Dans la célèbre beraita des 4 fils (Pessahim 116a) rapportée dans le texte de la hagadah de Pessah, le fils rasha (impie) formule sa question en s’excluant des juifs sortis d’Egypte. Dans la célèbre beraita des 4 fils (Pessahim 116a) rapportée dans le texte de la hagadah de Pessah, le fils rasha (impie) formule sa question en s’excluant des juifs sortis d’Egypte. Tombe alors la sanction : « Du fait qu’il s’est exclu de la collectivité, Kafar ba-ikar, il a renié l’essentiel. » Pourquoi la sanction est-elle exprimée ainsi ? En quoi le fait de s’exclure du peuple juif fait de ce fils un kofer (un renégat)? Autrement dit, en quoi la dimension collective du judaïsme est-elle si cruciale ?
« Shema Ysrael H’ Elokeinou H’ Ehad » (Devarim 6:4) Ce verset exprime le commandement positif de kabalat ol malkhout shamayim, accepter le joug divin. Observons sa construction grammaticale : « Ecoute Israël, Hachem notre D., Hachem est Un ». Ce n’est pas D.ieu qui s’adresse aux juifs ou à Moïse dans ce verset, ce sont les juifs qui s’adressent à eux-mêmes ! C’est le seul commandement de toute la Torah exprimé ainsi.
Il nous semble devoir apprendre de là que cette mitsva (ce commandement) passe de façon nécessaire par l’expérience collective. Essayons de comprendre cette notion.
Rambam, Hilkhot Techouva, §3-11 : « Celui qui se sépare de la communauté, même s’il ne commet pas de faute, mais simplement se sépare de l’assemblée d’Israël, et ne réalise pas les mitsvot en son sein (il les réalise donc en privé), ne se préoccupe pas de leurs problèmes, ne respecte pas leurs jours de jeûne ; mais au contraire chemine sur son propre chemin comme s’il faisait partie des Nations et non du Peuple Juif ; celui-là n’a pas de part au monde futur. »
On apprend ici deux choses :
1) Un juif, même respectueux des commandements, vivant en marge de la communauté, s’apparente à un non-juif.
Il semble que le terme « chemine sur son propre chemin » est fondamental. Comprenons : un homme vivant isolé peut respecter certaines mitsvot, développer une certaine spiritualité. Il n’en est pas moins dans l’impossibilité de recevoir le joug divin. Si une faute se présente à lui, aucune structure sociale ne le retient. Son comportement ne peut alors qu’être aléatoire. Même si en pratique un tel homme peut arriver à ne pas fauter, il ne reçoit pas le joug divin. En cela, il perd son caractère juif.
Ainsi, ne croyons pas que recevoir le joug divin est quelque chose de naturel, d’intime, de personnel ! Recevoir le joug divin passe inéluctablement par la fréquentation de l’assemblée juive. Shema Ysrael, Hachem Elokeinou Hachem Ekhad.
2) Il n’a pas de part au Monde Futur.
Proposons un élément supplémentaire : la sortie d’Egypte historique (Pessah Mitsraym) est un événement préparatoire, qui ne consiste qu’à donner une structure relationnelle entre les juifs. Cette structure ne trouve son application concrète qu’au moment du don de la Torah au Sinaï.
Essayons de tisser un lien entre les deux évènements.
“Kol ben nekhar lo yokhal bo” (Shemot, 12:43) «Tout juif s’adonnant à l’idolâtrie ne mangera pas (du sacrifice pascal).»
Le Rambam dans le Mishne Torah (Korban Pessah, chapitre 9, halakha 7) explicite de facon étonnante ce verset : il tient l’avis que cet interdit ne s’adresse pas au ben nekhar lui-même, mais au juif « tout-venant ». Celui-ci n’a pas le droit de donner à consommer du sacrifice pascal au ben nekhar. Cette lecture du verset est étonnante : pourquoi le Rambam s’éloigne-t-il du sens littéral ? La torah pourrait tout-à-fait s’adresser à ce ben nekhar, qui s’il transgresse des lois fondamentales de la Torah, n’y reste pas moins soumis comme tout autre juif.
Mais en réalité, le Rambam nous éveille au fait suivant : chaque mitsva doit comporter en elle la dimension de arvouth : tout juif est responsable de la transgression d’un interdit par un autre juif, et doit dans la mesure du possible l’en empêcher. Si le verset s’adressait au moumar (renégat), avec qui le lien d’arvouth n’existe plus (en tout cas selon certains décisionnaires), cette condition ne serait pas remplie.
Le Rambam nous enseigne ici que toute mitsva de la Torah doit de façon absolument nécessaire comporter cet écho collectif. Et cela est justement enseigné à partir d’un verset sur le sacrifice pascal.
Il nous semble légitime de rattacher le Rambam cité plus haut à celui-ci : le ben nekhar du verset et le poresh mi darkei tsibour, l’isolé dont parle le Rambam ont en commun l’annulation de la dimension de arvouth. La torah ne peut s’adresser à eux. C’est peut-être le sens de l’expression « il n’a pas de part au Monde Futur ».
Revenons au Rasha de la Beraita.
Nous avons maintenant les clés pour comprendre qu’en s’excluant, le rasha aboutit à une kefira. Analysons plus loin : la réponse donnée au rasha est la même qu’au fils ne sachant pas questionner. On lui accorde donc une réponse standard, qui ne participe pas d’un dialogue. Le fils rasha annule la dimension de question-réponse de la mitsva de raconter la sortie d’Egypte. Le verset « Tu raconteras à ton fils » n’est pas réalisé. Il en ressort que la conscience de la dimension collective du peuple juif est la condition de toute transmission. Cette notion simple et rabâchée nous semble prendre sens éclairée des textes rapportés plus haut : seul le collectif est capable d’ancrer la transmission dans une dimension d’inter-responsabilité qui garantit sa pérennité.
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