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Parashat Devarim – L’harmonie des forces

par: Rav Raphaël Bloch

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Devarim, chapitre 2, verset 31 – Moshé Rabbenou rapporte :

« D. me dit : vois, J’ai commencé à te livrer (à mettre devant toi) Si’hon et son pays. Devarim, chapitre 2, verset 31 – Moshé Rabbenou rapporte :

« D. me dit : vois, J’ai commencé à te livrer (à mettre devant toi) Si’hon et son pays. »

Rashi commente :

« Il (D.) a rabaissé le prince céleste des Emoréens aux pieds de Moshé, qui appuyait sur son cou. »

Si Rashi, toujours fidèle au pshat (sens simple) fait appel à cette explication midrashique, c’est évidemment parce que la guerre qui va opposer le peuple d’Israël à Si’hon n’a pas encore débuté. Comment parler alors d’une victoire déjà acquise ? Il s’agit forcément d’autre chose que de l’affrontement des armées.

La source de Rashi est le Midrash Rabba sur ce verset :
« C’est cela même qu’exprime le verset du Psaume 149 : ‘attacher leurs rois par des chaînes et ceux qui sont honorés parmi eux par des câbles de métal.’ Mais qui sont donc ces derniers qui paraissent plus importants que leurs rois ? Rabbi Tan’houma dit : ce sont leurs princes célestes, car D. ne punit jamais une nation avant d’avoir sévi envers son prince céleste. Où avons-nous une illustration de ce principe ? D. n’a noyé Pharaon et les Egyptiens qu’après avoir noyé leur prince céleste. D’où le savons-nous ? Les Sages disent : il n’est pas écrit dans Shemot au chapitre 15 ‘leurs chevaux et leurs cavaliers Il les a jetés à la mer’ mais ‘le cheval et son cavalier’. Le cheval désigne donc le peuple égyptien et le cavalier son prince. […] Ainsi lorsque Si’hon et ‘Og voulurent se battre contre Israël, D. dit à Moshé : vois J’ai fait chuter leurs princes célestes. »

Nous trouvons déjà dans Rashi, à propos du troisième signe que Moshé devait produire devant les Hébreux en Egypte pour se faire reconnaître, une idée similaire.

Shemot, chapitre 4, verset 9 – D. ordonne à Moshé :

« Tu prendras des eaux du fleuve et tu verseras sur la terre sèche, et les eaux que tu auras prises du fleuve seront du sang sur la terre sèche. »

Rashi commente :

« Il leur a fait une allusion que la première plaie s’appliquerait à leur divinité. »

Il serait facile d’expliquer ces textes en évoquant le sempiternel principe selon lequel la chute des empires suit toujours la décadence des valeurs fondatrices. Mais il semble bien qu’il s’agisse ici d’une idée autrement plus intéressante. Nos Sages n’ont d’autre but que l’enseignement de la Torah. Ils ne cherchent pas à nous théoriser l’histoire. Nous allons essayer de trouver des références afin de mieux comprendre leur pensée.

Bemidbar, chapitre 11, verset 16 :

« D. dit à Moshé : rassemble-Moi soixante-dix hommes des anciens d’Israël… »

Replantons le décor. Moshé n’en peut plus de « porter » le peuple juif, et D. va maintenant faire partager à ces soixante-dix anciens le souffle divin qui reposait exclusivement sur Moshé.

Ramban commente :
« Nos Sages ont déjà mentionné que les soixante-dix peuples correspondent aux soixante-dix langues. Et chaque nation a son Mazal dans le ciel et un prince céleste […] »

Il y a donc une corrélation entre le rapport de D. à son peuple (d’abord entretenu par Moshé seul puis par les soixante-dix anciens), et d’autre part le rapport de D. aux soixante-dix Mazalot et princes célestes.
Une différence ressort néanmoins : quand ces soixante-dix sont au sein d’un seul peuple et ne sont que l’émanation d’un seul homme, Moshé, les soixante-dix des nations sont des identités séparées, il y a un prince par peuple.

Nous trouvons encore un commentaire du Ramban à propos de Yehoshoua et Calev qui tentent de rallier le peuple à D. après les calomnies des explorateurs.

Bemidbar, chapitre 14, verset 19 :

« Ne craignez pas le peuple de la terre, car ils sont comme notre pain, leur protection les a quitté […] »
Ramban dit : « Cela fait allusion aux princes célestes […] »

Mais qui sont donc ces princes célestes ?

Dans le Mikhtav Meeliahou, Rav Dessler zatsal écrit :
« Voilà que chaque nation se définit par un caractère particulier qui découle du mélange de ses comportements et des forces spirituelles qui lui sont propres. Or D. utilise les nations comme des moyens qui vont permettre d’atteindre le but de la Création, qui dépend d’Israël. Dans le cadre de ce vaste dessein, chaque nation a son rôle à jouer qui correspond à son identité spécifique. En cela, la particularité de chaque nation relève d’un contenu spirituel. C’est le sujet auquel nos Sages font allusion quand ils parlent des princes des nations. »

Si nous revenons au Ramban cité plus haut, il semble que ces forces divisées et réparties parmi les nations soient présentes et réunies au sein du peuple juif, il s’agit des soixante-dix anciens. Lorsque la synthèse s’accomplit parfaitement, nous sommes en condition de la Révélation et de l’unité de D. Mais si l’une de ces forces prend le dessus, le projet qui en résulte est voué à l’échec. Ceci est dû au fait que la nation qui en est porteuse finit par détourner sa force dans son intérêt. Elle perd ainsi sa définition en tant que moyen et devient autonome en tant que fin.

C’est peut-être l’explication de ce que nos Sages ont appelé l’idolâtrie « avoda zara », c’est-à-dire un culte étranger. Etranger parce qu’il n’est pas à sa place. Dès lors qu’une chose perd sa raison d’être de manière définitive, sa disparition devient inéluctable. Si’hon est déjà perdu avant même d’avoir combattu parce qu’il n’a pas su rester à sa place.

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