Hollywood et aux multinationales des jeux de cirque moderne que sont les commerçants du multimédia. Non, le projet de l’Intelligence divine, c’est de faire croître le salut à partir de la faillite. La vraie consolation, c’est de provoquer l’élargissement à partir de la détresse. C’est faire voir que c’est du lieu même de la détention que procèdera la libération. Il y a dans ces prophéties, outre la garantie de prospérité et de plénitude finale, une exigence. Voir dans les défaillances actuelles la source des bonheurs futurs. Voir les faces sombres de notre condition comme catalyseurs de la réaction produisant le rayonnement de lumière dans lequel nous allons être immergés.
Hachem ne nous a pas envoyé Ses prophètes, simplement, pour nous rassurer. Pour nous parler d’avenir. Maintenant tu souffres, mais demain ça ira mieux. Il nous les envoie pour nous faire voir dans les déficiences du présent les germes de la plénitude future. Pour les faire dire[29] la plénitude future. « Il n’y pas de tristesse dans le monde » – écrit le ha’zon ich – « pour celui qui reconnaît la lumière de la vérité ». C’est précisément parce que tu es promis à une plénitude totale, à une proximité indicible avec le Créateur, que, aujourd’hui, tu es dans le manque, dans la détresse.
Non, les imbéciles, non, ne sont pas heureux. Ils sont sans doute déconnectés de la réalité. Mais, l’Intelligence du monde que hachem partage avec ceux qu’Il choisit, avec ceux qui Le choisissent, ça, c’est le vrai bonheur. La stabilité indéboulonnable.
Tout cela est écrit en toutes lettres, si l’on prend la peine de savoir lire, en thelim 84, 6 :
« Heureux / stables sont ceux qui habitent (dès maintenant, dans l’exil) dans Ta maison, sans cesse (de ce monde-ci jusque dans l’autre monde) ils réciteront Tes louanges. Solide est l’homme dont la force est en Toi, qui nivèle dans son cœur des routes jusqu’à Toi[30]. Traversant la vallée des larmes, ils en font un pays de sources[31], qu’en outre une pluie précoce couvre de bénédictions ».
9.
C’est ainsi que nous seront pleinement présents aux Jours Formidables de thichri.
C’est en effet sous cette forme que nous allons interpeller le Créateur à RH : « purifies nos cœur pour Te servir en vérité ; car Tu es D-ieu vrai, et Ta parole est vraie et durable jusqu’à l’aboutissement » (prière).
Cette conclusion – ‘Ta parole est vraie…’ dans la prière de RH – est, comme par hasard la même que celle de la première des bénédictions qui suivent toute haftara – lecture dans les Prophètes qui parachève la lecture publique de chabath et des fêtes. Les prophètes n’ont été suscités que pour porter la parole de la Thora[32] dans la société des hommes. Cette société qu’on disait (devar devarim – h’azon 773 et h’azon 771) peuplée du peuple de Gomorrhe, et gouvernée par les princes de Sodome.
N’ayant pas rejeté la conscience de nos manquements grâce aux Trois Semaines, et ayant entrevu en eux les signes d’une vitalité régénérante grâce aux Sept semaines, nous sommes prêts à nous tenir devant Lui au jour du Jugement pour Lui exprimer notre être entier dans cette seule demande : donne au monde, en entier, la structure de vérité qui est dans Ta parole créatrice. Car elle seule est la vérité du monde dans son cheminement depuis la Création de la matière jusqu’à l’avènement éclatant de son esprit.
En d’autres termes : nous ne voulons exister que pour que Ton projet se réalise, et nous voulons que sa réalisation future, dès maintenant, ordonne, améliore et harmonise notre quotidien.
שבת שלום
Bienfaisants Jours Redoutables
כתיבה וחתימה טובה
Dédié à la guérison complète de מרגלית פנינה בת שרה , אבשי בן רבקה רודא , זאב פלטיאל בן אריה
להצלחת מונה בת חוה שתחיה לרצון לפני ה’, ולהצלחת אביגדור בת חוה הי »ו
[1] Dans la 1ère année de la Sortie d’Égypte (2448 / -1312). Cf. Exode 31, 18 et suiv.
[2] Nabuchodonosor pour l’époque du 1er Temple, Vespasien / Titus pour le second.
[3] Bemidbar chap. 13 & 14.
[4] Bavli berakhoth 34b.
[5] Rappel du devar balak – 17 tamouz 773
Messilath yecharim 1, en son tout début, son essentiel : nos sages nous ont enseigné que l’homme n’a été créé que pour se délecter en hachem et jouir du rayonnement de Sa présence… et le lieu véritable de ce délice, c’est le monde à venir.
[6] Contrairement à l’attente messianique, qui, elle, fait l’objet d’une controverse (Nah’manide versus Maïmonide, en particulier).
[7] beréchith bara – c’est pour la réalisation du projet, ‘pour réchith’, que hachem a créé ce monde, cette réalité dans laquelle ce but reste au niveau de la ‘tête – roch’, une pensée pas encore concrétisée.
[8] Égal : parler ce qui nous est accessible dans notre univers.
[9] Ce qui est vérité éclatante dans notre condition actuelle se dit dans la thora au niveau du pechat, littéralité du texte. « si vous écoutez Mes mitsvoth il vous arrivera la prospérité et la sécurité ». La plénitude du monde futur (et le désastre de sa perte éventuelle) est enfouie (גנוז) sous la surface apparente de notre réel. Elle ne se révèle qu’à celui qui cherche ce que cache son actualité. Elle se dit dans le texte au niveau du derach (ex. rachi ci-après) accessible à celui qui recherche ce que cache le texte (pah’ad yitsh’ak pessah’ 52).
[10] Devarim 7, 9 et suiv.
[11] Ramban ad. Loc. et 6, 20.
[12] H’oukim lois, sont les canaux (חוקק) de fonctionnement immuables inscrits dans la Création ; les lois de la Nature. Ils incluent les modes d’interprétations du texte de la thora, qui mènent à sa compréhension ; à l’instar du « sens commun » de Montaigne, si l’on veut. Modes d’interprétation qui relèvent du bon sens. Ils permettent, par l’exercice du ‘jugement’ de l’esprit, la compréhension, et, par suite, l’application des mitsvoth contenues dans le texte. L’exercice de l’intellect sur les mitsvoth de la thora selon ses ‘lois’, permet de ‘faire’, de produire des ‘jugements’ qui les rendent effectives, réalisées (comme on réalise – prend conscience) et réalisables dans notre vie.
[13] Développement (yevamoth 47a)
Un résident étranger (= un non-juif) qui vient se convertir à notre époque (= ce monde ci à l’exclusion de l’époque messianique) le beth din (tribunal rabbinique) lui dit : qu’est-ce qui t’incite à venir te convertir ? Ne sais-tu pas qu’Israël, à notre époque, sont malades de solitude, bousculés, déchirés et que les malheurs viennent sur eux ? S’il répond : je sais, et je n’en suis pas digne (de partager leur souffrances, et c’est pourquoi je viens me convertir), on l’accepte de suite, et on commence à lui enseigner les mitsvoth…
Si cet homme se rend compte que l’étroitesse – tsara – l’inconfort de ce monde sont précisément ce qui en fait « le corridor d’accès au monde futur (avoth) », c’est qu’il lui appartient déjà, au futur. Il ne voit pas la réalisation pleine et entière de soi dans son présent. Puisqu’il cherche le moyen de faire de ce présent un outil de construction du futur, il est dans l’éternité d’Israël.
[14] Le jugement de RH, comme premier des 10 Jours de retour est ainsi défini dans la pessikta derav kahana 23, 13 et dans pessikta rabathi 40, 7 : puisque vous revenez à Moi (vous identifiez votre être à Mon projet), cela équivaut à vous faire vous-même. Version juive du self made man : vous vous êtes accompli.
[15] Puisqu’il vit seul et ne veux pas apprendre à connaître l’Autre, de l’autre, il ne saurait que faire usage.
[16] Vous avez dit « développement durable » ?
[17] Fin v’a’éth’anan : travail de ce monde pour préparer l’existence dans le Monde à venir ; début ‘ékev : l’exercice des ‘jugements’ de l’Homme ancrent les mitsvoth dans sa réalité, de sorte que son existence d’ici est une plénitude de réussites qui en font la marche et laissent entrevoir le Futur.
[18] C’est la haftara de ki tavo : Et les peuples marcheront à ta lumière, les rois à l’éclat de ton aurore. Lève tes yeux à l’entour et regarde ! Les voilà qui s’assemblent tous et viennent à toi… haftara nitsavim : Alors les peuples seront témoins de ta pertinence – légitimité – bien-fondé, et tous les rois de ton estime – considération ; Tu ne seras plus nommée la Délaissée et ta terre ne s’appellera plus Solitude… ne Lui laissez point de trêve, qu’Il n’ait rétabli Jérusalem et n’en ait fait un sujet dont se glorifie le monde…
[19] Cf. beréchith Genèse 28, 10 et suiv.
[20] Si vous lisez rachi ad loc. début vayétsé, vous vous apercevrez que ya’acov pensait qu’il était sur une échelle pour monter de la Terre au Ciel, et qu’on lui a montré qu’en fait, il était déjà présent là haut, et que c’est de là qu’il descend. Tel est le processus pour tout homme. Il part de son vécu et essaye de s’élever. S’il y réussit, il s’apercevra qu’en fait, ce qu’il a fait, c’est donner corps en bas à une réalité depuis toujours inscrite en haut. Etre lui-même.
[21] L’effort d’étude, l’investissement à la mise en pratique des conclusions de l’étude, pénètrent progressivement, lentement mais durablement, jusqu’aux strates profondes de l’être. L’éclairent , l’adoucissent et le bonifient Hamaor chébah mah’zir le moutav (eykha raba). Au point que l’inconscient est mûri, le lapsus devient thora chegaga chéyats’a mipi hachalit.
[22] Qualifie 6 fois la Création en beréchith 1, 1. ce qu’Il veut c’est le bien. A la fin de la thora, lorsqu’elle est redite pour faire le point, aux BNY avant l’entrée en Terre sainte, ce « bien » est repris : (Deut. 5, 30) Toute la voie que hachem vous a tracée, suivez-la, afin que vous viviez heureux et le « bien » sera vôtre… cf. encore 4, 40 ; 5, 16 & 27 ; 6,3 & 18 ; 12, 25 & 28 ; 30, 5.
[23] Kidouchin 36a : rabi meïr dit – que les BNY accomplissent ou non la volonté de hachem, ils sont appelés ‘Ses fils’.
[24] Il n’est que de voir l’acharnement meurtrier d’un Hitler, qui veut débusquer tout porteur de sang juif, même ‘parfaitement’ assimilé.
[25] Cette dualité est fondée dans la nature du chabath. Chabath est perçu tout d’abord comme un arrêt, une fin du fonctionnement de notre monde du travail. CHeViTHa. Disparition totale et définitive, comme la chevitha du h’amets à pessah’. 6 mille ans, dure le monde, dit la guemara (RH 31a), et le 7ème, il est en ruine. Mais lorsqu’on accepte entièrement cette cessation totale du chabath, on finit par comprendre que l’objet du chabath est en vérité non pas de s’opposer au travail profane de la semaine, mais de nous apprendre, de nous entraîner à travailler la terre, ici / maintenant pour en faire une résidence céleste de là-bas / à venir.
[26] Projeter égale se pro-jeter dans un avenir.
[27] Notons que c’est en même temps le lieu terrestre de réjouissance par excellence (vayikra 23, 40 et récurrent dans le seder re’é). C’est que cette crainte du Ciel n’est pas anxiogène. Au contraire, celui qui craint le Ciel, c’est qu’il en a, ici, la vision. Il n’y a donc pas plus assuré que lui, plus stable et confiant dans son avenir (cf. thehilim 115, 11 et surtout micheley 28, 1).
[28] Le chela et maharcha enseignent que les 21 jours qui conduisent de RH à hocha’na raba (7ème et dernier jour de soucoth, summum des festivités) correspondent aux 21 jours qui vont du 17 tamouz au 9 av.
[29] Le prophète, navi – נביא est celui qui porte la parole divine dans la réalité humaine du moment. Qui fait produire à cette réalité du moment, le fruit attendu par le projet divin. Elle est « fruit des lèvres » – ניב שפתים. Les lèvres étant l’organe – porte, le seuil que franchit la pensée cachée pour devenir « disible » dans le concret.
[30] Egale : qui ordonne la jungle des pulsions désordonnées de son cœur en route droite jusqu’à Toi. « messilath yecharim ».
[31] Des larmes, expression d’égarement et d’abandon, ils font un pays de sources, expression de vie et d’espoir, promesses d’avenir.
[32] Celle qui s’est révélée dans le désert, hors de toute société structurée.
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