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Uchronie Hassidique

par: D. Scetbon

Publié le 27 Mars 2023

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Toute personne qui a été amenée à assister à une soirée du Seder, la soirée de Pessah, a entendu ce passage qui ne manque pas d’être intriguant : « Et si le Saint Béni soit-Il ne nous avait pas sortis d’Egypte, voici que nous serions encore, nous nos enfants et nos petits-enfants, asservis à Pharaon. »

Rabbi Chmouel Bornstein, Rabbi de la cour hassidique de Sokhatchov ,analyse ce passage dans son commentaire sur la Hagada, le récit de la sortie d’Egypte que nous étudions ce soir-là.
« Il faut comprendre [le sens de ce passage] : Si D.ieu ne nous avait pas sortis d’Egypte, il n’y aurait pas eu de don de la Torah et en conséquence le monde serait retourné au Tohu Bohu, comme l’expliquent les Sages du Talmud, dans le traité Chabat (88a) »
Essayons de décrypter la pensée du maître. On peut aisément saisir l’idée que le don de la Loi dépende de la sortie d’Egypte et de l’accession du peuple à une liberté au moins physique, préalable indispensable. Mais le texte du traité Chabat permet d’aller un pas plus avant.

Ce passage talmudique interroge le récit biblique de la création du monde.
«Le verset dit : « il fut soir il fut matin, LE sixième jour ». Pourquoi, demande le Talmud, le terme sixième est-il introduit par l’article défini ? (la lettre Hé en hébreu), cela nous enseigne que D.ieu a posé une condition à l’acte d’origine (la création) en disant : si Israël accepte la Torah vous serez pérennes, dans le cas contraire je vous fais retourner au Tohu Bohu. »
« De même, le verset du livre de Jérémie (33,25) : nous dit-il : « Ainsi a dit l’Eternel, si mon pacte avec le ciel et la terre pouvait cesser d’exister, si je cessais de fixer des lois au ciel et à la terre. »
Ici le Rav Bornstein se réfère de manière très elliptique, non à la lecture du sens obvie de ce texte mais au sens midrashique qui lui est donné à de multiples occasions dans la littérature rabbinique. Le pacte dont il est question ici est alors une alliance, celle de la Torah elle-même. La création est générée mais sur un mode conditionnel, soumise à l’acceptation future de la Loi. Ainsi relu, le verset prendrait le sens suivant : « Si ce n’était mon alliance (la Torah), les cieux et la terre n’auraient pas subsisté . » Ce passage conforte celui issu du traité Chabat, précédemment énoncé.

On comprend donc qu’envisager, comme le fait la Hagada, un scénario pour le moins audacieux, dans lequel la sortie d’Egypte n’aurait pas eu lieu, aurait pour conséquence l’impossibilité du don de la Torah, ce qui ipso facto n’autorisant pas la réalisation de la condition divine posée à la création, conduirait alors le monde à un retour au néant.
L’auteur poursuit :

« Mais dans un tel cas, ni Pharaon ni l’Egypte n’auraient existé ! »
Nous voilà donc en pleine aporie ! Il ne peut exister d’alternative historique hypothétique dans laquelle Israël serait resté esclave, comme semble le proposer le texte de la Hagada, car c’est alors le don de la Torah qui est mis en péril et donc en quelque sorte la possibilité même de l’existence du monde.
Dès lors, comment la Hagada peut-elle proposer une telle hypothèse ?

. Qu’est-ce que le tohu bohu ? Question qui paraît saugrenue tant cette expression si commune, passée dans la langue française, est couramment utilisée pour qualifier le néant dans ce qu’il a de plus informe.
Le Rabbi de Sokhatchov va donc travailler à redéfinir les termes du problème
« Il semble que le tohu bohu ne soit pas le néant absolu, car le tohu bohu est lui-même une création. »
Autrement dit, il faut lire ce stade du récit biblique non comme un état antérieur à l’acte de création mais comme une étape de cette création déjà en marche. Le tohu bohu est un « état créé. »

« Ainsi, si Israël n’avait pas accepté la Torah, le monde ne serait pas retourné au néant absolu mais seulement au [stade du] tohu bohu et serait alors advenu à la réalité un monde autre. »
Ici le maître hassidique soutient l’idée que ce retour au tohu bohu serait une ouverture à d’autres mondes possibles, d’autres versions de l’histoire humaine.
« mais de toutes façons, ce serait un monde fait d’un grand mal majoritaire, du fait du monde qui l’a précédé, monde qui n’a pas été purifié par la Torah. »
Le Chem michmouel nous décrit ce monde alternatif comme un monde qui n’a pas connu la loi. Un monde sans une morale transcendante, un monde où le mal se donne libre cours .
« Et bien que les âmes d’Israël auraient également été présentes dans ce monde, elles auraient été noyées dans les profondeurs du mal, sans espoir de guérison. »

Si Israël est le peuple prêtre, celui qui apporte au monde l’idée même de la responsabilité morale portée par la loi, il est impuissant à accomplir cette mission sans cette loi elle-même. Un monde où ne surgit pas la loi est voué à un mal inéluctable.
« C’est ainsi qu’il faut comprendre les termes employés par la Hagada « nous serions encore asservis à Pharaon c’est-à-dire [non Pharaon et l’Egypte au sens propre mais ] les forces du mal qui sont en Pharaon et en l’Egypte, même revêtues d’autres habits».
Rav Bornstein relit le texte de la Hagada de manière éclairante : le Pharaon n’est qu’un avatar parmi d’autres des forces maléfiques. Ces forces qui s’expriment dans le cadre de l’histoire telle que nous la connaissons, auraient pu prendre une tout autre forme, dans une version autre de l’histoire humaine. C’est à cela que la Hagada fait référence : l’absence de la sortie d’Egypte eut été un abandon de l’humanité aux forces négatives auxquelles « nous, nos enfants et les enfants de nos enfants aurions été livrés.

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