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« Venaafohou, la boucle est bouclée », commentaire du chapitre 7 de la Meguilat Esther

par: Madame Ruth Fagebaume
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Publié le 26 Février 2021

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Le chapitre 7 de la Meguila est souvent perçu comme un moment de joie et de soulagement. Le nom d’Aman étant répété à plusieurs reprises, les enfants agitent frénétiquement leurs crécelles, le dénouement, et donc la fin du jeûne est proche et c’est un moment plein de rebondissements. C’est le moment où le deuxième banquet a lieu, où Esther confond Aman, et où le roi, un peu aviné mais surtout furieux, ordonne de pendre son plus proche conseiller sur la potence que celui-ci avait préparée pour Mordehai.
On a souvent tendance à se limiter au sens simple de ce chapitre, et pourtant, si l’on va au-delà du côté un peu Hollywoodien de la scène, on est rapidement perplexe, et partis pour de belles découvertes.
Dès le premier verset, en fait dès les premiers mots, on peut remarquer une jolie faute d’accord : « Vayavoh Hameleh Veaman, Il est venu, le roi et Aman », là où on aurait dû écrire « Vayavohou » puisqu’ils sont deux. On trouve plusieurs occurrences de cette formulation étrange dans le livre de Shemot, excusez du peu, à propos de Moshe et Aaron[Shemot (4:29)- (6:26)- (7:10)- (8:8)- (16:6)]. Ici comme là, il s’agit de deux hommes qui partagent la même vision, qui fonctionnent comme un seul homme. Ahashverosh et Aman arrivent donc ensemble, en accord, pour le banquet chez Esther, dont on dit que c’était une des quatre plus belles femmes de tous les temps (Guemara Meguila daf 15).
La première fois, ils étaient venus chez Esther pour le banquet [Meguila 5:5], « el amishte acher asta esther, au festin qu’avait préparé Esther ». Cette fois ci, ils viennent « lishtot Im Esther Hamalca », pour boire avec la reine Esther [Meguila 7:1] . Le Maharal, dans Or Hadash, son commentaire sur la Meguila, explique que le premier Mishté était là pour faire connaissance et établir un lien à travers le partage de nourriture. Quant au second, il s’agit de retrouvailles « Kederek Ohavim Shesmehim Beyahad », comme des amis heureux d’être ensemble, détendus et en confiance.
Le banquet démarre, dans une bonne ambiance donc, et le roi, curieux de la demande d’Esther, l’interroge à nouveau. Il n’est pas prêt à tout « Ad hatsi hamalhout, Jusqu’au milieu du royaune » et veut bien lui donner jusqu’à la moitié de ce qu’il a (on dirait de nos jours, un peu moins que la majorité de contrôle), mais c’est déjà énorme.
Sachant qu’Ahashverosh est sensible à son sort [Rav Dovid Feinstein, Kol dodi sur la Meguila, recueil de cours], la reine commence par « tinaten li nafshi besheelati, Que l’on donne mon âme dans ma demande ». Le Maharal explique qu’Aman, ne sachant pas qu’elle était juive, n’avait pas l’intention d’attenter à la vie de la reine, mais Esther insiste sur le fait qu’elle est bien visée (comme une autre reine avant elle).
Une fois clair qu’il s’agit d’une attaque de l’épouse du roi, pour que la discussion ne se limite pas à son cas personnel, elle demande si l’on peut sauver sa vie « sheelati », et supplie pour que l’on sauve son peuple « bakashati ». Si elle est sauvée à titre individuel, c’est bien, mais l’important pour elle, c’est la survie du peuple juif.

Elle continue son plaidoyer de manière étrange : « hilou laavadim ouleshfahot nimkarnou, heherashti, Si le peuple avait été vendu pour l’esclavage je me serais tue ». A première vue, on peut comprendre qu’elle n’aurait jamais pensé à déranger le roi s’il n’y avait pas un risque d’extermination et de disparition du Peuple Juif mais le verset rappelle étrangement une situation décrite dans la Torah. Dans Ki tavoh [Devarim 28:68], Moshe annonce les catastrophes qui arriveront aux Bnei Israel s’ils se détournent d’Hashem, et la dernière étape est « Veitmahartem laavadim ouleshfahot veein koneh » (et vous serez proposés à la vente en tant qu’esclaves mais personne n’achètera). Et c’est bien la situation de la première partie de la Meguila : Aman a proposé d’acheter les juifs « Asseret alafim kikar kessef eshkol [Meguila 3:9], dix milles lingots d’argent », mais Ahashverosh a refusé « Hakessef natoun lah [Meguila 3:11], je te laisse l’argent». Tant qu’on était dans cette dynamique, même terrible, qui menait à la délivrance, Esther n’aurait rien fait pour s’y opposer, et cela n’avait rien à voir avec le fait de ne pas déranger le roi (source Rav D Feinstein [Kol Dodi, recueil de shiurim sur la meguila, Rav Dovid Feinstein]), « Ein Hatsar shavé benezek ameleh, la souffrance n’égale pas le dérangement du roi ».

Par ailleurs, cette phrase « Ein Hatsar shavé benezek ameleh » peut se lire autrement, comme la suite de l’attaque d’Esther contre Aman. En traduisant « Ce minable ne se soucie pas des biens du roi et des pertes qu’il occasionne », d’après le Torah Temima, qui cite la Guemara Meguila 16 a :
« Hikanai ba bevashti Vekatala », le conseiller du roi était jaloux de Vashti et l’a faite tuer, et maintenant, c’est à mon tour, sous-entend Esther. On pourrait aller encore plus loin dans cette lecture et dire « Ce minable n’est pas de taille à se mesurer au roi et à lui faire du mal », qui serait une façon d’en appeler à l’instinct du roi, mais je n’ai pas trouvé de commentateur qui aille dans ce sens.

A ce stade, même si le roi ne sait pas qu’Esther est une prophétesse [Selon la Gemara Meguila 14-B, Esther était une des 7 prophétesses.], il se rend compte du fait que la concubine issue du peuple qu’il pensait « bikvodo oubeatsmo » avoir élevée à un statut de reine, est en fait de lignée royale [On se souvient que c’est Vashti qui est de sang royal, et qu’Ahashverosh l’a faite exécuter à cause du mepris de celle ci vis à vis de lui]. Jusque-là, elle n’avait rien dit de ses origines [Guemara Meguila 16a], d’après Rabbi Abahou, mais elle est de la famille de Shaul, d’après le Torah Temima. Plus encore, d’après le Targoum sheni, Mordehai descend en droit ligne de Shaul, et donc Esther aussi.

Dès lors, il s’adresse à elle autrement. Alors qu’il passait jusque-là par un traducteur, comme avec quasiment tous ses sujets, il lui parle maintenant sans intermédiaire, d’après Rashi qui explique ainsi la répétition « Vayomer […] [Meguila 7:5]Vayomer ». Le Maharal va plus loin et explique qu’à ce moment-là, Ahashverosh se rapproche d’Esther et prend son parti, rendant possible la Gueoula, la délivrance. Certes, le roi a donné une autorisation de principe « Veaam laasot bo Katov Beeneiha [Meguila 3:11]», mais Aman aurait dû demander des détails sur la façon de faire. Il ne veut pas la mort d’Esther et est influencé par sa Tsidkout, sa droiture.
C’est d’ailleurs par ses origines qu’Esther explique la haine d’Aman, l’ancêtre d’Esther ayant épargné l’ancêtre d’Aman. Cette triste ingratitude n’est pas un concept nouveau. On en voit un premier exemple après la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance, lorsqu’Adam incrimine « Ahisha acher natata Imadi [Bereshit 3:12]», la femme qu’Hashem lui a donnée. Dans cette scène, la Guemara Houlin [Houlin 139 b] note une allusion à Aman « Hamin aetz [Bereshit 3:11]», Hamin ayant les mêmes lettres qu’Aman.

La Meguila continue sur un faux pas d’Esther qui aurait pu tout faire basculer. En disant « Ish Tsar VeHoiev, Un homme oppresseur et haineux », elle pointe son doigt vers Ahashverosh, risquant ainsi de le rapprocher d’Aman. Heureusement, un ange intervient [Meguila 16 a] et détourne la main de la reine (comme au temps de Moshé enfant, lorsque le choix entre le charbon et l’or lui est proposé). D’après le Maharal, la Gueoula ne peut venir d’un mensonge, et il semble qu’il ait fallu, d’après Rabbi Elazar, cette action angélique pour que l’histoire suive son cours sans qu’il n’y ait de travestissement de la vérité.

Des anges, on en voit de plus en plus. Lorsque le roi sort, pour reprendre ses esprits et savoir s’il donnera raison à la reine ou à son second, il en rencontre plusieurs qui lui disent qu’ils sont en train de déraciner des arbres à la demande d’Aman, ce qui attise sa colère.
Pendant ce temps, « Aman nofel al Amita », Aman tombe sur le lit. Pourquoi un présent au lieu du passé nécessaire dans cette phrase ? Selon la Guemara Meguila 16a, l’ange Michael poussait Aman sur le lit d’Esther, Aman tentant de se redresser, conscient du danger de la situation, mais Michael le poussait à nouveau…. Il s’agit sans doute du premier mème de l’Histoire [Courte vidéo avec la même action reproduite plusieurs fois].

Evidemment, voir son plus proche conseiller sur le lit de la reine, rend Ahashverosh furieux, et la perte d’Aman est décidée. L’expression utilisée « Kalata Araa, Le mal s’est abattu » est assez inhabituelle, et on la trouve à deux autres reprises dans le Na’h, lors d’échanges entre Jonathan et David. Celui-ci demande [Shmuel 20:9] si « kalata haraa », sa perte a été décidée par Shaul. A nouveau, un lien se fait, par allusion, avec l’histoire de Shaul. Cette fois ci, pas de mansuétude déplacée, comme celle vis à vis d’Agag, la perte d’Aman Haagagi est décidée, et Esther « répare » l’erreur de son ancêtre (le lien entre les deux, plus directement, est fait [Meguila 13b] dans la phrase « Bischar tsniout shaia bo beshaul, zaha veyatsat mimeno Esther, Par le mérite de la pudeur qui se trouvait chez Shaul, il mérita que descende de lui Esther »).

La boucle est bouclée ? Non, pas encore.
Ahashverosh, on l’a vu plusieurs fois déjà dans la Meguila, ne décide jamais seul, et il faut l’intervention d’un conseiller pour que le roi prenne une décision. Harbona, c’est son nom, a fait partie du complot contre le roi. Il connaissait l’existence et les détails techniques de la potence [Meguila 16], alors que seuls les proches d’Aman étaient au courant (« Ohavav ») mais voyant que le vent tourne, il décide de parler. Plus précisément, son esprit s’ouvre au doute, et c’est ce qui permet au prophète Elie [Esther Rabba] de prendre possession de son corps et de parler à sa place pour précipiter la perte d’Aman.
« Vegam Harbona, Zahour letov ». Harbona n’est ni béni ni maudit, mais on se souvient de lui [Yeroushalmi Meguila 27].
Le Maggid de Dubno [Meguilat Esther al pi Hamaggid Midubno] compare cela à un pauvre qui doit marier son fils et emprunte des vêtements à son voisin. A son retour, il rapporte un plat de douceurs en guise de remerciement, le cadeau étant à la hauteur de l’effort consenti (« Mida keneged mida »).
L’effort de Harbona se voit jusque dans l’écriture de son nom. Au début de la Meguila [Meguila 1:10], la lettre de fin est un alef, dans le chapitre 7, c’est un hei. Si l’on découpe son nom, on a alors « Horev-Bone », suggérant qu’il cherche à construire ce qui avait été détruit, d’après Rav D Feinstein.

Qu’Hashem fasse qu’en changeant « une lettre », nous puissions également grandir, construire et hâter l’arrivée du Mashiah bientôt de nos jours.

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  1. Joelle soussan

    Hazak !