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Du père et du fils…

par: Franck Benhamou

Publié le 7 Décembre 2021

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De la mythologie grecque jusqu’à Star Wars en passant par la critique du patriarcat, le sujet occidental a un problème avec son père.

Du début de la Genèse jusqu’à sa fin, la Torah pose la relation fraternelle comme source de tous les problèmes. La relation père fils semble assez pacifiée.

Plusieurs options se présentent à celui qui veut bien se pencher sur cet écart.

Soit que l’occident refoule ou masque le véritable problème, qui est ‘en réalité’ la relation fraternelle. Soit la Torah refoule ou masque le véritable problème, qui est ‘en réalité’ la relation filiale. Difficile de trancher. D’autant qu’actuellement les familles tendent à se vider du lien de fraternité …faute de frères.

Dans la tradition freudienne, le père est celui qui va être l’introducteur du symbolique : alors que la mère est toujours « sûre », le père demande à être identifié, par la mère ou par le mariage ou par lui-même : on tient ici l’origine du ‘symbolique’, c’est-à-dire l’accès au langage pour le petit d’homme. Si le père n’est pas un problème, c’est que le symbolique ne pose pas de problème. Le problème est celui de l’héritage dans la Torah. Qui est le véritable héritier ? Voilà ce que semble être la question de la Torah. Il ne s’agit pas de la question de la transmission et de la réception. Mais plutôt de la question de l’exclusivité de la réception, comme le montrent les récits de la Genèse. Pourquoi la réception devrait être exclusive ?

Pourquoi Ishmaël contre Isaac ? Pourquoi Essav contre Yaakov ? Pourquoi Yossef contre ses frères ? Et si l’on sait que finalement tous les fils de Yaakov se réuniront en proclamant l’unité divine, il faut comprendre en quoi cette fin si heureuse mérite de si amples développements puisque la saga familiale aura retenu l’attention du lecteur tout au long de la Genèse.

Il n’y pas d’opposition entre une vision « occidentale » et une vision « biblique ». Les domaines sont différents. La Bible en tant qu’elle veut proclamer le monothéisme doit le rendre vivant. L’homme singulier en tant qu’il veut vivre sa vie doit en découdre avec ceux qui la lui ont donné (ses parents) et en particulier celui à qui l’on peut contester toute obligation (son père), puisque cette obligation relève de la fiction symbolique du mariage. Dans cette problématique la fraternité ne pose pas de problème elle se résout assez simplement : les frères font front commun pour nier toute dette symbolique, la fraternité est ‘belle et bonne’ (…en principe bien sûr) . La Bible ne s’embarrasse pas de la question de la singularité et son corollaire : la psychologie. Ce qui l’intéresse c’est le monothéisme. Or celui-ci est exclusif : on le voit clairement à travers les guerres de religions internes et externes. Le problème c’est celui de l’héritage du monothéisme. Alors que dans l’aire paganiste, la multitude des modalités pour servir les dieux reflète précisément la prolifération des dieux ; dans l’aire monothéiste, le culte ne peut être qu’unique, ainsi que l’élection ; pour le païen, il suffit de se chercher un dieu qui correspond à ses phantasmes. Il n’y a pas une telle offre dans le monothéisme, dès lors l’alternative est sombre : soit l’on est sur ‘la’ voie soit on en est exclu. La question sera donc celle de la multiplicité. Non pas des cultes, car la question du culte n’apparaîtra que dans le second livre de la Bible ; mais la multiplicité de l’élection. Ce qu’il s’agit de comprendre c’est que l’élection n’est pas exclusive. On peut le montrer de façon presque théologique : admettre l’exclusivité de l’élection, c’est admettre qu’une personne (ou un groupe de personnes) puisse capter le divin vers elle seule. Une telle possibilité engendre une rivalité avec Dieu, en contradiction avec l’idée centrale du monothéisme. Ce qu’il s’agit de montrer c’est donc que le monothéisme est un cadre ouvert. Il ne serait question d’épuiser le concept de Dieu d’une unique façon. Il y aura 12 tribus.  Pour peu que le concept soit admis : c’est ce qui sera fait par les 12 frères qui diront le crédo à l’ «unisson » : Écoute Israël, Dieu est un. L’affaire est une véritable gageure : comment l’autre, le Loubavitch, le Breslev, le réformé, pour peu qu’ils se réclament du signifiant « Dieu » pourrait-il être mon frère ? La solution qu’apporte la Torah c’est l’unité de la pratique à travers la diversité des opinions sur le divin. Ton, frère, celui qui accomplit les commandements comme toi. Mais à nous suivre n’aurait-il pas fallu se suffire, comme à l’époque de la famille de Yaaakov, une adhésion au concept du Dieu  unique ?   Il me semble que cette référence dès lors qu’elle n’est pas vécue au sein d’une tension familiale se galvaude assez rapidement. La diversité ne s’appréhende pas à travers l’autre homme mais à travers le frère. Le frère n’est alors pas celui qui fait ‘front commun’ contre le père, mais au contraire celui à travers qui s’éprouve la menace de la diversité. L’autre homme n’est pas menaçant, il est étranger, s’il me touche ou m’énerve, je m’en sépare. L’insistance de la présence du frère, à travers parfois son absence, est ce qui va m’amener à évaluer mon rapport à Dieu, à en assumer la singularité. Mais une singularité toujours menacée, en même temps que menaçante. Ce qu’a fait Yossef, le vice roi d’Egypte,  c’est de ne pas tuer ses frères, d’avoir su reconnaitre l’insurmontable insistance de leur présence, s’en séparer c’eut été se séparer du père lui-même, et donc de n’en pas assumer l’héritage. L’autre, si proche, ce frère, si loin. La racine de la violence religieuse est donc ce qui aura traversé le livre de la Genèse : la violence fraternelle. Et la Bible ne se lasse pas de la montrer sous toutes ses coutures, notamment à travers ses échecs. En mettant le Dieu créateur comme pierre angulaire, la Torah a bien conscience de la bombe qu’elle pose. Il s’agit de la désamorcer. Ce sera Yossef, au fond des affres, contre toute attente, qui aura été capable de reconnaitre ses frères, lui qui s’en était rendu étranger, grimé à l’égyptienne, sans doute n’était-il plus capable de reconnaitre son père sur son propre visage, lui qui pensait en être l’illustre héritier. Or il reconnait ses frères, voit son père à travers eux. Ce qu’il s’agit de désamorcer, c’est l’exclusivité du contrat avec Dieu ; c’est de le nier que de s’en saisir à pleines mains, de croire s’en saisir à plaine mains. Car l’unicité de Dieu passe par son immatérialité, et son impossible captation par un unique individu, par une pratique exclusive. Ishmaël n’a pas été débouté par son père qui au contraire s’en sépara avec douleur. Essav n’a pas été débouté par son père qui lui avait préparé de belles bénédictions. Le père ne s’y trompe pas : il sait se lire sur le visage de chacun de ses fils. C’est le fils qui s’y trompe, et s’y perd. Comment s’y prendre pour ne pas s’abîmer dans cet écueil ? Yossef montre le pas : il accueille ses frères, sur son terrain. Yaakov sur son lit de mort réitère ce qui semble être la faute du passé : donner double part aux enfants de Yossef, ce qui reviendrait dans l’algèbre biblique à désigner Yosssef comme l’ainé. Mais peut-être pas. Le geste du patriarche est au contraire un geste qui montre la confiance qu’il a en ses fils : la double part de Yossef ne sera pas réinterprétée comme une reconnaissance de « l’héritier » ! C’est le crédit qu’il accorde à ses fils, forts de leur expérience de tentative de meurtre perpétré contre leur frère.

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