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Houkat : « Et il fut sanctifié par elles »

par: Jérôme Bénarroch

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Je voudrais analyser l’épisode de la faute de Moché et Aaron et comprendre le rapport qu’il a avec le thème général de la sidra, la question du décret, la ‘Houka. Je voudrais analyser l’épisode de la faute de Moché et Aaron et comprendre le rapport qu’il a avec le thème général de la sidra, la question du décret, la ‘Houka.

Nous voyons que l’épisode est complexe, au point que les commentateurs débattent pour déterminer la faute exacte de Moché et Aaron, car D. dit de façon lapidaire : parce que « vous n’avez pas eu confiance en Moi pour Me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël ».

Voici le déroulement des pessoukim. Après la mort de Myriam, les enfants d’Israël viennent se plaindre auprès de Moché et Aaron parce qu’ils manquent d’eau. Ceux-ci tombent sur leur face et vont dans la tente du bonheur où la gloire de D. leur apparaît. D. dit alors à Moché de prendre le bâton et de parler au rocher pour qu’il donne de l’eau.

Première bizarrerie : pourquoi prendre le bâton si ce n’est pour l’utiliser ?

Ensuite Moché réunit l’assemblée et déclare ceci : « Ecoutez rebelles je vous en prie, ferions-nous sortir de ce rocher là pour vous de l’eau ? ». Qu’est-ce à dire ? Qu’il y avait plusieurs rochers ? Rachi explique : le rocher en question, qui donnait de l’eau tant que vivait Myriam, avait disparu et avait pris place parmi d’autres rochers. Moché et Aaron ne savait plus lequel c’était, et les Israélites avaient dit « qu’importe de quel rocher vous ferez sortir de l’eau ».

Puis le passouk dit que Moché frappa deux fois le rocher, et qu’il donna de l’eau.
Pourquoi avoir frappé ? Pourquoi deux fois ? Pourquoi donna-t-il de l’eau ?

Enfin D. déclare « Parce que vous n’avez pas eu confiance en Moi pour Me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, vous ne conduirez pas ce peuple dans le pays que Je leur donne ». Et le passouk suivant termine « Ce sont les eaux de Mériva, où se sont révoltés les enfants d’Israël contre D. qui fut sanctifié par elles ». Encore un élément obscur, Moché et Aaron n’ont pas sanctifié D. mais Il fut sanctifié néanmoins par l’épisode lui même.

D’après le pchat de Rachi, on peut reconstituer ainsi la scène.

1. D. dit à Moché : prend le bâton et parle au rocher.

2. Moché et Aaron cherchent le rocher qui s’est perdu parmi d’autres.

3. Les Israélites demandent pourquoi ne pas faire sortir l’eau de n’importe quel rocher.

4. Moché et Aaron parlent à un rocher, mais ce n’était pas le bon.

5. Ils se souviennent du temps de la sortie d’Egypte (Chemot 17-6) où D. avait dit « Tu frapperas le rocher » et où l’eau avait jailli du rocher du ‘Horeb.

6. Moché frappe le rocher une fois. Des gouttes sortent, car le bon rocher s’était présenté de lui même.

7. Moché frappe une deuxième fois, et l’eau jaillit à flots.

Où est la faute ?

Première hypothèse : Moché savait que D. avait demandé de parler au rocher, mais se souvenant que 40 ans auparavant il avait déjà fait jaillir l’eau du rocher en le frappant, et se trouvant avec le bâton en main, il pensa qu’il n’y avait peut-être pas de différence fondamentale entre agir avec ce signe, le bâton, ou parler. La faute serait ainsi l’indistinction de dimensions à séparer.

Deuxième hypothèse (avec le concours de R. Bloch) : Quand D. demanda à Moché et Aaron de parler au rocher, alors qu’ils ne savaient pas lequel précisément il était, ils auraient dû se dire que c’est en parlant à un rocher que le rocher se présenterait, car s’ils ne pouvaient savoir lequel c’était, D. ne pouvait leur demander une chose impossible. La faute consiste ici à n’avoir pas fait preuve d’une assez grande confiance dans la parole de D., ce qui correspond au passouk. A moins de penser qu’ils auraient dû savoir reconnaître le bon rocher. Dans ce cas, on revient à la première hypothèse.

Pourquoi auraient-ils dû ? Parce qu’il s’agissait de ce rocher unique appelé « sela » et « tsour » et « beer », à Kadech, au mont ‘Horeb. Le rocher qui a reçu la révélation de D., et par lequel, grâce au mérite de Myriam, ils recevaient la source d’eau dans le désert. Confondre les rochers, ne serait-ce pas constater l’effet de l’oubli dans les cœurs, et donc une manière de n’avoir pas été entièrement fidèle, au niveau le plus extrême, celui d’avoir su la distinction entre ce rocher et tous les autres quasiment identiques. Comme si l’on pouvait avoir oublié le lieu précis de la traversée de la Mer des Joncs. Ou le jour précis de son mariage.

La démarche de S.R. Hirsch consiste à dire que la faute de Moché et Aaron est bien, à ce moment de l’Histoire, d’avoir frappé le rocher avec le bâton au lieu d’avoir parlé. Car le bâton est le signifiant du miracle, alors que la parole représente l’intériorisation de la volonté divine et la responsabilité vis à vis de la Révélation. En ce sens, le bâton est l’extériorité de la Révélation, sa visibilité spectaculaire mais passive. Alors que la parole est le niveau de la connaissance et donc de la confiance qui va permettre l’action droite et juste.

Ainsi, quand Moché frappe le rocher au lieu de lui parler, il se réfugie dans une dimension qui appartient au passé, la dimension nécessaire de l’apprentissage du fait divin, qui correspond à la période de la sortie d’Egypte et des miracles du désert. Mais ici, les 40 ans d’errance se terminent et le peuple doit préparer son entrée imminente en terre d’Israël. La dimension du miracle doit être dépassée par une dimension plus élevée, plus active, celle de l’étude et de la pratique de la Tora. Moché et Aaron auraient par là révélé leur limite, de n’avoir pas su d’eux mêmes jeter le bâton, mais d’être restés les hommes de l’éblouissement de la Révélation, donc de la constitution de soi, mais pas de l’action. D’après cette analyse, on comprend que la sanction imposée par D. fut de ne pas entrer en terre d’Israël.

Néanmoins il reste que dans la lecture que propose Rachi, sachant que sans cette faute ils auraient pu entrer avec le peuple, la sanction paraît disproportionnée. Car le manque de confiance dans la possibilité d’accomplir l’ordre de D., même s’il avait lieu ici aux yeux de tous, en public, semble difficilement nécessiter l’interdiction d’entrer dans le pays.

Or, un midrach dit : « D. dit à Moché pour le réconforter de ne pas entrer en terre d’Israël : cela rehausserait-il ta gloire de conduire une nouvelle génération dans le pays après avoir fait sortir six myriades d’Egypte et les avoir enterrées dans le désert ? A présent les gens vont dire que cette génération du désert n’a pas part dans le monde futur. Reste donc auprès d’elle, pour pouvoir, après la résurrection, entrer avec elle en terre promise »

D’après ce midrach, Moché et Aaron devaient mourir dans le désert pour ne pas abandonner la génération de la sortie d’Egypte. Mais il devait être clair aussi que les causes ne devaient pas être les mêmes, qu’on ne dise pas que la faute de Moché et Aaron était pareille à celle de cette génération rebelle.

Que peut nous apprendre cette analyse sur l’ensemble de la paracha ?

On voit qu’il existe un décalage entre l’apparente disproportion du décret de D. et ses justifications profondes. Or, ce décalage ne doit pas être résorbé. On lit à la fin de notre épisode : « Et Il fut sanctifié par elles » et Rachi de commenter : « Parce que Moché et Aaron moururent. Lorsque D. prononce un jugement contre ceux qui Le sanctifient, Il se fait craindre et sanctifier par les créatures ».

Parce que le décret contre ceux qui Le servent paraît injustifié, de ce fait même, D. fait éprouver sa puissance et se fait craindre. De même que pour la ‘Houka de la vache rousse, le Satan vient critiquer le décret de D. en arguant qu’il n’y en aurait pas de motif. De même ici, le Satan pourrait venir critiquer les décrets de D. en arguant qu’ils sont injustes et sans mesure. Mais ce décalage est aussi un ressort de la sanctification du Nom, en cela que s’y révèle sa grandeur et sa royauté.

Shabbat shalom à tous.

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1990
Agrégé de lettres et Docteur en philosophie, Jérôme Benarroch est un ancien élève puis enseignant de la Yechiva des Étudiants de Paris. Il est actuellement professeur de philosophie et de français au lycée Ozar Hatorah Paris 13ème. Enseignant à l’Institut Elie Wiesel, à l’Institut Universitaire Rachi de Troyes, au SNEJ de l’Alliance Israélite Universelle, dans le cadre du cycle ACT de la Yechiva des Etudiants de Marseille, au Collège des Bernardins, et à l’Université Catholique de Louvain, il a publié des articles au sein des Cahiers d’Etudes Lévinassiennes, des revues La Règle d’Abraham, Orient-Occident les racines spirituelles de l’Europe, et des Cahiers philosophiques de Strasbourg et intervient régulièrement sur Akadem.

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