Torah révélée, Torah imposée…
par: Joël GozlanA partir d’une étude avec Philippe Zerbib, en remerciant aussi le Rav Elie Lellouche et Pessah Birnbaum pour leur aide sur certains passages de Guemara ou du Maharal.
Publié le 01 Février 2021
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Notre parachat Ytro relate les circonstances de la révélation de la Torah au Mont Sinaï.
On y lit ainsi (Chémot 19/17).
Moïse fait sortir le peuple à l’approche de la Divinité, en dehors du camp, et ils se tiennent au bas de la montagne.
Les sages s’interrogent sur cette dernière précision
Rachi nous éclaire : Au sens littéral : « au pied de la montagne ». Mais le Midrach rapporte que la montagne a été arrachée à sa base et s’est incurvée sur eux comme une coupole.
Ce Midrash étonnant est explicitée dans une guemara, (Shabbat 88A), au nom du Rabbi Avdimi bar Ḥama bar Hassa.
« Et ils s’arrêtèrent au pied de la montagne” cela signifie qu’Achem a retourné sur eux la montagne comme une marmite, en leur disant (la guemara s’appuie ici sur l’autre sens du mot Kofé qui peux également signifier « les a obligés ») : SI VOUS ACCEPTEZ LA TORAH, EXCELLENT. SINON CE SERA ICI VOTRE TOMBEAU!!!
Sur place, les Tossefot réagissent…
Pourquoi fallait-il retourner sur eux la montagne? Les enfants d’Israël n’avaient-ils pas prononcé cette incroyable parole, ce « Narrassé Venishma » énoncé quelques pages plus loin (on sait qu’il n’y a pas de chronologie dans la Torah)
Chémot, 24/7. Et il prit le livre de l’Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: Tout ce qu’a prononcé l’Éternel, nous l’exécuterons puis nous comprendrons »
Ce « Narassé Venishma » était –en elle-même- une parole folle, incroyable, brisant tout ce qu’a pu incarner dans l’histoire une pensée qui se voit illimitée, toute puissante… Parole de rupture radicale avec la philosophie grecque et sa croyance illusoire en un pouvoir illimité de la pensée.
Mais les Tossefot ont raison… Avec ce Midrash et cette Mishna, on est perdu!
C’est quoi, ce don de la Torah? D’un côté, on l’accepte « Narassé Venishma », mais de l’autre, on nous oblige?… LE REVOLVER SUR LA TEMPE !!
Mais alors ce don, ce n’est plus un don, c’est un coup de force ! Et à fortiori à destination d’un peuple ayant accepté sans réserve cette Torah.
INCROYABLE! Un coup de force envers un peuple désirant… Ce serait comme un viol (Has Véshalom) d’un corps consentant !
Cette contradiction apparente entre l’acceptation spontanée de la Torah par le peuple juif et cette obligation vitale de l’accepter a fait couler beaucoup d’encre parmi nos commentateurs.
Selon le midrash Tanhouma, le « Narassé Venishma » concernait l’acceptation entière et spontanée de la Torah Che’bihtav, la Torah écrite, mais qu’il a fallu obliger le peuple pour l’acceptation plus difficile de la Torah orale (Torah Che-bealpé).
Le Maharal de Prague (Tifferet Israel Perek 32) propose une interprétation plus « cosmique ». Le Maharal nous explique que LA TORAH C’EST LE SOCLE DU MONDE, sa « raison d’être » ontologique… Et plus précisément, c’est l’acceptation de la Torah par le peuple juif qui constitue le véritable socle de la création, le pourquoi de cette création, qui sans elle reviendrait à l’état originel du tohu et bohu… L’enjeu est donc tel qu’on ne peut le laisser à l’arbitraire du peuple juif.
En d’autres termes, ce n’est pas négociable et il faut donc obliger le peuple.
Un ami de ma kehila me proposait une autre idée. On compare souvent l’amour qu’Hachem porte au peuple juif à l’amour d’un père pour ses enfants. Or tout parent sait que l’on impose parfois aux petits enfants des règles, car on sait que ces règles sont bonnes, voire vitales pour eux et que si on ne les imposait pas, l’enfant irait selon son bon vouloir… et risquerait des accidents…
Donc, par amour, on force!
J’aimerai finir sur une autre piste, magnifique, que nous propose la guemara.
Nous nous trouvons dans le traité KIDDUSHIN 31A, sur des pages expliquant la mitsva fondamentale du KIVOUD AV VA HEM, le respect dû aux parents.
Pour éclairer cette mitsva, la guemara relate l’histoire de Dama Ben Netina.
Dama Ben Netina était un non juif d’Ashkelon qu’on avait cherché pour lui acheter une pierre de jaspe, qui avait été égaré du pectoral du Cohen Gadol. Impossible d‘en trouver une autre dans tout le royaume, et une délégation avait recueilli beaucoup d’argent pour acheter cette pierre à ce « Oved Kokhavim » (ou idolâtre).
Le problème était que la clé du coffre de cet homme était sous l’oreiller de son père, qui s’était assoupi…. Dama Ben Netina, quelque-soit le montant proposé (jusqu’à 800000 dinars d’or) a refusé de réveiller son père, perdant ainsi, par le respect qu’il lui a manifesté, une grosse somme d’argent !
En récompense, il lui est advenu l’année suivant une récompense prodigieuse, puisque est née dans son troupeau une Para Adouma parfaite, une vache rousse, qu’il a pu vendre au même prix.
A propos de la récompense octroyée à ce non juif, la guemara rapporte un commentaire étrange de rabbi HANINA : (Kiddushin, 31A)
« Si Dama ben Netina, qui n’était pas astreint (à cette mitsva du Kivoud Av) a eu cette récompense, à fortiori celui qui est astreint mérite encore plus ».
Et pourquoi, cela? Rabbi Hanina se cite lui-même : «car plus méritant est celui qui est astreint et qui fait que celui qui n’est pas astreint et qui fait ».
Cette remarque nous laisse perplexes, on n’a pas l’impression d’avancer.
Certes, on reste dans une logique de rupture avec la logique grecque qui privilégie la compréhension avant l’action, mais franchement, on manque d’arguments!
Quid de la « responsabilité » ? Quid du libre arbitre?
On préfère être des libres penseurs ou des libres acteurs, cela paraît plus glorieux, plus méritoire non? C’est quoi ce truc de malade !!??
Là encore, un commentaire extraordinaire de Tossefot illumine ce paradoxe.
« Il semble pour nous que « celui qui est obligé et fait » est meilleur, car il souffre et est dans l’inquiétude de peur qu’il ne transgresse, bien plus que celui qui n’est pas obligé, car celui-ci a du « pain dans son panier », parce que s’il le souhaite, il se défait !!
INCROYABLE!!! En d’autres termes, il y aurait deux écueils majeurs de l’acte « désirant » soulevés par ce Tossefot génial.
1)La versatilité des mitsvot faites par désir : Le jour où l’on n’en n’aura plus le désir, la mitsva disparaitra.
Aujourd’hui engagé, demain désengagé !!! Ou l’Engage…MENT !!
2) La précision moindre de l’acte réalisé par désir, par manque d’inquiétude vis-à-vis de cet acte. L’inquiétude de celui qui fait la mitsva par obligation va donner une grande précision et un réel engagement dans la réalisation de cet acte, car cet acte n’est pas seul tributaire de son désir. Nous connaissons tous cela : Le souci de bien faire…
L’obligation amène à une réflexion permanente sur l’adéquation de son acte à ce que désire exactement Hachem (et non pas l’adéquation de cet acte à nos désirs, à géométrie variable!)
3) A cela, j’ajouterai un dernier écueil menaçant l’acte réalisé en réponse à un désir. Il me semble qu’on n’ira jamais plus loin que ce désir-là, qu’on peut facilement être limité par son propre désir, sans possibilité de s’aventurer au-delà…
Cette pauvreté en instance (qui nous « pend au nez ») de l’acte spontané, « désiré », nous fait en revanche entrevoir le potentiel INFINI de la mitsva faite pour Hachem et réalisée avec inquiétude, car répondant à une injonction venant d’en haut.
On peut ainsi comprendre que ce « coup de force » envers les enfants d’Israël –peuple consentant- est en fait une bonté de Hachem, qui leur permettra de réaliser les mitsvot sans être bornés –et bernés- par toutes ces limites.
Pour finir, nous pouvons d’ailleurs nous réjouir…
Car Pourim approche et le même daf de guemara (Shabbat 88A) nous rappelle qu’à ce moment-là, au temps de Ahachveroch : « Les juifs ont été « ordonnés » et avaient repris sur eux –et en pleine conscience- la Torah révélée du mont Sinaï », précisément à ce moment de l’exil et du péril perse… Et ce avec d’autant plus de mérites, que Hachem était totalement invisible!
Puissions-nous nous inquiéter -et nous délecter- sans limites de l’accomplissement de toutes nos belles mitsvot imposées!
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