Dédié à l’élévation de l’âme de mon beau-père Amram Yona ben Chalom z’’l, qui nous a quitté il y a quatre ans le 5 Chevat 5778, et qui n’a rien épargné pour laisser après lui une famille de Tora.
Après avoir contemplé neuf plaies s’abattre sur l’Egypte, et alors que la délivrance est toute proche pour les Hébreux, la dixième plaie –la mort des premiers nés, exige une participation symbolique de leur part (Chemot 12, 21-23) :
Moché appela les anciens d’Israël et leur dit : « sélectionnez et prenez pour vous du menu bétail, pour vos familles, et égorgez le « Pessa’h ». Vous prendrez un bouquet d’hysope, vous le tremperez dans le sang (…) et vous atteindrez le linteau et les deux poteaux (…). Que personne ne sorte de la porte de sa maison jusqu’au matin. Hachem passera pour frapper l’Egypte, Il verra le sang sur le linteau et sur les deux poteaux, Hachem sautera [Passa’h] par dessus la porte et il ne permettra pas au fléau d’entrer dans vos maisons pour frapper.
Ces versets sont étonnants : Hachem a-t-il vraiment besoin d’un signe pour savoir quelle maison appartient à l’oppresseur égyptien et laquelle est celle de l’Hébreu ? Bien entendu, il y a là une volonté de mettre la fidélité des Hébreux à l’épreuve –l’agneau étant la divinité égyptienne. Mais alors, pourquoi celui qui a accompli le rituel convenablement doit impérativement rester chez lui, sous peine d’être lui aussi frappé ? Il est impensable que la mort des premiers nés, emblème de l’omniscience d’Hachem qui sait distinguer entre celui qui est ainé et celui qui ne l’est pas, puisse faire des victimes collatérales !
Le second investissement qu’il est demandé aux Hébreux en vue de leur délivrance, est de se circoncire (voir Rachi sur Chemot 12,6), au point que pour certains, le sang appliqué sur la porte est un mélange du sang de l’agneau pascal, et de la Brit Mila (voir Targoum Yonatan sur Chemot 12,13). Etre circoncis est un impératif absolu pour pouvoir sacrifier un Korban Pessa’h. Mais pourquoi en est
il ainsi ? Que vient faire la circoncision là-dedans, plus que n’importe quelle autre Mitsva ?
Pour répondre à ces questions, penchons-nous sur un court extrait de la Mekhilta de Rabi Yichmael (sur Chemot 12, 7) : « Il y avait trois autels en Egypte : le linteau et les deux poteaux [des portes] ». C’est une constatation qui parait anodine : le sang d’un sacrifice doit normalement être aspergé sur un mizbea’h (autel), mais en Egypte c’est la porte des maisons qui en a fait l’office. Sur le plan symbolique en revanche, il y a là un enseignement d’importance : en Egypte, au cœur de l’exil, ce sont les maisons des Hébreux –et plus particulièrement les portes qui en marquent les limites avec l’extérieur, qui ont servi de Temple, de lieu de résidence pour la présence divine.
Il est remarquable que les Hébreux, en deux cent dix ans de servitude, et alors qu’ils avaient largement délaissé la pratique des mitsvot, ont su néanmoins préserver leur identité –l’héritage des patriarches et in fine leur vocation à faire émerger la voix de la Tora dans le monde. En Egypte, tous les éléments étaient réunis pour détruire la famille juive. Tout d’abord, il était notoire que les Egyptiens avaient des mœurs déplorables, le prophète Ye’hezkel (23, 20) comparant même leur lubricité à celle du cheval. Techniquement aussi, les maris étaient sous la domination totale des Égyptiens qui les épuisaient à tel point que la Hagada témoigne des difficultés pour le couple de se retrouver –si tant est qu’il eut trouvé le courage de le faire malgré le décret d’extermination des nouveau-nés mâles. Et si les filles étaient épargnées, ce n’était que pour plus tard les séduire et se mêler à elles pour achever les Hébreux par le fléau de l’assimilation, nous dit Rav ‘Hayim de Brisk. Dans ces conditions, il est extraordinaire que pas une seule femme juive (à une exception près, voir Rachi sur Bamidbar 26, 5) ne se soit laissée abuser par un Egyptien durant ces siècles d’esclavage ! Au contraire, les femmes juives chérissaient leur famille et encourageaient leurs maris exténués à perpétuer les générations (voir Rachi sur Chemot 38,8).
Ainsi le maintien de la famille juive est ce qui a sauvé les Hébreux de l’extinction en Egypte, et c’est cette maison qui est célébrée lors du rituel qui précède la dernière plaie. « Que personne ne sorte de la porte de sa maison », pour bien montrer que c’est par le mérite de cette maison, de cette porte, que vous sortez d’Egypte. D’ailleurs le Korban Pessa’h doit être pris « pour vos familles », « un agneau par maison » (Chemot 12,3), façon ultime de consacrer l’unité familiale et de résister à l’influence égyptienne, enseigne Rav Elyachiv. Et la fête de Pessa’h reste jusqu’à nos jours la fête familiale par excellence, dédiée à l’éducation de la future génération. Que répondons-nous au fils qui s’interroge sur ce rite ? « C’est un sacrifice de Pessa’h à Hachem qui a sauté [Passa’h] par-dessus les maisons des fils d’Israël en Egypte, quand il a frappé l’Egypte et il a sauvé nos maisons. » (Chemot 12,27). Le verset est clair : c’est l’Egypte qui est frappée, ce sont nos maisons qui sont sauvées. La sainteté du foyer juif est la raison et la condition de la délivrance. Il n’est pas étonnant alors que les Hébreux aient dû pratiquer la Brit Mila pour la mériter, cette alliance scellée sur l’organe de la transmission étant la promesse d’une discipline sanctificatrice dans ce domaine.
Rav Neuburger fait remarquer que par contraste avec la sainteté des maisons juives épargnées, les maisons égyptiennes sont toutes, sans exception, touchées par la mort des premiers nés (Chemot 12,30) et Rachi explique que même là où le mari n’avait pas de premier-né mâle, il y avait à son insu dans sa maison un premier-né issu d’une relation extra-conjugale entre sa femme et un homme dont c’était l’ainé. C’est de cette bassesse que les Hébreux se sont distingués.
Le Rambam (Hilkhot Melakhim 9,1), étrangement, indique qu’Amram, le père de Moché Rabénou, a institué certains commandements en Egypte, sans préciser lesquels. Le Maharatz ‘Hayess dit qu’il s’agit des mitsvot de kiddouchin –mariage, et guirouchin –divorce (il a lui-même été contraint de divorcer de sa femme puis l’a épousée à nouveau). Ces mitsvot donnent un cadre et une sanctification au couple juif. En plus d’avoir engendré le libérateur des Hébreux, Amram aurait donc une belle part dans le maintien du peuple juif à travers l’exil d’Egypte, et dans sa délivrance.
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