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Le mariage, c’est régler à deux les problèmes qu’on n’aurait pas eu tout seul !

par: Micho Klein

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[…] et il a pris Rivka, et elle a été sa femme, et il l’a aimée […] [[Béréchit XXIV, 67]]

C’est ainsi que le verset nous décrit le mariage de notre patriarche Yits’haq avec Rivka.[…] et il a pris Rivka, et elle a été sa femme, et il l’a aimée […] [[Béréchit XXIV, 67]]

C’est ainsi que le verset nous décrit le mariage de notre patriarche Yits’haq avec Rivka.

Le Ba’al HaTourim [[Rabbi Ya’akov ben Acher (1269-1343)]] constate que le terme ici utilisé pour dire « et il l’a aimée » (VayéÉavéah) ne se trouve qu’à deux endroits dans la Bible : dans notre verset, bien entendu, et à propos de l’union d’Amnon et de Tamar.
Voici un aperçu de leur histoire [[Chemouel II, Chapitre XIII, 1-22]] : Avshalom, fils du roi David, avait une demi-sœur qui était belle et se nommait Tamar. Amnon, frère d’Avshalom, en tomba amoureux (VayéÉavéah) au point d’en devenir malade. Il mit au point un stratagème qui devait lui permettre de se retrouver seul avec elle. Là, il la saisit et lui intima l’ordre de s’unir à lui. Elle refusa mais il usa de force à son égard, lui fit violence et la déshonora. Ensuite, Amnon conçut une très grande haine contre elle, et cette haine surpassait de beaucoup l’amour qu’il avait éprouvé. Il la renvoya et Tamar demeura accablée de honte dans la maison d’Avshalom. David apprit ces faits et fut très en colère. Avshalom haï son frère et ne lui parla plus.

Ce drame inspire au Ba’al HaTourim la réflexion suivante : Entre Amnon et Tamar, l’amour dépendait d’une chose et a donc disparu ; mais entre Yits’haq et Rivka il ne dépendait de rien, c’est pourquoi il s’est maintenu.

Cette formulation fait écho à une Michna du traité Avoth [[Maximes des Pères : V, 16]] : Tout amour qui dépend d’une chose, que la chose disparaisse, l’amour disparaît, mais s’il ne dépend pas d’une chose, il ne disparaît jamais. Qu’est-ce qu’un amour qui dépend d’une chose ? – c’est l’amour d’Amnon et Tamar. Qu’est-ce que celui qui ne dépend pas d’une chose ? – c’est l’amour de David et Yonathan.

Rachi nous explique : « Tout amour qui dépend d’une chose », de toute chose désirable dans le monde et non du seul souci de proximité et d’amitié, « que la chose disparaisse, l’amour disparaît », comme Amnon qui n’aima Tamar que par goût pour la débauche.
Rabbenou Yona explique quant à lui : « Qu’est-ce que celui qui ne dépend pas d’une chose ? – c’est l’amour de David et Yonathan. », il s’agit d’un amour qui n’a pas de cesse, même si la mesure humaine est telle qu’il ne peut pas ne pas souffrir un peu de tort et de diminution, et dont le modèle est David et Yonathan. Car, bien que David dût prendre la place de Shaoul, le père de Yonathan, et ôter à ce dernier la royauté, leur amitié resta profonde. C’est ce que déclara le roi David dans son oraison funèbre pour Yonathan [[Chemouel II : I, 26]] : « Ton amour est plus extraordinaire pour moi que l’amour des femmes. » Si Rachi et Rabbenou Yona autorisent un premier niveau de lecture de la Michna, Rav Chimchon Raphaël Hirsch dans son commentaire sur le traité Avoth [[Ateret Tsvi]] va un peu plus loin : Quand l’amour a pour source une estimation des valeurs spirituelles et morales de la personne aimée, alors cet amour sera éternel comme le sont les valeurs sur lesquelles il se base. Au contraire, un amour basé sur un désir des sens ne perdurera évidemment pas au delà du temps que durera ce désir.

Pour illustrer le cas d’un amour sincère, pérenne, qui ne dépend d’aucun facteur extérieur – le Ba’al HaTourim préfère donc à l’exemple de David et Yonathan le cas de l’amour unissant Yits’haq à Rivka.
Même si l’interprétation de Hirsch se prête certes mal a priori au cas de David et Yonathan, elle ne suffit pas à expliquer ce qu’avait de si particulier la relation de Yits’haq et Rivka pour que le Ba’al HaTourim travestisse le texte de la Michna à leur profit.

La réponse se trouve peut être dans le commentaire prodigieux que fait le même Rav Chimchon Raphaël Hirsch du verset qui nous concerne :
De nouveau un trait fondamental qui, Dieu soit loué, n’a pas disparu parmi les descendants d’Avraham et de Sara, de Yits’haq et de Rivka ! Plus elle devenait sa femme, plus il l’aimait !Tout comme ce mariage du premier fils du peuple juif, les mariages juifs – en tout cas la plupart d’entre eux – sont contractés non pas sous l’emprise de la passion amoureuse, mais sous celle de la raison. Ce sont les parents et les proches qui jugent si les jeunes gens sont bien assortis. C’est pourquoi l’amour grandit au fur et à mesure qu’ils apprennent à se connaître. La plupart des mariages non-juifs se contractent par contre sur la base de ce qu’ils appellent « l’amour ». Il suffit de jeter un coup d’œil aux nouvelles littéraires, dont les descriptions correspondent aux réalités de la vie, pour prendre conscience du gouffre qui s’ouvre entre « l’amour » d’avant le mariage et celui d’après, pour s’apercevoir combien tout devient ensuite insipide et fade, et combien cela diffère de l’image qu’on s’en faisait auparavant. Un tel « amour » est aveugle, chaque pas dans l’avenir apporte une nouvelle désillusion. Du mariage juif il est dit cependant : […] et il a pris Rivka, et elle a été sa femme, et il l’a aimée […] Pour la tradition juive, le mariage n’est pas l’apogée, mais le germe de l’amour !

Nous voudrions proposer l’explication suivante :
Si cet amour patriarcale est présenté comme le paradigme de l’amour éternel et authentique par le Baal HaTourim, c’est précisément parce qu’il a pour germe le mariage. Yits’haq a compris que seul le caractère contractuel, donc engagé, du mariage juif permettrait à l’amour qui naissait en lui de grandir de manière exponentielle et de durer. Il a eu le courage de prendre Rivka pour épouse sans au préalable la connaître outre mesure. La prendre c’est l’apprendre et l’apprendre c’est l’aimer. Ce qu’il y a de parfait dans cette union, c’est le mariage !

« Ce sont les parents et les proches qui jugent si les jeunes gens sont bien assortis« , nous dit Hirsch. Utiliser un intermédiaire, c’est la garantie d’aller à l’essentiel dans la découverte de l’autre, de ne pas s’égarer dans des enquêtes minutieuses et nuisibles à la formation du couple. Et bien Avraham a eu recours au premier « Chad’han » (marieur) de l’histoire juive en la personne d’Eliézer, comme si il voulait nous dire : vous qui êtes en quête de l’âme sœur, ne vous attardez pas trop à connaître – donc à aimer – avant de vous engagez, sinon vous ne le ferez pas. Pourquoi ? Parce qu’à trop en savoir sur l’autre, vous faites surgir des questions auxquelles vous n’avez pas les moyens de répondre en dehors du cadre marital.

Un des termes en Lachon HaKodech (langue sacrée) pour dire « relation sexuelle » est « Lada’at« , « Savoir/Connaître ». Si le sexe est prohibé avant le mariage, en savoir trop peut-être aussi ?

Chabbat Chalom / Gout Chabbes à toutes et à tous.

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Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“Le mariage, c’est régler à deux les problèmes qu’on n’aurait pas eu tout seul !”

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