Rav Gérard Zyzek: Synthèse au sujet de la responsabilité de l’adulte face à un enfant qui transgresse un interdit. קטן אוכל נבלות
On 11 décembre 2025 | 0 Comments
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I.
Le sujet commence dans le Traité Yévamot 113b, יבמות ק »’ג ע »ב
Tout d’abord la Guemara veut prouver que Rabbi Padat pense que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו
Ensuite la Guemara prouve que Rabbi Yo’hanan n’arrivait pas à trancher cette question.
Ensuite la Guemara veut prouver des Psoukim que קטו אוכל נבלות בית דין מצווין להפרישו, mais elle réfute en disant que les versets nous enjoignent de ne pas donner activement aux enfants de ces interdits. Analysons ce passage :

ת »ש לא תאכלום כי שקץ הם לא תאכילום להזהיר הגדולים על הקטנים מאי לאו דאמר להו לא תאכלו לא דלא ליספו ליה בידים תא שמע כל נפש מכם לא תאכל דם להזהיר הגדולים על הקטנים מאי לאו דאמרי להו לא תאכלו לא דלא ליספו להו בידים ת »ש אמור ואמרת להזהיר גדולים על הקטנים מאי לאו דאמר להו לא תיטמו לא דלא ליטמו להו בידים וצריכי דאי אשמעינן שקצים משום דאיסורן במשהו אבל דם דעד דאיכא רביעית אימא לא ואי אשמעינן דם משום דאיכא כרת אבל שרצים אימא לא ואי אשמעינן הני תרתי משום דאיסורן שוה בכל אבל טומאה אימא לא ואי אשמעינן טומאה כהנים שאני משום דריבה בהן מצות יתרות אבל הני אימא לא צריכא.
Le verset dit (Vayikra 11,42) :
כל הולך על גחון וכל הולך על ארבע עד כל מרבה רגלים לכל השרץ השורץ על הארץ לא תאכלום כי שקץ הם.
« Tout ce qui avance sur son ventre (les reptiles) et tout ce qui avance sur quatre pattes (le scorpion) jusqu’à ce qui a plein de pattes (mille-pattes), toutes les bêtes qui grouillent sur la terre ne les mangez pas car elles sont atroces ».
La Guemara rapporte une Beraïta relative à ce verset : לא תאכלום, ne les mangez pas, pour rendre responsables les adultes sur les enfants. Elle veut dire qu’a priori cela a l’air de de dire que si un petit mange quelque chose de non-casher il faudrait l’empêcher, en lui disant : arrête ! ne mange pas !
Rashi explique qu’il n’y a pas un sous-entendu spécial qui nous fasse entendre cet enseignement mais c’est le fait qu’il y a répétition du même interdit plusieurs fois cela nous fait entendre que les adultes sont responsables sur les enfants.
Là-dessus la Guemara répond que non. Et que l’insistance du verset nous enseigne qu’un adulte ne doit pas donner franchement avec ses mains à un enfant de l’interdit, mais que si un enfant en mange de lui-même je n’aurais pas d’obligation de l’en empêcher.
Oui mais nous voyons que cette insistance est répétée au sujet de l’interdit de consommer du sang et au sujet de l’interdit qu’un Cohen ne se mette en contact d’un mort. Donc si cela est répété au sujet d’autres interdits cela laisse entendre qu’il y a une plus grande insistance et que nous devrions empêcher un enfant si nous le voyons commettre ou manger un interdit. La Guemara réfute, et ainsi est la conclusion, que cette répétition est nécessaire pour les raisons dites dans la Guemara. Par exemple si nous n’avions dit qu’au sujet des bestioles nous n’aurions dit que cette insistance de ne pas donner activement à manger ne s’appliquerait qu’à ce sujet car il a une gravité qui lui est spécifique.
Interrogeons-nous sur cette dernière partie du raisonnement. Si la Torah n’avait pas répété trois fois dans trois sujets différents, j’aurais dit que l’insistance ne serait que par rapport aux bestioles interdites car il y a un aspect grave dans cet interdit (voir Rashi et Tossefot). C’est-à-dire que la Guemara a envisagé que sans cette répétition j’aurais dit qu’il aurait été licite de donner à manger un aliment interdit à un enfant qui n’est pas Bar Mistva. Là-dessus la Torah nous dit que j’aurais dit que l’insistance du verset ne viendrait qu’au sujet des bestioles. De même si la Torah n’avait insisté qu’au sujet du sang, j’aurais dit que la notion de ne pas donner avec la main à l’enfant ne concernerait que cet interdit qui est condamnable de Karet pour un adulte. Il semble que cette notion de ne pas donner activement à l’enfant signifie que si c’est un interdit grave je ne dois pas galvauder, banaliser cet interdit en en donnant à un enfant.
Maintenant nous pouvons comprendre la question fondamentale de la Sougia :
להפרישו או אין בית דין מצווין להפרישו.  קטן אוכל נבלות בית דין מצווין
La Torah nous donne des Mistvot positives et des Mitsvot négatives. Ces commandements s’adressent à des personnes qui ont ce que notre tradition appelle du Daat, דעת, du discernement. Notre Tradition nous enseigne que ce Daat commence à treize ans pour un garçon et douze ans pour une fille, dans la mesure où la puberté commence chez l’un ou chez l’autre. Moins que cela l’enfant n’est pas responsable dans les commandements de la Torah. Néanmoins il va grandir et va devenir enjoints par ces commandements. La Torah nous montre l’importance de ces commandements et insiste.
Si je dis que l’hypothèse de la Guemara de dire qu’il faudrait empêcher l’enfant viendrait du fait que bien qu’il ne soit pas responsable au sens fort des Mitsvot, peut-être que je pourrais dire qu’il y a une trace de responsabilité, comme la notion de חצי שיעור par exemple, alors nous ne pourrions pas comprendre les hypothèses proposées par la Guemara, de dire que si je n’avais dit qu’au sujet des bestioles j’aurais dit a priori qu’un autre interdit il serait permis de le donner avec ses mains à l’enfant. Il ressort que la lecture est la suivante : si la Torah t’interdit quelque chose je ne dois pas banaliser cet interdit et en donner activement à un enfant, ou bien peut-être de dire que si cet interdit est important je dois intervenir si je vois un enfant juif le transgresser. Quoi qu’il en soit il ressort clairement que cette Sougia ne parle pas d’interdits rabbiniques. Il ressort clairement de la Sougia comme la démarche du Rashba qu’il serait permis de donner avec ses mains à manger à un enfant quelque chose d’interdit de manière rabbinique.
Maintenant tu pourrais me rétorquer en me disant que même dans les interdits rabbiniques se trouve sous-entendu l’interdit de la Torah de לא תסור, de ne pas nous détourner des paroles de nos Maîtres, toutefois nous voyons clairement des réponses de la Guemara dans 114a que même si nous disons que קטן אוכל נבלות בית דין מצווין להפרישו s’il s’agit d’un interdit rabbinique on n’a pas l’obligation de l’empêcher.
Que pense Rambam sur ce sujet ?
Beaucoup de commentaires veulent dire que Rambam dans Hilkhot Maakhalot Assourot, chapitre 17, Halakha 27, tranche qu’il est interdit de donner avec la main même un interdit rabbinique à un enfant. Néanmoins le langage même de Rambam est ambigu :
קטן שאכל אחד ממאכלות אסורות או שעשה מלאכה בשבת אין בית דין מצווין עליו להפרישו לפי שאינו בן דעת במה דברים אמורים בשעשה מעצמו אבל להאכילו בידים אסור ואפילו דברים שאיסורן מדברי סופרים וכן אסור להרגילו בחילול שבת ומועד ואפילו בדברים שהן משום שבות.
‘Un enfant qui mange un aliment interdit ou qui fait un travail interdit le jour de Shabbat, le tribunal n’est pas enjoint de l’en empêcher, car cet enfant n’a pas de Daat, de discernement. Ce dont nous parlons c’est si l’enfant le fait de lui-même, mais il est interdit de lui donner avec les mains ne serait-ce qu’un interdit des paroles des scribes. De même est-il interdit de l’habituer à transgresser les Shabbatot et les fêtes même pour des interdits rabbiniques relatifs à ces fêtes.’

Que veut dire Rambam en disant ‘ne serait-ce qu’un interdit des paroles des scribes’ ? Veut-il dire interdit rabbinique, ou bien interdit de la Torah mais non explicite dans le texte de la Torah mais déduit par l’une des treize modes de déduction que nous avons apprises du Sinaï ?  Il est possible de dire que Rambam veuille dire ici ce qui ressort au début des Hilkhot Ishout où il qualifie les Kidoushin avec de l’argent de ‘parole de scribes’ car on apprend cette notion par l’une des treize modes de déduction, voir Maguid Mishné et Kessef Mishné sur Hilkhot Ishout Halakha 2. Néanmoins je m’étonne qu’un géant comme le Ma’hané Ephraïm ne fasse pas cette remarque dans son analyse de Rambam.


D’autre part il y a une contradiction dans Rambam lui-même car dans les Hilkhot Shabbat chapitre 24, Halakha 11 il dit que si un enfant fait un travail interdit de manière rabbinique le Shabbat le Beth Din n’est pas enjoint de l’empêcher. Ceci laisse entendre que si ce serait interdit par la Torah le Beth Din devrait intervenir. Or dans le chapitre 17 des Maakhalot Assourot Rambam dit que même si le petit fait un travail interdit par la Torah le Shabbat le Beth Din n’est pas enjoint de l’empêcher, c’est donc une grande contradiction.
Le Maguid Mishné sur le chapitre 24 pose cette question et reste sur cette question.
Rabbi Yossef Caro dans le Kessef Mishné répond que Rambam parle d’interdit rabbinique par rapport à la seconde proposition de cette Halakha qui est que si c’est une Melakha rabbinique et que le père ne réagit pas on laisse le père. Par contre le sous-entendu est que si c’est un travail interdit par la Torah et que le père n’intervient pas on intervient auprès du père, et non auprès de l’enfant.
Le Shilté Guiborim sur Shabbat 121a répond que ce que dit Rambam que sur un travail rabbinique on n’intervient pas si l’enfant le fait c’est une manière tranchée de s’exprimer. Car si c’est un travail interdit d’après la Torah et que l’enfant le fait pour l’adulte alors l’adulte doit réagir. Par contre si c’est interdit rabbinique même si l’enfant le fait pour l’adulte, celui-ci n’a pas l’obligation de réagir.
Rabbi Yossef Caro dans le Shoul’han Aroukh אורח חיים סימן שמ »ג  rapporte telles quelles les paroles de Rambam et dit qu’il est interdit de donner avec les mains un interdit rabbinique à un enfant.


II. Analyse des preuves de Rashba pour dire qu’il n’y a pas d’interdit de donner avec ses mains un interdit rabbinique à un enfant.
a) La Guemara (Yévamot 114a) veut apporter une preuve à l’opinion qui pense que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו à partir de l’enseignement suivant :

‘Que l’homme ne dise pas à un enfant : amène-moi ces clefs, amène-moi ce sceau, mais il le laisse cueillir et il le laisse lancer.’

L’hypothèse de lecture de la Guemara est qu’il est interdit de dire explicitement à un enfant de porter quelque chose dans le domaine public, néanmoins s’il le fait de lui-même et qu’il jette quelque chose dans le domaine public ou cueille quelque chose on le laisse faire. D’où nous apprendrions que si un enfant mange quelque chose qui n’est pas cachère on le laisse faire. La Guemara réfute en disant :

אמר אביי תולש בעציץ שאינו נקוב זורק בכרמלית דרבנן.
‘Abayé répond : ce n’est pas une preuve, nous pouvons dire que lorsqu’on laisse l’enfant jeter ou cueillir, c’est jeter quelque chose dans un Carmélit, c’est-à-dire un domaine où sortir un objet n’est interdit que rabbiniquement, et cueillir d’un pot de fleurs qui n’a pas de trou en bas, pour lequel l’interdit de cueillir le jour de Shabbat ne l’est que rabbiniquement.

Il ressort explicitement de la Guemara que même d’après l’opinion qui pense que si un enfant transgresse un interdit le Beth Din doit intervenir, ceci ne s’appliquera que pour un interdit de la Torah et non pour un interdit rabbinique.
Le Rashba déduit de là le raisonnement suivant. Nous voyons que pour l’opinion qui pense que l’on doit intervenir si l’on voit un enfant transgresser un interdit, s’il s’agit d’un interdit rabbinique nous descendons d’un niveau et n’avons pas l’obligation d’intervenir. Si c’est ainsi que les Maîtres du Talmud abordent les choses, d’après la conclusion légale que l’on n’a pas à intervenir même pour un interdit de la Torah, mais que néanmoins il est interdit de donner activement à un enfant de manger un interdit, pour un interdit rabbinique nous descendrons un niveau et il sera licite de le donner à manger à un enfant.

Ceci est un raisonnement, mais comme tout raisonnement il est possible de dire le contraire. Le Rashba va apporter maintenant des preuves textuelles.

b)  Dans la Guemara Shabbat 139a il est question de savoir est-ce qu’il est permis de semer le végétal appelé Kishout dans une vigne à titre de l’interdit de Kelaé HaKerem, de planter des légumes avec de la vigne. Ce végétal fait l’objet d’un débat. Et la Halakha est qu’il est interdit de mélanger le Kishout avec de la vigne en terre d’Israël. Hors d’Israël nos Maîtres nous enseignent que chaque fois qu’il y a une discussion dans les lois relatives à Kélaïm la conclusion légale est comme l’avis qui allège. Dans le sujet qui nous occupe Rabbi Tarphon permet de semer du Kishout avec de la vigne. Néanmoins la Guemara nous enseigne que, comme les gens ne sont pas des connaisseurs, il vaut mieux interdire hors d’Israël bien qu’il y ait un avis, celui de Rabbi Tarphon, qui permette. 
La Guemara donc prend acte de cette interdiction de semer même hors d’Israël de la vigne avec du Kishout. Néanmoins la Guemara nous enseigne que Rav Masharshia donnait une pièce à un enfant non-juif pour qu’il le fasse, et qu’il sème du Kishout avec de la vigne. La Guemara demande : mais pourquoi n’a-t-il pas demandé directement à un enfant juif ? La Guemara répond que l’enfant juif risque d’être entrainé par cette habitude (et continuer de le faire lorsqu’il sera grand). Le Rashba demande : mais quelle est cette question, ‘mais pourquoi n’a-t-il pas demandé directement à un enfant juif ?’. Quelle est l’hypothèse ? Nous pouvons déduire d’ici que les ‘Hakhamim n’ont pas institué d’interdit de faire faire un interdit rabbinique à un enfant.
Le Rashba, dans ses Teshouvot (חלק א’ סימן צ »ב) s’objecte à lui-même en disant que la Guemara réfute en disant : אתי למיסרך, ‘il va prendre l’habitude’, ce qui signifie que finalement l’on ne demande pas à un enfant Israël de semer du Kishout avec de la vigne car si on lui demande il va prendre l’habitude pour plus tard lorsqu’il sera grand, donc il est interdit de donner explicitement à un enfant un interdit rabbinique ! Le Rashba répond que cette notion de אתי למיסרך, ‘il va prendre l’habitude’, ne s’applique que lorsqu’on lui demande de faire quelque chose pour le besoin de l’adulte. Par contre si c’est pour le besoin de l’enfant c’est permis. La preuve en est la Tossafta ( יומא פרק ד’ הלכה ה’) où Shamaï ne voulait pas donner à manger à son enfant à Yom Kippour même avec une main. Et les ‘Hakhamim ont décrété à son sujet qu’il donne à manger à son enfant avec ses deux mains. C’est-à-dire que dans un cas de besoin de l’enfant mineur il n’y pas la notion de אתי למיסרך, ‘il va prendre l’habitude’.

Néanmoins il est possible de réfuter la preuve du Rashba en disant que ce cas de semer du Kishout avec de la vigne est un cas d’espèce où il n’y a pas d’interdit rabbinique véritable, seulement une conduite à tenir dans un contexte où les gens risquent de ne pas comprendre que fondamentalement c’est permis.

De même Tossefot (מסכת שבת דף קל »ט ע »א דה »מ וליתן) disent qu’ils ont reçu par tradition que l’opinion qui propose de dire à un enfant de semer le mélange est celle de Rav A’ha ben Yaakov qui dit dans le Traité Eirouvin 40b que l’on dise la Beraïta de שהחיינו sur un verre de vin le soir de Yom Kippour et que l’on donne à un enfant à goûter de ce vin. Le contexte de Yom Kippour est là aussi spécifique en cela que fondamentalement il n’y a aucun interdit pour un enfant de manger à Yom Kippour et même il faut que les enfants se nourrissent.


(Sur un sujet connexe voir la Sougia dans Rosh HaShana 33a et b אין מונעין את התינוקות מלתקוע et טור אורח חיים סימן תקפ »ח et ערוך השלחן אורח חיים סימן תקפ »ט ס »ק י »א)


III.
La Sougia commence dans Yévamot 113b avec le cas de Rav Yits’hak ben Bisna qui a égaré les clefs du Beth HaMidrash dans le domaine public le jour de Shabbat. Il vient devant Rabbi Padat et lui demande que faire. Celui-ci lui dit d’envoyer les enfants se promener dehors, sachant que s’ils trouvent les clefs ils les ramèneront aux adultes. La Guemara affirme : nous voyons de cette réponse de Rabbi Padat qu’il pense que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו. Depuis toujours je suis perplexe face à cette déduction car il y a une différence majeure entre le cas où je vois un enfant manger quelque chose qui n’est pas Casher et le cas où finalement j’incite implicitement un mineur à transgresser un interdit de la Torah ! Cette remarque est abordée par le Rashba dans ses ‘Hidoushin sur Yévamot et le Méiri sur Nidda 46b :
La Guemara dans Nidda se demande si la notion de מופלא סמוך לאיש est une notion de la Torah ou une notion rabbinique. Pour trancher cette question la Guemara amène une Beraïta où l’on voit qu’une fille mineure qui a été mariée par sa mère ou son grand frère à quelqu’un et que cette mineure ait fait un Nédèr, un vœu, en étant dans l’année précédant la Bat Mistva, le mari qui lui est marié rabbiniquement est habilité à effacer ce vœu. Si tu dis que מופלא סמוך לאיש est une notion rabbinique nous comprenons que le mari qui lui est marié rabbiniquement puisse effacer ce vœu, mais si tu dis que מופלא סמוך לאיש est une notion de la Torah, comment peux-tu dire que le mari ait la capacité d’effacer un vœu qui a effet d’après la Torah ? La Guemara répond que même si tu dis que ce vœu ait effet d’après la Torah néanmoins si le mari efface, quand bien même cela ne serait pas efficace d’après la Torah néanmoins la petite qui mangerait cela après l’intervention du mari rentrerait dans la catégorie de קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו.
Le Rashba pose une question qui s’impose : mais dès qu’il dit qu’il efface le vœu c’est comme s’il lui mettait ce que cette femme s’est interdit dans sa bouche, or ce qu’elle s’est interdit reste interdit si nous affirmons que מופלא סמוך לאיש דאורייתא. Or tous les avis pensent qu’il est interdit de mettre quelque chose d’interdit dans la bouche d’un mineur ? Le Rashba répond, et ainsi répond le Méiri sur cette Guemara de Niddah, que placer l’enfant à côté d’un morceau de viande interdite est licite et que cela ne s’appelle pas donner à manger avec ses mains.
Il ressort de ce point précis que pour nos Maîtres peu nous importe dans le fond qu’un mineur transgresse ce qui serait pour un adulte un interdit de la Torah. Donc l’inciter de manière détournée à ce qu’il le fasse n’est aucunement un problème, en tout cas d’après l’avis qui pense que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו. Nous pouvons donc nous demander en quoi consiste l’interdit de donner un interdit dans la bouche d’un enfant, interdit que nous apprenons des versets de la Torah ? Nous proposons de dire dans un premier temps que ce serait une notion rabbinique qui ressemblerait à la notion de אמירה לנכרי ou bien cela entrerait dans le sens de ne pas l’habituer à quelque chose qui lui sera interdit lorsqu’il sera grand. Mais d’après cela qu’en est-il de donner dans la bouche un interdit à une personne qui n’a pas de Daat et que ne peut pas en avoir ?


IV.
La Guemara dans Yévamot 114a dit que Rabbi Yo’hanan ne tranche pas sur le sujet de קטן אוכל נבלות. Le Beth Yossef sur אורח חיים סימן שמ »ג suggère de dire que c’est pour cela que ni le Rif ni le Rosh ne rapporte la réponse de la Guemara au nom de Rabbi Yo’hanan au sujet du petit qui vient éteindre l’incendie qu’on l’empêche d’éteindre. Et cela a l’air donc de ressortir que d’après ces décisionnaires même si le petit le faisait pour lui et non pour l’adulte on devrait l’empêcher.
Néanmoins le Beth Yossef revient de cette remarque et penche plutôt de dire qu’il est inutile de préciser au niveau de la conclusion légale que l’enfant agit pour son père car en fait l’enfant agit toujours pour l’adulte même si ce n’est pas son père. Le Beth Yossef précise que l’incendie est perçu par l’enfant comme quelque chose qui est un intérêt pour l’adulte, tandis que les clefs perdues dans la rue, l’enfant les prend et les amène, il ne perçoit pas que c’est comme si l’adulte lui avait dit de le faire.

V.
Voir le Tour dans יורה דעה סימן שע »ג
כשם שהכהן מוזהר שלא ליטמא כך הוא מוזהר להזהיר הקטנים מליטמא, וכתב הרמב »ם שאין הגדולים מוזהרים על הקטנים אלא שלא לטמאותם ביד אבל אם בא ליטמא בעצמו אין בית דין מצווין להפרישו אלא שאביו מצווה לחנכו בקדושה ונראה לי שצריכין להפרישו וכן משמע הלשון שדרשו אמור ואמרת להזהיר גדולים על הקטנים משמע שצריך להזהירם מליטמא.
Nous sommes ici en présence d’une discussion étonnante. En effet il ressort clairement de la Guemara que la notion de להזהיר גדולים על הקטנים dont parlent les différentes Beraïtot rapportées dans Yévamot 114 a et b ne parle que de rendre impur l’enfant activement. Comment Rabbénou le Tour peut-il dire que cela parle d’empêcher l’enfant de fauter, de se rendre impur ici en l’occurrence ? D’autant plus que Rambam rapporte la conclusion de la Guemara de manière évidente (sauf que Rambam parle d’une notion annexe : le fait que le père ait l’obligation d’éduquer son enfant, notion sur laquelle le Rashba s’oppose). Voir le Beth Yossef qui analyse ce problème dans אורח חיים שמ »ג.
Le Beth Yossef pose donc la question : étant donné que le Tour tranche la Halakha que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו et que le Shass pose en question à cet avis à partir de cette Beraïta et que la Guemara répond d’après cette opinion que la Beraïta ne vient qu’interdire de rendre impur par les mains, comment le Tour peut-il trancher comme l’hypothèse ? Rabbi Yossef Caro répond que la lecture première de la Beraïta qui dit להזהיר גדולים על הקטנים laisse entendre que l’on dirait à l’enfant : arrête ! ne mange pas de cela ! Et si l’on apprend d’une seule source cela devient un בנין אב et l’on généraliserait à tous les interdits, donc קטן אוכל נבלות בית דין מצווין להפרישו. Ce qui est une question contre le sens dans lequel la Guemara a l’air d’aller. Là-dessus la Guemara réfute en disant que cette responsabilité envers l’enfant n’est que de ne pas lui donner à manger de cet interdit de manière active, avec les mains. La Guemara rapporte trois sources pour lesquelles nous apprenons des versets להזהיר גדולים על הקטנים, donc s’il n’y avait qu’une source nous dirions qu’effectivement cela nous apprendrait que d’après la Torah il est interdit à un adulte de donner à manger à un enfant quelque chose d’interdit. Mais étant donné que cela est répété cela nous enseigne que nous devons l’empêcher de transgresser ce qui est un interdit pour un adulte. La Guemara réfute en disant que ces trois sources sont nécessaires et que nous restons sur le point que nous apprenons de ces trois versets qu’il est interdit de donner franchement à un enfant quelque chose d’interdit avec les mains. Telle est la conclusion de la Guemara. Comment donc notre Maître le Tour peut-il dire qu’il y a une obligation d’empêcher un enfant Cohen de se rendre impur ?
Rabbi Yossef Caro propose d’expliquer la démarche du Tour de la manière suivante.
Il y a une insistance du verset qui nous enseigne que l’adulte est responsable de l’enfant, est-ce à dire qu’il doit lui dire : arrête ! להפרושי מאיסורא ?
Là-dessus la Guemara répond que non et que l’insistance du verset vient nous dire que l’adulte ne doit pas donner de l’interdit à l’enfant avec ses mains. A priori si j’ai une source à cela je dois généraliser à titre du principe de Binian Av, principe de généralisation. Mais il y a encore une autre source, alors on ne peut pas généraliser. La Guemara répond que si car il y a une nécessité à ces deux sources. Donc généralisons. Mais il y a une troisième source, donc on ne peut pas généraliser.
Mais si c’est ainsi il y a une impasse. Car il ressortirait qu’on n’a pas le droit de donner par la main un interdit à un enfant que pour ces trois cas précis. Ce qui impliquerait que pour les autres interdits de la Torah ce serait licite de donner un interdit par la main à un enfant. Le Beth Yossef dit que ce serait absurde et qu’il n’y a jamais eu une telle hypothèse. Nous sommes obligés de dire que c’est le contraire. Pour tous les interdits il est interdit de donner par la main un interdit à un enfant. Par contre pour ces trois interdits ce sont des exceptions et nous devrons intervenir pour leur dire de ne pas faire ces interdits. 
Il y a un problème à cette démarche car la Guemara dit clairement que ces trois sources sont nécessaires et que nous pouvons généraliser. Le Beth Yossef décortique ce raisonnement et propose de dire qu’il ne vient que pour réfuter cette thèse. Et qu’en vérité si l’on relit le sujet on peut remettre les choses à plat et dire que s’il fallait généraliser la Torah aurait dû enseigner qu’on ‘na pas le droit de donner avec ses mains un interdit à un enfant à partir de l’interdit de Névéla et l’interdit d’impureté. J’aurais dit que l’interdit est dit dans Névéla qui est un interdit qui concerne tout le monde et aussi dans un interdit qui ne concerne que les Cohanim. Pourquoi donc la Torah spécifie-t-elle les trois interdits cités par la Guemara ? C’est pour nous dire que seulement ces interdits on doit empêcher l’enfant de transgresser. Et qu’on ne peut pas généraliser. Telle est la démarche magnifique du Beth Yossef.
De plus, dit le Beth Yossef, l’expression de la Beraïta להזהיר גדולים על הקטנים va plus dans le sens d’une responsabilité d’empêcher de se rendre impur, ou de manger du sang ou des bestioles interdites. Le Nimouké Yossef d’ailleurs dans les lois d’impureté dit comme le Tour הלכות טומאה א’ דה »מ תניא.


VI. Y a-t-il une différence entre la responsabilité du Beth Din et la responsabilité du père à l’égard de l’enfant ?


Nous avons rapporté au premier paragraphe de cette étude le langage de Rambam à la fin de ses Hilkhot Maakhalot Assourot où il tranche que le Beth Din n’est pas responsable d’empêcher un enfant qui mange de la viande non-Cashère. Voici le langage de Rambam dans la Halakha 28 :
אע »פ שאין בית דין מצווין להפריש את הקטן מצוה על אביו לגעור בו ולהפרישו כדי לחנכו בקדושה שנאמר חנוך לנער על פי דרכו וגו’.
‘Bien que le tribunal n’ait pas l’obligation d’empêcher un enfant (de consommer un interdit ou de profaner Shabbat), néanmoins le père est ordonné de le gronder et de l’empêcher pour l’éduquer dans la sainteté, comme dit le verset (Mishlé 22,6) « Eduque l’enfant selon son chemin ».’

Rambam innove qu’indépendamment de la responsabilité collective ou de la non-responsabilité collective à l’égard de l’enfant, incombe au père le commandement d’éduquer son enfant. Nous avons un principe que la notion de חינוך, de ‘Hinoukh, d’éducation, ne s’applique qu’au sujet des commandements positifs de la Torah. Ce qui aurait comme conséquence que même le père n’aurait pas l’obligation de gronder son fils s’il mange de sa propre initiative quelque chose de non-casher. Cependant Rambam innove qu’il y a dans ce sujet un aspect lié à un commandement positif, c’est la notion d’éduquer son enfant à la Kedousha, à la sainteté.
A priori cette notion d’éduquer à la Kedousha ne concernerait que l’attitude par rapport aux aliments interdits.
De cette manière nous pouvons répondre à la question cinglante de Rashba à partir de la Guemara de Niddah 46b.
Rav Houna veut dire qu’un enfant dans l’année juste avant la Bar Mitsva est habilité à faire un נדר, un Nédèr, un vœu, et que ce Nédèr a force de loi en vertu de la notion de מופלא סמוך לאיש, de Moufla Samoukh LeIsh. Ce qui a comme conséquence que si l’enfant a fait un Hékdèsh, a voué quelque chose au Temple, et l’a mangé, il reçoit flagellation. Ceci est une innovation très importante car un petit a priori n’est pas considéré mature donc ne peut d’aucune manière être condamnable en pénal. L’innovation de Rav Houna est qu’étant donné que la Torah donne une capacité à l’enfant de percevoir l’impact de ce qu’est sa parole, cela implique donc que sur ce point précis il serait condamnable en pénal s’il transgresse sa parole.
Rav Houna bar Yéhouda amène une preuve pour Rav Houna à partir de la Beraïta suivante :
לפי שמצינו שהשוה הכתוב הקטן כגדול לזדון שבועה ולאיסר ולבל יחל יכול יהא חייב על הקדשו קרבן ת »ל זה הדבר קתני מיהת לאיסר ולבל יחל חייב.
‘Nous trouvons que la Torah met sur le même plan l’enfant et l’adulte au sujet de l’interdit de transgresser sciemment un serment, une Shevouah, שבועה, de même pour l’interdit et l’interdit de ne pas profaner son Nédèr. Serait-ce alors qu’il serait condamnable s’il profitait par erreur d’un Hékdèsh qu’il aurait sanctifié ? Là-dessus le verset exclut en vertu du verset (Bamidbar 30,2) « voici la chose ». Nous voyons a minima de cette Beraïta que l’enfant transgresserait l’interdit de profaner sa parole. Donc c’est une preuve pour Rav Houna.’

Il y a deux niveaux. Un enfant voue par sa parole quelque chose au Hékdèsh. Ceci a un statut de Hékdèsh et il est interdit d’en profiter. Mais cela n’implique pas forcément que s’il en profite il transgresse lui-même un interdit car somme toute il est mineur. La Beraïta nous enseigne qu’il est comme l’adulte par rapport à l’interdit. Ceci serait alors une preuve pour Rav Houna.

La Guemara réfute cette preuve :
אימא לאיסור בל יחל
‘Lisons dans la Beraïta : l’enfant et l’adulte sont sur le même plan pour un interdit de ne pas profaner son Nédèr’
c’est-à-dire que l’enfant, comme l’adulte a une sorte d’interdit dans le Nédèr qu’il a proféré, mais pas un interdit au sens fort de manière à ce qu’il soit condamnable en pénal s’il l’a profané.
La Guemara conteste cette lecture :
איסור בל יחל מה נפשך אי מופלא סמוך לאיש דאורייתא מילקא נמי לילקי ואי מופלא סמוך לאיש לאו דאורייתא איסור נמי ליכא.
‘Un interdit de ne pas profaner son Nédèr ? De deux choses l’une, soit Moufla Samoukh LeIsh est une notion d’après la Torah, à compte-là l’enfant devrait recevoir flagellation s’il profane son Nédèr, soit Moufla Samoukh LeIsh n’est pas une notion d’après la Torah, alors quel interdit y aurait-il ?’

La Guemara répond, et là se trouvera le point que le Rashba analysera :
לאותן המוזהרים עליו שמע מינה קטן אוכל נבלות ב »ד מצווין עליו להפרישו.
‘Effectivement, nous sommes d’accord que la Beraïta ne parle pas de l’interdit par rapport à l’enfant qui n’est pas encore responsable par rapport aux Mitsvot mais elle parle de la responsabilité des adultes à son égard. Mais si c’est ainsi cela impliquerait-il que si un enfant transgresse un interdit le Beth Din devrait-il l’en empêcher ?’
c’est-à-dire que la Guemara authentifie qu’un enfant dans l’année qui précède sa Bar Mitsva est habilité à interdire par sa parole quelque chose, et son Nédèr a force de loi. Néanmoins s’il profane sa parole il n’est pas condamnable. Alors que veut dire la Beraïta en disant que l’enfant est sur le même plan que l’adulte par rapport à ces interdits ? La Guemara répond que la Beraïta veut dire que les adultes qui sont responsables de cet enfant transgressent un certain interdit s’ils laissent l’enfant enfreindre son interdit qu’il a créé par sa parole.
Mais la Guemara n’est pas satisfaite par cette réponse car si l’on donne cette lecture dans la Beraïta cela impliquerait que, si un enfant transgresse un interdit, le Beth Din serait responsable de l’empêcher, or il ressort de l’ensemble du sujet que la conclusion serait le contraire ! La Guemara donnera donc une nouvelle lecture de la Beraïta compatible avec la conclusion légale que si un enfant mange quelque chose d’interdit le Beth Din n’a pas l’obligation de l’en empêcher.

Le Rashba demande : si nous disons comme Rambam que le père a une responsabilité spécifique par rapport à son fils, la Guemara aurait dû répondre que l’interdit dont parle la Beraïta ne concerne pas tout un chacun mais concerne le père et qu’il n’y aurait pas à déduire d’ici quoi que ce soit concernant le débat si le Beth Din a l’obligation ou non d’empêcher un enfant de transgresser un interdit. Donc, si la Guemara ne répond pas ainsi, ceci signifie que le père est au même niveau que tout un chacun dans la responsabilité face à un enfant qui transgresse un interdit, ce qui serait une question cinglante contre Rambam.

Le Rashba dit qu’au niveau de l’analyse on comprendrait que le père ait l’obligation d’empêcher son enfant de commettre ce qui serait un interdit pour lui lorsqu’il sera grand. En effet si déjà le père a l’obligation d’éduquer son enfant aux commandement positifs raison de plus qu’il le devrait par rapport aux commandements négatifs. Mais si c’est ainsi comment rendre compte de cette Guemara du Traité Nida 46b ? Force est de conclure, dit le Rashba, que l’obligation de ‘Hinoukh ne concerne que les commandements positifs. Ce qui a priori est contraire à la démarche de Rambam.

Néanmoins il nous semble qu’il n’y aucune question contre Rambam. Celui-ci dit que le père a l’obligation d’empêcher son enfant de manger des aliments interdits car il a l’obligation d’éduquer son enfant dans la Kedousha, ce qui est le commandement positif de Kedoshim Tiyou. Par contre les interdits dont il est question dans Nida 46b concernent l’interdit de ne pas profaner sa parole, ce qui est d’un autre ordre.




VII. Anomalie dans le sujet.
La Guemara dans Yévamot 114a rapporte la Beraïta suivante pour prouver que קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו :
תא שמע יונק תינוק והולך מעובדת כוכבים ומבהמה טמאה ואין חוששין ביונק שקץ ולא יאכילנו נבלות וטרפות שקצים ורמשים ומכולן יונק מהם ואפילו בשבת ובגדול אסור.
‘Viens écouter. L’enfant tète et continue de le faire d’une nourrice non-juive et d’un animal impur et on ne considère pas qu’il tète de quelque chose d’abominable. Mais par contre on ne lui met pas dans la bouche de viande morte sans abattage rituel, Névéla, ni viande Tréfa, ni de bestioles interdites, Shekatsim et Remassim. Et de tout l’enfant peut téter, et même le jour de Shabbat, ce qui n’est pas permis pour un adulte.’

La lecture première de cette Beraïta laisse entendre que si un enfant tète de lui-même de quelque chose d’interdit on le laisse. Ce qui va dans le sens de l’opinion qui défend la thèse que si un enfant mange quelque chose d’interdit on ne l’en empêche pas. La Guemara réfute en disant qu’on ne peut pas tirer de preuve de cette Beraïta car on parle ici d’un cas de danger pour l’enfant. Mais si nous disons que l’on parle ici d’un cas de danger pourquoi alors serait-ce interdit pour un adulte ? La Guemara répond que pour un enfant a priori s’il n’a pas de lait sa vie est en danger, et on n’a pas besoin d’en conférer à un expert, tandis qu’un adulte nécessite estimation et expertise.

La question annexe que pose le Rashba est la suivante : pourquoi la Beraïta met-elle sur le même plan le lait de la femme non-juive et le lait de l’animal interdit ? En effet nous apprenons dans le Traité Ketoubot 60a que le lait d’une juive ou d’une non-juive est cachère ! D’autre part la Mishna enseigne dans le Traité Avoda Zara 26a qu’il est licite de confier un enfant juif à une nourrice non-juive si l’on supervise la sécurité de cet enfant. Si c’est ainsi pourquoi cette Beraïta met-elle en parallèle le lait de la nourrice non-juive avec le lait d’un animal interdit, impur ?  Le Rashba, le Ran sur Avoda Zara et le Méiri sur Yévamot, nous disent que c’est à titre de Midat ‘Hassidout, מדת חסידות, de démarche de piété, mais que fondamentalement, juridiquement, le lait d’une non-juive a le même statut que le lait d’une juive. La preuve en est le verset de Yéshayahou 49,23 « Des rois (des Nations) seront tes tuteurs, et de leurs princesses seront tes nourrices ».
Le Rashba donne des mots pour définir un peu cette dimension de Midat ‘Hassidout, מדת חסידות :
‘la nature d’Israël est plus agréable, par ce qu’ils sont habitués dans les Mitsvot et aussi par ce qu’ils sont sensibles et pudiques par nature, leur lait alors donne une nature similaire. Et c’est ce que l’on dit au sujet de Moshé Rabbénou qu’il ne voulait pas téter d’une femme étrangère, comme nous l’enseigne le Midrash (Shemot Rabba 1,30 et Traité Sotha 12b)’.
Le Rashba donne alors une lecture étonnante de la Beraïta : l’enfant tète et continue de le faire d’une nourrice non-juive et d’un animal impur et on ne considère pas qu’il tète de quelque chose d’abominable. Certes les deux sont mis en relation, mais les deux ne sont pas du tout sur le même plan. Le lait de la non-juive est autorisé complètement même s’il y a la possibilité que l’enfant tète d’une femme juive. Néanmoins ce serait une démarche qui aurait un sens qu’il ne tète d’une non-juive que dans des cas limites. Par contre téter d’un animal impur n’est licite que lorsqu’il n’y a pas d’autre possibilité pour l’enfant de se nourrir.
Cependant le Rashba rapporte la démarche de Rabbénou ‘Hananel sur Avoda Zara 26a qui dit que le lait d’une nourrice non-juive n’est permis, comme le lait d’un animal impur, que dans des cas où l’enfant est en danger et qu’il n’a aucune autre possibilité de se nourrir. Certes cette démarche rend bien compte du langage de la Beraïta mais s’oppose à la Guemara de Ketoubot et à la Mishna du Traité Avoda Zara. Le Rashba propose une magnifique lecture de la Mishna de Avoda Zara en proposant de dire que le débat entre Rabbi Méir et Rabbanan se pose dans un cas où il n’y a pas de nourrice juive présente. Rabbanan pensent que s’il y a une supervision on ne tarde pas à chercher une nourrice juive car un enfant a un besoin impérieux de lait. Rabbi Méir pense que même s’il y a une supervision néanmoins la haine de la femme idolâtre est plus forte que le besoin de l’enfant et il faut chercher une nourrice juive. Mais les deux avis pensent que s’il y a une nourrice juive présente il est interdit de demander à une nourrice non-juive d’allaiter l’enfant. Bien que cette lecture soit bien cohérente dans la Beraïta, néanmoins le Rashba, le Ran et le Méiri concluent que ce n’est qu’une démarche de ‘Hassidout et que le lait d’une nourrice non-juive est complètement permis.


Traduisons la fin du commentaire du Rashba :
‘Malgré la démarche de Rabbénou ‘Hananel, il me semble qu’il est licite d’amener du lait de non-juive à un enfant même s’il y a du lait d’une femme juive disponible. Analysons. Disons qu’au pire il y ait un interdit rabbinique relatif au lait d’une non-juive, nous avons prouvé plus haut qu’il est licite de donner à manger un interdit rabbinique à un enfant, étant donné que nous avons prouvé que la conclusion légale est qu’un enfant qui mange quelque chose d’interdit le tribunal n’a pas l’obligation de l’empêcher. Mais nous avons trouvé dans le Midrash Shemot Rabba (chapitre 1,30 ; édition de Vilna 1,25) : (Shemot 2,7) « Irais-je chercher une nourrice hébreue pour qu’elle allaite l’enfant pour toi ? », mais était-ce interdit pour Moshé notre Maître de téter du lait d’une non-juive ? Mais n’est-ce pas que la Mishna nous enseigne qu’une nourrice non-juive peut nourrir l’enfant d’une juive si elle le fait dans le domaine de la femme juive ! Si c’est ainsi pourquoi Myriam a-t-elle dit cela à la fille de Pharaon ? Car celle-ci essayait de trouver une nourrice pour le petit Moshé mais il les refusait toutes. Et pourquoi les refusait-il ? D. a dit : la bouche qui parlera avec Moi tètera-t-elle quelque chose d’impur ? C’est ce que dit le verset (Yéshayahou 28,9) « Qui enseignera la connaissance ? Qui fera comprendre la transmission ? Ceux qui sont sevrés du lait, qui ont refusé les mamelles ». Il ressort clairement que le lait de non-juive st absolument permis, et qu’il n’y a que ce que l’on peut appeler une démarche de ‘Hassidout, comme je l’ai proposé dans ma première explication. Néanmoins tout cela nécessite encore éclaircissement.’

Effectivement le Rashba tranche le sujet en disant que le lait de non-juive est légalement complètement permis, néanmoins il n’en reste pas moins que la lecture première de la Beraïta va dans le sens de Rabbénou ‘Hananel.

VIII. Analyse de cette notion de Midat ‘Hassidout, de démarche de piété.
Il est intéressant de remarquer que Rabbi Yossef Caro ne mentionne pas cette notion de Midat ‘Hassidout ni dans le Beth Yossef ni dans le Shoul’han Aroukh.
Par contre Rabbi Moshé Isserless la rapporte dans ces notes sur שלחן ערוך יורה דעה סימן פ »א סעיף ז’ בהגה’ה  :
חלב נכרית כחלב ישראלית ומכל מקום לא יניקו תינוק מן הנכרית אם אפשר בישראלית דחלב נכרית מטמטם הלב ומוליד לו טבע רע התינוק וכן לא תאכל המינקת אפילו ישראלית דברים האסורים וכן התינוק בעצמו כי כל זה מזיק לו בזקנותו.
‘Le lait d’une non-juive a le même statut que le lait d’une juive, néanmoins on ne donne pas un enfant à une nourrice non-juive s’il est possible de trouver une juive car le lait d’une non-juive bouche le cœur et donne une mauvaise nature à l’enfant. De même que la nourrice ne mange pas de choses interdites, même si elle est juive (par exemple qu’elle doit manger des choses interdites par raison grave de santé). Et de même l’enfant lui-même qu’il ne mange pas de lui-même des choses interdites car cela peut lui porter atteinte dans ses vieux jours.’

Dans une première partie le Rama rapporte le Rashba et mentionne donc cette notion de Midat ‘Hassidout. Il y a deux aspects : premièrement l’intimité de la personne qui allaite est transmise à l’enfant qui tète. Deuxièmement nous voyons dans le Midrash rapporté par le Rashba que D. dit : ‘la bouche qui parlera avec Moi tètera-t-elle quelque chose d’impur ?’
Nous pourrions dire que nous mettons l’accent ici spécifiquement sur l’allaitement. En effet c’est ce que le Midrash dit : comment la bouche qui aurait tété d’une femme idolâtre pourrait-elle plus tard parler avec la Présence Divine, comme dit le verset (Bamidbar 12,8) : פה אל פה אדבר בו, « Bouche à bouche Je parle avec lui » ?
Mais dans un second temps le Rama généralise à tous les autres interdits alimentaires de la Torah. Au niveau de l’analyse stricte de la Guemara nous sommes perplexes face à cette généralisation des décisionnaires. Rapportons notre traduction de la conclusion légale de notre grand Maître le Aroukh HaShoul’han Yoré Déah chapitre 81,§34 :
‘Selon la loi stricte il est permis de confier un enfant juif à une nourrice égyptienne car son lait est Casher, néanmoins nos Maîtres ont écrit de ne pas laisser un enfant juif téter d’une égyptienne s’il est possible qu’il soit nourri d’une femme juive car le lait de l’égyptienne bouche le cœur de l’enfant et lui donne une nature mauvaise. De même une nourrice juive ne doit pas manger d’aliments prohibés par la Torah, même si cela lui est autorisé par exemple si elle est en danger si elle ne mange pas ces aliments, et dans un tel cas il faut empêcher l’enfant de téter de cette femme tant qu’elle mange ces aliments. De même on ne doit pas laisser un enfant manger des aliments interdits car tout cela bouche le cœur et lui fera des dégâts plus tard car il risque de se détourner plus tard des chemins de la Torah ‘Has VéShalom (Shakh chapitre 81,§26). Ce dont nous parlons s’applique nous seulement par rapport à des interdits de la Torah pour lesquels le père a l’obligation stricte d’empêcher son enfant (démarche de Rambam rapportée dans le Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haim 343), mais même si l’enfant mange des aliments interdits rabbiniquement pour lesquels le père n’a pas d’obligation d’empêcher son enfant, néanmoins cela bouche le cœur et on doit l’en empêcher. Cela a fait ses preuves malheureusement. Le Talmud Yéroushalmi dans le Traité ‘Haguiga (second chapitre) explique qu’une des raisons pour lesquelles Elisha ben Abouya est sorti de la tradition juive fut le fait que sa mère sentit un aliment interdit quand elle était enceinte de lui, et que cette odeur l’a poursuivi toute sa vie. Un des grands Maîtres, le Peri ‘Hadash, Rabbi ‘Hiskia Da Silva, écrit que du fait que l’on ne fait pas attention à tout ce dont nous venons d’enseigner la plupart des jeunes tournent mal et abandonnent la Tradition. Ce sont les effrontés de notre génération dont la Crainte de D. ne touche pas leurs cœurs et qui sont réfractaires à toute remarque et remontrance. C’est pourquoi il est urgent de faire attention à tout ce que nous venons d’enseigner dans ce paragraphe.’



IX. Quel est sur le fond le débat entre l’opinion qui dirait que le Beth Din doit intervenir et l’opinion qui dirait que le Beth Din n’a pas à intervenir ?
Rambam explique que si un enfant mange un aliment interdit ou bien fait un travail interdit le jour de Shabbat le tribunal n’est pas enjoint de l’en empêcher car l’enfant n’a pas de Daat. Il ressortirait que tant que la personne n’a pas de Daat la notion d’interdit n’a pas de sens pour cette personne. Il y a une notion d’éducation mais cette personne n’est pas dans la sphère de l’interdit et du permis. C’est pourquoi en soi il n’y a pas à empêcher l’enfant, jusqu’à l’âge de la Bar Mitsva, de manger cet aliment prohibé par la Torah ou d’arrêter de faire cette action prohibée le jour de Shabbat, si tant est qu’on ne l’habitue pas à le faire. Nous aimerions conforter cette démarche à partir de la Guemara du Traité Avoda Zara 54a où Rabbi Zira affirme qu’un acte commis sous Oness, contrainte, n’est pas considéré comme étant un acte. Un acte peut être considéré comme étant un acte s’il est mu par une volonté, par un Daat. C’est ce que dit Rabbi Zira, si une personne a dû se prosterner à son animal sous la contrainte de mort, quand bien même cette personne aurait-du se laisser tuer plutôt que de se prosterner, néanmoins comme il l’a fait sous la contrainte de mort, cet animal ne prend pas un statut de Néévad, נעבד, d’inapte pour être offert en Korban.
L’autre opinion qui tiendrait que bien que l’enfant ne soit pas Bar Daat, n’ayant encore pas de discernement, néanmoins il y aurait une prégnance de l’interdit par rapport à lui et nous serions enjoints de l’empêcher de transgresser. En d’autres termes l’interdit existe pour un mineur, mais n’étant pas Bar Daat, Ce grand débat est loin d’être tranché. En effet la Guemara dans Yévamot 114a dit que Rabbi Yo’hanan lui-même n’arrivait pas à le trancher. Le Beth Yossef aussi relève que le Rif ne prend pas position sur ce sujet. Bien qu’en fait Rambam et le Shoul’han Aroukh à sa suite tranche comme Rabbi Padat qui fait acte de jurisprudence. 
En fait notre analyse correspond presque mot pour mot avec celle que propose le Keren Ora, Rav Its’hak Minkovski, sur le sujet dans son commentaire sur Yévamot 113b.
 

  1. Développements sur les notions liées au ‘Hinoukh, à l’éducation. Traité Nazir 28b et Traité Yoma 82a.

    La Guemara dans le Traité Nazir 28b et 29b aborde le sujet de ‘Hinoukh que nous avons mentionné dans le sixième paragraphe de cette étude.
    La Mishna (quatrième chapitre de Nazir) enseigne :
    האיש מדיר את בנו בנזיר ואין האשה מדרת את בנה בנזיר.
    ‘L’homme est habilité à donner un statut de Nazir à son fils mais la femme n’est pas habilitée à donner un statut de Nazir à son fils.’

    De quoi s’agit-il ? La Torah présente un protocole appelé Nezirout, pour lequel quelqu’un prend sur lui de ne pas consommer du produit de la vigne, de ne pas se mettre au contact d’un mort durant un certain laps de temps et d’apporter des Korbanot à la fin de cette période ainsi que si malencontreusement il se soit rendu impur. Notre Mishna nous enseigne que le père peut donner ce statut à son fils qui n’est encore pas Bar Mitsva et l’enfant prend toutes les lois de Nezirout. Le père dit à son fils : sois Nazir ! Ou bien dit au sujet de son fils : mon fils untel est Nazir, l’enfant prend le statut de Nazir. A la fin de la période le père amène les Korbanot. Si l’enfant s’est renduטמא , impur, le père amène les Korbanot.

    La Guemara afférente demande :
    איש אין אבל אשה לא מאי טעמא רבי יוחנן אמר הלכה היא בנזיר ורבי יוסי ברבי חנינא אומר ריש לקיש כדי לחנכו במצות אי הכי אפילו אשה נמי קסבר איש חייב לחנך בנו במצות ואין האשה חייבת לחנך את בנה. בשלמא לרבי יוחנן דאמר הלכה היא בנזיר אמטו להכי בנו אין בתו לא אלא לריש לקיש אפילו בתו קסבר בנו חייב לחנכו בתו אינו חייב לחנכה.
    ‘La Mishna nous enseigne que l’homme est habilité à donner un statut de Nazir à son fils. Nous déduisons de là que la femme n’est pas habilitée à donner un statut de Nazir à son fils. Pour quelle raison ? Rabbi Yo’hanan dit que nous avons reçu au Sinaï (oralement) que telle est la Halakha spécifique dans les lois de Nazir. Rabbi Yossi ben ‘Hanina dit au nom de Rish Lakish : la loi est ainsi car il incombe au père d’éduquer son fils dans les Mitsvot. Mais si c’est ainsi la mère devrait aussi pouvoir donner un statut de Nazir à son fils ? Cela signifie que Rish Lakish pense qu’il n’incombe pas à la mère d’éduquer son fils dans les Mitsvot.
    Nous comprenons bien la démarche de Rabbi Yo’hanan qui dit que cet un arbitraire de la loi que nous avons reçu au Sinaï, c’est pourquoi le père n’est pas habilité à donner le statut de Nazir à sa fille, mais pour Rish Lakish qui dit que cela dépend de l’obligation que l’on a d’éduquer son enfant, pourquoi le père n’est-il pas habilité à donner le statut de Nazir à sa fille ? Cela signifie que pour Rish Lakish le père a l’obligation d’éduquer son fils dans les Mitsvot mais le père n’a pas l’obligation d’éduquer sa fille dans les Mitsvot.’

    Il y a une discussion de fond entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish. D’après Rabbi Yo’hanan la notion que le père peut donner le statut de Nazir à son fils, et non à sa fille, et que la mère n’ait pas cette capacité est une loi orale qui telle a été transmise au Sinaï. D’après Rish Lakish on ne parle ici que de l’institution rabbinique de ‘Hinoukh, d’éduquer aux Mitsvot.
    La Guemara affirme que d’après Rish Lakish le père a l’obligation d’éduquer son fils dans les Mitsvot mais le père n’a pas l’obligation d’éduquer sa fille dans les Mitsvot.

    Tossefot (Traité Nazir 28b דה »מ בנו אין בתו לא) explique :
    בנו דשייך במצוות לכשיגדל מוטל על האב אבל בתו לא.
    ‘Comme le garçon a part entière dans les Mitsvot lorsqu’il sera grand alors il incombe au père de l’y accoutumer, ce qui n’est pas le cas pour la fille.’

    Que veut dire Tossefot ? Mais les filles ont aussi l’obligation des Mitsvot lorsqu’elles ont douze ans révolus ?
    Le Shita Mekoubetset cite Tossefot HaRosh qui ajoute quelques mots :
    קסבר בנו חייב לחנכו במצות כדי שיהא מלומד לעשות מצוה וידע לעשותם כשיגדיל אבל בתו אינה חייבת כל כך במצות שיתחייב האב לחנכה.
    ‘Il pense (Rish Lakish) que le père a l’obligation d’éduquer son fils dans les Mitsvot pour qu’il ait l’habitude de les accomplir et qu’il sache bien le faire lorsqu’il sera grand, mais la fille n’a pas tant d’obligation dans les Mitsvot pour que le père aie l’obligation de l’y éduquer.’
    Là aussi nous sommes perplexes car certes les filles et femmes ne sont pas enjointes aux Mitsvot qui dépendent du temps mais il reste des centaines d’autres Mitsvot auxquelles les femmes sont astreintes. Nous pouvons dire dans un premier temps que de la même manière que la Mishna (Traité Kidoushin 29a) dit que le père a l’obligation de faire la Mila, le rachat du premier né, d’enseigner la Torah à son fils etc.. de même il incombe au père d’éduquer son fils à l’accomplissement précis des Mitsvot. La Torah exige un lien privilégié entre le père et son fils dès le premier âge de celui-ci, ce qui n’est pas le cas entre le père et sa fille.
    Nous pouvons aussi dire au sens simple qu’étant donné que les femmes ne sont pas enjointes des commandements positifs de la Torah qui dépendent du temps (Traité Kidoushin 29a) il faut dire que Tossefot HaRosh pense que la notion de ‘Hinoukh ne s’applique qu’aux commandements positifs or la femme n’y est que peu contrainte.
    Mais Tossefot dans Nazir, Tossefot Yéshanim dans Yoma 82a et Tossefot HaRosh dans Nazir posent une contradiction car nous voyons que dans la Mishna du huitième chapitre du Traité Yoma (82a) qu’il y a une obligation d’éduqyer les petits garçons et les petites filles à jeuner à Yom Kippour un ou deux ans avant l’age de la Bar Mitsva :
    התינוקות אין מענין אותן ביוה »כ אבל מחנכין אותן לפני שנה ולפני שנתיים בשביל שיהיו רגילין במצות.
    ‘On ne fait pas jeuner les enfants à Yom Kippour mais on les éduque un an ou deux (avant la Bar Mitsva)  pour qu’ils soient habitués dans les Mitsvot.’
    Le terme ‘enfants’ inclue les garçons et les filles. Nous voyons donc de cette Mishna que la notion de ‘Hinoukh, d’éducation concerne tant les garçons que les filles.
    Tossefot dans Nazir répond à cette contradiction en disant de manière sybiline : ‘il faut trouver une différence’. Certes mais que veut-il dire ?
    Tossefot Yéshanim dans Yoma disent qu’en fait lorsque la Guemara dans Nazir affirme que le père n’a pas à éduquer sa fille, cela ne concerne que le sujet précis de Nézirout mais en général le père a l’obligation rabbinique d’éduquer sa fille comme il l’a par rapport à son fils. Le Tossefot HaRosh rapporté dans la marge du Shass Vilna ajoute quelques mots très significatifs.
    ורבי יוסי ברבי חנינא אומר ריש לקיש כדי לחנכו במצות, דנזירות סייג לפרישות.
    ‘Rabbi Yossi ben ‘Hanina dit au nom de Rish Lakish que le sujet de la Mishna parle de l’obligation du père d’éduquer son fils dans les Mitsvot et ici particulièrement car la Nezirout est une éducation à la Prishout, à l’ascèse.’
    Il nous semble devoir dire que cette notion d’éducation à la Prishout, à l’ascèse, n’a pas sa place par rapport à la fille de manière précise. En effet nos Maîtres considèrent comme étant hautement négatif qu’une femme s’éduque à être ascétique comme dit la Mishna dans le Traité Sotha 20a) :
    ‘Rabbi Yéoshoua disait : un ‘Hassid idiot, un impie rusé, une femme ascète, et les coups que se donnent les ascètes à eux-mêmes (pour montrer leur contrition) sont ceux qui détruisent le monde’.


    XI. Démarche de Tossefot dans Traité Nazir 28b דה »מ בנו אין בתו לא.
    Tossefot posent la question suivante :
    Si la Mishna dans Nazir nous affirme que le père a l’obligation d’éduquer son fils aux Mitsvot de la Torah, comment donc la Guemara dans Yévamot peut-elle se demander si קטן אוכל נבלות בית דין מצווין להפרישו lorsqu’un enfant mange de la viande non-Cachère le Beth Din aurait ou non l’obligation de l’en empêcher ? Il est donc évident que l’on doit empêcher l’enfant de commettre cet interdit !
    Tossefot donne deux réponses à cette question (que nous avons déjà vue dans le Rashba).
    La première réponse de Tossefot est que la notion de ‘Hinoukh ne s’applique qu’aux commandements positifs or manger des aliments interdits correspond à une dimension négative. Cette réponse va dans le sens de la démarche du Rashba que nous avons étudiée au sixième chapitre de cette étude.
    La Mishna du Traité Yoma où l’on voit que l’on a l’obligation d’éduquer nos garçons et nos filles à jeuner un an ou deux avant la Bar Mitsva concerne la Mitsva positive de jeuner à Yom Kippour.
    La seconde réponse au nom de Rabbénou Its’hak est que la notion de ‘Hinoukh n’incombe qu’au père et non à quelqu’un d’autre.
    Il y a deux incidences pratiques entre les deux réponses. Selon la première réponse l’obligation de ‘Hinoukh incomberait à des personnes autres que le père. Selon la réponse de Rabbénou Its’hak la notion de ‘Hinoukh n’incombe qu’au père mais concerne aussi les dimensions négatives, les interdits de la Torah, selon le raisonnement suivant : si déjà on doit éduquer son enfant à accomplir des Mitsvot positives raison de plus que l’on doit l’éduquer à se préserver des interdits de la Torah comme dit le verset (Téhilim 34,15) : סור מרע ועשה טוב, « Eloigne-toi du mal et fais le bien ».

    Ces deux incidences nous interrogent. En effet le Rashba a prouvé de manière puissante que la notion de ‘Hinoukh ne concerne que le père et que cette notion n’inclut que les commandements positifs. Et d’ailleurs le Gaon de Vilna dans son commentaire sur le Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haim 343 tranche comme le Rashba sur ces deux points. 

XII. Démarche de Tossefot dans Shabbat 121a דה »מ שמע מינה קטן אוכל וכו’.
Rapportons la Guemara de Shabbat 121a pour pouvoir aborder les paroles de Tossefot qui s’y réfèrent.

Mishna :
נכרי שבא לכבות אין אומרים לו כבה ואל תכבה מפני שאין שביתתו עליהן אבל קטן שבא לכבות אין שומעין לו מפני ששביתתו עליהן.
‘Si un non-juif vient éteindre un incendie qui s’est déclaré chez un juif le jour de Shabbat, on ne lui dit pas : éteins ou n’éteins pas, car son repas ne leur incombe pas. Par contre si un enfant vient éteindre on ne l’écoute pas car son repas leur incombe.’
La Guemara va analyser :
שמעת מינה קטן אוכל נבלות ב »ד מצווין עליו להפרישו. אמר רבי יוחנן בקטן העושה לדעת אביו דכוותה גבי נכרי דקא עביד לדעתיה דישראל מי שרי נכרי לדעתיה דנפשיה עביד.
‘Pouvons-nous déduire de la Mishna que si un enfant mange quelque chose de non-Cashère le Beth Din est enjoint de l’en empêcher ? Rabbi Yo’hanan dit qu’il n’y aucune preuve à déduire de cette Mishna car nous parlons d’un enfant qui agit pour l’assentiment de son père. Mais si l’on parle d’assentiment, quelle est la différence pour le non-juif, s’il le fait pour l’assentiment du juif serait-ce permis de le laisser faire ? Le non-juif le fait pour son propre assentiment.’


Rashi explique :
‘On parle d’un petit qui sait comprendre qu’éteindre cet incendie est souhaité par son père et le petit le fait alors clairement pour son père. Le non-juif par contre même s’il sait que cela est souhaité par la personne juive, néanmoins le fait pour son propre intérêt car il sait que s’il éteint cet interdit les personnes juives lui seront reconnaissants et il n’y perdra pas.’

Le Ran, Rabbénou Nissim, dans son commentaire sur le Rif afférant à cette Mishna, développe le commentaire de Rashi de manière sublime :
ומפרקינן בקטן העושה על דעת אביו ומקשינן אי הכי נכרי נמי ומפרקינן נכרי אדעתא דנפשיה קא עביד כלומר שכל שהוא בן דעת אפילו כשהוא מכוין להנאתו של ישראל אדעתא דנפשיה מיקרי לפי שהוא שוקל בעצמו שראוי לו לעשות כך מפני שישתכר בו עכשיו או לאחר זמן אבל קטן שאין לו שקול הדעת ואינו עושה אלא מפני שמכיר דאבוה ניחא ליה בהכי אדעתא דאבוה מיקרי הלכך אסור.
‘C’est-à-dire dans le cas d’un non-juif qui a du Daat, du discernement, même s’il a l’intention de rendre service au Israël, s’il éteint le feu c’est sur sa propre initiative qu’il le fait car il évalue en lui-même si cela lui vaut le coup de le faire, et s’il en aura un profit maintenant ou un peu plus tard. L’enfant par contre n’évalue pas en lui-même. Il n’agit que parce qu’il reconnait que cela fera plaisir à son père qu’il éteigne le feu. Donc nous pouvons estimer qu’il ne le fait que pour son père. Donc cela sera interdit et il nous faut l’en empêcher.’

L’analyse du Ran est percutante et ouvre de vastes champs de réflexion. Un enfant, tant qu’il n’est pas arrivé à l’âge de la Bar Mitsva qui est grosso modo l’âge de la puberté, est considéré par nos Maîtres ne pas avoir de Daat, de discernement. Mais qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Le Ran nous donne quelques clefs à partir de cette Guemara de Shabbat 121a : c’est la capacité de peser le pour et le contre d’une action. Le Daat c’est le recul nécessaire pour décider ou non de faire cet acte. Avec la puberté et le début de son individualisation au niveau de son désir, l’individu cherche à se positionner. Avant il est mû par son environnement seul, par le conditionnement nécessaire dans lequel il évolue.
Du commentaire de Rashi il ressortirait que le petit éteindrait pour faire plaisir à son père mais que si c’était l’incendie de quelqu’un d’autre il serait permis de laisser le petit éteindre. Néanmoins le Beth Yossef prouve du Rif et du Rosh que même si l’on parle d’un incendie d’un autre juif qui n’est pas son père, il faudrait empêcher l’enfant car celui-là le fait indubitablement pour l’adulte, et c’est comme si cet adulte disait à l’enfant de le faire, ce qui est interdit. Et c’est la conclusion du Mishna Beroura (שולחן ערוך אורח חיים סימן של’’ד סעיף קטן ס »ו). Le Ran explique cela dans la suite de son commentaire :

ואפילו לדברי הרשב »א ז »ל שכתב בפ’ חרש ביבמות שם ד »ה ר’ יוחנן דלדידן דקיימא לן דאפילו בדאורייתא אין בית דין מצווין להפרישו באיסורין דרבנן ספינן להו בידים וכיבוי דליקה מדרבנן בעלמא הוא לדידן דקיימא לן כר’ שמעון דאמר מלאכה שאינה צריכה לגופה פטור עליה הכא שאני דכי ספינן ליה בידים לצרכו אבל לצרכנו אדרבה מחינן בידיה כדמוכח שמעתין.
‘On doit empêcher l’enfant, et cela même d’après l’opinion du Rashba qui dit que même pour un interdit de la Torah la conclusion légale est que le Beth Din n’a pas à empêcher un enfant qui mange quelque chose de non-Cashère et qu’un interdit rabbinique il est permis de le lui donner avec les mains, et qu’éteindre un incendie peut être considéré comme étant un interdit rabbinique, néanmoins ici on intervient et on l’empêche. En effet lorsque nous disons qu’il est permis de donner avec la main un interdit rabbinique c’est si c’est pour le besoin de l’enfant, or ici indubitablement nous parlons que c’est pour le besoin de l’adulte, dans ce cas on empêche l’enfant de le faire.’

Récapitulons. La Guemara dans son hypothèse première de lecture pensait que l’on pourrait déduire de la Mishna que si l’on empêche l’enfant d’éteindre ce serait à titre du principe de קטן אוכל נבלות בית דין מצווין להפרישו, ‘si un enfant mange quelque chose de non-Casher il faudrait l’en empêcher’.
Tossefot דה »מ שמע מינה קטן וכו’ veut dire que lorsque la Mishna dit qu’un enfant qui vient éteindre on lui dit qu’il ne la fasse pas on parle d’un enfant de tout âge, même d’un enfant qui n’est pas arrivé à ce que l’on appelle ‘l’âge du ‘Hinoukh’, car si cet enfant était arrivé à ce que l’on appelle ‘l’âge du ‘Hinoukh’ indubitablement il faudrait l’empêcher car si l’on a l’obligation d’éduquer un enfant aux Mitsvot de la Torah, raison de plus qu’il faudrait l’empêcher de faire des transgressions de la Torah !’


Nous avons vu dans le paragraphe précédent que d’après la première réponse de Tossefot dans le Traité Nazir l’obligation de ‘Hinoukh concernerait d’autres personnes que le père, néanmoins le ‘Hinoukh ne concerne que les commandements positifs de la Torah et non les commandements négatifs. Notre Tossefot dans le Traité Shabbat affirme que si nous avons l’obligation de ‘Hinoukh raison de plus que nous devrions intervenir pour empêcher un enfant d’un âge de ‘Hinoukh à ne pas fauter, et que cette intervention toucherait d’autres que le père.
Nous sommes perplexes. Quelle est l’hypothèse de dire que la notion de ‘Hinoukh impliquerait d’autres personnes que les parents, et que le père plus précisément ? [Outre le fait que le Rashba (§6 de cette étude) ait prouvé de manière magistrale qu’il ressort de la Guemara de Niddah 46b qu’il n’y a pas de ‘Hinoukh relatif aux interdits même en ce qui concerne le père. Seconde question contre ce Tossefot : la Guemara de Niddah 46b veut déduire d’un enfant proche de l’âge de la Bar Mitsva qui aurait fait un vœu qu’on devrait l’empêcher de transgresser à titre de קטן אוכל נבלות et non à titre de ‘Hinoukh]

Si l’on lit Tossefot dans Shabbat 121a de manière rigoureuse, il serait néanmoins possible de dire que le ‘Hinoukh dont il parle ne concernerait que le père. En effet tels sont les mots précis de Tossefot :
ונראה דמיירי בקטן שלא הגיע לחינוך דבהגיע לחינוך כיון שחייב לחנכו כ »ש דצריך להפרישו שלא יעשה עבירה.
‘Il semble que la Mishna parle du cas d’un enfant qui n’est pas arrivé à l’âge de ‘Hinoukh, car s’il est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh du fait qu’il a l’obligation de l’éduquer, raison de plus qu’il doit l’empêcher pour qu’il ne fasse pas d’interdit.’

Tossefot parle au singulier : ‘du fait qu’il a l’obligation’, et ‘qu’il doit l’empêcher’.
La lecture donc de Tossefot est que si l’enfant est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh il est inutile d’entrer dans les catégories de קטן אוכל נבלות, puisque de toute façon le père doit l’empêcher à titre d’éducation. Et d’ailleurs le Teroumat HaDéshèn (chapitre 94) et le Gaon de Vilna sur le Shoul’han Aroukh (סימן שמ »ג דה »מ אבל אביו כו’) lisent ainsi ce Tossefot. Mais de la fin des paroles de Tossefot il ressort clairement que Tossefot de Shabbat pensent comme la première réponse de Tossefot dans Nazir que la notion de ‘Hinoukh s’adresse à tout un chacun. Et d’ailleurs il ressort clairement des mots de Rabbi Moshé Isserless dans le Shoul’han Aroukh (Ora’h ‘Haim 343) qu’il comprend que la notion de ‘Hinoukh s’adresse à tout un chacun :
ויש אומרים דכל זה בקטן דלא הגיע לחינוך אבל הגיע לחינוך צריכים להפרישו.
‘Certains disent que tout ce dont on parle ne concerne qu’un enfant qui n’est pas arrivé à l’âge de ‘Hinoukh car s’il est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh on est obligé de l’empêcher.’
‘On est obligé’, c’est-à-dire : tout un chacun.

Nous proposons de dire qu’il y a un débat de fond entre les commentaires qui disent que le ‘Hinoukh ne concerne que le père et ceux qui pensent que tout un chacun est concerné par le ‘Hinoukh de l’enfant, et de manière annexe que le ‘Hinoukh englobe aussi le fait que l’enfant, à partir d’un certain âge, devrait respecter les interdits de la Torah.
Les premiers pensent que le ‘Hinoukh ne concerne que le père. L’enfant n’étant pas enjoint des Mitsvot n’a aucune sorte d’obligation en tant que lui-même. C’est le père qui doit introduire son enfant dans le monde des Mitsvot. La seconde démarche pense que lorsque les ‘Hakhamim parlent de ‘Hinoukh et d’âge de ‘Hinoukh, cela signifie que l’enfant, bien qu’il ne soit pas enjoint par les Mitsvot d’après la Torah, néanmoins rabbiniquement les ‘Hakhamim ont enjoint les enfants à certaines Mitsvot en tant qu’eux-mêmes. De ce fait l’enfant a des obligations, donc tout un chacun est responsable que cet enfant juif respecte ce qui lui incombe.


XIII. Est-ce qu’un enfant qui n’est pas Bar Mitsva peut rendre quitte un adulte de son obligation de Mitsva ?

Cette question est révélatrice du problème que nous avons soulevé dans le paragraphe précédent. Des passages du Talmud paraissent a priori se contredire sur cette grande question.

Abordons tout d’abord la Guemara du Traité Berakhot 20b :
נשים בברכת המזון דאורייתא או דרבנן למאי נפקא מינה לאפוקי רבים ידי חובתן אי אמרת בשלמא דאורייתא אתי דאורייתא ומפיק דאורייתא אלא אי אמרת דרבנן הוי שאינו מחוייב בדבר וכל שאינו מחוייב בדבר אינו מוציא את הרבים ידי חובתן מאי ת »ש באמת אמרו בן מברך לאביו ועבד מברך לרבו ואשה מברכת לבעלה אבל אמרו חכמים תבא מארה לאדם שאשתו ובניו מברכין לו אי אמרת בשלמא דאורייתא אתי אורייתא ומפיק דאורייתא אלא אי אמרת דרבנן אתי דרבנן ומפיק דאורייתא ולטעמיך קטן בר חיובא הוא אלא הכא במאי עסקינן כגון שאכל שיעורא דרבנן דאתי דרבנן ומפיק דרבנן.
‘La Mishna nous enseigne que les femmes ont l’obligation de faire le Birkat HaMazon (la Berakha après avoir mangé le repas), mais cette obligation est-elle d’après la Torah ou n’est-elle pas d’après la Torah ? Qu’elle est l’incidence pratique à cette question ? Ce sera pour rendre quitte les autres de leurs obligations. Si tu dis que la femme a l’obligation de faire le Birkat HaMazon d’après la Torah nous comprendrons bien qu’une femme puisse alors rendre quitte autrui de son obligation car vient une obligation d’après la Torah et rend quitte une obligation d’après la Torah , mais si tu dis que l’obligation de la femme n’est que rabbinique, il se trouve donc que la femme d’après la Torah n’aurait aucune obligation, comment donc quelqu’un qui n’est pas enjoint d’une chose pourrait-il rendre quitte quelqu’un d’autre qui le serait ? Qu’en est-il ?
Viens écouter. Nos Maîtres enseignent : en vérité le fils fait la Berakha, la bénédiction, pour son père, l’esclave cananéen pour son maître, et la femme fait la Berakha pour son mari, mais nos Maîtres disent que vienne la malédiction à l’homme dont sa femme et ses enfants le rendent quitte de ses Berakhot.
Si tu dis qu’effectivement la femme a l’obligation de faire Birkat HaMazon d’après la Torah, nous comprenons bien que vient une obligation de la Torah rendre quitte quelqu’un qui a l’obligation d’après la Torah, mais si tu dis que la femme n’a qu’une obligation rabbinique de faire le Birkat HaMazon, comment une obligation rabbinique peut-elle rendre quitte d’une obligation d’après la Torah ? (donc cet enseignement veut prouver que la femme a une obligation de la Torah de faire Birkat HaMazon, mais la Guemara va réfuter cette preuve)
Mais d’après ta logique, l’enfant est-il enjoint des Mitsvot pour rendre quitte son père ? Nous sommes donc obligés de dire que nous parlons que l’adulte a mangé du pain pour une mesure qui ne le rend obligé de dire le Birkat HaMazon que de manière rabbinique (et l’enfant ayant l’obligation de dire le Birkat HaMazon de manière rabbinique pourra rendre quitte l’adulte qui a une obligation de dire le Birkat HaMazon de manière rabbinique).’



Plusieurs préliminaires sont nécessaires pour aborder ce passage.
Il est écrit dans la Torah (Devarim 8,10) :
ואכלת ושבעת וברכת את ה’ אלקיך על הארץ הטובה אשר נתן לך.
« Tu mangeras et tu seras rassasié et tu béniras l’Eternel ton D. pour la bonne terre qu’Il t’a donnée. »
Nos Maîtres déduisent de ce verset l’obligation de la Torah d’exprimer une bénédiction une fois que l’on a mangé et que l’on est rassasié. Cette Mitsva ne dépend pas du temps, donc c’est une Mitsva positive qui ne dépend pas du temps pour laquelle a priori une femme serait enjointe au même titre qu’un homme. Néanmoins la Guemara se demande si cette obligation incombe aussi aux femmes d’après la Torah. Il y a plusieurs thèses pour étayer cette hypothèse, voir Rashi et Tossefot.
D’autre part le verset dit « et tu seras rassasié ». Nos Maîtres apprennent de là que l’obligation de Birkat HaMazon ne s’impose d’après la Torah que si l’on a mangé du pain selon une mesure significative, qui est concrètement une mesure de KaBeitsa, d’un œuf. Néanmoins nos Maîtres ont institué que l’on dise le Birkat HaMazon dès que l’on a mangé une mesure plus petite de pain, une mesure appelée KaZaït, d’une olive.
La Guemara réfute la preuve qu’elle avait voulu amener dans un premier temps que la femme pourrait rendre quitte son mari de Birkat HaMazon donc qu’elle aurait l’obligation de dire Birkat HaMazon d’après la Torah, en disant qu’il est possible de dire que cette Beraîta parle du cas où le mari aurait mangé une mesure qui m’oblige de manière rabbinique de faire Birkat HaMazon et là la femme qui aurait cette obligation de manière rabbinique pourrait le rendre quitte de son obligation rabbinique.
Mais cela implique que l’enfant rendrait quitte l’adulte qui a mangé une mesure rabbinique à titre que l’enfant aurait lui-même une obligation de faire la Mitsva de manière rabbinique. Nous voyons donc de ce passage du Traité Berakhot que l’enfant a une obligation de faire la Mitsva en tant que lui-même, et non à titre de son père.
Ceci corrobore la démarche que nous proposée dans Tossefot dans Shabbat 121a.


XIV. Question à partir de la Guemara du Traité Méguila 19b.
La Mishna dans le second chapitre du Traité Méguila (19b) nous enseigne :
הכל כשרים לקרות את המגילה חוץ מחרש שוטה וקטן רבי יהודה מכשיר בקטן.
‘Tout le monde est habilité à lire la Méguila sauf le sourd, le fou et l’enfant. Rabbi Yéhouda rend apte l’enfant.’

Nos Maîtres ont institué l’obligation d’écouter la lecture de la Méguila le jour de Pourim. L’obligation n’est pas de lire la Méguila mais de l’écouter. Par contre on ne peut l’écouter et être quitte de cette obligation rabbinique que si on l’entend de quelqu’un qui en a l’obligation.
C’est pourquoi le premier avis pense que si un enfant lit la Méguila, un adulte qui l’écoute n’est pas quitte de son obligation.
Les Rishonim posent la question : de quel enfant parle-t-on ? Si nous parlons d’un enfant qui est arrivé à ce que l’on appelle l’âge du ‘Hinoukh, mais nous venons de voir dans le Traité Berakhot 20b que les Sages lui ont fait incomber une obligation des Mistvot bien qu’il soit exempt fondamentalement d’après la Torah ! Pourquoi ne serait-il pas habilité à rendre quitte un adulte de son obligation ?

Nous trouvons plusieurs démarches dans les Rishonim pour répondre à cette grande question.
Le Rithva sur Méguila 19b et le Ran afférent à cette Guemara sur le Rif rapportent la démarche du Ramban (Mil’hamot haShem sur Berakhot et ‘Hidoushim sur Kidoushin 31a). Rapportons le langage du Rithva :
‘Ce qui me parait juste est que l’enfant, même s’il est à l’âge appelé du ‘Hinoukh, n’est d’aucune manière astreint aux Mitsvot et même de manière rabbinique. Mais il nous incombe à nous adultes de l’éduquer dans les Mitsvot. Et non seulement cela mais même s’il mange des aliments non-Cashères le tribunal n’est aucunement enjoint de l’en empêcher. C’est pourquoi l’enfant, même s’il est à l’âge appelé du ‘Hinoukh, ne peut d’aucune manière rendre quitte un adulte d’une Mitsva même rabbinique, car toute personne qui n’est pas obligée d’une chose ne peut rendre quitte de son obligation la personne qui en est obligée. Si c’est ainsi comment Rabbi Yéhouda peut-il dire qu’un enfant peut être habilité à rendre quitte un adulte de son obligation d’écouter la lecture de la Méguila ?
Il faut dire que le débat dans la Mishna est le suivant. Rabbi Yéhouda pense que l’enfant, à partir du moment où il est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh, il est juste de le rendre obligé d’écouter la lecture de la Méguila car les enfants étaient partie prenante du miracle de Pourim. Et de ce fait là, les enfants (à l’âge de ‘Hinoukh) peuvent rendre quitte les adultes de leur obligation. Cela ressemble au fait que les ‘Hakhamim ont obligé les femmes à écouter la Méguila bien que ce soit en quelque sorte une Mitsva positive qui dépend du temps, or en général les Mitsvot positives qui dépendent du temps les femmes soient exemptes, car justement les femmes étaient partie prenante du miracle de Pourim.
Les ‘Hakhamim s’opposent à Rabbi Yéhouda et disent que les femmes étant adultes sont astreintes aux Mitsvot de manière générale, ils les ont donc astreintes aussi à écouter la Méguila et en ont fait comme une Mitsva qui ne dépend pas du temps, tandis que l’enfant est exempt même des interdits les plus graves de la Torah et de tous les châtiments. Donc il n’est pas légitime de rendre obligés les enfants d’écouter la lecture de la Méguila en tant qu’eux-mêmes, quand bien même étaient-ils partie prenante dans le miracle de Pourim.
Et si tu me poses la question de la Guemara de Berakhot où l’enfant rend quitte son père et l’épouse son mari de l’obligation de dire le Birkat HaMazon, il faut dire que l’on parle là-bas d’un enfant adulte et que la Guemara veut dire qu’il est désolant qu’un père ait besoin de son fils pour être quitte de son obligation de Mitsva. Et lorsque la Guemara dit que l’on parle que l’adulte a mangé du pain selon une mesure qui n’oblige à dire le Birkat HaMazon que de manière rabbinique, cela concerne la femme, car la Guemara veut réfuter le fait que la femme serait obligée de faire le Birkat HaMazon d’après la Torah.’
Mais comme nous l’avons vu plus haut, la Guemara de Berakhot dit que l’enfant qui a mangé une mesure de pain qui le rendrait obligé de dire le Birkat HaMazon d’après la Torah pourrait rendre quitte son père qui a mangé une mesure de pain qui l’obligerait à dire le Birkat HaMazon rabbiniquement !Le Ramban dans le Mil’hamot HaShem sur Berakhot répond à cette question :
ומגיהי ספרים הגיהו במיעוט נוסחאות ולטעמיך בן מברך לאביו אלא שטעות הוא דקטן אפילו הגיע לחינוך אינו מוציא אחרים אפילו בדרבנן כדתנן מגילה פ »ב מ »ד הכל כשרין לקרות את המגילה חוץ מחרש שוטה וקטן וטעמא דמילתא משום דחינוך מצוה דאביו הוא ואיהו לאו בר חיובא הוא כלל.
‘Et si tu me retorques qu’il est écrit dans la Guemara de Berakhot que le fils fait le Birkat HaMazon pour son père, c’est une version du texte qu’on annotée certains scribes, mais c’est une erreur car un enfant, quand bien même serait-il à l’âge du ‘Hinoukh, ne peut d’aucune manière rendre quitte un adulte, même d’une obligation rabbinique, comme nous le voyons dans la Mishna du second chapitre de Méguila : Tout le monde est habilité à lire la Méguila sauf le sourd, le fou et l’enfant. La raison en est que le ‘Hinoukh, la Mitsva d’éduquer, incombe au père, mais l’enfant lui-même n’a aucune obligation d’aucune sorte.’

Relevons un point dans le raisonnement du Rithva qui est en son fond la démarche du Ramban. Il dit que l’enfant ne peut rendre quitte l’adulte de la lecture de la Méguila car il n’incombe aucune obligation à l’enfant d’aucune sorte. La preuve en est qu’un enfant qui mange un aliment interdit, il n’incombe pas au tribunal de l’en empêcher. Il ressort de là que s’il y avait une obligation même de manière rabbinique qui incomberait à l’enfant, nous aurions une responsabilité de l’empêcher de manger un aliment interdit.

Cette démarche est grandiose, mais elle implique de bouleverser la version du texte que nous avons dans le Traité Berakhot.


XV. Démarche du Rashba, dans son commentaire sur Méguila 19a. Que signifie l’expression ‘le Beth Din a l’obligation d’empêcher l’enfant de manger un aliment interdit ou non ?’
Le Rashba veut répondre à notre question. Il propose une démarche sublime.
‘Pourquoi un enfant qui est à l’âge de ‘Hinoukh ne rendrait-il pas quitte un adulte d’écouter la lecture de la Méguila qui est une obligation rabbinique, nous voyons de la Guemara de Berakhot qu’un enfant qui a une obligation rabbinique de dire le Birkat HaMazon peut rendre quitte un adulte qui a mangé une quantité qui n’oblige que rabbiniquement (selon la version du texte classique, et non celle de Ramban) ?
Il me semble qu’une Mitsva dont son fondement est rabbinique comme écouter la Méguila ou dire le Hallel a une dimension de gravité et l’obligation d’éducation en est bien inférieure, c’est pourquoi un enfant n’est pas habilité à rendre quitte un adulte de son obligation d’écouter la Méguila. Par contre le Birkat HaMazon dont la base de l’obligation est d’après la Torah, seulement les Sages ont élargi le champ de l’obligation et on enjoint rabbiniquement de faire le Birkat HaMazon dès que l’on a mangé un KaZaït de pain pour nous habituer à le faire, il est alors compréhensible qu’un enfant qui est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh qui est une insistance pour l’habituer dans les Mitsvot déjà avant l’âge de l’obligation stricte pourra rendre quitte un adulte qui a mangé une mesure rabbinique. En effet dans les deux cas le principe de l’obligation est le même.’

Il ressort des paroles du Rashba qu’il y a deux types d’institutions rabbiniques. Des commandements dont la base est rabbinique, comme le Hallel et la lecture de la Méguila, et des institutions rabbiniques qui sont reliées à des Mitsvot de la Torah et dont la fonction est de nous éduquer à bien respecter ces Mitsvot de la Torah. Le Rashba innove et nous aide à lire la Guemara du Traité Berakhot comme quoi ce n’est que dans le cas précis de Birkat HaMazon que nos Maîtres nous enseignent qu’un enfant qui est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh peut rendre quitte un adulte qui a une obligation rabbinique de dire le Birkat HaMazon. En effet, dit-il, les deux obligations rabbiniques sont du même type, c’est-à-dire du type éducatif, pour nous apprendre à bien faire la Mitsva de Birkat HaMazon. Est-ce à dire que le Rashba penserait que l’enfant, bien qu’il n’ait pas l’âge d’être considéré responsable face aux Mitsvot, serait néanmoins enjoint à titre de ‘Hinoukh en tant que lui-même ? Que dans une certaine mesure il serait enjoint rabbiniquement aux Mitsvot, contrairement à la démarche de Ramban ?
Nous suggérons de dire que le Rashba nous invite à réfléchir à ce qu’est cette institution rabbinique de faire le Birkat HaMazon dès que l’on a mangé un KaZaït de pain. Le Beth Din, le tribunal, a une responsabilité d’éduquer le peuple d’Israël. Et c’est d’ailleurs l’expression à la base de notre sujet :
est-ce que le Beth Din a l’obligation d’empêcher l’enfant de manger un aliment interdit ou non ?
Nous pouvons maintenant lire la Guemara de Berakhot : l’obligation que nous avons de faire le Birkat HaMazon dès que l’on a mangé un KaZaït est strictement du même type que l’obligation qu’a l’enfant de dire ce même Birkat HaMazon. Dans le premier cas les Sages nous font incomber de faire le Birkat HaMazon dès KaZaït pour nous éduquer à donner de l’importance à cette grande Mitsva, de même le père ou le Beth Din a l’obligation d’éduquer l’enfant à respecter les commandements de la Torah avant qu’il n’en ait l’obligation pour qu’il puisse vivre et accomplir de manière harmonieuse ces Mitsvot lorsqu’il en aura l’obligation en tant que lui-même.


XVI. Démarche de Tossefot dans le Traité Méguila 19b דה »מ ורבי יהודה.
Tossefot dans le Traité Méguila 19b posent notre question et répondent de la manière suivante :
‘Il faut dire que bien que l’enfant soit arrivé à l’âge de ‘Hinoukh néanmoins il ne peut pas rendre quitte un adulte de l’obligation d’écouter la lecture de la Méguila car l’adulte a une obligation rabbinique d’écouter la Méguila tandis que l’enfant même dans les autres commandements de la Torah n’a qu’une obligation rabbinique. Il se trouve donc que l’enfant a par rapport à la lecture de la Méguila deux niveaux d’obligation rabbinique, une obligation rabbinique à titre d’éducation et une obligation rabbinique de lire la Méguila. Donc ne vient pas quelqu’un qui a deux aspects d’obligation rabbinique et rendrait quitte l’adulte qui n’a qu’un seul aspect d’obligation rabbinique qui est d’écouter la lecture de la Méguila.’

Il ressort clairement que Tossefot pensent qu’un enfant qui est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh est enjoint en tant que lui-même rabbiniquement des Mitsvot de la Torah. C’est pour cela qu’il peut rendre quitte un adulte d’une obligation rabbinique de Birkat HaMazon et là est la preuve principale de cette démarche de Tossefot. Nous pouvons dès lors rendre compte de la démarche de Tossefot dans le Traité Shabbat 121a où Tossefot disent qu’il y a une obligation d’empêcher un enfant qui a l’âge de ‘Hinoukh s’il mange un aliment interdit, comme nous l’avons vu dans le paragraphe douze de cette étude.


XVII. Démarche du Baal HaHitour.
Rabbénou Nissim, le Ran, dans son commentaire sur le Rif au second chapitre du Traité Shabbat Hilkhot ‘Hanouka, tranche qu’un enfant n’est pas habilité à allumer les lumières de ‘Hanouka. Néanmoins il rapporte la démarche du בעל העיטור, Rabbi Yits’hak ben Aba Mori de Marseille, que si l’enfant est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh il est habilité à allumer les lumières de ‘Hanouka. Il se base sur le Talmud Yéroushalmi dans le second chapitre du Traité Méguila. Le Talmud Yéroushalmi rapporte plusieurs cas de jurisprudences où un enfant a rendu quitte la communauté de l’obligation d’écouter la lecture de la Méguila. Le Yéroushalmi conclut que cela dépend de la coutume. Le Mishna Beroura dans les Hilkhot Méguila chapitre 689,§6 rapporte au nom du livre Sama dé’Hayé que si nous sommes dans une situation limite où il n’y a aucun adulte qui sait lire la Méguila si ce n’est un enfant, nous pouvons exceptionnellement nous baser sur cet avis et rendre quitte par cet enfant s’il est arrivé à l’âge du ‘Hinoukh.
Quelle est la logique du Baal HaHitour ?
Le Gaon de Vilna (הלכות חנוכה סימן תרע »ה על המחבר סעיף ג’) explique que le Hitour tranche la Halakha comme Rabbi Yéhouda de la Mishna du Traité Méguila qui dit qu’un enfant rend quitte de la lecture de la Méguila. La preuve de cette démarche est justement que la Guemara dans Berakhot dit qu’un enfant qui est arrivé à l’âge de ‘Hinoukh peut rendre quitte un adulte qui a mangé un KaZaït de pain. Certes nous avons vu plus haut les démarches du Ramban, du Rashba et de Tossefot, mais il faut dire que le Hitour, sur la base du Yéroushalmi, comprend que de la même manière que lorsqu’on éduque l’enfant à accomplir une Mitsva nous avons l’obligation de lui procurer par exemple un Loulav Cashèr, de la même manière, lorsqu’on lui fait incomber d’accomplir une Mitsva, on l’éduque à se vivre selon une certaine responsabilité juridique.

Il y a plusieurs degrés dans la perception de sa responsabilité. Un enfant qui n’est pas Bar Daat, qui n’est pas considéré avoir du discernement, est fondamentalement exempt des Mitsvot. Néanmoins nous voyons que nos grands Maîtres lancent de grands débats sur les limites de cette affirmation.
Nous aimerions conclure cette étude sur une remarque que plusieurs commentateurs font sur le début des Hilkhot Kidoush HaShem dans le cinquième chapitre des Hilkhot Yéssodé HaTorah de Rambam.

כל בית ישראל מצווין על קידוש השם הגדול הזה שנאמר ונקדשתי בתוך בני ישראל.
‘Toute la maison d’Israël est enjointe de sanctifier ce Grand Nom là, comme dit le verset (Vayikra 22,32) « Je suis sanctifié au sein des enfants d’Israël ».’

Les commentateurs se demandent : que veut dire Rambam en disant ‘toute la maison d’Israël’, il aurait été tout aussi compréhensible de dire qu’il a une Mitsva de sanctifier etc.. ?
Plusieurs répondent (voir Emeth LéYaakov de Rav Yaakov Kamenetsky) que cela vient nous enseigner que même les enfants sont enjoints de sanctifier le Nom de D..
Nous rapportons notre traduction de son commentaire :
עיין ברמב »ם פ »ה מהלכות יסודי התורה הל »א שכתב וז »ל כל בית ישראל מצווין על קדוש השם הגדול הזה וכו’ עכ »ל במה שכתב כל בית ישראל וכו’ כיון לרכות אפילו קטנים כדכתינ תהלים קט »ו פי »ב יברך את בית ישראל גו’ הקטנים עם הגדולים וגו’ והטעם נראה לי מדלא כתוב תקדישו את שמי דאז י »ל דלא דיבר הכתוב אלא עם המקדשים אבל מכיון דכתיב
‘Toute la maison d’Israël est enjointe de sanctifier ce Grand Nom là. Lorsque Rambam écrit toute la maison d’Israël, son intention est d’inclure même les enfants, comme dit le verset dans Téhilim 115,12 « Il bénira la maison d’Israël (…) les enfants avec les grands » ( Rav Kamenetsky lit le verset ainsi : la maison d’Israêl, c’est-à-dire les enfants avec les grands, donc lorsque Rambam dit que toute la maison d’Israël est enjointe de sanctifier etc… , cela signifie aussi les enfants) . Il me semble expliquer la raison de la manière suivante. Le verset ne dit pas « Sanctifiez mon Nom », ce qui mettrait l’accent sur ceux qui sanctifient, mais étant donné qu’il est écrit « Je suis sanctifié au sein des enfants d’Israël », si nous pouvons nous exprimer ainsi le verset met l’accent sur D. qui est sanctifié, ce qui sera le cas aussi par le biais des enfants.
Nous trouvons une allusion à cette démarche du verset que Rambam rapporte dans son livre des Mitsvot, Mitsva 9, dans Yishayahou 29,23 « Lorsqu’il voit Ses enfants, l’œuvre de Ses mains, qui sanctifient Mon Nom », le verset met l’accent sur Ses enfants.
Il me semble que c’est là-dessus que ce sont appuyé nos aïeux au Moyen-Age qui ont livré leurs veis et celles de leurs enfants pour sanctifier le Nom de D., mais que surtout ils ne se convertissent pas à autre chose. Analysons. Que les adultes se livrent à la mort plutôt que de convertir à autre chose, cela leur est exigé car nous sommes enjoints de nous laisser tuer plutôt que de faire l’idolâtrie, mais les enfants ne sont pas enjoints des Mitsvot, donc qui leur a permis de livrer leurs enfants à la mort ? Mais d’après notre démarche tout est compréhensible. En effet si les enfants se convertissaient, à D. ne plaise, ce serait une terrible profanation du Nom, donc indubitablement cette Mitsva incombe aussi aux enfants et ils en sont ordonnés.’    

Nous voyons de cette démarche de Rambam, mise en relief par Rav Yaakov Kamenetsky (et d’autres commentateurs de Rambam), qu’il y au moins une Mitsva pour laquelle les enfants juifs sont enjoints en tant qu’eux-mêmes, le commandement de sanctifier le Nom de D., bien qu’ils ne soient pas considérés avoir du Daat, du discernement.

Fort de ces enseignements, nous pouvons aborder la démarche du Baal HaHitour de la manière suivante. Nous voyons dans le Traité Berakhot qu’un enfant est habilité à rendre quitte un adulte de son obligation si celle-ci est d’ordre rabbinique. D’après le Baal HaHitour, cette Guemara est l’opinion de Rabbi Yéhouda dans Méguila 19b. Ceci signifierait que pour Rabbi Yéhouda, et ainsi tranche halakhiquement le Hitour, un enfant est concerné en tant que lui-même par les Mitsvot rabbiniques, par les obligations rabbiniques. Il est concerné par les commandements rabbiniques comme un adulte l’est, et peut donc l’en rendre quitte. Nous pourrions dire qu’il y a une différence fondamentale entre les commandements de la Torah et ceux qui sont d’ordre rabbinique. La vie juive est façonnée par les commandements rabbiniques. Notre attachement à la vie juive s’exprime par notre accomplissement des obligations rabbiniques, elle est basée sur la Emouna, sur la confiance dans les paroles de nos Maîtres. La Emouna dépasse la dimension du Daat, c’est un attachement, une confiance. C’est cette même confiance qui nous enjoint à sanctifier le Nom de D., par attachement au fait d’être juif, ceci dépasse le Daat, et l’enfant en a l’obligation comme l’adulte. 

(1) Nous ne pouvons qu’être éblouis par la liberté de lecture du texte de la Guemara que nous propose ici notre grand Maître Rabbi Yossef Caro.

(2) Le lait d’un animal interdit est interdit d’après la Torah, Traité Berokhot 6b.

(3) Voir le Tiféret Israël du Maharal à la fin du chapitre 44 qui relève que les femmes sont plus proches des Mitsvot négatives que des Mitsvot positives.

(4) En effet il interdit d’éteindre un incendie le jour de Shabbat (tant qu’il n’y pas de danger pour la vie). Cet interdit peut être un interdit de la Torah dans certains cas, un interdit rabbinique dans d’autres.

(5)  Ce méandre du raisonnement de la Guemara expliqué par le Ran nous permet, outre l’impact Halakhique majeur du sujet, de mettre à jour une différence fondamentale entre intelligence et Daat. La culture occidentale met l’accent sur l’intelligence. Or un enfant peut être éminemment intelligent. Mais le Daat, le discernement, qui est un marqueur de la liberté humaine, de la responsabilité humaine, émerge avec l’éveil de l’âge du désir qui est constitutif de notre individualité. 

(6) Voir Shaaré Tsioun §54.

(7) Voir le Mishna Beroura pour définir de quelle sorte de sourd il est question אורח חיים סימן תרפ »ט ס »ק ה’.

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