1) ___________________________________________
ויקח אברהם את ישמעל בנו ואת כל ילידי ביתו ואת כל מקנת כספו כל זכר באנשי בית אברהם וימל את בשר ערלתם בעצם היום הזה כאשר דבר אתו אלהים
בראשית י״ז-כ״ג)
Et Abraham a pris Ismaël son fils et tous les enfants nés dans sa maison [[Traduction d’après Rachi sur Béréchit 17-12]] et tous les garçons acquis après leur naissance[[Traduction d’après Rachi sur Béréchit 17-12]], tout mâle parmi les hommes [[Les adultes comme les enfants (רד״ק)]] de la maison d’Abraham, et il circoncit la chair de leur prépuce à l’os de ce jour, comme Dieu le lui avait dit (Genèse 17-23)
A l’os de ce jour est, nous l’aurons compris, une métaphore signifiant en plein jour, Rabbi Eliezer ben Orkenos [[(Pirké DéRabbi Eliezer, chapitre 29)]] précisant qu’il s’agit de חצות, l’heure où le soleil est à son zénith.
1) ___________________________________________
ויקח אברהם את ישמעל בנו ואת כל ילידי ביתו ואת כל מקנת כספו כל זכר באנשי בית אברהם וימל את בשר ערלתם בעצם היום הזה כאשר דבר אתו אלהים
בראשית י״ז-כ״ג)
Et Abraham a pris Ismaël son fils et tous les enfants nés dans sa maison [[Traduction d’après Rachi sur Béréchit 17-12]] et tous les garçons acquis après leur naissance[[Traduction d’après Rachi sur Béréchit 17-12]], tout mâle parmi les hommes [[Les adultes comme les enfants (רד״ק)]] de la maison d’Abraham, et il circoncit la chair de leur prépuce à l’os de ce jour, comme Dieu le lui avait dit (Genèse 17-23)
A l’os de ce jour est, nous l’aurons compris, une métaphore signifiant en plein jour, Rabbi Eliezer ben Orkenos [[(Pirké DéRabbi Eliezer, chapitre 29)]] précisant qu’il s’agit de חצות, l’heure où le soleil est à son zénith.
Rachi se demande alors pourquoi Avraham circoncit à « l’os de ce jour », plutôt que la nuit. Voici sa réponse :
שלא יהיו אויביו ובני דורו אומרים אילו ראינוהו לא הנחנוהו
למול ולקיים מצותו של מקום
« […] Afin que ses ennemis et ses contemporains ne puissent pas dire : si nous l’avions vu, nous ne l’aurions pas laissé circoncire et ainsi accomplir le commandement de Dieu »
D’après Rachi donc, Avraham aurait volontairement pratiqué la circoncision publiquement car, se plaçant ainsi sous la protection du Très-haut, il tuait dans l’œuf toute velléité de s’opposer au projet divin.
2) ___________________________________________
Il existe un passage qui précède le notre, où l’expression בעצם היום הזה, « à l’os de ce jour », est également présente :
בעצם היום הזה בא נח אל התבה
(בראשית ז-י״ג)
« À l’os de ce jour, Noé est venu […] vers l’arche » (Genèse 7-13)
Et Rachi de commenter en suivant semble-t-il la même démarche :
שהיו בני דורו אומרים אילו אנו רואים אותו נכנס לתיבה אנו שוברין אותה והורגין אותו אמר הקב״ה אני מכניסו לעיני כלם ונראה דבר מי יקום
« […] car les contemporains de Noé disaient : si nous le voyons entrer dans l’arche, nous la briserons et nous le tuerons. Dieu dit alors : Je vais le faire entrer aux yeux de tous et nous verrons bien quel est celui dont la parole va se réaliser ! »
S’il est compréhensible que la génération de Noa’h ait, face à la mort, développé un sentiment de jalousie et de haine, en quoi la génération d’Avraham fut-elle touchée par la מילה pour que le patriarche s’inquiète de sa réaction ?
3) ___________________________________________
Il existe à l’égard de cette question une glose intéressante du Yafé Toar[[Yafé Toar sur Béréchit Rabba 47-9 (אלו היינו רואים)]] :
משום דבמילה יבדל מהם לבלי להיות עמהם כעם אחד או משום
שחובל בעצמו
« Car en accomplissant la circoncision il se séparait d’eux, ne formant plus avec eux un peuple uni. Ou parce que, se faisant, il se mutilait. »
Voici donc deux raisons pour lesquelles la génération d’Avraham aurait pu lui en vouloir.
Seulement, l’auteur affirme qu’il s’agit ici d’explications en contradiction avec le commentaire de Rachi :
אבל רש״י בחומש כתב שלא היו מניחים אותו לקיים מצותו של מקום ולדבריו יקשה למה חפצו למנעו דוקא ממילה ולא משאר מצות אשר שמר אברהם
« […] mais Rachi sur le ‘Houmach écrit qu’ils ne l’auraient pas laissé accomplir le commandement de Dieu. D’après lui, on peut se demander pourquoi souhaitaient-ils en particulier l’empêcher de faire la circoncision et ne souhaitaient-ils pas empêcher Abraham d’accomplir les autres commandements divins effectués par lui ? »
Ainsi, le Yafé Toar lui-même pose en quelque sorte la question qui nous occupe : D’après Rachi, en quoi importe-il à la génération d’Avraham que ce dernier fisse la מילה ou respecte d’une quelconque manière les commandements divins ?
4) ___________________________________________
Un passage du Sifri [[Sifri sur Dévarim 32-47 (verset 48)]] renforce encore notre question, en voici le corps :
בשלשה מקומות נאמר בעצם היום הזה. נאמר בנח בעצם היום הזה[…]
ומה ראה לומר במצרים בעצם היום הזה […] ומה ראה לומר כאן בעצם היום הזה
« A trois endroits [dans la Torah] est utilisée [l’expression] « A l’os de ce jour ». A propos de Noé (NdA : le passage cité au début de notre article) […] à propos de la sortie d’Egypte […] et ici (NdA : à propos de la mort de Moïse) […]»
Ni l’auteur de ce texte, ni Rachi – qui relaye ce Sifri – ne peuvent ignorer qu’il existe un autre endroit où est utilisée cette expression : dans le texte qui nous intéresse, a propos de la circoncison ![[En vérité, un cinquième sujet use de cette locution: celui de Yom Kippour (Vayikra 23-21, etc.). Mais expliquer cette absence-ci n’entre pas dans le cadre du présent travail.]]
Bien entendu, il ne peut s’agir d’une omission. Nos Sages ont volontairement séparé notre sujet des trois autres.
Mais alors en quoi justement est-il différent ? Résoudre cette question pourrait nous permettre de répondre à celle qui nous emploie depuis le début.
5) ___________________________________________
Le Béer Eitèv[[Béer Eitev sur Rachi sur Dévarim 32-46 (48)]] lui aussi s’interroge sur ce point et répond :
פי׳ בג׳ מקומות כתיב בעצם היום שחפץ הקב״ה שיהי׳ בעצם היום אבל בעצם היום הזה דכתיב גבי אברהם מעצמו עשה
« [Voici] l’explication : dans les trois endroits où est employée l’expression « A l’os de ce jour », c’est Dieu qui a souhaité qu’il en fût ainsi. En revanche, c’est Abraham qui, de lui-même, le fit « A l’os de ce jour ». »
Et effectivement, Dieu n’a jamais ordonné au patriarche de pratiquer la circoncision en plein jour !
Cette précision est capitale, car elle prouve que si Dieu avait à affirmer sa domination face aux Egyptiens ou à la génération de Noa’h, il n’en était pas de même vis-à-vis de la génération d’Avraham. Elle n’était pas hostile. Aucune volonté chez elle de contrecarrer le projet divin. Dieu n’avait donc rien à leur prouver.
La logique du Béer Bassadé[[Béer Bassadé sur Rachi sur Dévarim 32-48]] atteste, si besoin était, cette information :
אף אם נעשה בעצם היום אין הכרח שירגישו שהרי המילה עשאה בביתו ולא בשוק
« […] Quand bien même [Avraham] aurait-il pratiqué [la circoncision] en plein jour, rien ne dit qu’ils s’en seraient aperçus, car il fit la circoncision à l’intérieur de sa maison et non pas en pleine rue […] »
Si Dieu – pour ne pas qu’on dise : si nous l’avions vu, nous ne l’aurions pas laissé… – avait voulu que tout le monde s’en aperçoive, il n’aurait pas suffit qu’il ordonne à Avraham de faire la מילה en plein jour, il aurait fallu également lui ordonner de la faire en pleine rue.
Voici un homme qui n’a donc pas à se soucier de ses contemporains, à qui Dieu n’intime aucune modalité d’application quant au commandement de la circoncision et qui, malgré tout, décide de son propre chef de le faire בעצם היום הזה. Pourquoi ?
6) ___________________________________________
La première édition du « Mikraot Guedolot » – publiée à Venise par Bomberg entre 1524 et 1526 – incluait la version « définitive » du commentaire de Rachi, celle que nous utilisons aujourd’hui.
Mais l’éditeur fit alors pour son travail une sorte de compilation scrupuleuse des trois publications du commentaire du Maître antérieures à lui : « Dfous Roma » (Italie 1470), « Dfous Regio di Calabre » ou « Dfous Richone » (Italie 1475) et « Dfous Guadalajara » appelée aussi « Dfous Elkabets« [[L’éditeur est le grand-père de l’auteur du « Lekha Dodi », Rabbi Chlomo Halévy Elkabets.]] (Espagne 1476).
Voila pourquoi examiner ces trois éditions princeps et les comparer, aide à saisir la véritable intention de Rachi.
Or, nous remarquons que le texte du « Dfous Roma » – seule édition parmi les trois à faire mention de notre Rachi – diffère sensiblement de celui contenu dans nos éditions classiques :
שלא יהיו אוהביו ובני דורו אומרים אלו ראינוהו לא הנחנוהו לימול
« […] Afin que ceux qu’il aime et ses contemporains ne puissent pas dire : si nous l’avions vu, nous ne l’aurions pas laissé se circoncire »
Notre patriarche ne se soucie donc pas de ses ennemis mais de ses amis !
Mais qui sont-ils pour que vis-à-vis d’eux il décide de se circoncire בעצם היום הזה, « En plein jour » ?
7) ___________________________________________
Cette version de Rachi trouve très probablement sa source dans un Midrach Tan’houma [[Midrach Tan’houma – Parachat Vayéra, 3]]:
שלשה אוהבים היו לו לאברהם ענר אשכול וממרא וכיון שאמר לו הקב״ה שימול הלך לקחת מהם עצה
« […] Avraham avait trois amis : Aner, Echkol et Mamré. Quand Dieu lui dit de se circoncire, il alla prendre conseil auprès d’eux […] »
Les amis d’Avraham sont Aner, Echkol et Mamré, ceux qu’il est allé consulter en proie à cette interrogation : dois-je faire la מילה ? Et si Rachi relie ce Midrach à notre verset, c’est qu’il veut certainement nous dire le doute dans lequel se trouve Avraham à ce moment là.
Un doute exacerbé par cette responsabilité évoquée par le Taz [[Divré David sur Rachi sur Béréchit 18, 1 (הוא שנתן לו עצה לימול)]]:
אין מצוה זו לאברהם דרך צווי כשאר מצות אלא נתן לאברהם הברירה אם חפץ הוא שיתקיים העולם ימול ואם לאו שאינו חפץ לימול לא יתקיים העולם וא״כ אין הכרח שימול עצמו לזה ביקש עצה מג׳ אוהביו מה יבחר לו
« […] Au contraire des autres ordonnances, celle-ci (la circoncision) n’est pas donné à Avraham en tant que commandement, mais le choix lui a été laissé. S’il souhaite que le monde perdure, qu’il se circoncise ! Et sinon, s’il ne souhaite pas se circoncire, le monde ne se maintiendra pas [et retournera au Tohu Bohu[[Voir Midrach Tan’houma – Parachat Lekh Lekha, 19]]]. Aucune obligation, donc, de se circoncire lui-même. C’est pourquoi il demanda conseil à ses trois amis : Que choisir pour lui ? […] »
Remarquons d’ailleurs, pour confirmer ce Taz, que le « Dfous Roma » omet totalement la dernière proposition de notre Rachi de base : ולקיים מצותו של מקום, « Et ainsi accomplir le commandement de Dieu ».
Dieu n’a pas obligé Avraham à se circoncire !
Nous reste alors, à la lumière de ces éléments, à comprendre ce que signifie בעצם היום הזה ?
8) ___________________________________________
Nous voudrions proposer la lecture suivante.
Voilà un homme qui a consacré sa vie à sa relation aux autres. Un homme, dit Rav Chimchon Raphaël Hirsch[[Commentaire de Rav Chimchon Raphaël Hirsch sur Béréchit 18, 1]], qui doit nous servir d’exemple pour inculquer à nos enfants ce principe énoncé dans la Guemara[[Chabbat, 127a]] : גדולה הכנסת אורחים מהקבלת פני השכינה, « Offrir l’hospitalité est plus important que de se tenir en présence de Dieu ».
Et bien cet homme, voué tout entier à l’amour de son prochain, cet homme, dont le seul souci est la peur qu’après la circoncision les hommes se mettent à l’éviter[[Béréchit Rabba 48, 9]], cet homme se voit proposer – et uniquement proposer – par Dieu, la circoncision.
Faut-il rappeler que la מילה est, nous disent nos Sages[[Pirké DéRabbi Eliezer, chapitre 29]], une des dix épreuves d’Avraham ? Mais en quoi la circoncision consiste-t-elle en une épreuve pour lui si ce n’est par ce qu’elle lui impose de faire face à ce terrible dilemme ?
Et bien Avraham fait son choix, et le fait d’une manière qui ne lui autorise aucun regret. Il le fait sans se leurrer, en mesurant parfaitement les conséquences de sa décision. Ce champion de la générosité agit en véritable Mench, en homme.
Aner, Echkol et Mamré sont, nous dit le verset[[Béréchit 14, 13]], les בעלי ברית אברם, ceux qui ont contracté une alliance avec lui[[Rachi Sur Béréchit 14, 13]].
Ils sont ceux, dit le Maharal[[Gour Arié sur Rachi sur Béréchit 18, 1 (הוא שנתן לו עצה על המילה)]], sans l’avis de qui Avraham ne peut agir, fût-ce pour appliquer un commandement du Très-Haut. Ils sont ses alters-ego, comme nous dit le Midrach Rabba [[Béréchit Rabba 58, 4]] sur Parachat Hayé Sarah : ונמולו בה ארבעה צדיקים אברהם ענר אשכול וממרא, « […] Et quatre Justes se circoncirent là-bas : Avraham, Aner, Echkol et Mamré […] »
Quoi de mieux alors, pour regarder en face sa problématique, que de la leur énoncer à eux, eux qui sont le meilleur écho à sa propre intériorité.
Il agit un peu à la manière du Maire qui, célébrant un mariage, demande si quelqu’un s’y oppose, certainement pour mieux le légitimer et ainsi lui donner toutes les chances de durer.
C’est à notre sens la signification de בעצם היום הזה. En plein jour, dans la pleine conscience.
Gout Chabbes / Chabbat Chalom à toutes et à tous.
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