I. ‘Et ensuite sont venus tes fils dans le Devir de Ta Sainteté, ont nettoyé Ton Sanctuaire, ont purifié Ton Temple, ont allumé des lampes dans les cours de Ta Sainteté’.
Nos Maîtres ont institué de dire dans la Tefila et dans le Birkat HaMazon un ajout les huit jours de ‘Hanouka. Ce texte, appelé על הניסים, Al HaNissim, ne mentionne pas le fameux miracle de la fiole d’huile pure qui ne devait durer qu’un jour et qui a duré huit jours le temps que l’on fasse à nouveau de l’huile pure. Ce texte, dont le fondement est de rendre grâce à D. des miracles qu’Il nous a octroyés, mentionne que les enfants d’Israël ont pu entrer à nouveau dans le Temple, ont pu le nettoyer et y allumer des lampes. Qu’y a-t-il là de si exceptionnel et de miraculeux ?
II. Commentaire du Maharal à la fin du premier chapitre de Netiv HaHanava, נתיב הענווה.
Les textes de notre Tradition sont souvent difficiles d’accès, et souvent nous avons du mal à percevoir en quoi ils nous concernent. Nous avons récemment étudié dans le cadre des études de la Yéchiva des Etudiants le début du Netiv HaHanava du Maharal, et avons eu du mal à entendre ce qu’il nous disait dans son commentaire à la fin du premier chapitre. Cependant, et cela est presque systématique, plus un commentaire parait abscons en première lecture, plus sa portée est grande en y méditant.
Rapportons ce passage (nous en donnons notre traduction).
מסכת גיטין ל »ו ע »ב, מסכת שבת פ »ח ע »ב, מסכת יומא כ »ג ע »א.
הנעלבים ואינם עולבים, שומעים חרפתם ואינם משיבים, עושים מאהבה ושמחים ביסורים, עליהם נאמר ואוהביו כצאת השמש בגבורתו.
‘Ceux qui sont offensés, et n’offensent pas, écoutent leur honte et ne répondent pas, agissent par amour et sont joyeux dans les souffrances, sur eux le verset dit (Shoftim 5,31) « et ceux qui L’aiment, comme le soleil dans sa puissance ».’
‘Il y a lieu de se poser la question : pourquoi et en l’honneur de quoi ces attitudes auraient-elles un niveau aussi élevé ? Mais c’est ce que nous développons ici que d’après l’opinion de nos Maîtres le niveau supérieur est celui de la Peshitout, de la simplicité. En effet trois dimensions sont mentionnées dans cet enseignement. Ceux qui sont offensés, et n’offensent pas, écoutent leur honte et ne répondent pas, ceci correspond à la même dimension qui est celle de la Pshitout, de la simplicité de manière caractérisée, c’est pourquoi il entend qu’on lui fait honte, mais il ne répond pas. Ensuite nos Maîtres disent : agissent par amour, et ensuite : sont joyeux dans les souffrances. Ces trois attitudes correspondent aux dimensions des trois Patriarches, les Avot, qui se sont distingués par ces trois attitudes.
Cet enseignement commence par la dimension de Yaakov notre père en disant « Ceux qui sont offensés, et n’offensent pas ». En effet être persécuté par d’autres et ne pas persécuter à son tour telle est la dimension de Yaakov. Voir le Midrash dans Vayikra Rabba (chapitre 27,§5) : והאלקים יבקש את הנרדף , « La Divinité quémandera le poursuivi » (Kohélet 3,15), tu peux remarquer que tout celui qui est poursuivi, persécuté, par quelqu’un d’autre, D. le choisit. En effet tu vois que Yaakov est poursuivi, persécuté, par Essaw, or le verset dit ואהב את יעקב ואת עשו שנאתי, « Je me suis pris d’amour pour Yaakov et Essaw Je haïs » (Malakhi 1,2 et 3). Bien que le Midrash cite plusieurs poursuivis, persécutés, seul Yaakov est mentionné explicitement car il était particulièrement distingué par cette persécution et le verset dit « Je me suis pris d’amour pour Yaakov et Essaw Je haïs ».
Ensuite cet enseignement mentionne ceux qui agissent par amour, ce qui caractérise particulièrement Avraham, comme dit le verset אברהם אהבי, « Avraham qui M’aime » (Yeshaya 41,8).
Ensuite cet enseignement mentionne la dimension d’Its’hak en disant « ceux qui sont joyeux dans les souffrances ». En effet Its’hak était l’homme des souffrances par excellence. En effet on ne trouve personne qui ait souffert comme Its’hak, comme dit le verset ותכהין עיניו מראות, « Ses yeux s’obscurcirent de voir » (Béréshit 27,1). Le Midrash (Rabba chapitre 65,§9) commente : Its’hak innova les souffrances. Il dit devant D. : l’homme faute et il n’a pas avec quoi faire expiation. Amène s’il te plait des souffrances sur l’homme pour qu’il puisse être expié ! D. lui a répondu : tu as excellement demandé, par ta vie c’est par toi que je vais commencer, comme dit le verset « Ses yeux s’obscurcirent de voir ».
Il se trouve donc que ces trois dimensions que nous avons trouvées chez les Patriarches correspondent aux trois catégories enseignées dans notre passage de la Guemara : ceux qui sont offensés et qui n’offensent pas, qui agissent par amour et aussi les souffrances qui décapent l’âme des fautes. Ce sont des enseignements qui dénotent une très grande ‘Hokhma, une très grande science.
Sur la personne qui possède ces trois attitudes le verset dit : « et ceux qui L’aiment, comme le soleil dans sa puissance ». Il est connu que le soleil a un rayonnement supérieur, הזוהר העליון. Le soleil se démarque de toutes les autres réalités en cela qu’il a une corporalité lumineuse telle que sa matérialité est presque absente. C’est pourquoi nos Maîtres disent au sujet de celui qui a ces trois attitudes qu’il est dégagé de la matérialité. Celui qui est offensé et qui n’offense pas, ce qui est l’humilité extrême et cette dimension est la Pshitout même, la simplicité même. De même celui qui agit par amour a la dimension de la Debékout, d’être collé, à D., comme tout amour qui est se coller à l’être aimé. Et celui qui est joyeux dans les souffrances qui est se dégager de la bassesse humaine. Cette personne qui a ces trois dimensions est pure de tout côté et se trouve définie de manière précise par le verset « et ceux qui L’aiment, comme le soleil dans sa puissance ». En effet lorsqu’il a ces trois dimensions il a le niveau et l’élévation du soleil qui est inclus de ces trois dimensions.’
III. Essai d’analyse de ce commentaire du Maharal.
Comme nous venons de le dire ce commentaire est difficile d’accès, d’autant plus qu’il aborde des thématiques taboues, encaisser la haine sans être haineux en retour, l’apologie des souffrances.
Comment pénétrer dans ce grand commentaire ? Peut-être pouvons-nous commencer par la fin. Nos Maîtres comparent celui qui aime D., c’est-à-dire qui, quelque part, est proche de D., au soleil qui se lève dans sa puissance. Le soleil est une matérialité lumineuse. Mais n’y a-t-il pas antagonisme dans cette définition : une matérialité lumineuse ? La matière est obscure, sombre. Un dégagement de lumière vient d’une compression de la matière, voire d’une annihilation de la matérialité. Le soleil est une réalité composée d’une corporalité presque dégagée de toute matérialité, mais cela d’un triple aspect. En effet, si ce dégagement de la matérialité n’était que d’un aspect, il n’y aurait un affinement de la matière que d’un aspect, que d’une dimension, or ce qui est partiel est limité, et la lumière n’est pas limitée. Donc cela impose que ce dégagement de la matérialité soit d’un triple aspect. Mais les Maîtres de notre Tradition n’aiment pas les abstractions, les spéculations. Comment avoir une expérience de ce dont nous parlons ?
IV. הנעלבים ואינם עולבים, ‘ceux qui sont offensés et n’offensent pas’.
Imaginons que, pour une raison que l’on ignore, soudain, quelqu’un vous injurie, et même vous injurie devant d’autres personnes. Imaginons aussi que vous ayez aidé quelqu’un dans une passe difficile et que cette personne vous traine dans la boue et ne tarisse pas de méchanceté à votre égard. Imaginons que vous subissiez une injustice. Instinctivement on a envie, on a besoin de répondre. On a envie d’affirmer que nous existons, d’hurler que nous avons été bafoués, on a besoin de faire du mal, de dire du mal, de déverser notre rancœur. Comment est-ce possible de réagir autrement ? De ne pas répondre ?
Un passage du Traité Pessa’him (113bפסחים קי »ג ע »ב,) peut nous en donner des clefs :
שלשה הקדוש ברוך הוא אוהבן מי שאינו כועס ומי שאינו משתכר ומי שאינו מעמיד על מדותיו
‘Il y en a trois que D. aime : celui qui ne se met pas en colère, celui qui ne s’enivre pas et celui qui ne reste pas exigeant sur ce qui lui revient.’
Bien évidemment ce passage est étonnant : comment dire que D. aime ? Comment attribuer des passions comme l’amour au Créateur de toute chose ?
Le Maharal commente cet enseignement dans le premier chapitre de Netiv HaKaas dans le Netivot Olam. Nous en donnons notre synthèse.
Comme on le dit en français, qui se ressemble, s’assemble. La personne qui a ces trois attitudes, quelque part, a une ressemblance avec son Créateur. Expliquons.
D. n’est pas matière. Il est séparé de toute matérialité. Ceci est un axiome abscons. Essayons de dire cela en d’autres termes. La matière subit la pression. Ce qui est séparé de la matérialité ne subit pas de pression. Quelque chose m’énerve. J’ai travaillé toute la semaine, enfin Shabbat arrive, je n’ai pratiquement pas vu mes enfants de toute la semaine, enfin nous allons pouvoir partager un moment de sérénité ensemble. Nous allons faire le Kidoush du vendredi soir. Asseyez-vous les enfants, nous allons faire Kidoush. Ils ne s’asseyent pas, ils jouent, ils se taquinent mutuellement, je m’énerve. C’est-à-dire que je suis dépendant de ce qui se passe, je suis manipulé par ce qui se passe, c’est une des définitions de ce que l’on peut appeler ‘le matériel’. Nos Maîtres se méfient de la théologie. S’énerver, se mettre en colère, tu sais ce que cela veut dire, alors la personne qui ne se met pas en colère participe quelque part de la non-matérialité de D. . D. l’aime, car Il a quelque chose à voir avec cette personne.
Premier élément, D. n’est pas matérialité, comme nous venons de le dire.
Second élément, D. est intellect pur. Là aussi c’est de la théologie abstraite et indigeste. Ce n’est pas ainsi que s’expriment les Maîtres du Talmud. Réfléchissons sur ce qu’est s’enivrer. Une lecture nous a aidés à entrer dans les paroles de nos Maîtres. Un auteur Eddy Little a écrit un livre, Another Day in Paradise (1997). Son héros, si on peut s’exprimer ainsi, a une forte addiction à toutes sortes de drogues. Il expose, et là se trouve l’innovation, que s’il arrête, il devra se trouver en face de lui-même et de ses angoisses. Il refuse car il n’en n’a pas la force, et doit absolument se droguer. Il nous semble que c’est ce que nos Maîtres disent ici. La personne qui refuse de s’enivrer veut réfléchir à sa vie, à ce qu’elle est, quelles que soient les difficultés qui se présentent à elles. Lorsque nos Maîtres parlent d’intellect, de שכל, de Shékhel, ils ne parlent pas d’abstraction. L’intellect n’est pas la pensée abstraite mais c’est la réflexion. C’est une tâche difficile : réfléchir à sa vie, penser, prendre du recul, discuter pour comprendre ce que l’on doit faire, ou ne pas faire. Les romains, de l’antiquité ou leurs avatars contemporains, prônent une société de loisir, du pain et des jeux, Panem et Circences, où l’on travaille et où l’on s’abrutit de spectacles. Mais surtout ne pas réfléchir à sa vie. Il y a toutes sortes d’enivrement, le vin, l’alcool, la coupe du Monde de football etc..
Le troisième élément, ‘celui qui ne reste pas exigeant sur ce qui lui revient‘, est assez difficile à identifier. Aidons-nous d’un passage de la Guemara du Traité Rosh HaShana (17a, י »ז ע »א) :
אמר רבא כל המעביר על מידותיו מעבירין על כל פשעיו, שנאמר נושא עון ועובר על פשע, למי נושא עון למי שעובר על פשע.
‘Rava nous enseigne : toute personne qui passe outre ce qui lui est dû, on passe outre sur toutes ses fautes, comme dit le verset (Mikha 7,18) « Qui supporte la faute, et passe outre aux offenses ». Envers qui D. supporte la faute ? A celui qui passe outre l’offense.’
La Guemara continue :
רב הונא בריה דרב יהושע חלש. על רב פפא לשיולי ביה. חזייה דחלש עלמא. אמר להו צביתו ליה זוודתא. לסוף איתפח. הוה מיכסיף רב פפא למיחזייה. אמר ליה מאי חזית. אמר להו אין הכי הוה. ואמר להו הקב »ה הואיל ולא מוקים במיליה לא תקומו בהדיה, שנאמר נושא עון ועובר על פשע, למי נושא עון למי שעובר על פשע.
‘Rav Houna fils de Rav Yéhoshoua est tombé malade. Rav Papa est allé le visiter. Il vit qu’il allait très mal. Il dit : préparez-lui le nécessaire (c’est-à-dire préparez lui le linceul) ! Finalement il guérit. Rav Papa avait très honte de le voir à nouveau. Il lui dit : qu’as-tu vu (que t’est-il arrivé) ? Il leur dit : effectivement, je devais mourir. Mais D. leur a dit (à Sa cour céleste) : étant donné qu’il ne reste pas bloqué sur ce qui lui revient, ne restez pas bloqués avec lui ! Comme dit le verset (Mikha 7,18) « Qui supporte la faute, et passe outre aux offenses ». Envers qui D. supporte la faute ? A celui qui passe outre l’offense.’
Rashi explique : ‘celui qui passe outre ce qui lui est dû (qui passe outre ses mesures). Il ne calcule pas pour appliquer la juste mesure de ce qui revient à ceux qui lui causent des souffrances. Au contraire il laisse ce calcul, et va plus loin.’
‘On passe outre sur toutes ses fautes. La dimension de justice ne calcule pas le châtiment précis qui lui revient, elle laisse ses fautes et va plus loin.’
Quelqu’un m’a fait souffrir, m’a offensé, je pourrais réclamer réparation, exiger que justice se fasse. C’est ce que nos Maîtres appellent : rester sur ses mesures. D. aime celui qui ne reste pas sur ses mesures. Si je ne reste pas sur cette mesure, je vois plus loin.
Rabbi Moshé Cordovero dans le Tomer Devora (premier chapitre) explique ainsi la dimension de נושא עון, de ‘porter la faute’ :
ילמוד האדם כמה צריך שיהיה סבלן, לסבול עול חבירו ורעותיו שהרע, עד שיעור כזה שעדיין רעתו קיימת שחטא נגדו, והא יסבול עד שיתקן חבירו או עד שיתבטל מאליו וכיוצא.
‘Que l’homme apprenne la nécessité de supporter, qu’il supporte le joug d’autrui ainsi que le mal que celui-ci peut lui faire, et cela même si ce mal continue présentement à son égard. Il se doit de le supporter jusqu’à ce qu’autrui répare sa faute, ou bien qu’il sombre dans le néant, mais pas par son biais. ‘
Nous pourrions synthétiser le troisième élément de la manière suivante. D. est infini. Cela est encore de la théologie abstraite. Nos Maîtres nous enseignent : nous pouvons en avoir l’expérience dans notre vie. Si quelqu’un me fait du mal, m’offense par exemple et que je ne réponde pas mesure pour mesure, j’introduis dans ma vie ainsi que dans la vie d’autrui une autre dimension que l’enfermement dans les limites, j’introduis une dimension d’infini. Et je peux alors concevoir que cet infini ait une source.
V. Précisions importantes. Commentaire du Ramban sur les interdits de se venger et de garder rancune (Vayikra 19,18).
La Torah nous enjoint de ne pas nous venger et de ne pas garder rancune (Vayikra 19,18) :
לא תיקום ולא תיטור את בני עמך.
‘Ne te venge pas et ne garde pas rancune aux enfants de ton peuple.’
Rashi, sur le verset, rapporte synthétiquement la Guemara relative à ce sujet dans le Traité Yoma (23a) :
‘Il lui a dit : prête-moi ta serpe, l’autre lui dit : non. Le lendemain l’autre lui dit : prête-moi ta bêche, le premier : non, je ne te la prête pas, de la même manière que tu ne m’as pas prêté ta serpe. Ceci est la vengeance dont il est question.
Quelle est la rancune ? Il lui a dit : prête-moi ta bêche, l’autre lui dit : non. Le lendemain l’autre lui dit : prête-moi ta serpe, le premier lui dit : la voici, je ne suis pas comme toi qui ne m’as pas prêté hier ! Il garde la rancune dans son cœur, quand bien même ne se venge-t-il pas.’
Ramban, sur le verset :
‘Le sujet de la vengeance et de la rancune visées par le verset est défini par nos Maîtres dans le Traité Yoma (23a) et le Torah Cohanim dans une situation où il n’y a pas d’obligation financière, comme : prête-moi ta serpe [effectivement je n’ai aucune obligation de te prêter cette serpe, et si je refuse, tu n’as aucune idée de la raison de mon refus, et je n’ai aucune obligation d’en rendre compte]. En effet si cela fût dans un sujet où il y aurait une obligation financière à l’égard d’autrui, comme des dégâts ou autres, la personne n’a strictement aucune obligation de passer outre, bien au contraire il lui réclamera au tribunal (rabbinique) et l’autre le dédommagera, en vertu du verset (Vayikra 24,19) « Si quelqu’un fait une blessure à son prochain, comme il a agi, on agira à son égard ». Et d’ailleurs le contrevenant aura lui-même l’obligation de réparer son forfait, comme un emprunteur qui aura l’obligation de rembourser sa dette ou un voleur de rembourser son vol. Et raison de plus s’il y a eu perte de vie que les proches de la victime devront réclamer vengeance et garder rancune jusqu’à ce que le sang de leur proche soit délivré selon les décisions du tribunal source de la justice.’
VI. עושים מאהבה. ‘Qui agissent par amour’.
Nous avons vu dans les paragraphes précédents que celui qui est offensé mais n’offense pas affine quelque part sa matérialité en cela qu’il est dans une certaine définition de ce que nous pourrions appeler la matérialité de réagir, d’être manipulé par les offenses extérieures. Le Maharal nous enseigne que cette qualité est particulièrement caractéristique de Yaakov Avinou, qui a été pourchassé et persécuté une partie importante de sa vie.
La dimension d’agir par amour caractérise particulièrement Avraham Avinou. En effet nous voyons chez Avraham que toutes ses actions sont avec empressement, זריזות, Zrizout, comme les versets le disent à deux reprisent à des moments particulièrement difficiles, considérés comme deux épreuves (Béréshit 21,14 et Béréshit 22,3) :
וישכם אברהם בבוקר
‘Avraham s’est levé tôt le matin’.
Rabbi Moshé ‘Haïm Luzzato développe ce point dans le Messilat Yésharim (chapitre 7).
‘Tu trouves que les actions des Tsdikim, des Justes, sont toujours dans l’empressement, dans la Zrizout, comme nous le voyons au sujet d’Avraham (Béréshit 18,6 et 7) « Avraham se dépêcha vers la tente, vers Sarah, et lui dit « dépêche-toi, prends trois mesures de farine fine, pétris et fais des gâteaux. Avraham courut vers le troupeau choisit un veau tendre et gras, et le donna au jeune homme, qui se dépêcha de le préparer ». (…) Cela nous enseigne que tous les actes des justes sont dans l’empressement car ils ne donnent pas d’interruption ni au début de l’accomplissement de la Mitsva ni à son aboutissement. Regarde, l’homme dont l’âme est enflammée dans le service de D., indubitablement il ne trainera pas dans l’accomplissement de Sa volonté, dans l’accomplissement de Ses Mitsvot. Au contraire son mouvement sera comme le feu tourbillonnant et ne s’arrêtera pas et ne se donnera pas de repos tant qu’il n’aura pas mené la chose à son accomplissement complet.’
Il en donne l’analyse au début du sixième chapitre :
‘Regarde, la nature de l’homme est très lourde, car sa matérialité est épaisse, c’est pourquoi l’homme ne veut ni le dérangement, ni l’effort, ni le labeur. C’est pourquoi la personne qui veut mériter de servir son Créateur aura besoin de dominer et de surmonter sa propre nature, et s’empresser, car s’il se laisse aller à sa lourdeur naturelle, sans aucun doute il n’aura aucune réussite. C’est ce que le Maître de la Mishna nous enseigne (Avot chapitre 5, Mishna 20) « Sois effronté comme la panthère, léger comme l’aigle, rapide comme le cerf et fort comme un lion pour faire la volonté de ton Père qui est dans le Ciel ».’
Nous pouvons d’ailleurs remarquer que telles sont les premières lignes du Shoul’han Aroukh, livre de référence de tout le peuple d’Israël (אורח חיים סימן א’ סעיף א’) :
יתגבר כארי לעמוד בבוקר לעבודת בוראו שיהא הוא מעורר השחר.
‘Qu’il se renforce comme un lion le matin pour le service de son Créateur, que ce soit lui qui réveille le matin.’
VII. ולכהן מידין שבע בנות, ‘Le prêtre de Midian avait sept filles’ (Shemot 2,16).
Moshé a fui l’Egypte et arrive dans le pays de Midian. Yétro, ancien grand prêtre de l’idolâtrie, avait sept filles. Comme Yétro s’était démarqué des pratiques idolâtres, les autochtones le persécutaient lui et sa famille. Moshé sauva ses filles de la noyade, et finalement épousa la plus jeune, comme dit le verset (Shemot 2,21) « Il donna Tsipora sa fille à Moshé ».
Le Maharal, dans le dix-neuvième chapitre du Guevourot HaShem rapporte le Midrash suivant :
למה נקרא שמה ציפורה, שטהרה הבית כציפור.
‘Pourquoi s’appelle-t-elle Tsipora ? Parce qu’elle purifie la maison comme un oiseau, Tsipor’.
Le mot Tsipor, ציפור, signifie ‘oiseau’. Lorsque quelqu’un est Metsorah, une sorte de lèpre, la Torah lui confère un statut d’impureté. Lorsque sa lèpre disparait la Torah la Torah prévoit un processus de purification, comme nous le voyons dans Vayikra chapitre 14. Entre dans ce processus de purification l’usage de deux petits oiseaux purs (Vayikra 14,4).
Nous donnons notre traduction du commentaire du Maharal :
‘Explication de ce Midrash. La maison de son père est une maison où l’on servait auparavant l’idolâtrie, or l’idolâtrie est comparée à un cadavre, comme dit le verset (Téhilim 106,28) « ils mangèrent des sacrifices-cadavres » et le Metsora est aussi comparé au cadavre, comme dit le verset (Bamidbar 12,12) « S’il Te plait, qu’elle ne soit pas comme un cadavre ! ». Et Tsipora purifiait toute la maison de son père de l’idolâtrie qui est appelée ‘cadavre’, comme l’oiseau, Tsipor, qui purifie le lépreux qui est appelé ‘cadavre’. C’est pour cela qu’elle s’appelait Tsipora. Mais ce Midrash a une explication très subtile, en cela qu’il est légitime que le sang de l’oiseau purifie le lépreux qui est appelé ‘cadavre’. En effet le sang entre dans la purification car le sang c’est la vie, et c’est par le sang qu’il est légitime de purifier celui qui est comme un cadavre. Et spécifiquement le sang de l’oiseau car l’oiseau représente la vie, en cela qu’il est virevoltant ce qui représente la vie au sens fort, contraire absolu du cadavre qui est statique. De plus la matérialité de l’oiseau est fine et positive. En effet du fait de la finesse de sa matérialité il vole dans l’air, ce qui est le contraire de la lèpre qui est une nécrose de la matière, c’est pourquoi il est légitime que le lépreux soit purifié par le sang de l’oiseau. Ainsi s’appelait-elle Tsipora, au nom de la finesse de sa matérialité. C’est pourquoi Tsipora était apte à se coller à Israël, car sa matérialité n’était pas comme celle des idolâtres, et par son biais sa maison s’associa complètement à Israël car elle purifia toute sa maison pour qu’elle soit apte à se coller à Israël.’
Israël, qui est le peuple dont les bases ont été fondées par Avraham, Its’hak et Yaakov, vivent l’acceptation des commandements de leur Créateur, ce qui nécessite une légèreté de la matérialité, comme un oiseau qui virevolte, au gré de la volonté de D., ce qui est contraire à l’idolâtrie qui est la construction d’un système, où telle chose est prônée, et jamais son contraire.
VIII. ושמחים ביסורים, ‘et sont joyeux dans les souffrances’.
Le sujet des souffrances est un sujet piégé. D’un côté nous vivons une société hédoniste où toute réflexion sur une dimension qui pourrait être positive des souffrances est taboue, d’autre part les souffrances expiatrices ont été la chasse gardée d’une culture étrangère à la nôtre. Essayons d’aborder cet enseignement à partir des sources précises de notre tradition.
Reprenons le Midrash (Rabba chapitre 65,§9) cité par le Maharal dans Netiv HaHanava :
‘Its’hak innova les souffrances. Il dit devant D. : l’homme faute et il n’a pas avec quoi faire expiation. Amène s’il te plait des souffrances sur l’homme pour qu’il puisse être expié ! D. lui a répondu : tu as excellement demandé, par ta vie c’est par toi que je vais commencer, comme dit le verset « Ses yeux s’obscurcirent de voir »’.
Comment peut-on réclamer des souffrances ? Comment peut-on être joyeux dans les souffrances ?
Un passage du Keli Yakar de Rabbi Ephraïm Luntschitz peut nous donner un éclairage sur ces grandes questions.
Précisons le contexte de ce commentaire.
D. trancha trois alliances avec les enfants d’Israël (Midrash Tan’houma Parashat Nétsavim §3) depuis la sortie d’Egypte jusqu’à leur entrée dans la terre de Canaan. La première a été tranchée avant le don de la Torah au Sinaï (fin de Parashat Mishpatim), la seconde à la fin de leur séjour au mont ‘Horev (bénédictions et malédictions de la Parashat Bé’Houkotaï), et la troisième dans les plaines de Moav, à la fin des quarante années de pérégrinations dans le désert (bénédictions et malédictions de la Parashat Ki Tavo à la fin du livre de Devarim). Comme la Guemara dans le Traité Sotha l’enseigne (37b), cette alliance dans les plaines de Moav innove en cela que les enfants d’Israël s’engagent non seulement à respecter les commandements d’Hashem, mais se constituent en peuple en cela qu’ils prennent sur eux une responsabilité collective et d’entrer dans un destin commun engageant : la notion d’Arvout, ערבות. Le Keli Yakar analyse la teneur redoutable de cette responsabilité collective dans son commentaire sur le verset Devarim 28,58. Les versets précédents décrivent de manière prophétique les catastrophes qui peuvent s’abattre sur les enfants d’Israël s’ils n’accomplissent pas leur part de cette alliance.
Versets 58 et 59 :
אם לא תשמור לעשות את כל דברי התורה הזאת הכתובים בספר הזה ליראה את השם הנכבד והנורא הזה את ה’ אלקיך.
‘(Toutes ces malédictions arriveront) si tu ne portes pas ton attention pour accomplir toutes les paroles de cette Torah-ci écrites dans ce livre-ci, pour craindre le Nom glorieux et redoutable, l’Eternel ton D.’
והפלא ה’ את מכותך ואת מכות זרעך מכות גדולות ונאמנות ןחלים רעים ונאמנים.
‘Et alors D. rendra tes coups invraisemblables, ainsi que les coups de ta descendance, des coups intenses et tenaces, des maux cruels et tenaces.’
Le Keli Yakar va s’interroger sur l’exigence exprimée dans ce verset, exigence qui dépasse l’entendement : ‘si tu ne portes pas ton attention pour accomplir toutes les paroles de cette Torah-ci’. Comment peut-on exiger sous peine de catastrophes sidérantes que l’on accomplisse toutes les paroles de cette Torah-ci ?
Voici son commentaire, selon notre traduction.
‘ « Si tu ne portes pas ton attention pour accomplir toutes les paroles de cette Torah-ci ». Comment serait-ce possible d’imaginer que si l’on n’applique pas toute la Torah et qu’il viendrait à manquer l’application de ne serait-ce qu’un point alors D. nous frapperait de coups invraisemblables ? C’est un décret que la majorité de la communauté ne peut affronter ! De plus, que signifie cette expression « pour craindre le Nom glorieux et redoutable » ? Pourquoi ce verset mentionne-t-il ces attributs-ci ici et non dans d’autres endroits ? De plus une autre difficulté. En effet nos Maîtres dans le Traité Shabbat (138b,שבת קל »ח ע »ב) traduisent l’expression «D. rendra tes coups invraisemblables » en disant que la Torah s’oubliera d’Israël, ce qui est une plaie qui dépasse l’entendement. Et d’ailleurs le prophète Yishayahou reprendra cette problématique en disant (29,14) « C’est pourquoi J’ajouterai d’abattre sur ce peuple-ci des coups plus incroyables qu’incroyables, et disparaitra la science de ses ‘Hakhamim, des savants, et la sagacité de ses sages se cachera ». Est-ce vraiment la démarche de notre Créateur de fermer les portes de la connaissance de Son peuple pour qu’ils s’anéantissent dans leurs fautes (par inconnaissance) ?
Il nous faut répondre qu’indubitablement le verset de Yishayahou parle d’une génération qui accomplit les commandements de la Torah , mais pas par crainte de D. mais par une cause extérieure qui les y contraint, ou par crainte d’une personne qui les force à les accomplir contre leur gré, et ceci cause une profanation du Nom. En effet D. scrute leur cœur et constate que leur application des commandements n’est pas pour la Mitsva. Il les châtie sur la perversion de leur pensée car ceux qui les voient appliquer la Torah et les Mitsvot en viennent à critiquer D. .
C’est dans ce contexte que nos Maîtres ont enseigné : « si tu vois une génération qui ne chérit pas la Torah, garde tes enseignements pour toi ». On ne parle pas d’une génération qui n’étudie pas la Torah. Non ! On parle d’une génération qui étudie la Torah, mais pas pour le Nom du Ciel. C’est pourquoi la Torah ne leur est pas chérie en tant que telle, mais c’est la finalité factice qui leur est chérie. Lorsque quelqu’un agit par contrainte, il n’y a pas d’amour ; dans une telle génération, garde les paroles délicieuses de Torah pour toi. Ne cherche pas à ce que l’on entende des paroles de Torah par ta bouche, ni des paroles de Moussar, d’éthique de Torah. En effet dans une telle génération pervertie, דור תהפוכות, toute leur Torah et leurs actes ne sont que du bord des lèvres et de l’extérieur, מן השפה ולחוץ. D. fera en sorte que la science des ‘Hakhamim, des savants disparaitra de cette génération car il n’y a aucun נחת רוח, aucun contentement devant D. d’une telle étude de Torah et de tels accomplissements des Mitsvot.
C’est ce que dit le prophète (Yishayahou 29,13) :
ויאמר ה’ יען כי נגש העם הזה בפיו ובשפתיו כבדוני ולבו רחק ממני ותהי יראתם אותי מצות אנשים מלומדה
« D. dit : étant donné que ce peuple s’approche avec sa bouche », s’approche, ניגש, dans le sens de contraint dans tous leurs actes, ils n’agissent que par la peur des gens qui leur imposent ces actes. La conséquence est que (suite du verset) « par leur bouche et leurs lèvres ils m’honorent et leur cœur est loin de Moi ». En effet celui qui contraint n’a de prise que sur les mots qui sortent de la bouche amis non sur l’intention du cœur, car qui peut connaitre les secrets des cœurs ? (Suite du verset) « Et leur crainte à Mon égard est une crainte de personnes blasées ». Nous pouvons aussi lire le verset ainsi « Et leur crainte à Mon égard est une crainte qui vient des personnes » qui les contraignent. Cela devient les commandements, les ordres des hommes et non les commandements de D. .
Et ce que dit la suite du verset, « C’est pourquoi J’ajouterai d’abattre sur ce peuple-ci des coups plus incroyables qu’incroyables, et disparaitra la science de ses ‘Hakhamim, des savants », ne signifie pas qu’à D. ne plaise les ‘Hakhamim disparaîtront, car en effet il n’est pas écrit que les ‘Hakhamim disparaîtront, ni que la science disparaîtra des ‘Hakhamim. Il est écrit que la science des ‘Hakhamim disparaîtra. Ceci signifie qu’elle disparaîtra des gens de cette génération, car D. donnera dans le cœur de ces ‘Hakhamim de ne pas divulguer leurs paroles et qu’ils restent dans la discrétion. Ceci dans une génération où la Torah n’est pas chérie pour eux, de manière à ce qu’ils restent dans l’ignorance et qu’ils ne comprennent rien, qu’ils avancent dans les ténèbres et s’anéantissent par leurs fautes, étant donné qu’il est dévoilé devant D. que quand bien même étudieraient-ils la Torah et l’appliqueraient-ils, ils n’étudieraient pas et n’appliqueraient pas pour la Torah. En effet toute chose effectuée sous la contrainte n’atteint aucune vertu car si tu retires la contrainte le naturel revient au galop. Ici D. proclame et dévoile la turpitude d’une génération qui n’agit que mue par un but trompeur comme la richesse et l’honneur pour lesquels ils se dévouent corps et âme, comme les mœurs des gens de notre génération.
Reprenons le verset :
« Si tu ne portes pas ton attention pour accomplir toutes les paroles de cette Torah-ci écrites dans ce livre-ci, pour craindre le Nom glorieux et redoutable, l’Eternel ton D. ».
Comme nous venons de le prouver, ce verset parle d’une génération qui applique et étudie la Torah mais pas par crainte de D., comme conclut le verset « pour craindre le Nom glorieux et redoutable ». En vérité tu accomplis les commandements, mais pas par crainte du Nom glorieux et redoutable, mais par crainte des personnes qui t’y contraignent. Tu échanges la crainte du Nom glorieux et redoutable avec la crainte de l’homme faible bout d’herbe, étreint de honte et de fureur, car tu as peur que tes actes ne portent pas grâce aux yeux des gens, comme les hypocrites de notre génération qui agissent pour plaire aux autres, qu’ils les honorent et les enrichissent. « Et alors D. rendra tes coups invraisemblables », c’est la disparition de la Torah, ce qui causera que les Maîtres authentiques de Torah amèneront la lumière de leur Torah dans des lieux que personne ne trouvera pour qu’ils ne puissent pas partager leur savoir, et alors sauront tous les peuples de la terre que les lois de D. sont vraies.’
Essayons de synthétiser ce commentaire effrayant.
Tout d’abord Rav Ephraïm Luntschitz ne défend pas une thèse, il veut rendre compte d’une lecture serrée du verset. Au cœur des malédictions de la section Ki Tavo la Torah nous enseigne que si les enfants d’Israël de manière collective étudient la Torah et accomplit les commandements mais non par crainte du Nom glorieux et redoutable, par peur du regard des autres, par considération sociale et recherche d’intérêts fallacieux, alors D. fera que l’ensemble du peuple ne rencontreront pas les Maîtres véritables et sombreront dans l’ignorance et de ce fait dans les fautes et s’appliqueront alors toutes ces malédictions.
Comme nous l’avons dit plus haut ce passage de la section Ki Tavo représente une partie de l’alliance que les enfants d’Israël ont contractée avec D.. Nous pouvons nous demander : mais comment ont-ils pu accepter un tel contrat ? Comment et pourquoi ont-ils accepté une responsabilité collective aussi vertigineuse qui engage toutes les générations à venir des enfants d’Israël, dont nous ?
Essayons de comprendre un peu le contenu de cette alliance. Le premier verset des bénédictions de la section Ki Tavo dit (Devarim 28,1) :
והיה אם שמוע תשמע בקול ה’ אלקיך לשמור לעשות את כל מצותיו אשר אנכי מצוך היום ונתנך ה’ אלקיך עליון על כל גויי הארץ.
‘Si écouter tu écouteras la voix de l’Eternel ton D. pour respecter et accomplir tous les commandements que je t’ordonne aujourd’hui, l’Eternel ton D. te mettra supérieur sur toutes les Nations de la terre.’
La vocation du peuple initié par Avraham, Its’hak et Yaakov est de véhiculer au sein de la Création, ou tout au moins au sein de l’humanité, qu’il y a un D. Créateur. Cette vocation supérieure et redoutable se concrétise par l’étude et l’accomplissement des commandements de la Torah. Certes ce privilège insigne confère une place particulière à ce peuple, mais en même lui confère une responsabilité aussi très particulière. En effet si collectivement ce peuple dévie de sa vocation et de sa mission, son équilibre ainsi que celui de l’humanité se trouvent ébranlés. Avant d’entrer dans la terre de Canaan, peu avant la mort de Moshé, les enfants d’Israël ont accepté à nouveau l’alliance avec D., c’est-à-dire qu’ils acceptèrent cette mission spéciale. S’ils dévient de cet enjeu, ils acceptèrent de recevoir ces malédictions pour que l’enjeu ne disparaisse pas et que reste vivace finalement la base de leur élection et de leur vocation.
Ils acceptèrent positivement de recevoir ces souffrances si par malheur ils en arrivent à se fourvoyer et à transformer les commandements de D. en un système oppressif où la crainte de l’homme a remplacé la crainte de D. .
Ce commentaire de Rabbi Ephraïm Luntschitz nous aide à percevoir un peu ce que signifie l’expression ‘joyeux dans les souffrances’, ce qui est la démarche de Its’hak Avinou qui a quémandé les souffrances.
Comme dit le Midrash rapporté par le Maharal : ‘si l’homme faute, s’il Te plait, amène sur lui des souffrances pour qu’il puisse avoir expiation !’
Nous pouvons nous demander : mais qu’il n’ait ni souffrances ni expiation ! c’est pas grave !
Le commentaire du Keli Yakar nous analyse le sujet : si nous n’avons pas d’expiation, tout l’enjeu de notre vie disparait, nous nous enfonçons dans une matérialité qui revient à une dimension animale et vide de tout contenu, de but, dans laquelle la Création devient déconnectée de son Créateur. Telles sont les grands bienfaits des souffrances.
IX. Retour au texte de Al HaNissim.
Nos Maîtres ont institué de dire dans la prière durant les huit jours de ‘Hanouka :
‘Et ensuite sont venus tes fils dans le Devir de Ta Sainteté, ont nettoyé Ton Sanctuaire, ont purifié Ton Temple, ont allumé des lampes dans les cours de Ta Sainteté’.
Nous avons demandé au début de l’étude présente : mais qu’y a-t-il de si extraordinaire au fait qu’ils sont entrés à l’intérieur du Temple et y ont allumé des lumières ? Si l’on avait mentionné que cette lumière avait illuminé huit jours alors qu’il n’y avait de l’huile que pour un jour, nous aurions bien compris le prodige, mais où y a-t-il prodige à allumer des lumières au sein du Temple ?
Nous pouvons nous poser la question :
Comment dans ce monde où toute l’humanité ou presque est occupée à profiter du joli temps et à exploiter ce que l’on peut exploiter peut-il y avoir un peu de lumière ? Comment peut-il y avoir une certaine luminosité ?
Le passage du Maharal dans le Netivot Olam nous a aidés à décrypter cette énigme. Comment émerge de la lumière. La personne qui est offensée mais n’offense pas, dont la corporalité est broyée, qui agit par amour, qui allège sa corporalité pour faire la volonté de son Créateur, qui est joyeux dans les souffrances, qui accepte et exige des souffrances pour garder le cap de ce qu’il a à faire dans sa vie, cette personne dont la corporalité est malmenée et secouée, presque inexistante, devient comme le soleil, rayonne, est une matière certes, mais qui devient lumineuse. C’est un prodige qu’il y ait de la lumière dans ce monde.
C’est un miracle que l’on ait la possibilité d’apprendre, que nos cœurs s’ouvrent et qu’un rayon de lumière traverse nos âmes.
Après les persécutions des grecs à l’époque des Hasmonéens, il y eut un renouvellement de la lumière, et cette lumière quelque part ne s’est pas éteinte. Quelque chose s’est ouvert dans nos cœurs.
Souvent nous nous demandons si aujourd’hui nous avons la possibilité d’étudier la Torah, et que des portes de la connaissance se sont ouvertes dans les dernières générations cela ne vient pas du fait que des justes ont acceptés au fond d’eux-mêmes des offenses qui dépassent l’entendement mais que seulement, dans ce monde qui peut facilement virer à l’absurde et au vide, au pillage et à la bêtise, puisse émerger un peu de lumière et que nos cœurs s’ouvrent et ne restent pas fermés.
(1) Saint des Saints.
(2) Attention, on parle ici d’offense. Il n’est pas question ici de spoliation, de vol, de coups. Si la personne est spoliée, subit un vol, un dégât, ou qu’elle est victime d’exaction, elle a le droit voire le devoir de demander justice et réparation. Nous développerons ce point dans le paragraphe suivant.
(3) La traduction précise est : celui qui ne reste pas sur ses mesures. Cette expression va être expliquée dans la suite.
(4) Cette définition traditionnelle de l’intellect est vitale particulièrement à notre époque où l’on focalise presque totalement l’intelligence sur son aspect logique, mathématique et abstrait. L’intellect dont parle nos Maîtres est une pensée dans laquelle s’unissent la réflexion, la science, les pulsions, les émotions et le dialogue.
(5) La traduction précise est : celui qui passe outre ses mesures. Ces termes seront expliqués dans la suite.
(6) Effectivement, selon notre tradition, le sang de la victime d’un meurtre exige réparation et délivrance.
(7) Ils mangèrent des sacrifices offerts aux idoles.
(8) Bien évidemment, on ne peut qu’être ébranlé par le sous-entendu de ce verset.
(9) En effet ceux qui les voient être pieux mais de manière contrainte et forcée se disent : est-ce vraiment ce que D. exige ? Est-ce ceci les commandements de D., des conventions sociales et des moyens d’exercer un pouvoir sur les individus ? Ces commandements sont, à D. ne plaisent, dégoutants.
(10) Le Keli Yakar a été publié en 1602 à Lublin.
(11) Ici c’est Moshé Rabbénou qui parle.