Messieurs, certainement ne vous êtes-vous encore jamais épilés [Tout au long de notre article, nous entendrons par « épilation » celle des aisselles, du maillot et de tous les autres endroits du corps à l’exception de la barbe et des Péoth qui procèdent d’un sujet en soi.] par pure addiction à la mode. En revanche, peut-être souffrez-vous de démangeaisons les jours de grandes chaleurs et avez-vous été tentés d’utiliser votre rasoir à des fins apaisantes ? Peut-être vos épouses ou vous-mêmes en avez assez des auréoles sous les bras ou peut-être voudriez-vous, par simple souci esthétique, posséder un corps lisse ? Peut-être alors avez-vous renoncé, mus par un diffus sentiment de gêne vis-à-vis de la halakha, de votre virilité ?
Mais vous êtes-vous demandé si la Torah autorise, oui ou non cette pratique ?
Le Problème
La question de l’épilation masculine est soulevée par un passage du traité Nazir (59a):
Rabbi Hiya bar Abba au nom de Rabbi Yo’hanan dit : Quiconque se rase les aisselles ou les parties génitales est passible de flagellation. Objectons la Beraïta suivante : Se raser (le corps) n’est pas un interdit de la Torah mais un interdit rabbinique (or l’on n’est passible de flagellation que lorsqu’on transgresse un interdit de la Torah) ? La flagellation dont parlait rabbi Yo’hanan est en fait une flagellation elle-même d’ordre rabbinique (Makat mardout, flagellation dont on est passible si l’on transgresse sciemment un interdit rabbinique).
Certains rapportent autrement l’enseignement de Rabbi Yo’hanan : Rabbi Hiya bar Abba au nom de Rabbi Yo’hanan dit : Quiconque se rase les aisselles ou les parties génitales est passible de flagellation (celle qui découle de la transgression d’un interdit de la Torah) au titre du verset (Devarim 22, 5) : « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme ». Objectons alors la Beraïta suivante : Se raser (le corps) n’est pas un interdit de la Torah mais un interdit rabbinique ? En réalité Rabbi Yo’hanan suit l’opinion de cet enseignant qui dit dans une Beraïta : Quiconque se rase les aisselles ou les parties génitales transgresse l’interdit : « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme ».
Il existe donc une discussion entre deux tanaïm à propos de notre sujet, l’un pensant qu’il s’agit d’un interdit de la Torah, l’autre suggérant qu’il s’agit plutôt d’un interdit rabbinique.
En tout état de fait, s’épiler semble bien interdit par la Halakha au titre du verset : « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme » !
Une précision importante est néanmoins apportée par un passage de la Guemara qui précède (Nazir 58b) :
Rav dit : On peut se raser tout le corps (excepté la barbe et les Péoth) avec un rasoir. On objecte : Pourtant il est marqué : Quiconque se rase les aisselles ou les parties génitales est passible de flagellation ? Ça c’est avec un rasoir, Rav parlait lui avec des ciseaux. Pourtant Rav a bien dit « avec un rasoir » ? Il voulait dire « comme avec un rasoir » [c’est-à-dire : au plus près de la peau mais avec des ciseaux (Rachi)].
Il ressort visiblement de ces passages qu’il est donc interdit de se raser les aisselles et les parties génitales avec un rasoir mais qu’il est autorisé de le faire avec des ciseaux, même au plus près de la peau.
Du problème de la Guirssa (version)…
Pourtant, la plupart des Richonim, du Rif au Roch en passant par Maïmonide, interdisent de s’épiler, y compris avec des ciseaux ?!?
Pourquoi ? Et bien parce qu’ils ont tous en leur possession une autre version de notre Guemara, différente de celle imprimée dans les éditions courantes. La voici, ainsi rapportée par le Rif et le Roch sur le troisième chapitre du traité Makot :
Rav dit : On peut se raser tout le corps avec un rasoir. On objecte : Pourtant il est marqué : Quiconque se rase les aisselles ou les parties génitales est passible de flagellation ? Rav parlait des autres parties du corps (thorax, jambes, etc.) mais pas des aisselles et des parties génitales. Est-il réellement permis de se raser les autres parties du corps ? Il est pourtant écrit dans une Beraïta : Se raser (le corps) n’est pas un interdit de la Torah mais un interdit rabbinique ? Ça c’est avec un rasoir, Rav parlait lui avec des ciseaux. Pourtant Rav a bien dit « avec un rasoir » ? Il voulait dire « comme avec un rasoir ».
Il ressort donc de ce passage qu’il est permis de se raser les autres parties du corps aux ciseaux, même au plus près de la peau, mais que se raser les aisselles et les parties génitales est totalement interdit, même avec des ciseaux !
C’est pourquoi le Choul’han Aroukh (Yoré Déah 182, 1) conclut ainsi :
Celui qui se rase les poils des aisselles ou des parties génitales, même avec des ciseaux et au plus près de la peau, est frappé de la flagellation donnée à celui qui transgresse un interdit rabbinique. […] Il est en revanche permis de se raser les autres membres du corps (jambes, thorax, etc.) avec des ciseaux[[Nous ne traiterons volontairement pas du statut du rasoir électrique car déterminer s’il entre dans la catégorie talmudique de « rasoir » ou de « ciseaux » nécessite une étude à part entière.]].
Des précisions apportées par le Choul’han Aroukh…
Rabbi Yossef Caro ajoute (Yoré Déah 182, 1) :
(Celui qui se rase les poils des aisselles ou des parties génitales, même avec des ciseaux et au plus près de la peau, est frappé de la flagellation donnée à celui qui transgresse un interdit rabbinique). Dans quel cas parle-t-on ? Dans des lieux géographiques où seules les femmes se rasent ces endroits […] Mais dans des lieux où les hommes le font également, si lui se rase on ne le flagelle pas.
Il ajoute également (Yoré Déah 182, 4) :
Celui qui a des boutons sous les aisselles ou au niveau des parties génitales et que les poils font souffrir peut les enlever.
Ces deux précisions soulèvent deux problématiques indispensables au traitement des questions posées en préambule :
1)Les interdits inhérents au sujet de « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme » sont-ils fonctions des endroits et des périodes ?
2)Quels types de souffrances physiques ou morales permettent de se raser des endroits d’ordinaire interdits ?
Nous traiterons ces sujets indépendamment.
Des habitudes inhérentes à un endroit et une période donnés…
Il existe à ce propos chez les Richonim trois démarches :
1)Le Rachba (Chout HaRachba 5, 121), au nom des Guéonim, soutient qu’il est totalement permis de se raser les aisselles et les parties génitales dans un lieu où les hommes ont l’habitude de le faire[[La question de savoir si l’on tient compte en la matière de l’habitude des non Juifs d’un endroit ou uniquement de celle des Juifs (ce qui signifierait que si la majorité des Juifs d’un endroit ont pris cette mauvaise habitude, on les laisse faire) est soulevée par le Précha sur le Tour (182, 5). Nous suivrons ici l’opinion de Rav Ovadia Yossef qui pense que l’on tient compte de l’habitude adoptée par les non Juifs.]].
2)Le Ran (sur le Rif dans Avoda Zara) soutient qu’il est à priori permis de le faire mais que les Talmideï Hakhamim, les sages, doivent s’en abstenir.
3)Le Beit Yossef (sur le Tour 182) déduit du langage du Rambam (Avoda Zara 12, 9) qu’il pense que nous sommes face à un cas de פטור אבל אסור. Il est interdit à priori de le faire mais si on l’a fait l’on n’est passible d’aucune sanction.
Concrètement, le Choul’han Aroukh précité (Yoré Déah 182, 1) semble conclure comme le Rambam. Le Rama (Id.), quant à lui, optant pour la démarche du Ran.
Pourtant, aux Achkénazim qui considèreraient que nous sommes aujourd’hui en un lieu et une période où les hommes se rasent le Gaon de Vilna opposera malgré tout une fin de non recevoir.
En effet dans son commentaire sur le Choul’han Aroukh (Yoré Déah, 156, lettre 7), il s’oppose fermement à la démarche du Ran pour ne retenir que celle du Rambam.
En tout état de cause, il semble bien difficile d’utiliser l’argument de « l’habitude des hommes de l’endroit » pour autoriser le rasage des aisselles ou des parties génitales[[De plus, même si l’on en tenait compte, on pourrait se poser la question suivante : les hommes d’aujourd’hui le font-ils en tant qu’hommes ou bien pour ressembler aux femmes ?]].
De la souffrance que la pilosité peut engendrer…
S’il est bien clair que le texte du Choul’han Aroukh cité plus haut autorise de se raser les aisselles ou les parties génitales à partir du moment où les poils occasionnent une souffrance physique, même minime comme une démangeaison, quant est-il d’une gêne psychologique due à des auréoles sous les bras par exemple ?
Le Mordekhi (Chabbat 327) nous dit ceci :
Des hommes avec une pilosité importante sur les mains et qui de ce fait ont honte de se montrer en public peuvent les retirer. Il n’y a pas dans ce cas d’interdit de « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme » ; il n’y a pas de souffrance plus grande que celle-ci.
Il semble donc que le Mordekhi intègre la notion de honte aux catégories de souffrances à prendre en compte pour permettre ce qui est rabbiniquement interdit au titre du verset « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme ».
Le Tiféret Israël quant à lui nous dit (Avoda Zara Perek Beth, Michna Beth) :
Tout celui qui s’apprête à sortir et a peur que se trouvent des plumes dans ses poils de barbe ou une saleté sur le visage ou un défaut à ses vêtements, même s’il n’a qu’un doute, il peut se regarder dans le miroir (alors que c’est d’ordinaire interdit au titre de « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme ») pour vérifier au titre de כבוד הבריות, du respect dû aux créatures divines.
D’après Rav Israël Lifshitz donc, il semble bien que par dignité, il est préférable de transgresser les interdits d’ordre rabbinique découlant du verset « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme », même si aucune souffrance, ni morale ni physique, n’est en jeu.
Le Igueroth Moché semble lui aller encore plus loin (Yoré Déah 2, Siman 61) :
Un homme qui voudrait teindre ses cheveux blancs (alors que c’est d’ordinaire interdit au titre de « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme ») non pas par souci esthétique mais parce que sinon il risquerait de na pas être reçu à un entretien d’embauche, il est logique de permettre, à l’instar du Bakh qui autorise le port d’un habit de femme pour un homme et réciproquement pour lutter contre la chaleur ou le froid.
D’après Rav Moché Feinstein, il semble que seuls sont interdits au titre du verset « Un homme ne doit pas se vêtir d‘un habit de femme» les soucis d’ordre esthétiques. Si un homme souhaite se teindre les cheveux blancs, se regarder dans le miroir ou se raser les aisselles pour une toute autre raison, il n’y a aucun problème.
Du problème de « Chalom Bayit »…
Posons maintenant la question suivante :
A la vue des éléments exposés plus haut, qu’en serait-il d’un homme qui n’est absolument pas dérangé par sa pilosité ou par les auréoles qu’elle engendre mais dont la femme est dérangée par cela et à qui elle demande de se raser ?
Il est plus que logique de dire que si une femme est dérangée par l’apparence de son mari, en public ou en privé, il est autorisé que celui-ci se plie à ses requêtes. Même si aucun divorce n’est en jeu mais que son désir physique pour lui peut être ne serait-ce qu’un tant soit peu amenuisé parce que, par exemple, elle préfère dans l’intimité côtoyer un corps lisse, il est absolument conseillé qu’il se rase – ne serait-ce que parce qu’elle est également une « créature » et qu’elle entre donc elle aussi dans la catégorie concernée par la notion de כבוד הבריות ou, comme dirait peut-être Rav Feinstein, parce qu’il ne le fait pas pour être beau mais pour plaire à sa femme.
Conclusion…
Il va sans dire que chaque personne à qui se pose une question à ce sujet doit consulter un Possek Halakha car chaque cas est particulier. Néanmoins, nous pouvons affirmer en résumé à cette étude les principes halakhiques suivants.
-Un homme ne doit pas se raser par pur souci esthétique, même si les hommes qui l’entourent le font.
-Un homme dont le seul souci n’est pas d‘être beau mais est, pour une raison ou pour une autre, de ne pas être laid peut, a priori, se raser les aisselles, les parties génitales et, à plus forte raison les autre parties du corps à l’exception de la barbe et des Péoth[[Il est préférable à ce moment là de se raser avec des ciseaux mais si les ciseaux ne suffisent pas, il peut utiliser n’importe quel type de rasoir.]].
Réflexion…
Une petite histoire pour finir. Elle suit directement les passages halakhiques cités dans ce texte.
Je laisse à chacun le soin d’en déduire ce que bon lui semble…
Un homme fut condamné à une flagellation rabbinique par le tribunal présidé par Rabbi Ami. Lorsqu’il se dévêtit (pour qu’on lui administre les coups de bâton), Rabbi Ami se rendit compte qu’il n’était pas rasé sous les bras. Il dit alors aux bourreaux : laissez-le partir (et ne le châtiez pas), la loi est forcément de son côté (il ne peut pas avoir commis de faute). (Nazir 59a)
S E –
Bonjour,
Vous parlez de l’interdit d’utiliser un rasoir, par rapport à la halakha (Guemara Nazir 58b), il semble qu’aujourd’hui il y ait quand même des rasoirs autorisés par les Rabbanims
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