Nous avons la chance de ne pas comprendre les mots des prières que nous disons, et même si nous en comprenons les mots, nous ne prêtons pas attention à ce qu’ils veulent dire.
Essayons de traduire une phrase du birkat hamazone, la bénédiction que nous disons après avoir mangé du pain :
ובטובו הגדול תמיד לא חסר לנו ואל יחסר לנו מזון לעולם ועד
« Et dans Sa grande bonté il ne nous a pas manqué et il ne nous manquera jamais de nourriture. »
Phrase stupéfiante où nous exprimons à D., où nous rendons grâce à D. que jamais il ne nous a manqué de nourriture et que nous avons une confiance sereine en Lui pour notre futur. Stupéfiante car, semble-t-il, ce n’est pas la perception que nous avons de notre vie. Nous percevons notre vie comme un ensemble de joies parfois, mais aussi d’angoisses et de manques, et une de nos plus grandes incertitudes est bien celle de notre subsistance, accentuée par une culture dans laquelle nous baignons qui nous persuade de l’imminence d’une récession économique sévère dans les pays industrialisés, et que tout ira très mal à moins que le d.ieu de la Croissance Economique ait pitié de nous, frêles humains.
Effectivement, peu de choses nous remuent autant que l’incertitude sur notre source de subsistance, et le ‘boulot’ devient vite un but en soi dans notre vie car si on ne se ‘déchire’ pas dans le travail, comment allons-nous nous en sortir ?
Beaucoup de commandements de la Torah nous éduquent à aider les personnes qui sont dans le besoin. Un verset dit à ce sujet[[Vayikra, chapitre 25, verset 36]] : וחי אחיך עמך, « il vivra ton frère avec toi », d’où nous apprenons l’obligation de nourrir notre prochain qui est dans le besoin.
Le Maharal de Prague dans le treizième chapitre du Nétsa’h Israël fait remarquer que nourrir est appelé ici ‘vivre,’ et en déduit que ‘hayim, la vie, c’est la subsistance. Notre subsistance n’est pas qu’une chose matérielle, c’est par les questions et les choix profonds que met en jeu notre survie que nous accédons à la source essentielle de notre vie, à une réflexion fondamentale sur ce qu’est notre vie. La Torah nous éduque, si nous pouvons nous exprimer ainsi, et nous secoue pour que nous ne nous endormions pas dans ce qui pourrait devenir rapidement une aliénation.
Parmi les Mitzvot qui vont dans ce sens, on peut citer :
– Le Chabbat, base de la vie juive. S’arrêter de travailler quand tout le reste de l’humanité est dans le feu de l’action.
– Le respect de la chemita, l’année chabbatique en Israël, où les agriculteurs ne travaillent pas leurs terres pendant un an tous les sept ans.
– Mais aussi toutes les lois entre individus. Ne pas prêter à intérêt. Donner généreusement de la tsedaka. Payer ses ouvriers en leurs temps et ne pas faire rétention de leurs salaires. Ainsi que tous les interdits relatifs au vol. Mais comment peut-on s’en sortir dans la vie si on ne magouille pas ? Bonne et excellente question !
D’un autre côté, l’investissement dans la vie professionnelle a des aspects positifs. Le Midrach se demande par quel mérite Noé a-t-il été sauvé du déluge. Noé voyait ses contemporains peiner à travailler la terre à la suite de la malédiction d’Adam, « à la sueur de ton front du mangera ton pain ». Il se demanda : mais comment pourraient-ils être soulagés de leur labeur brisant ? Et, dit le Midrach, Noé inventa la charrue. C’est par le mérite qu’il s’investit pour soulager ses contemporains qu’il fut sauvé. Vaste programme !
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