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Universalité et singularité de la fête de Rosh HaShana, par Rav Gérard Zyzek

par: Rav Gerard Zyzek

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Introduction à la fête de Rosh HaShana : Universalité et singularité de la fête de Rosh HaShana, par Rav Gérard Zyzek

La Mishna dans le Traité Rosh HaShana (16a) nous enseigne qu’à Rosh HaShana ‘tout un chacun du monde passe devant Lui comme des moutons passent devant leur berger qui les compte’. Passer devant Lui, telle est la teneur de ce jour redoutable, de ce jour appelé dans notre Tradition ‘jour de Jugement’, Yom HaDin.
Rosh HaShana est la seule fête du calendrier juif dont la référence est un évènement fondateur de toute l’humanité (le jugement d’Adam), et non un événement relatif à l’histoire du peuple d’Israël, pourquoi seul le peuple d’Israël en possède la mémoire ? Si tout un chacun du monde passe en ce jour devant le Créateur de toute chair, pourquoi les non-juifs n’envahissent-ils pas en ce jour les synagogues et ne se mettent-ils pas à pleurer à chaudes larmes sur leurs fautes ? Si tant est que tout un chacun qui vient dans le monde passe en jugement devant D., pourquoi y en a-t-il une telle amnésie ?
Et d’autre part, si comme nous venons de le voir Rosh HaShana est ‘Jour de Jugement’, comment se fait-il que ce jour soit tant d’un point de vue juridique que du point de vue dont ce jour est vécu populairement un jour festif ? Ne serait-il pas plus adapté que ce jour soit un jour de jeûne et de contrition ?
L’étude d’un passage du livre de Né’hémia, Néhémie, peut nous donner des éléments de réponse à nos questions.

I. Né’hémia chapitre 8.

Rashi au début du livre d’Ezra nous expose la chronologie relative à la construction du Second Temple de Jérusalem.
‘Après qu’eût été assassiné Balshatsar (Balthazar), a régné Dariavèsh (Darius), comme dit le verset (Daniel 6,1) « Et Darius le Mèdes reçut la royauté (après l’assassinat de Balshatsar) ». Après la mort de Darius, régna Korèsh, Cyrus roi de Perse.  Au bout d’un an de son règne se sont terminées les soixante-dix ans où devait s’opérer la délivrance de l’exil de Babylone, soixante-dix ans depuis l’exil de Yéoyakim, Joaquim, comme il a été annoncé au prophète Yirmiayou, Jérémie (Chapitre 29,10) « quand se termineront à Babel soixante-dix ans, Je porterai Mon attention à vous ». A ce moment-là sont revenus une partie d’Israël de Babel en terre d’Israël et cette année-là, la première année du règne de Korèsh, Cyrus, Israël mirent les fondements des fondations du Temple. Les ennemis de Yéouda et de Biniamin calomnièrent à leur sujet devant Cyrus qui ordonna d’arrèter tous travaux et de ne plus construire le Temple. Israël furent réduits à l’inaction et empèchés de construire le Temple tout le règne de Cyrus ainsi que celui d’Akhashvèrosh, Assuérus, qui règna après lui, jusqu’à la seconde année du règne de Dariavèsh, Darius le Second, fils d’Assuérus roi de Perse qui est Darius fils d’Esther. La seconde année de son règne, la construction effective du Temple commença et le Temple fut complètement construit. Depuis la première année du règne de Cyrus jusqu’à la seconde année du règne de Darius, année où fut construit le Temple, s’écoula dix-huit ans. Cela corrobore ce que dit le verser (Daniel 9,2) « Au terme de soixante-dix ans depuis la destruction de Jérusalem ». C’est-à-dire qu’à la seconde année du règne de Darius s’achèvent soixante-dix ans depuis la destruction de Jérusalem, c’est-à-dire la destruction du Temple, qui coincide avec l’exil du roi Tsidkiahou, Sédécias. La première année du règne de Cyrus roi de Perse s’achevèrent soixante-dix ans depuis l’exil de Yéoyakim, Joaquim, où les enfants d’Israël furent exilés à Babel, ceci corrobore un autre verset (Jérémie Chapitre 29,10) « quand se termineront à Babel soixante-dix ans, Je porterai Mon attention à vous ». Cette ‘attention’ dont parle ce verset fut le retour des exilés sur leur terre, et la construction des fondations du Temple, bien que la fin de cette construction ne s’effectua que dix-huit ans plus tard, au bout de soixante-dix ans de l’exil de Tsidkiahou, concomittant à la destruction du Temple.’

Pour résumer, il y eut deux prophéties, celle de Jérémie et celle de Daniel. Les deux parlaient de soixante-dix ans mais celle de Jérémie faisait débuter ces soixante-dix ans de l’exil de Yéoyakim et se terminer la première année du règne de Cyrus, année où furent posées les fondations du Temple. Celle de Daniel faisait débuter ces soixante-dix ans à partir de l’exil de Tsidkiahou et se terminer par la construction effective du Temple la seconde année du règne de Darius fils d’Esther.

L’inauguration du Temple (le Second Temple) fut le premier jour du septième mois de cette année, c’est-à-dire le jour de Rosh HaShana. Le huitième chapitre du livre de Né’hémia, Néhémie, décrit cet événement central. Le livre de Né’hémia fait partie des Ketouvim, des Ecrits Saints de notre Tradition. Dire que ces écrits font partie des Ecrits Saints implique qu’outre l’impact historique majeur de ces textes, ils ont aussi une portée transhistorique comme nous le font découvrir les enseignements de nos Maîtres.
Nous aborderons les premiers versets de ce  huitième chapitre, chaque nuance étant nécessaire pour saisir le contexte de nos propos.

ויאספו כל העם כאיש אחד אל הרחוב אשר לפני שער המים ויאמרו לעזרא הסופר להביא את ספר תורת משה אשר צוה ה’ את ישראל.
‘Tout le peuple s’est rassemblé comme un seul homme sur la grand-place qui se trouve devant la Porte des Eaux, ils dirent à Ezra le Scribe d’amener le livre de Loi (Torah) de Moshé que D. avait ordonné à Israël’
ויביא עזרא הכהן את התורה לפני הקהל מאיש ועד אשה וכל מבין לשמוע ביום אחד לחודש השביעי.
‘Ezra le Cohen apporta la Torah devant l’assemblée, devant les hommes, les femmes, et toute personne qui comprend pour écouter, le premier jour du septième mois.’

Le premier jour du septième mois est le jour de Rosh HaShana, le mois de Tishri étant le septième mois depuis le mois de Nissan, mois de la Sortie d’Egypte. L’inauguration du Second Temple va se sceller par la lecture de la Torah.
La lecture que va effectuer Ezra donnera le ton à toute la période du Second Temple. En effet, lors du Premier Temple, les Tables de la Loi résidaient dans le Saint des Saints. Mais depuis la destruction du Premier Temple, les Tables ont disparues.
Pour bien affirmer la centralité de la Torah comme capacité de rapprochement entre le Créateur et Ses créatures, Ezra va lire dans la Torah devant tous les hommes et toutes les femmes, et par cela inaugurer le Temple à nouveau.

Que signifie l’expression וכל מבין לשמוע ‘et toute personne qui comprend pour écouter’ ? Rabbi Lévi ben Guershon, le Ralbag, propose : ‘toute personne en âge d’écouter et de comprendre’, c’est-à-dire les enfants à partir d’une certaine maturité.

ויקרא בו לפני הרחוב אשר לפני שער המים מן האור עד מחצית היום נגד האנשים והנשים והמבינים ואזני כל העם אל ספר התורה.
‘Il lut dedans devant la grand-place qui se trouve devant la Porte des Eaux depuis l’aube jusqu’au milieu du jour, en face des hommes, des femmes, de ceux qui comprennent, et les oreilles de tout le peuple sont tendues vers le livre de la Torah’.

L’expression והמבינים, ‘de ceux qui comprennent’, est étonnante. Nous verrons par la suite que la plupart des personnes présentes ne comprennaient pas l’hébreu, et que pour la plupart ils n’avaient jamais entendu de lecture de la Torah. Ce verset nous montre la tension intérieure commune aux connaisseurs ainsi qu’aux ignorants.
Si ce verset, dans une certaine mesure, caractérise l’inauguration du Second Temple, n’y a-t-il pas là non plus l’expression d’un aboutissement, où la tension intérieure n’est pas tant de connaître que d’apprendre ? D’être réceptif à apprendre.

ויעמוד עזרא הסופר על מגדל עץ אשר עשו לדבר ויעמוד אצלו מתתיה ושמע ועניה ואוריה וחילקיה ומעשיה על ימינו ומשמאלו פדיה ומישאל ומלכיה וחושם וחשבדנה זכריה משולם.
‘Ezra le Scribe se tint sur une estrade de bois qu’ils firent pour l’occasion, et se tinrent à ses côtés, à droite, Matitia  et Shéma et Anaya et Ouria et ‘Hilkia et Maasséia, et à sa gauche, Pédaia et Mishaël et Malkaia et ‘Housham et ‘Hashbadana Zekharia Meshoulam’.

ויפתח עזרא הספר לעיני כל העם כי מעל כל העם היה וכפתחו עמדו כל העם.
‘Et Ezra ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple car il était au dessus de tout le peuple, et quand il commença (à lire) tout le peuple se retint (de parler)’.

Le Talmud, Traité Sotta 39a, apprend de ce verset une loi importante :
אמר רבא בר רב הונא כיון שנפתח ספר תורה אסור לספר שנאמר ןבפתחו עמדו כל העם.
‘Rava bar Rav Houna nous enseigne : à partir du moment où le livre de la Torah est ouvert il est interdit de parler, comme dit le verset : « et quand il commença à lire, tout le peuple s’est tu »’.
En voyant dans quel contexte ce verset a été dit, nous pouvons comprendre que l’obligation qui nous est faite de ne pas parler lors de la lecture de la Torah ne vient pas d’un respect autoritaire ou de crispation religieuse, mais nous enjoint de nous retrouver comme ces personnes qui venaient de très loin et qui écoutaient la lecture de Torah pour la première fois de leur vie, et qui tremblaient de soif d’apprendre et d’émotion. Et qui retenaient leur souffle.

(Trois versets plus loin)
ויקראו בספר בתורת האלקים מפורש ושום שכל ויבינו במקרא.
‘Et ils lirent dans le livre de la Torah de D. de manière explicitée, en y mettant de l’intelligence et de la compréhension dans les versets’.
Les Leviim traduisaient les versets (car la plupart des personnes présentes ne parlaient qu’araméen et ne comprenaient pas l’hébreu) et les expliquaient au peuple.

ויאמר נחמיה הוא התרשתא ועזרא הכהן הסופר והלויים המבינים את העם לכל העם היום קדוש הוא לה’ אלקיכם אל תתאבלו ואל תבכו כי בוכים כל העם כשמעם את דברי התורה.
‘Né’hémia qui est le gouverneur et Ezra le Cohen le Scribe et les Leviim qui expliquaient au peuple dirent au peuple : aujourd’hui est un jour Kadosh, saint, pour Hashem votre D., ne vous endeuillez pas et ne pleurez pas, car tout le peuple pleurait lorsqu’ils entendirent les paroles de la Torah’.

De quoi s’agit-il ?
Le verset nous dit que les gens pleuraient tellement ils étaient bouleversés d’entendre pour la première fois de la Torah et de réaliser combien ils étaient loin de D. et de ce que D. leur demandait dans la Torah. Ils étaient éperdus de douleur.
Né’hémia qui était à la fois un prophète du peuple d’Israël et à la fois le gouverneur perse ainsi qu’Ezra et les Leviim les secouèrent en leur disant que ce jour est un jour Kadosh, spécial, et qu’il n’est pas de mise de s’y endeuiller et d’y pleurer.

Nous avons vu plus haut dans le deuxième verset de ce chapitre que ce rassemblement inaugural du Temple était le premier du septième mois de l’année, donc le jour de Rosh HaShana. Ce jour est un jour spécial, Kadosh, spécifique pour D. .

Verset suivant :
ויאמר להם לכו אכלו משמנים ושתו ממתקים ושילחו מנות לאין נכון לו כי קדוש היום לאדונינו ואל תעצבו כי חדות ה’ היא מעוזכם.
‘Il leur dit (Né’hémia) : allez manger des bons plats, buvez des boissons douces, et envoyez des plats à ceux qui n’ont pas pu se préparer à manger ! Car aujourd’hui est un jour Kadosh pour notre Seigneur ! Ne soyez pas tristes, car l’allégresse d’HaShem, de D., est votre puissance !’

Mais que demande Né’hémia aux enfants d’Israël ? Comment est-ce possible de se délecter de bons plats lorsqu’on est terrassé face à sa petitesse, face à ses défaillances ? Lorsqu’on se retrouve au sein du Temple face à la grandeur de D. et à sa propre faiblesse ? Comment peut-on suggérer à quelqu’un de brisé de donner des bonnes choses à ceux qui n’ont pas préparé ce qu’il faut pour la fête ?

II. La spécificité du service du jour de Rosh HaShana.

Nos Maîtres nous enseignent (Rav Its’hak Hutner, au début du Pa’had Its’hak sur Rosh HaShana) que si les versets prophétiques nous rapportent que cet échange de paroles entre Né’hémia et le peuple lors de l’inauguration du Temple fut le jour de Rosh HaShana, cela vient nous enseigner sur le fondement même de ce qui se passe lors de ce jour Kadosh, particulier.
Rosh HaShana est considéré le premier des dix jours de Teshouva. En ce jour redoutable, nous nous retrouvons en face de D., et en face de nous-mêmes. Nous sommes anéantis par nos défaillances, notre faiblesse, voire notre culpabilité. Rosh HaShana est le premier jour de l’année. Le monde est en jugement. La question qui est posée est : est-ce que cela vaut le coup que le monde continue ? Va-t-on repartir pour une année ?
Le jugement va se porter sur la question suivante que nous apprenons de ce passage du livre de Né’hémia :
A-t-on la force de donner de l’existence ? Lorsque je suis anéanti, que je n’ai plus aucune ressource pour me tenir debout, ai-je la force pour donner de l’existence à moi-même déjà (‘mangez des bonnes choses, buvez des boissons douces !), et est-ce que j’ai la force de donner à quelqu’un d’autre la capacité d’exister (‘et donner des bons plats à ceux qui n’ont pas préparé’) ?
Mais comment puis-je donner de l’existence si ma propre existence est remise en question ? Si je perçois mon néant jusqu’au plus profond de moi-même ?
C’est sur ce point précis que se joue le jugement de Rosh HaShana : est-ce que nous avons la force de donner de l’existence à partir du néant ?
Est-ce que le monde dans lequel nous vivons est une illusion, un mirage fait de trillions de molécules et d’atomes ? Ou bien ce monde a-t-il un maintien, une tenue, une existence ? Or il n’y a de tenue, d’existence que si l’existence tient par elle-même, si rien ne la conforte dans son assise. Le ‘Hessed, le don, donner de l’existence, sera alors l’expression que ce jour de Rosh HaShana est véritablement un jour Kadosh, qui sort de l’ordinaire, qui sort de l’instinctif et du trivial. Alors oui, le monde existe ! Et le jugement sera positif.

III. , כי חדות ה’ היא מעוזכם , ‘Car l’allégresse d’Hashem, de D., est votre puissance !’

Il semblerait qu’il y a dans le verset de Né’hémia, outre une réflexion sur la dépression créatrice, un élément supplémentaire : Où y a-t-il joie, allégresse, lorsqu’on perçoit ses déficiences ?
Dans un premier temps les enfants d’Israël ont été terrassés en se rendant compte combien ils étaient loin de tout, loin de la Torah, loin de D., brisés de leur ignorance. Mais percevoir que l’on est faillible est aussi percevoir que l’on est vivant, que l’on peut s’améliorer. La lucidité est une joie, de se retrouver en contact avec son Créateur, et retrouver ce contact est la véritable puissance.
La fin de ce verset nous explique pourquoi la mémoire du jour de jugement de Rosh HaShana s’est évanouie de chez les idolâtres. L’idolâtre aimerait être en contact avec la divinité de manière constante. Rabbi Mena’hem Mendel de Vitebsk dit dans son livre Peri HaArets que les idoles sont appelées ‘leurs craintes’, Irhatam, יראתם, car ils aimeraient être dans une crainte permanente. Lorsqu’on se retrouve à Rosh HaShana au Temple de Jérusalem on se rend compte qu’on avait oublié d’être proche de D., et on est terrassé par cela, mais c’est une joie car cette crainte est vivante, fugace. L’idolâtre aimerait être statique, constant, mais mort.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Universalité et singularité de la fête de Rosh HaShana, par Rav Gérard Zyzek”

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