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Pourim ou la pensée du non-retour. Une perspective historique sur la fête de Pourim

par: V. Bar-Cohen

Publié le 2 Mars 2023

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La Meguila d’Esther est le texte du Tanakh qui incarne le plus l’idée du devoir de mémoire.  Récit que nous devons inlassablement répéter avec la plus grande précision pour nous souvenir  de notre histoire. Histoire malheureuse qui nous conduisit aux portes de notre destruction, au  royaume de Perse.

Pourtant, la Meguila nous plonge dès les premiers versets dans une histoire dont on peine à  reconstituer le fil. Amnésie du texte. Oubli, en apparence, de l’origine de notre malheur. Paradoxalement, alors que la Meguila est censée nous ancrer dans notre histoire, elle vient au contraire, dès son ouverture, nous y arracher. C’est un texte sans contexte. Nous sommes jetés dans une suite d’événements dont la conséquence funeste est notre décret d’extermination.  Élucider cette origine, cette cause première, est un travail essentiel [Voir Maharal, Netsar Israel, Introduction] car c’est la seule manière  de triompher véritablement des malheurs qui nous accablèrent lors de cette fête.

Mais alors, quel est cet oubli, qui coûta si cher à cette génération de Pourim et qui risqua d’en  causer la perte ? C’est l’oubli le plus essentiel, celui de son repère, de son centre : en  l’occurrence la Terre d’Israël, Jérusalem et son épicentre, le Beth Hamikdash.

Génie de la Meguila qui nous demande de nous souvenir de l’origine de notre malheur, non  pas en nous criant : « n’oublie pas Jérusalem ! », mais plutôt en nous faisant vivre  l’expérience de l’oubli. Dès son ouverture, la Meguila nous met à l’épreuve : serons-nous  oublieux de notre point d’origine ? ou résisterons-nous à cet oubli qui fit le malheur de la  génération de Pourim ?

Nous allons donc devoir naviguer à contre-courant, pour tenter de remonter le cours de  l’origine de notre chute. Pour cela, il faudra tenter de répondre au cri d’appel de la Meguila,  de refuser l’instantanéité des événements auquel nous soumet avec violence ce texte, écrit au  présent et qui doit être impérativement lu sans interruption.

Nous sommes plongés dès les premiers mots de la Meguila dans le couronnement  d’A’hashverosh . On ne sait qui il est, on ne sait d’où il vient. On ne sait comment il devient  Roi. On ne sait pourquoi il est à Shoushan. On ne sait pourquoi les Judéens y sont également.  On ne sait d’ailleurs véritablement qui sont ces Judéens, et quelle est leur histoire. Et on ne  sait pourquoi, lors de la 3ème année du règne d’A’hashverosh , ce dernier décide de faire un  immense banquet, origine de tous les tourments de ces Judéens narrés dans la Meguila.

Sublime mise en abîme, puisque l’expérience du lecteur est en tout point similaire à  l’expérience des contemporains de la Meguila, qui furent pris par l’aspect soudain du  couronnement d’A’hashverosh et par le flot d’événements terribles qui s’ensuivirent.

Essayons de prendre le recul du contexte dans lequel nous jette la Meguila : que faisaient  donc les Judéens à Shoushan ? Quelle était donc cette fête organisée par A’hashverosh et à  laquelle les Judéens se rendirent ?

Les indices du contexte 

Les indices sont à chercher dans la mémoire vivante du peuple juif, notre corpus de vieux  grimoires.

Le Talmud Yerushalmi, dans sa première page du traité dédié à la Meguila d’Esther nous  trace un premier lien entre Pourim et le centre géographique et spirituel du peuple juif, la terre d’Israël. Premier indice, particulièrement énigmatique : le 15 Adar (lendemain de  Pourim le 14 Adar) nous célébrons la fête de Shoushan Pourim dans les villes encerclées de  murailles à l’époque de l’entrée en Israël des Hébreux, guidés par Yeoshoua Bin Noun. Et  nos Sages nous disent sur place que la raison d’avoir fait dépendre les lieux de célébration de  Shoushan Pourim d’un tel événement, qui se produisit près de 1 000 ans plus tôt, visait à  « rendre les honneurs à la Terre d’Israël qui était désolée à la même époque [à l’époque de  Pourim] »

Cet indice peut sembler apporter davantage de confusion mais il a le mérite de nous donner  une première perspective historique. Il plante le décor : pourquoi donc la Terre d’Israël était  désolée à la même époque ? Et pourquoi lier cette désolation à Pourim dont le nœud  historique se situe à quelques milliers de kilomètres de là en Perse ? Avant la découverte de  ce Yeroushalmi, je ne m’étais étrangement jamais questionné sur la situation en Terre d’Israël  pendant la période de Pourim. J’avais littéralement oublié Jérusalem. J’étais pris dans une  lecture annuelle et automatique de cette Meguila. Je ne m’étais jamais posé la question  centrale du contexte même de ce texte, et de sa place dans la dynamique historique de notre  Peuple.

Le deuxième indice, cette fois tanakhique, se trouve dans le livre d’Ezra. Les premiers  chapitres du livre de Ezra sont chronologiquement parallèles à la Meguila, mais nous narrent  une toute autre réalité en Terre d’Israël.

Le livre d’Ezra s’ouvre sur le retour des captifs de Sion à la suite du premier exil. Le Temple  de Jérusalem a été détruit 70 ans plus tôt, les survivants du peuple, les Judéens, sont déportés  au sein du Royaume Babylonien. L’exil, annoncé par les prophètes comme Jérémie, devait  durer 70 ans. Mais le renversement de l’Empire Babylonien par l’Empire Perse, 50 ans après  la destruction du Premier Temple, bouleverse le cours de l’histoire de ces Judéens. Le  dirigeant de l’Empire Perse, Cyrus décide contre toute attente d’autoriser les Judéens à rentrer  en Terre d’Israël pour reconstruire du Temple de Jérusalem.

Mais alors qu’on s’attendrait à un retour massif des Judéens sur leur Terre, le livre d’Ezra  nous raconte que seuls une poignée d’hommes (42,342) reprirent le chemin de Jérusalem, et  notamment Zerubavel, le Cohen Yehoshoua, et un certain Mordekhai-Bilshan (que certains  identifient au Mordekhai de la Meguila, qui aurait donc repris le chemin de la Terre d’Israël,  avant l’histoire de la Meguilat Esther).

Une population non-autochtone et colonisatrice, les Samaritains, s’oppose rapidement à ce  retour des juifs à Sion et à la réédification du Temple. Pour faire échouer ce projet, ces colons  dépêchent des conseillers auprès du Roi de Babel.

Cette histoire n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle dans les années 1940 du Mufti de  Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, père du terrorisme palestinien, courant au chevet  de Hitler en pleine seconde guerre mondiale pour empêcher le retour des Juifs sur leur Terre  et implorer qu’ils périssent plutôt dans les fours.

A’hashverosh succède à Cyrus sur le trône. Il est beaucoup plus favorable aux Samaritains et  il accède à leur meurtrière demande. Il exige l’arrêt des travaux de reconstruction du Temple  et met ainsi fin au Retour des Juifs en Judée.

Parmi ces usurpateurs Samaritains se cacherait un certain Aman, ce même immonde  personnage qu’on retrouve dans la Meguila et qui jure la mort des Juifs. Le Yalkout Shimoni  sur le livre d’Amos nous raconte également comment Mordekhai et Aman étaient en Judée  avant le début de la Meguila et se rendirent tous deux vers Shoushan pour se battre auprès du  pouvoir sur la reconstruction du Temple.

Le Temple de Jérusalem est indubitablement un nœud central du texte de la Meguila mais  impossible de le déceler sans ce contexte, pourtant si crucial.

Les indices du texte 

La Meguila est elle aussi égrainée d’indices, plus subtiles mais qui corroborent également  l’idée que l’oubli de Jérusalem risqua de précipiter la disparition du peuple juif.

La Meguila nous fait part, après nous avoir annoncé qu’A’hashverosh est devenu Roi sur 127  provinces, d’un somptueux festin organisé par A’hashverosh lors de la 3e année de son  règne. Ici encore, pas de mention de la raison de telles festivités. La 3ème année du règne  d’A’hashverosh marque, selon plusieurs avis, la fin des 70 ans d’Exil que le Prophète  Jérémie avait annoncé et au bout desquels, le Retour de tous le Juifs devait avoir lieu. Les  Juifs renoncèrent au retour sur la Terre de leurs ancêtres. Selon d’autres avis, il marque la fin  de la construction par les ingénieurs d’A’hashverosh , l’achèvement de la construction de la  réplique exacte du trône de Salomon.

Selon tous ces avis, ce festin célèbre la domination d’A’hashverosh sur les Judéens  et l’ascendance de Shoushan sur Jérusalem. La participation des Judéens à ce festin, signe  d’acceptation de leur soumission et de l’oubli de leur capitale, lieu véritable du Trône céleste,  couronne la joie d’A’hashverosh .

Pour ancrer sa victoire sur l’idéal juif du Retour, il fait ériger un palais dont la structure est en  tout point similaire à la structure du Temple de Jérusalem.

  1. Il y a la cour intérieure, “chatzer ha-pnimit’ (5:1)”, dans lequel on ne peut pénétrer  sous risque de peine de mort, à moins d’y être nommément appelé, et qui fait  évidemment référence au Saint des Saint du Temple de Jérusalem.
  2. la cour extérieure, le chatzer ha-chitzona’ (6:4) ou seules certaines personnes  habilitées peuvent pénétrer, évidemment en référence au Kodesh du Temple de  Jérusalem où seuls les Cohanim pouvaient pénétrer.
  3. la porte du Roi, ou sha’ar beth HaMelekh porte de l’entrée du Roi où l’on peut rentrer  à condition d’être habillé correctement, sans marque de tenue de deuil (référence à la  Azara du Temple).
  4. Shushan HaBira, Shushan la capitale. Ce terme de Bira n’était jusque-là employée que  pour désigner Jérusalem, dernier signe d’analogie complète entre le palais d’ A’hashverosh et le Temple de Salomon.

Pour forcer encore plus le trait de ressemblance, ou devrait-on dire de pastiche, la Meguila  nous décrit avec précision les tissus des vêtements portés par A’hashverosh lors du festin. Ils  sont en tout point similaires à ceux du Cohen Gadol. Nos Sages dans la Massekhet Meguila  (Meguila 12a) apprennent A’hashverosh s’était orné des vêtements du Cohen Gadol. Acte  final pour signifier sa nouvelle royauté, non seulement sur la Babylonie, mais également sur  le peuple à la nuque raide, l’insoumis peuple Juif.

La faute des Juifs à cette époque n’était pas tant d’avoir participé à un repas, où d’ailleurs nos  Maîtres nous précisent que toute la nourriture disposée était propre à la consommation  rituelle. Mais la faute fut de cautionner cet oubli de Jérusalem, de participer à des festivités  qui en couronnaient la chute, et d’arroser cette tragédie de vin.

Plus tard dans la Meguila, Esther pour implorer la miséricorde divine pour l’annulation du  décret d’Aman d’extermination des Juifs, Esther imposera un jeûne de trois jours, et débutant  le premier soir de Pessah. J’avais toujours été pris d’incompréhension quant à la décision  d’Esther de décréter un jeûne un tel soir, alors qu’il est obligatoire de s’adonner ce soir même  à un repas rituel, le Seder de Pessah.

Mais en comprenant l’origine de la faute des Juifs de Shoushan, j’ai alors compris la  fulgurance du message qu’Esther criait tant à Dieu qu’à son peuple. Puisque les juifs s’étaient  rendus incapables de s’affranchir de cette domination étrangère, ils ne pouvaient dignement  s’assoir à la table du Seder pour manger de la matsa, signe de notre délivrance, et dire  honnêtement l’an prochain à Jérusalem — eux pour qui la porte de Jérusalem s’était ouverte et  qui n’avaient daigné considérer.

L’épreuve du Mishte 

Le Mishte que nous vivons chaque année à Pourim est une remise en scène du Mishte de  Shoushan. Chaque fête du calendrier hébraïque n’est en rien une commémoration. Le temps  des fêtes juives n’est pas linéaire mais circulaire. Lorsque nous arrivons au jour d’une fête,  nous revivons véritablement le même instant. Épreuve immense : chaque année nous pouvons  triompher ou chuter. Ainsi, de même que lors du Mishte organisé à Shoushan, le vin coule à  flot lors du Mishte de Pourim. Nous avons l’obligation de nous enivrer jusqu’à ce que nous  ne puissions plus distinguer entre Maudit Aman et Béni Mordekhai, jusqu’à ce que le vin  abolisse les limites de notre identité, jusqu’à ce que nous ne puissions plus distinguer qui  nous sommes et d’où nous venons.

Mais portons attention au langage de nos Sages. Ils ne nous disent en aucun cas d’arriver à un  tel extrême. Ils nous demandent au contraire d’arriver jusqu’à ce moment de perte de nos  repères, et d’y apposer une limite. Le vin nous fait revivre l’épreuve d’oubli de notre identité  que nous avons vécu en exil. Et pour triompher de cette épreuve qu’est le Mishte, il faut au  moment où nous dissolvons le plus notre moi, parvenir à reconquérir notre identité. Ainsi,  pour réparer la faute commise par nos Ancêtres, il faut être placé dans le même état de perte

de notre identité, d’oubli de qui nous sommes et d’où nous venons, mais ne pas trébucher : à  ce moment même, il faut nous ressaisir et réintroduire les différences dissolues par les volutes  enivrantes.

Tout le combat que nous menons lors de Pourim, c’est la lutte contre Amalek, cet anti-Israël.  Amalek vise à arracher le Royaume de Dieu sur Terre. Le Temple de Jérusalem, trône de  Dieu sur Terre est évidemment le lieu de l’échec du combat d’Amalek.

Ainsi, lorsque les Juifs renoncèrent à rentrer à Jérusalem pour participer à la reconstruction  du Temple, ils nièrent par là même la présence de Dieu sur Terre et donnèrent toute leur force  à Aman et ses fils.

Dans la Guemara, nous retrouvons des critiques particulièrement amères à l’égard de cette  génération qui ne revint pas. Ainsi, Rech Laquich (Yoma 9b) refuse l’aide d’un juif de  Babylone et le fustige : “(Babyloniens), je vous déteste”. Si vous étiez monté comme une muraille à l’époque d’Ezra, vous auriez été comme de l’argent, qui ne pourrit pas”.

Le Rav Yehuda Halevy a également des mots durs à l’encontre de ceux qui ne sont pas  rentrés avec enthousiasme en Terre d’Israel (Sefer Ha-Kuzari (II.24)):

“Si la nation entière avait répondu avec enthousiasme à l’appel divin de retourner en Terre  d’Israël, les prophéties idylliques du retour à Sion se seraient réalisées et la Présence Divine  serait revenue. En réalité, cependant, seule une petite partie est revenue. La majorité est restée  à Babel, acceptant volontairement l’exil, car ils ne souhaitaient pas quitter leurs maisons et  leurs entreprises”

La vocation du Retour en Eretz Israel revêtait la plus haute des fonctions, celle de reconnaître  la centralité de Dieu dans le monde. En l’oubliant, les Judéens ouvrirent la brèche dans  laquelle s’engouffra Aman, descendant d’Amalek.

Shoushan Pourim, la victoire de Pourim 

Deux victoires distinctes nous sont narrées dans la Meguila : le 14 Adar, la célébration de la  victoire des Juifs contre les sbires d’Aman dans toute la Perse, mise à part Shoushan. Et le 15  Adar, la victoire finale des Juifs sur le dernier lieu de combat, Shoushan, et où furent pendus  les 10 fils d’Aman (Perek 9, Pasouk 13). Le 14 Adar, c’est le combat réactif face à la  tentative de destruction. Le 14 du mois, la lune n’est pas encore pleine, le processus n’est pas  encore achevé. Pourim n’est alors qu’une étape de la conquête de qui nous sommes.

La deuxième étape est celle de Shoushan Pourim le 15 du mois d’Adar, à la pleine lune. Et  c’est à son sujet que le Talmud Yeroushalmi nous enjoint à célébrer une deuxième fête le 15  Adar, dans les lieux faisant échos à la première entrée du Peuple d’Israël sur sa Terre, et de  nous rappeler d’Eretz Israël désolée, désolée de ne pas avoir ses enfants y revenir avec  empressement.

Mais fondamentalement, en quoi Shoushan Pourim porte-t-elle le sceau de la réparation de  nos ainés en exil ?

Pour tenter d’en comprendre la signification, il faut une nouvelle fois revenir à la source  historique narrée dans la Meguila de Shoushan Pourim. Cette fête supplémentaire est mentionnée dans la Meguila comme faisant suite à la demande d’Esther de faire pendre les 10  fils d’Aman dans la ville de Shoushan le 14 Adar — les Juifs de Shoushan continuèrent donc  les combats le 14 Adar, pendirent les fils d’Aman à Shushan et ne purent célébrer la victoire  pleine et entière que le 15 Adar.

Le Rav Moshe Shapira nous dévoile la grandeur de la demande d’Esther. La particularité  d’Aman était de s’être érigé lui-même comme une idole. Il avait de sa chair d’homme un  dieu. Il est en cela la quintessence du combat d’Amalek, l’ancêtre d’Aman. Au-delà de  l’éradication des Juifs, ce que cherche Amalek, c’est faire disparaître le Royaume de Dieu sur  Terre, c’est faire disparaître la transcendance de notre existence, faire disparaître le sens de  l’histoire.

Les 10 fils d’Aman sont ainsi l’expression de ce pouvoir destructeur d’Aman. A l’opposé des  10 paroles créatrices qui résonnèrent au Mont Sinaï, les 10 enfants d’Aman sont l’écho de la  parole destructrice d’Aman. Ce dernier jura d’éradiquer le peuple juif pour faire taire la  parole de Dieu. Ce peuple à la destinée si anormale, qui subsiste à travers les âges, pour qui la  parole des prophètes se réalise pourrait laisser penser qu’un Dieu en dehors du temps se  manifeste dans l’histoire des hommes. Insupportable pensée qu’il lui faut éradiquer du  dessous des Cieux.

En faisant pendre par la tête les 10 fils d’Aman, c’est-à-dire en faisant chuter leurs visages,  Esther voulut dire à tous, la fragilité de l’homme. Elle voulut annuler les têtes de ces hommes  qui, en essentialisant ont oublié leur essence, celle d’être des reflets de la transcendance.

Cet acte salvateur était également un acte visionnaire : Esther avait certainement percé que la  nouvelle forme d’idolâtrie qui tenterait l’humanité, et les Juifs en premier lieu, serait non plus  la déification des statues de pierre, mais la déification de l’homme. Cette idolâtrie d’un  homme devait faire d’ailleurs faire chuter le peuple Juif, quelques siècles plus tard. Un Juif  qui se dresserait contre ses frères et dont on dirait qu’il est Dieu incarné devait séduire  nombre de Juifs et les écarter du chemin de leurs ancêtres. Pire encore, cette mythologie  devait servir de justification au meurtre de millions de Juifs, et connaitre l’apothéose de son  horreur entre les lignes de Meine Kampf, et terminer sa course enragée dans les fours  d’Auschwitz.

La lecture répétée de la Meguila chaque année doit jouer pour nous le rôle d’antidote. Elle  nous rappelle inlassablement ce mal qui nous poursuit à chaque génération. Elle se lit revêtus  de masques, signe de plus pour nous rappeler de ne pas chuter dans l’idolâtrie des visages.

Nous sommes donc parvenus à mettre en évidence la force de ce deuxième jour de Pourim :  celle d’avoir pendu les 10 fils d’Aman et d’avoir par la même porté un coup sévère à la  tentation idolâtre des hommes. Mais il nous manque une pièce essentielle du puzzle pour  comprendre l’enjeu qui se joue à Shoushan Pourim — le lien entre ce combat mené contre  l’idolâtrie et la terre d’Israël.

Pourquoi donc tant la Talmud Yerushalm insiste sur ce lien étroit entre Shoushan Pourim et  Eretz Israël ? En quoi faudrait-il se souvenir d’Eretz Israël en se remémorant le miracle des  combats qui eurent lieu le 14 Adar et qui aboutirent à la pendaison des 10 fils d’Aman le 15 ?

Eretz Israël, ou l’antidote de l’individualité

Le retour à Sion n’est en rien un sombre patriotisme, voire un triste nationalisme. Ce retour  revêt un commandement hautement éthique.

Dans l’exil, la tentation idolâtre concerne notre rapport à Dieu et à l’Autre. Étant éparpillés  au milieu des nations, notre sentiment d’appartenance à un peuple, et notre sentiment de  responsabilité vis-à-vis des autres membres de notre peuple peut avoir tendance à se diluer.

De même, lorsque le peuple quitte son lieu d’exil et revient sur sa Terre, il est par nécessité  confronté de nouveau à son frère.

C’est peut être ainsi qu’il faut comprendre l’importance donnée à la célébration de Shoushan  Pourim dans les villes entourées de murailles à l’époque de l’entrée en Terre d’Israël par  Josué. Ce terme de muraille est réutilisé à maintes reprises par nos Sages lorsqu’ils  mentionnent le retour en Israël. Ainsi, Rech Laquich déclarait au Juif de Babylonie : ”si vous  étiez monté comme une muraille à l’époque d’Ezra, vous auriez été comme de l’argent, qui  ne pourrie pas”.

Cette terminologie “muraille” résonne évidemment avec les villes entourées de murailles  dans lesquelles on fête Shoushan Pourim. Les murailles, ce sont ces pierres enchevêtrées les  unes avec les autres, qui forment un bloc impénétrable. Murailles qui dessinent en son creux  un lieu d’unité, où tous sont contraints de vivre ensemble. C’est peut-être une lecture  nouvelle de ce commandement de célébrer Shoushan Pourim sur les lieux mêmes qui furent  entourés de murailles à l’époque où les Hébreux foulèrent pour la première fois en tant que  Peuple la Terre d’Israël. Injonction faite de venir regagner son identité collective au milieu  des murailles de Jérusalem.

Cette idée résonne fortement avec le commandement d’apporter un demi-shekel dès le début  du mois d’Adar, pour l’édification du Temple. Retour à Dieu d’abord, par une contribution  faite au Temple, incarnation de la centralité de Dieu dans l’univers. Retour collectif et non  individuel, puisque chacun n’apporte qu’une demi-pièce, signe que le Juif demeure incomplet  s’il ne construit pas avec son frère le Temple de Dieu sur Terre.

Puisse Hashem nous donner la force de faire de ces fêtes de Pourim et de Shoushan Pourim  des préparatifs réussis à la fête de Pessah, et que nous puissions tous nous retrouver, le mois  prochain, au pied du Mont du Temple à Jérusalem.

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“Pourim ou la pensée du non-retour. Une perspective historique sur la fête de Pourim”

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