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Bamidbar: Le livre des comptes

par: A. Medioni

le 18 Mai 2020

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Le livre que nous appelons Bamidbar est appelé par nos Sages Chumash Ha-Pekudim, le « Chumash des comptes » (traduit par « Les Nombres »). En effet, l’un des traits distinctifs de ce quatrième livre de la Torah est son inclusion non pas d’un mais de deux recensements. Cependant, et c’est la question posée par le Netsiv dans son introduction à ce livre, on peut se demander pourquoi ces dénombrements devraient donner son nom à ce Chumash plutôt que d’autres événements-phares comme l’envoi des explorateurs ou les bénédictions de Bilaam. Le Sefer Bamidbar est riche de narratifs autrement plus évocateurs que des dénombrements de tribus. Pourquoi ces « nombres » ou
ces « comptes » seraient-ils plus importants que tous ces autres épisodes?
Ce ne sont pas ces comptes qui sont si importants en soi. Il s’agit plutôt de ce qui se passe entre le recensement de Parachat Bamidbar et le second, celui de Parachat Pinhas, vers la fin du Sefer Bamidbar. Le vécu de ceux qui ont quitté l’Égypte diffère sensiblement de celui de ceux qui vont bientôt entrer en Terre d’Israël. Le thème sous-jacent du Sefer Bamidbar est donc la transition entre ces deux modes de vie différents. Les Enfants d’Israël ont vécu leurs premiers épisodes en tant que nation au-dessus des exigences de la loi naturelle (למעלה מינ הטבע). Grâce à la manne, leurs besoins étaient miraculeusement pourvus. En arrivant en Eretz Israël, leur vie devient totalement différente : la manne ne descend plus du ciel et il faut désormais travailler la terre. Les restrictions et les exigences deviennent les mêmes que les autres peuples, ne différant d’eux que sur un élément important : le couronnement de leurs efforts est aidé par la Providence Divine, assurant leur succès, mais d’une manière moins éclatante.
Ce changement ne s’est pas produit en un instant. Tout en voyageant à travers le désert au cours des quarante dernières années, Hachem a commencé à les sevrer d’une existence complètement miraculeuse. Un Midrach étonnant évoque justement cette transition. « D. vit que la
lumière était bonne et D. fit une séparation entre la lumière et l’obscurité » peut-on lire dans l’un des premiers versets du Sefer Berechit, et le Midrach exprime que ce verset fait justement référence à Sefer Bamidbar ! La «lumière» représente la vie imprégnée de miracles ouverts, celle du désert, où les Enfants d’Israël vivent la Présence Divine de manière complète et manifeste. Au contraire, « l’obscurité » signifie vivre selon le cadre de la nature. Une fois qu’ils sont entrés en Terre d’Israël, Sa Présence a été obscurcie. Ce n’est qu’en scrutant très attentivement que l’on pouvait en distinguer les contours. Alors que D. les avait miraculeusement protégés de tous les ennemis au cours des années précédentes, les Bné Israël ont été appelés à faire la guerre la quarantième année en utilisant des méthodes conventionnelles, contre plusieurs ennemis, dont Si’hon. On peut voir ainsi que le bâton de Moché, symbole emblématique du miracle, n’est plus systématiquement saisi, et qu’il est désormais utilisé avec parcimonie, Moché ne le prenant en main qu’en cas de besoin particulier (Nb 20, 8 et Haamek Davar sur place).
Dans les deux dénombrements dont ce Chumash Ha-Pekudim tire son nom, on retrouve ce même contraste. De subtiles différences dans la façon dont les comptes ont eu lieu montrent la différence entre la présence divine manifeste, « lumière », et sa dissimulation derrière le voile de la nature, «obscurité». Dans le décompte des débuts, les dirigeants ne pouvaient provenir que de l’intérieur de la tribu à laquelle ils appartenaient. Le deuxième décompte correspond au changement de circonstances : certains des dirigeants proviennent de tribus autres que celles qu’ils dirigeaient.

Ménaché supplante désormais Efraïm dans le rôle de leader, alors que dans le décompte précédent, Efraïm précédait Ménaché dans l’ordre des versets. D’ailleurs, entre autres tribus, celle de Ménaché a augmenté ses effectifs, alors que d’autres tribus, comme celles d’Efraïm ou de Shimon, ont vu les leurs décroître. Les considérations pragmatiques sont devenues plus importantes que les racines spirituelles. Les règles du jeu ont changé… et le peuple a compris que vivre de tels miracles soulevait des enjeux concernant leur comportement et ils en sont donc venus à craindre une telle relation de proximité avec leur Créateur.
Le Haamek Davar explique que le basculement se situe dans Parachat Behaalotekha (chapitre 10, verset 35) : « Lorsque l’Arche voyageait (Vayehi BiNesso HaAron), Moché disait : « Lève-toi Hachem, et que tes ennemis se dispersent, que ceux qui te haïssent fuient devant toi ». Et lorsqu’elle faisait halte, il disait : « Réside sereinement, ô Hachem, parmi les myriades des milliers d’Israël » ». Ces deux versets qui sont entourés par deux Noun renversés sont décrits par le Talmud comme un « Livre » à part entière dans la Torah (Chabbat 115b-116a), « Livre dans le Livre » dont on doit décoder le message… Les versets suivants (le début du chapitre 11) décrivent les plaintes de la « populace », leur insatisfaction de la manne… et la sanction divine immédiate : « La viande (des cailles) était encore entre leurs dents (…) que la colère de Hachem s’enflamma contre le peuple, et Hachem frappa le peuple d’un coup très puissant » (Nb 11, 33). Les règles du jeu ont changé… « ויהי בנסע הארון » : Moché sait, écrit le Rav Elie Munk, que l’Arche, symbole de la Loi, rencontrera au cours de sa marche à travers le monde d’innombrables ennemis, et que seule une aide divine permanente évitera à la Loi et à ses porteurs de succomber sous les coups des assaillants ; il sait qu’aussi longtemps que cette Loi reposera sur les épaules du peuple elle vivra victorieusement. Ces deux versets qui constituent un Livre de la Torah en tant que tel viennent aussi nous rappeler la mission permanente d’Israël.

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