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Parachat Bo : l’aboiement du chien

par: D. Scetbon

Publié le 19 Janvier 2010

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Au début du onzième chapitre de Chemot, Hachem annonce à Moché que la nuit suivante il fera sortir son peuple d’Égypte. Le septième verset de ce même chapitre s’exprime ainsi : « Et envers [contre] tous les enfants d’Israël pas un seul chien n’aboiera ». Il s’agit là de la traduction communément retenue. Toutefois Rachi, se fondant sur la racine du mot, traduit par : « pas un chien n’aiguisera sa langue ».

Trois parachiot plus loin, dans Michpatim (chap. 22 verset 30), la Torah nous dit « Et des hommes saints soyez pour moi, et de la chair [animale], dans le champ, déchirée ne mangez pas, jetez-la au chien. ». Ce verset, qui constitue l’une des sources fondamentales des lois relatives à la cacherout du bétail, nous enjoint de ne pas consommer la chair issue d’un animal victime d’un prédateur mais de l’offrir aux chiens.

La Mekhilta (Midrach halakhique sur Chemot), partiellement citée par Rachi sur ce même verset, pose la question suivante : faut-il entendre les termes « jeter au chien » de manière exhaustive, ou s’agit-il en réalité d’une autorisation plus globale de tirer profit de cette viande en l’offrant à quiconque n’est pas concerné par les lois de la cacherout ? La Mekhilta répond en faisant appel à une autre notion de cacherout : la charogne.

S’agissant d’une bête morte de mort naturelle (nevela), la Torah nous autorise à la donner aux idolâtres. Or d’après la Mekhilta, l’interdit de consommer une bête dite « nevela » présente un caractère de gravité supérieur à celui frappant la bête « déchirée », trefa.

Or si la Torah autorise de tirer profit de la première catégorie d’interdit, les règles s’appliquant à la seconde ne sauraient être plus rigoureuses en limitant l’autorisation à ne jeter la viande qu’aux chiens. C’est donc que l’autorisation de tirer profit de cette viande est générale et non limitée à cet animal. S’il en est ainsi pourquoi la Torah dit elle « jetez-la au chien » ?

Et la Mekhilta de répondre « c’est pour t’enseigner que le chien est supérieur à l’idolâtre [c’est la raison pour laquelle il lui est dévolu spécifiquement une part]. Car D. ne lèse aucune créature de la récompense [qui lui est due], comme il est dit : Et envers [contre] tous les enfants d’Israël pas un seul chien n’aiguisera sa langue. D. dit : donne lui sa récompense. A fortiori, D. ne frustrera pas un homme de son dû ».

Ainsi donc, d’après ce texte, le fait pour le chien de se voir attribuer des pièces de viande non cachères constitue la juste rétribution du fait qu’il n’a pas élevé la voix lors de la sortie d’Égypte.

Cette réponse pose un problème de fond. En effet Rambam, dans le More nevoukhim (Guide des égarés, Partie 3 Chapitre 17), définissant une théodicée, décrit le principe de la récompense des actes positifs et du châtiment des fautes dans ce monde-ci et dans le monde à venir. Or le paramètre déterminant, d’après Rambam, pour qu’il y ait lieu à rétribution est la conscience, le libre arbitre. Seul l’être doué de raison est donc concerné (tout au moins directement) par ce mode de fonctionnement. Être jugé suppose une marge de manœuvre, et non un fonctionnement instinctif. L’animal est donc exclu de ce « système », il n’est qu’un moyen, pas une fin. Dès lors comment la Mekhilta peut elle parler d’une récompense attribuée à un chien ? D’autre part la juxtaposition faite entre l’idolâtre et l’animal paraît pour le moins scandaleuse !

Trois réponses ont été proposées à cette question. Nous nous concentrerons sur celle donnée par le Maharal de Prague dans son commentaire sur Rachi. (Gour Arié, Parachat Michpatim ad. loc, les autres étant fournies par le Torah Temima et le Malbim mais de manière beaucoup plus succincte).

Il explique ainsi pourquoi la Mekhilta fait un parallèle entre le chien et l’idolâtre. Est-ce là une vulgaire injure ? Cela paraît impossible, la nature même du Midrach est de révéler les enseignements de vie dissimulés dans les versets. Quel est donc l’enseignement profond de ce texte ?

Le chien est, presque paradoxalement, l’expression d’une certaine perfection. Pourquoi ? Parce qu’il est un être non perfectible. Tout son sens, sa place dans la création est réalisée dans son existence telle qu’elle apparaît à nos yeux.

Tel n’est pas le cas de l’homme. Celui-ci est par essence la créature douée de raison et vouée à la perfectibilité. L’homme est, d’abord et avant tout, un potentiel, un devenir, non un simple « produit fini ». Il n’exprime donc sa perfection d’être créé que lorsqu’il est à même de rechercher ce perfectionnement dans le service divin.

C’est en cela que l’idolâtre peut être qualifié d’inférieur au chien, non pas dans l’essence mais dans son positionnement. Le chien par sa seule existence traduit l’effectivité de ce caractère parfait, mais l’homme idolâtre ne fait que s’enfermer dans un mode d’existence consistant à ne jamais être capable de relever les défis placés en lui, il devient donc l’expression moins criante de la perfection de la création divine. Il trahit sa nature profonde.

Muni de cette analyse, le Maharal va apporter des éléments de compréhension de notre problématique. La perfection dans la création ne s’exprime pas seulement dans la capacité d’un homme à se grandir. La sortie d’Égypte est, elle aussi, l’expression d’une perfection. Celle d’un monde où il y a place pour un projet divin pour l’humain, où Hachem choisit un peuple pour porter son projet, se choisit un interlocuteur.

Il ne s’agit donc pas d’un banal événement historique, mais d’un rappel à l’Homme de sa grandeur. Dès lors c’est la création dans son ensemble qui est entrainée dans ce mouvement, devenant à nouveau susceptible de faire sens dans sa totalité, jusqu’au chien lui-même qui prend sa place dans cet univers.

Celui-ci révèle alors non par son choix, comme nous aurions pu le croire du texte de la Mekhilta, mais par sa simple existence, qu’il a une place dans le monde créé. Son « harmonie » avec le projet divin lui permet de ne pas être « heurté » par l’événement, de ne pas aboyer…

Il devient alors compréhensible que cette place se reflète dans la mitsva de lui donner part au bétail non consommable. Nous pourrions presque dire que l’animal prend une place ontologique et non anecdotique au sein de la Création.

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