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Étude sur la notion de paternité, à partir d’un enseignement de Rabbénou Tam

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 21 Mai 2024

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(Texte rédigé en l’honneur de mon père Mr Léon Zyzek, Mohel)

Les ‘Hakhamim déduisent dans le Traité Yévamot (98a) que de la même manière qu’il n’y a pas de paternité chez les animaux, de la même manière il n’y a pas de père pour l’idolâtre. Pour reprendre les termes précis des ‘Hakhamim :
אפקורי אפקריה רחמנא לזרעיה
‘La Torah a fait abandon de la semence de l’idolâtre.’
De là, Rabbénou Tam (Sanhédrin 74b, Ketoubot 3b, Yévamot 53b) déduit qu’un acte d’adultère d’une femme juive avec un idolâtre n’implique pas que sous la contrainte cette femme devrait s’exposer à la mort (étant donné qu’a priori une relation d’adultère est interdite même sous la contrainte de mort), car ce n’est pas considéré un acte de Biah, une relation intime, et que si la femme avait été consentante elle n’en deviendrait pas interdite pour autant.

Mais quelle est la comparaison que nos Maîtres se permettent de faire entre un acte de bestialité et un acte entre un idolâtre et une femme d’Israël ? Et que sous-tend cette expression ‘la Torah a fait abandon de la semence’ ?

I. Avraham Avinou, Avraham notre père.

Il nous semble que des enseignements des ‘Hakhamim relatifs à Avraham Avinou peuvent nous ouvrir une certaine démarche.
La base du raisonnement de Rabbénou Tam vient du fait que les ‘Hakhamim disent qu’il n’y a pas de paternité pour l’Egyptien. En effet, la paternité est une problématique centrale dans l’aventure de l’humanité. Et d’ailleurs nous venons de dire Avraham Avinou, ce qui signifie Avraham notre père. Avraham, Yits’hak et Yaakov sont appelés Avot, les pères, ce que l’on appelle ‘patriarches’ en français. En quoi avec Avraham commence la notion de paternité ?

Regardons le verset au début du passage de la Torah où D. va ordonner à Avraham d’accomplir le commandement de la Mila, de la circoncision, et de changer de nom, de ne plus s’appeler Avram mais Avraham (Béréshit 17,1 et 2) :
ויהי אברם בן תשעים שנה ותשע שנים וירא ה’ אל אברם ויאמר אליו אני קל שדי התהלך לפני והיה תמים. ואתנה בריתי ביני ובינך וארבה אותך במאוד מאוד.
‘Avram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, D. apparut à Avram. Il lui dit : Je suis le D. Shadaï, avance devant moi et sois intègre (parfait). Je donnerai mon alliance entre Moi et entre toi, et je te multiplierai dans la multiplicité nombreuse’.
Verset 5 :
ולא יקרא עוד את שמך אברם והיה שמך אברהם כי אב המון גוים נתתיך.
‘Ton nom ne sera plus énoncé Avram, ton nom sera Avraham car je t’ai donné père d’une multitude de peuple’.
Verset 10 :
זאת בריתי אשר תשמרו ביני וביניכם ובין זרעך אחריך המול לכם כל זכר.
‘Voici l’alliance que vous respecterez entre Moi et entre vous et entre la descendance qui =viendra après toi : que l’on circoncise tout mâle !’

D. se révèle à Avram et tranche une alliance avec Ses créatures : que l’on circoncise tout mâle. En même temps Avram va devenir Avraham : le père d’une multitude de peuples.
Le nom par lequel le Créateur introduit Sa parole est « Je suis le D. Shadaï ». Que signifie cette expression ?
Rashi (Béréchit 43,14) explique que ce terme est l’acronyme de שאמר לעולמו די, ‘celui qui a dit à Son monde : stop’. Daï, ça suffit, arrêtons-nous.

Ce Nom nous fait toucher un des grands secrets de la Création. Le monde créé était en expansion et encore en expansion. Pourquoi le monde qui vient de l’Infini n’irait-il pas en expansion infinie ? D. a dit : stop. Ça suffit. Daï.
Les ‘Hakhamim analysent cette expression dans le Traité ‘Haguiga 12a :
אמר רב יהודה אמר רב בשעה שברא הקב »ה את העולם היה מרחיב והולך כשתי פקעיות של שתי עד שגער בו הקב »ה והעמידו שנאמר עמודי שמים ירופפו ויתמהו מגערתו והיינו דאמר ר »ל מאי דכתיב כ אני אל שדי אני הוא שאמרתי לעולם די.
‘Rav Yéhouda dit au nom de Rav : lorsque D. créa le monde, il s’élargissait de plus en plus comme deux canettes de fil de trame qui se dévident, jusqu’à ce que D. le gronda et alors le monde se stabilisa, comme dit le verset (Yiov 26,11) « Les piliers des cieux étaient lâches, et se tinrent stupéfaits devant Sa colère ». Cela corrobore l’enseignement de Reish Lakish : « Je suis le D. Shadaï », Je suis celui qui a dit au monde, ça suffit, Daï.’

L’image des deux canettes de fil de trame est difficile à saisir. La création première contenait en puissance tout ce qui allait advenir. A l’image d’une canette d’un métier à tisser où tout le fil est inclus à l’intérieur de cette canette. Les cieux et la terre étaient comme deux canettes collées l’une à l’autre et ensuite se sont dévidées, l’une pour donner la terre, l’autre pour donner les cieux. Et cette expansion aurait pu être infinie si ce n’est que la colère de D. a rugi et a dit stop ! Daï.

Pour saisir cette image, nous pouvons rapporter la parabole suivante. Populairement dans la Tradition juive, on ne dit pas ‘la crainte de D.’ mais on dit יראת שמים, ‘la crainte du ciel’. Que signifie cette expression ? Nous avons entendu de Rav ‘Haim Tsvi Rozenberg ז »ל l’explication suivante au nom du ‘Hidoushé HaRim : nous devons craindre comme les cieux ont craint la parole de D. qui a dit : ça suffit, stop ! On dit populairement que quelqu’un a de la crainte du ciel. Cela signifie que cette personne ressent au dessus-d’elle l’injonction qui lui dit stop.
Rav Ephraïm Luntschitz dans son ouvrage Ora’h Lé’Haïm (septième Maamar) demande : ‘Mais que vient nous enseigner ce passage du Traité ‘Haguiga ? Que nous apporte ce qui a bien pu se passer à la création du monde ? Ce qui a été a été ! Mais après réflexion approfondie il semble qu’ici nos Maîtres nous enseignent une démarche extraordinaire. L’homme dans sa nature première désire que tous ses actes n’aient aucune limite. Il désire que tout soit permis à ses yeux et qu’il puisse faire ce que bon lui semble ! Il n’y a aucune limite au déferlement de l’épanchement de sa nature, car dans son fond il désire l’abandon, Hefker, à ses pulsions. L’homme ne supporte pas être limité, endigué par rapport à aucune action, par rapport à aucun désir. Son cœur désire tout. Si ce n’est que D. nous gronde par le biais de cette Torah-ci où D. a mis une limite et une digue à tous les actes humains, en disant : va jusque-là, mais pas plus loin ! Par la Torah, D. a positionné tous nos actes sur une mesure pesée selon Sa science supérieure.’

Nous comprenons maintenant que là où D. va enjoindre à Avraham de faire la Mila, la circoncision, Il se présente par le nom de D. Shadaï. Là aussi D. va enjoindre à Avraham d’être Tamim, entier, parfait, intègre.
Commentaire de Rav Chimchon Raphaël Hirsch sur le verset :
‘La dimension de Temimout, d’être entier, parfait, est parallèle à la dimension de Shaddaï. Toutes les créatures, à part l’homme, ne peuvent sortir de leurs limites. A partir du moment où D. proclama Daï, stop, les créatures ne peuvent dépasser leurs limites.
Par contre à l’homme juif s’adresse la Parole qui lui dit : par ta volonté libre, proclame toi-même Daï à toi-même !
Là où D. te dit Daï, là même enjoins-toi à toi-même librement : Daï, stop.’

Nous avons ici deux conceptions de la liberté. Là où certains pensent que faire ce que l’on veut est l’expression de sa liberté, la Torah nous enseigne que concrétiser et respecter dans notre vie les limites que D. a définies dans Sa pensée supérieure est l’expression véritable de la liberté humaine.

Suite du commentaire de Hirsch.
‘Toutes les aspirations et aussi toutes les volontés matérielles de l’homme sont saintes et pures dans la mesure où elles n’outrepassent pas la limite que D. a définie. Aucun penchant ou caractère humain n’est bon ou mauvais en soi. Les interdits de la Torah ne sont pas là pour briser et étouffer aucune pulsion. Mais ils fixent une limite précise et le champ où ces désirs peuvent se développer.’

Nous pouvons aborder maintenant la Mitsva de Mila, de circoncision.

II. Introduction à la Mitsva de Mila.

Reprenons le verset cité plus haut : התהלך לפני והיה תמים ‘Avance devant moi et sois intègre (parfait)’.

Rachi cite la Guemara du Traité Nedarim (32b) :
‘Et sois parfait. Maintenant il te manque cinq membres, les deux yeux, les deux oreilles et le membre masculin.  Je vais ajouter une lettre, la lettre ה’, de valeur numérique 5, à ton nom de manière que la valeur numérique de ton nom Avraham, אברהם, corresponde aux 248 membres du corps.’
Au début il s’appelait Avram, de valeur numérique 243. En ajoutant la lettre ה’ de valeur numérique 5 à son nom, D. fait régner Avraham sur tous ses membres et même sur ses deux yeux, ses deux oreilles et son membre masculin.
La Guemara dit (Nedarim 32b) :
‘Au début, D. le fit régner sur 243 membres. A la fin Il le fit régner sur 248 membres, les voici : les deux yeux, les deux oreilles et le membre masculin.’

Par la Brit Mila, D. fit régner Avraham sur des dimensions que l’homme n’imagine pas qu’il puisse surmonter. Le Maharal dans son commentaire Gour Arié sur Rashi met en relief l’expression de la Guemara ‘fit régner’. Il y a une différence entre régner et dominer. Dominer c’est contraindre, régner c’est agir avec l’assentiment de celui qui est dominé. Avant la Mila, Avram combattait pour ne pas succomber à ses pulsions. A partir de la Mila, ses membres et même son intimité étaient à sa disposition, il régnait sur eux.

A partir de ce moment Avram est appelé Avraham, ce qui est l’acronyme de Av Amon Goïm, père d’une multitude de peuples. Là commence la notion de paternité.

Le père n’est pas un gendarme, il montre les limites, et assume de montrer les limites.

III. Petit développement sur la notion de père. Yossef et la femme de Poutifar. Réflexion sur l’antisémitisme.

Yossef à dix-sept ans a été vendu par ses frères et se retrouve finalement en Egypte. Il est seul, loin de sa famille, ayant subi une injustice indicible. Mais D. fait que tout lui réussit et il devient l’intendant hors pair d’un notable égyptien important Poutifar. La femme de celui-ci n’a de cesse de lui faire la cour. Et finalement les versets disent ceci (Béréchit 39,10) :
ויהי כדברה אל יוסף יום יום ולא שמע אליה לשכב אצלה להיות עמה.
‘Ce fut comme elle parlait à Yossef jour après jour et il ne l’écoutait pas pour coucher avec elle, pour
être avec elle’.
ויהי כהיום הזה ויבא הביתה לעשות מלאכתו ואין איש מאנשי הבית שם בבית
‘Ce fut justement un jour, il alla dans sa maison à elle pour y faire son travail, et il n’y avait aucun homme des gens de la maison dans la maison.’

La Guemara dans le Traité Sotha 36b analyse ce verset. « Pour y faire son travail », d’après une opinion dans la Guemara, cette expression est un euphémisme. Il était d’accord cette fois-ci de succomber. « Il n’y avait aucun homme des gens de la maison dans la maison », comment est-ce possible qu’il n’y ait personne dans la maison d’un tel grand notable ? Ce jour-ci était un jour de fête de l’idolâtrie locale et tout le monde était allé aux festivités. Yossef en tant qu’hébreu ne participait pas à l’idolâtrie. Et la femme de Poutifar ? ‘Je ne me sens pas très bien aujourd’hui, je suis un peu malade’.

ותתפשהו בבגדו לאמר שכבה עמי ויעזוב בגדו בידה וינס ויצא החוצה
‘Elle l’attrapa par son habit en disant : couche avec moi ! Il abandonna son habit dans sa main, fuit et sortit à l’extérieur’.

Le terme pour fuir est וינס, VayaNoss, « il a fui ».
Nos Maîtres relèvent qu’au sujet de la Traversée de la Mer Rouge, le verset de Téhilim (114,3) dit : הים ראה וינס ‘La mer vit et fuit’. Il y a similitude de termes. Yossef a fui, et la mer a fui.
Le Midrash Tanhouma (Béréchit Parashat Vayeshev) enseigne :
וינס ויצא החוצה אמר לו הקדוש ברוך הוא אתה נסת ויצאת חוצה חייך הים ינוס מפני ארנוך שנאמר הים ראה וינס.
‘ « Il a fui et sortit dehors », D. lui a dit : tu as fui et tu es sorti dehors, Je te promets que la mer fuira devant ton cercueil à la sortie d’Egypte, comme dit le verset « La mer vit et a fui ».’

Mais quel est le rapport entre ce que Yossef vécut et le fait que la mer se soit ouverte devant les enfants d’Israël ? Certes nous voyons une similitude de termes entre la fuite terrible de Yossef pour ne pas succomber à la femme de Poutifar et la fuite des eaux, mais que signifie-t-elle ?

Rav Ephraïm Luntschitz, dans son commentaire Keli Yakar sur le verset de la Parashat Vayeshev (Béréchit 39,12), propose la démarche suivante (nous en donnons notre traduction) :
‘Yossef qui a réussi à se limiter dans le sujet d’Arayot comme dit le verset « il fuit à l’extérieur » fut au niveau de sauver tout Israël de la fureur des eaux de l’océan, comme dit le verset « la mer vit et fuit », qu’a-t-elle vu ? La fuite de Yossef de devant la femme de son patron. C’est pourquoi ce fut légitime que les eaux de la mer n’engloutissent pas le cercueil de Yossef, et par ce biais ceux qui portaient le cercueil, et aussi tous les enfants d’Israël qui l’accompagnaient, et que soient noyés les égyptiens noyés dans ces sujets de mœurs’.

Premier élément : se reprendre, se ressaisir dans ces sujets de mœurs est considéré par nos Maîtres comme étant aussi impossible que scinder une mer en furie.

Suite du commentaire de Rav Ephraïm Luntschitz : ‘Nous pouvons aussi mettre en relation la fuite de Yossef à l’extérieur avec un autre passage de la Torah où D. fit sortir Avraham à l’extérieur, comme dit le verset (Béréshit 15,5) ויוצא אותו החוצה, « Il le fit sortir dehors (à l’extérieur) », ce que nos Maîtres traduisent par : D. fit sortir Avraham hors de ses déterminations. De la même manière, Yossef sortit hors de ses déterminations. Ce ne sont pas ses déterminations qui le gouvernèrent, mais c’est lui qui gouverna ses déterminations, ses pulsions. Il saisit ses pulsions et ce ne sont pas elles qui le saisirent.’

Second élément : arrêter et se ressaisir face à ses pulsions revient quelque part à sortir de ses déterminations, comme Avraham que D. fit sortir de ses déterminations astrologiques.

Mais nos Maîtres vont aller plus loin.  Rashi sur le verset (Béréshit 39,11) cite la Guemara du Traité Sotha. Rapportons la Guemara :
ותתפשהו בבגדו לאמר וגו’ באותה שעה באתה דיוקנו של אביו ונראתה לו בחלון אמר לו יוסף עתידין אחיך שיכתבו על אבני אפוד ואתה ביניהם רצונך שימחה שמך מביניהם ותקרא רועה זונות דכתיב ורועה זונות יאבד הון מיד ותשב באיתן קשתו א »ר יוחנן משום ר’ מאיר ששבה קשתו לאיתנו.
‘« Elle l’attrapa par son habit ». A ce moment-là est venu le visage de son père et il le vit à la fenêtre qui lui disait : les noms de tes frères et de toi-même vont être gravés sur le pectoral du Grand Prêtre, veux-tu que ton nom soit effacé d’entre eux et que l’on t’appelle le copain des prostituées, comme dit le verset (Mishlé 29,3) « L’homme amant de la connaissance réjouit son père, et le copain des prostituées perd la grande richesse (c’est-à-dire le renom, ou bien le nom tout court, qui est le bien le plus précieux) ». Alors le verset dit (Béréchit 49,24) « Son arc revint à sa place (il s’arrêta de sa pulsion) ».’

Au niveau textuel, les commentateurs (Rabbi Moshé HaDarshan dans Tossefot דה »מ באותה שעה) de cette Guemara expliquent qu’il y a quelque anomalie dans le verset 11. En effet le verset dit « il n’y avait aucun homme des gens de la maison dans la maison », il est possible de sous-entendre qu’il n’y avait personne des gens de la maison mais qu’il y’ avait quelqu’un qui n’avait rien à voir avec les gens de la maison et qui est-ce ? Le visage de son père.

Néanmoins, même si nous pouvons trouver une allusion à cet enseignement de nos Maîtres du corps du verset, nous pouvons nous demander ce qu’ils veulent nous enseigner en disant qu’il entraperçut le visage de son père et qu’il s’arrêta de sa frénésie. Il nous semble déduire d’ici de manière précise que le père est celui qui nous dit : stop. Et comme nous l’avons vu plus haut, cette notion de paternité est apparue au moment où D. a ordonné à Avraham le commandement de la Mila, de la circoncision. Sans la Brit Mila il est impossible qu’apparaisse une notion de père.

Cette étude nous suggère que des grands soubresauts de l’histoire de l’humanité et en particulier les déferlements de haine chroniques visant le peuple juif viennent de l’acceptation ou du refus acharné qu’il y ait une paternité, qu’il y ait une exigence qui nous impose des limites du sein de nos pulsions.

IV. Commentaire de Rabbi Shlomo Gantzfried sur la notion de Kedousha, de sainteté. 

Livre de Vayikra, chapitre 19 verset 2 : « Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël et tu leur diras « soyez Kadosh (saints) car je suis Kadosh, je suis l’Eternel votre D.

Rashi demande : ‘Pourquoi ce passage de la Torah doit-il être enseigné en présence du rassemblement de tous les enfants d’Israël ? Car la majorité des notions centrales de la Torah dépend de ce qui est enseigné dans cette Paracha’.  Il nous semble pertinent de traduire un passage sur ce verset du magnifique livre de Rabbi Shlomo Gantzfried sur la Torah appelé Sefer Apirion :

‘Rashi explique le terme « soyez Kadosh, soyez saints » : « Soyez distants par rapport aux interdits sexuels car chaque fois que tu trouves une retenue par rapport à la sexualité, la Torah utilise le terme Kadosh.

Le Maharal de Prague dans son commentaire sur Rashi, le Gour Arié, développe ainsi : « Il me semble que la raison pour laquelle la Torah emploie le terme de Kedousha particulièrement en ce qui concerne la retenue par rapport aux interdits sexuels est que le mot Kedousha est dit à propos d’une retenue par rapport à ce qui est physique et pulsionnel. C’est pourquoi ce qui tend vers les relations interdites de la Torah est appelé attitude animale par la Torah, comme Rashi nous l’explique dans la Parashat Nasso au sujet de l’offrande que la femme Sotha apporte au Temple, qui est une offrande de farine d’orge, l’orge étant un aliment d’animal. Car la faute sexuelle est physique et a à voir avec l’animal qui est entièrement corps et matière. C’est pourquoi la personne qui a une retenue par rapport à la sexualité, qui se retient des pulsions du corps est appelée Kadosh, c’est-à-dire retenue de ce monde qui est corps. » D’après cela nous comprenons que la Torah et nos Maîtres utilisent le terme de Kedousha lorsqu’ils parlent de la sainteté de la relation entre un mari et sa femme, Kedoushat HaZivoug.

Nous pouvons maintenant rendre compte de la suite des versets au début de notre Paracha en nous inspirant de ce qu’écrit le livre ‘Hayé Adam (ch.67 §2) : Des gens se trompent en disant « qu’avons-nous à respecter nos parents qui n’ont cherché que leur plaisir en nous concevant ! Ils se trompent car si l’union était dans la Kedousha et la pureté, pour accomplir la Mitsva de D. qui nous a ordonné de fructifier et de multiplier, alors il s’impose à nous de respecter et de craindre nos parents.
Nos Maîtres disent que Bil’am a saisi que D. portait son attention aux accouplements d’Israël et en fut terrassé « celui qui est Kadosh, saint, s’occupe de telles choses ! ». C’est-à-dire qu’il ne comprenait pas dans son intelligence vulgaire qu’une union puisse être dans la Kedousha. C’est ce que dit notre verset « soyez Kadosh, saints », par rapport à la Kedousha du couple. La suite des versets alors s’impose : « un homme, son père et sa mère vous craindrez ». En effet après que la Torah nous ait enjoint d’être Kadosh, elle nous ordonne :
« L’homme sa mère et son père vous craindrez ».’

V. Aux origines de l’antisémitisme.

Le début de la haine des égyptiens envers les hébreux et de l’oppression s’inaugure par le verset suivant (Shemot 1,8) :
ויקם מלך חדש אשר לא ידע את יוסף. ‘Un roi nouveau se leva sur l’Egypte, qui n’avait pas connu Yossef.’
Plusieurs anomalies dans le verset nous font entendre qu’il ne faut pas comprendre que, les années passant, indubitablement vint une nouvelle génération qui a oublié combien Yossef avait sauvé l’Egypte de la banqueroute totale. En effet l’expression, ויקם, « se leva », nous fait entendre, une détermination, une volonté de nier ces bienfaits et de faire comme si on ne connaissait pas Yossef.
Onkelos traduit en araméen le verset de la manière suivante :
וקם מלכא חדתא על מצרים דלא מקיים גזרת יוסף. ‘S’est levé sur l’Egypte un nouveau roi qui n’applique plus le décret de Yossef.’
De quel décret s’agit-il ? Revenons quelques années en arrière. Yossef en interprétant les rêves de Pharaon prédit qu’il y aura sept années d’abondance et sept années de famine. A la suite de quoi, ayant été nommé second du roi, il organisa de manière à ce que les égyptiens fassent des réserves de manière drastique pour survivre à ces années de misère. Le verset dit (Béréchit 41,55) :
ותרעב כל ארץ מצרים ויצעק העם אל פרעה ללחם ויאמר פרעה לכל מצרים לכו אל יוםף אשר יאמר לכם תעשו.
‘Toute la terre d’Egypte fut affamée, le peuple hurla à Pharaon pour avoir du pain. Pharaon dit à toute l’Egypte : allez vers Yossef, ce qu’il vous dira, faites-le !’
Mais que pourrait-il leur dire ?
Rashi rapporte le Midrash Rabba (chapitre 90,6) :
ר’ אבא בר כהנא אמר כפאן למול.
‘Il les a obligés à faire la Mila, la circoncision.’

Pourquoi Yossef force-t-il les Égyptiens à faire la circoncision ? Beaucoup de démarches ont été proposées par les commentateurs. Nous irons dans le sens du Beth Yaakov (Parashat Shemot §17) de Rabbi Yaakov Leiner, Rabbi de Radzin. Pour surmonter la débâcle économique, Yossef pensait qu’il fallait que les Égyptiens s’éduquent à se limiter et à contrôler leurs vies intimes, ce que cristallise le fait de faire la circoncision. Mais à terme, lorsque Yossef mourut, le Pharaon n’eut de cesse de vouloir rejeter ce fardeau : je ne connais pas Yossef, je n’en ai jamais entendu parler. Même si par ce biais Yossef avait sauvé toute l’Egypte. Basta, on en a assez de ces cosmopolites ! Finissons-en. Tuons-les ! 

VI. Synthèse.

Nous nous sommes permis de faire certains détours pour entendre un peu l’assimilation que fait Rabbénou Tam entre le fait que le non-juif n’ait pas de paternité (Traité Yévamot 98a) et ce qu’il propose de dire qu’un rapport avec un non-juif ne serait pas considéré comme une Biah, une relation intime, pour interdire la femme mariée. Nous avons voulu démontrer que quelque part dans le monde idolâtre, dans le monde hors Mila, la pensée n’a pas de prise sur la corporalité. Le terme Mila signifie ‘un mot’. La Mila est appelée אות ברית, ‘signe d’alliance’, ‘lettre d’alliance’. Une lettre est une tâche d’encre, mais elle signifie quelque chose. Un signe est quelque chose qui signifie, un signifiant. Chez l’idolâtre, hors Mila, le corps est hors signification. Il procède pour lui-même. C’est ce que Rabbénou Tam nous enseigne : l’acte n’est pas une Biah, c’est interdit mais n’est pas significatif.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Étude sur la notion de paternité, à partir d’un enseignement de Rabbénou Tam”

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