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Une vieille (re)connaissance

par: Micho Klein

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Le 22 Decembre 2005

 

 

Intercalé entre les différents démêlés de Yossef – d’abord avec ses frères puis avec la femme de Potiphar – nous est narré sur un chapitre le récit épique de Yéhouda et Tamar.

Yéhouda se sépare de ses frères et prend pour femme la fille d’un nommé Chou’a. Elle lui donne trois fils, ‘Er, Onan et Chéla. Yéhouda marie son aîné, ‘Er, à Tamar mais, peu après, celui-ci meurt d’avoir répandu sa semence au lieu de procréer. Yéhouda ordonne alors à son second fils, Onan, d’épouser Tamar pour établir une descendance à son frère. Onan agit de la même manière que son frère et Dieu le fait mourir à son tour. Yéhouda demande à Tamar de demeurer veuve chez son père jusqu’à ce que grandisse Chéla, son troisième fils. [En vérité, Yéhouda n’a jamais eu l’intention de marier Chélà à Tamar et il prend pour prétexte la jeunesse de ce dernier pour tenir Tamar à l’écart. Cette femme, en effet, donne à présumer que ses maris meurent l’un après l’autre (Rachi)].

Les années passent et la femme de Yéhouda meurt. Après s’être consolé, il va pour tondre ses troupeaux à un endroit nommé Timna. Tamar en étant informée, elle ôte les vêtements de son veuvage, se couvre d’un voile (pour éviter d’être reconnue) et attend à un carrefour sur le chemin de Timna (voyant que Chéla grandissait et qu’elle ne lui était pas donnée pour femme, elle s’offre à Yéhouda désirant avoir de lui des enfants). Le stratagème fonctionne et Yéhouda la prenant pour une prostituée lui propose d’aller avec elle. Le dialogue suivant s’instaure alors :

– Que me donneras-tu pour venir avec moi ?
– J’enverrai un chevreau du troupeau.
– Seulement si tu donnes un gage jusqu’à ce que tu l’envoies.
– Quel gage te donnerai-je ?
– Ton sceau, tes cordons et le bâton qui est dans ta main !

Il les lui donne, va vers elle et elle conçoit de lui. Tamar se lève, ôte son voile et revêt ses vêtements de veuvage. Yéhouda envoie alors un ami avec un chevreau pour récupérer son gage mais cet ami ne la trouve pas. Il demande autour de lui : personne n’a jamais vu de prostituée ici ! Il relate les faits à Yéhouda qui – pensant avoir tout fait pour tenir parole – suggère d’abandonner le gage à cette femme et de ne pas continuer les recherches (il a peur de la honte qui pourrait s’abattre sur lui si cela venait à se savoir).

Environ trois mois plus tard, on raconte à Yéhouda : Tamar, ta belle-fille, s’est prostituée et elle a aussi conçu de la prostitution. Yéhouda ordonne alors de la faire sortir (de sa tente) pour être brûlée. Elle sort et dit :  » De l’homme à qui sont ces choses j’ai conçu, reconnais, je te prie, à qui sont ce sceau, ces cordons et ce bâton là ! « 
Yéhouda reconnaît et dit :  » Elle est plus juste que moi. » [Elle avait le droit d’agir comme ça] puisque après tout je ne l’ai pas donnée à Chéla mon fils.
Tamar met au monde des jumeaux.

La Guemara nous dit au nom de Rabbi Chim’on Hassida [[(Sota10b et 36b)]] :
Pour avoir sanctifié le nom de Dieu en secret (en ne cédant pas aux avances de la femme de Potiphar), Yossef a mérité l’adjonction à son nom d’une lettre du nom du Saint béni soit-il[[la lettre Hé (voir Psaumes 81, 5)]]. Yéhouda, pour avoir sanctifié le nom de Dieu publiquement, a mérité d’avoir dans son nom toutes les lettres qui forment le nom du Saint béni soit-il (Youd, Hé, Vav et Hé).

Mais où donc dans cette histoire, voit-on chez Yéhouda une attitude assimilable à une « sanctification du Nom » ? Comment la Guemara fait-elle l’éloge d’un homme qui va, tout de même, avec une prostituée ? Yossef, lui, n’a pas cédé et il obtient un mérite moindre !

Certes, il y a la réponse du Rambam qui, dans le Guide des égarés [[(3, 49)]], dit :
Avant le don de la Torah, l’acte de Yéhouda était une norme communément admise. La cohabitation avec une prostituée est à son époque ce qu’est pour nous la relation sexuelle dans le cadre du mariage ; c’est à dire un acte permis et habituel. Payer une somme convenue à une prostituée à l’époque revient aujourd’hui à payer le montant de la Kétouva à une femme que l’on divorce.

Si Maïmonide dédramatise ainsi le geste de Yéhouda, il n’explique pas pour autant la considération que le Talmud lui porte.

Le verset, au début du Sefer Vayikra [[(4, 22-23)]], nous dit :
« Si un prince a péché en faisant, par inadvertance, quelqu’une des choses que l’Eternel son Dieu défend de faire, et se trouve ainsi en faute. s’il vient à connaître le péché qu’il a commis, il apportera pour offrande un bouc mâle sans défaut. »

Le terme choisi par le verset pour dire « Si un prince a péché » est « Acher Nassi Yé’héta ». L’emploi du mot « Acher » (au lieu du « Im » utilisé dans ce contexte des sacrifices expiatoires) fait dire à Rachi :
« Acher » est un terme apparenté à « Achré » (« Heureux »). Heureuse la génération dont le prince a à cœur d’offrir une expiation pour ses péchés involontaires…

Et le Maharal d’expliquer :
« Heureuse est la génération dont le prince n’a pas honte de dire « j’ai péché ». […] Heureuse et la génération qui possède un roi qui ne se grandit pas, qui ne s’enorgueillit pas, car grâce à cela sa royauté se maintiendra. »

Voilà en quoi Yéhouda fit œuvre de Kidouch Hachem. Il fut un vrai « prince », un homme qui reconnaît publiquement ses erreurs et les assume. C’est un peu ce que nous dit la Guemara de Sota : en son nom il porte les lettres qui forment le nom de Dieu mais ces lettres forment aussi le mot « reconnaître » (HODAA). Léa le nomme ainsi par reconnaissance envers Dieu mais ainsi Yéhouda deviendra celui qui, dans son essence, reconnaît.

Voici un trait de caractère éminemment noble et c’est ce que vient nous enseigner la Guemara dans le traité Kidouchin [[(81b)]] :
« Rabbi Méïr disait [aux gens qui l’entouraient] : faites attention à moi [que je ne m’isole pas] avec ma fille, Rabbi Tarphone disait : faites attention à moi avec ma bru. Un élève qui l’entendit se railla de lui […] ne se passa pas beaucoup de temps avant que cet élève ne faute avec sa belle-mère et même avec un animal. »

Croyez-vous vraiment que Rabbi Méïr et Rabbi Tarphone craignaient de fauter avec leurs proches ? Seulement, ils voulaient enseigner à leurs élèves et aux gens de leur maison à ne pas avoir honte de s’avouer à eux-mêmes leurs mauvais penchant. Car, disaient-ils, pensez que cela ne peut pas vous arriver et cela précisément vous arrivera. C’est la leçon que le Talmud a voulu nous donner en nous comptant l’histoire de l’élève moqueur. Il y a faute quand il n’y a pas connaissance de soi avant elle, il y a faute quand il n’y a pas reconnaissance après.

Souvenez-vous des mots du Maharal : « car grâce à cela sa royauté se maintiendra » ; la même Guemara de Sota nous affirme que de Yéhouda et Tamar descendront le prophète Isaïe et le roi David !

Pour terminer sur une note hassidique, le Mayana chel Torah cite le Kol Sim’ha (Reb Sim’ha Bounam de Pshis’ha) qui nous dit du verset « Et ce fut environ trois mois plus tard […] et Yéhouda dit, faites la sortir et qu’elle soit brûlée » qu’il fait allusion à la fête de Hanoucca. À Hanoucca – qui tombe trois mois après Roch Hachana – faîtes sortir (aux portes de vos maisons) les mèches et brûlez-les !

Hanoucca Saméa’h à toutes et à tous et Gout Chabbes / Chabbat Chalom.

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Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“Une vieille (re)connaissance”

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