Petite note de lecture : ‘L’univers contestationnaire’ de Bela Grunberger et Janine Chasseguet-Smirgel.
par: Rav Gerard ZyzekPublié le 9 Janvier 2024
‘Il y a une chose à propos de laquelle on te dit : regarde, c’est nouveau ! Cette chose était depuis les temps immémoriaux qui étaient avant nous !’ Kohélet 1,10.
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‘Il y a une chose à propos de laquelle on te dit : regarde, c’est nouveau ! Cette chose était depuis les temps immémoriaux qui étaient avant nous !’ Kohélet 1,10.
Depuis la fête de Simhat Torah de cette année, le 7 octobre 2023, le peuple d’Israël vit de grands soubresauts. Nous sommes souvent abasourdis par la manière dont certaines franges de la population française abordent ces événements.
Nous n’avons de cesse de conseiller à nos amis la lecture d’un petit livre polémique, ‘le monde contestationnaire’, publié en 1969 sous le pseudonyme d’André Stéphane. La thèse était, en un mot, que mai 68 n’était pas un phénomène juif mais un phénomène chrétien par le refus du père et par un évitement de ce que les psychanalystes appellent ‘le complexe d’Œdipe’. Le refus de toute autorité et l’effacement systématique des limites est une entrée dans un univers narcissique, qui refuse la confrontation, et à terme totalitaire, dont le titre qui est une référence au livre de David Rousset : ‘l’univers concentrationnaire’ (livre publié en 1946 sur les camps de concentration allemands).
Nous nous faisons le grand plaisir de reproduire ici quelques pages de ce livre fondateur qui nous aideront à décrypter certains événements ainsi que certaines prises de positions actuelles, étonnantes et insupportables.
Ne perdons pas de vue que ces lignes ont été écrites à chaud en automne 1968. (Nous rapportons les mots du livre tels quels, pages )
‘Tout le matériel concernant les « événements » montre que les étudiants contestataires n’accordent une existence réelle qu’à eux-mêmes, le reste de l’humanité étant dans une certaine mesure assimilé à une figure paternelle, objet de contestation permanente.
Ceci nous fait toucher un problème d’une grande portée politique et qu’il serait donc très utile d’approfondir. Il s’agit du problème du racisme que nous reprendrons ailleurs dans un autre contexte, et en fait du racisme « à rebours ». Nous avons vu en effet pendant la révolte et en particulier en assistant à des séances publiques à la Sorbonne, à la Faculté de Médecine et à l’Odéon, qu’il suffisait qu’un orateur soit de couleur pour qu’automatiquement il soit soutenu par l’assistance. On pourrait remarquer à ce sujet que pareille conduite relève d’un bon sentiment ; mais de toute façon on ne peut la considérer comme objective. En tout cas cette position peut être comprise à la lumière de ce qui précède et elle-même peut nous faire comprendre une attitude générale des groupes de jeunes, que leur appartenance à la « Gauche » (qui elle-même fait problème) n’explique pas suffisamment à notre avis. En effet si nous admettons que la Gauche a pour devoir de lutter pour la libération des peuples de couleur ou des pays colonisés, nous sommes arrêtés devant le problème suivant : comment se fait-il que les contestataires, et la Gauche en général, ont pris parti depuis toujours, activement et passionnément, pour le peuple algérien et vietnamien alors que le combat atroce que poursuit le peuple kurde pour sa libération, ainsi que l’affreuse tragédie du Biafra dans une certaine mesure, la guerre du Yémen ou le génocide des Soudanais, les laisse absolument froids. Placée dans la perspective que nous proposons la réponse est claire : si les jeunes se passionnent pour l’Algérie et pour le Vietnam, c’est parce qu’il s’agit d’anciens ennemis de la France et « qu’il est joli garçon l’assassin de papa », alors que les Kurdes et les Biafrais sont massacrés respectivement par des Arabes et par des Nigérians. Pour les étudiants les ennemis du père ont droit à l’existence, c’est-à-dire peuvent massacrer et coloniser, mais l’existence du père est contestée et toutes les occasions sont bonnes pour le lui rappeler avec toute la passion qu’on met à la défense, mais dont l’origine se trouve dans l’attaque. En d’autres termes, c’est la référence au père qui nous explique la nature de l’apparente sympathie pour les opprimés, selon le principe « les ennemis de papa sont mes amis ».
Nous disons bien « apparente » car cette sympathie est très fragile et ambivalente (conformément à ses origines). Et l’on a bien vu comment la chaude sympathie pour le petit pays d’Israël menacé par la masse arabe s’est changée en agressivité contre ce même Etat au moment où il a gagné la guerre, c’est-à-dire où il a triomphé et, de paria misérable, est devenu un père. On a remarqué que l’idéologie actuelle de la jeunesse a en grande partie le Tiers Monde pour origine (Mao, Castro, Che Guevara). Ce fait relève, nous semble-t-il, du même mécanisme, c’est-à-dire du refus d’accorder l’existence au père, et l’exemple d’Israël en face des pays arabes est particulièrement significatif à cet égard : Israël, que les arabes veulent à tout prix maintenir dans sa situation de paria châtré dans laquelle ont vécu les Juifs pendant deux mille ans, est sorti de cet état et d’éternel objet de l’histoire est devenu sujet, c’est-à-dire s’est mis à exister. Or les Arabes contestent cette existence ; ils ont attribué leur défaite, lors de la guerre des Six Jours, à l’Angleterre et à l’Amérique. Ensuite ils ont dû renoncer à cette thèse mais n’ont pas accordé d’existence à Israël.
Les pays arabes se considèrent comme « humiliés » car battus par une armée inexistante (on n’a jamais entendu les Anglais, les Français ou les Allemands crier, après une guerre perdue, à « l’humiliation ») et depuis parlent d’effacer les traces de l’agression israélienne (selon une formule curieusement répétée, comme une antienne, comme, peut-être aussi, une formule magique), étant bien décidés à ne jamais reconnaître la réalité de l’événement, ni celle, politique et géographique, qui en résulte, car étant donné qu’Israël n’a pas le droit à l’existence, on peut lui infliger impunément tous les traitements, tout cela reste dans l’irréel puisque Israël n’a jamais existé.
Si Israël sort du néant dans lequel ses ennemis veulent le maintenir, malgré sa victoire militaire, et répond aux provocations, on crie à la répression. Or dans répression il y a pression, et c’est même par cette pression que le processus débute.
De même les étudiants qui ont au départ (dès octobre 1967) terrorisé leurs camarades et professeurs à Nanterre, saboté l’enseignement, occupé les salles, juste au moment où le professeur y faisait son cours, sont descendus dans la rue, ont cassé des voitures, érigé des barricades, provoqué des émeutes, créant toutes sortes de désordres, n’en crient pas moins, après cette série de provocations, à la répression. N’est-ce pas parce qu’ils ont seuls droit à l’existence, existence qu’ils contestent aux autres et en particulier à l’autorité, c’est-à-dire aux représentants du pouvoir paternel ?’
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