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Ne pleure pas Esther !

par: Stéphanie Allali-Klein

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J’ai eu le loisir récemment de lire 2 ouvrages totalement différents, celui de Bernard Benyamin qui s’intitule « le code d’Esther », et celui du Rav David Fohrman « la reine que vous pensiez connaitre » ; on se détend comme on peut !

Ces 2 livres m’intéressent parce qu’ils se rejoignent sur une question qui trouve des réponses totalement différentes ; celle récurrente, à savoir : pourquoi Esther pleure t-elle devant le roi A’hachvéroch, alors qu’Haman a été pendu ainsi que ces 10 fils.

J’avais déjà entendu que ce pleur portait peut-être en lui une prophétie d’un temps qui nous est proche, celui de la Shoa. Comme si Esther « implorait le mal » de ne pas fomenter un génocide contre son peuple des siècles plus tard. Esther, une prophétesse ?

Ce pleur est rattaché à cet évènement, car au procès de Nuremberg, un certain Streicher avant sa pendaison a dit : « c’est Pourim 1946 ». Alors des ravs se sont penchés sur la méguila et y ont trouvé par le biais notamment de la calligraphie du texte que cette date : 1946, y était ! Je sais ce que je dis là est d’une platitude ! Et pourtant, la fin de l’œuvre, « le code d’Esther », bizarrement est poignante d’un point de vue historique ( grâce il faut dire à la pertinence de l’historien Georges Bensoussan). Les nazis qui entouraient Hitler s’intéressaient à nos livres, ils voulaient étudier pour comprendre pourquoi personne n’arrivait à nous exterminer, et Streicher selon des témoignages était particulièrement passionné par cela. Avait-il donc fait le lien, connaissait-il l’histoire de Pourim, avait-il compris que c’était un génocide manqué ?

Cependant, lorsque j’ai lu le second ouvrage, ce pleur prend une connotation, bien plus stratégique et historique, Esther pleure parce qu’ à ce moment précis elle doit se dévoiler et pour la première fois annoncer au roi qu’elle est juive : « Si tel est le bon plaisir du roi et si j’ai trouvé grâce devant lui, si la chose parait convenable au roi et s’il a quelque bienveillance pour moi, qu’on écrive un décret pour révoquer les lettres, transmettant le complot de Haman…. Car comment pourrais- je supporter d’être témoin de la calamité qui atteindrait mon peuple, et comment pourrais-je supporter de voir la destruction de ceux dont je suis issue ? » (8 :5-6). Ainsi renonce t-elle ici à sa propre sécurité. Car en effet, si Haman est pendu, il n’en reste pas moins que le sceau du roi a déjà été déposé sur le texte officiel de demande de celui-ci d’exterminer le peuple juif : « Le roi A’hachvéroch dit à la reine Esther et au juif Mordékhaï : « Déjà j’ai fait don à Esther de la maison De Haman que j’ai fait pendre à la potence, pour avoir tenté de faire du mal aux juifs. Eh bien ! Écrivez vous-mêmes, au nom du roi, en faveur des juifs, comme vous le jugerez bon, et signez avec le sceau royal, car des documents écrits au nom du roi et munis du sceau royal ne peuvent être annulés » (Esther 8 :7) .

Le roi exprime bien qu’un document muni d’un sceau royal ne peut être annulé. Lourde tâche donc que celle d’Esther et de Mordekhai de trouver un nouveau décret pour annuler le précédent. Voici ce qu’écrivit Mordekhai : « … que le roi autorisait les juifs, dans chaque ville à se rassembler et à défendre leur vie, en exterminant, en tuant et en détruisant toutes les forces […] qui les attaqueraient (les juifs pouvaient tuer) les enfants et les femmes [de leurs ennemis] et s’emparer de leurs [possessions en tant que] butins de guerre(8 :11). Rav Fohrman rajoute ceci que Mordekhai envoie ce décret aux officiels : « (Les scribes du roi) écrivirent aux satrapes, aux gouverneurs et aux préfets des provinces qui s’étendaient de l’Inde à l’Éthiopie, cent vingt-sept provinces…(8 :9). Ici Mordekhai vient titiller la position de l’état , : « c’est leur cœur et leur esprit qu’il doit rallier à sa cause. Ou, plus précisément, c’est leur instinct de conservation politique qu’il doit toucher. Encore plus que dans une bataille physique, Mordekhai est engagé dans une guerre de relations publiques. » (Rav Forhman), et ceci appuyé par le sceau du roi. Mordekhai emploie dans son décret un ton aussi violent que celui de Haman, par pur souci d’apparence car comme il est souligné : les juifs ne pillèrent pas les biens de leurs ennemis. Mais Mordekhai va encore plus loin, il simule une parade pour montrer à quel point le roi est du côté des juifs : « Et Mardochée sortit de chez le roi en costume royal, bleu d’azur et blanc, avec une grande couronne d’or et la ville de Chouchane fut dans la jubilation et dans la joie » (8 :15).

Rav Fohrman souligne que « Mordekhai a employé tous les outils qu’il avait à sa disposition : le sceau du roi et les vêtements royaux, pour créer l’illusion que le palais soutenait les juifs ». Et le vent en effet tourna : « Les juifs se rassemblèrent dans leurs villes respectives pour s’attaquer à ceux qui complotaient leur perte : personne ne leur tint tête, car ils inspiraient de la terreur à tous les peuples. Et tous les préfets des provinces, les satrapes, les gouverneurs, les fonctionnaires du roi exaltèrent les juifs, car la crainte de Mordekhai s’était emparé d’eux » (9 :3).

C’est à ce moment là qu’Esther revient de nouveau sur la scène afin d’amadouer le roi ( qui se demande bien pourquoi les juifs deviennent si puissants dans Chouchane, là où a eu lieu la parade) aussi par un jeu d’illusion, elle dit : « Si tel est le bon plaisir du roi, qu’il soit permis aux juifs, dans Chouchane, de faire demain encore ce qu’ils ont fait aujourd’hui. Et que les dix fils de Haman soient pendus à la potence… » (9 :13). Les fils d’Haman ont déjà été pendus mais les montrer dans le jardin du roi, suspendus à un arbre renforce ici l’illusion vis-à-vis des autres et du roi que les juifs ont gagné. Cependant, combien d’entre nous ont utilisé ce passage pour affirmer qu’Esther parle d’un futur bien plus lointain, que son injonction n’est pas pour renforcer l’illusion stratégique que les juifs sont forts face aux autres provinces mais pour invoquer la symbolique du roi ( est-ce D. finalement puisqu’il n’est jamais mentionné ) de réparer le tort que causera un autre Haman avec ses dirigeants dans un futur bien plus lointain et qui se concrétiserait par la pendaison des 10 nazis après le procès de Nuremberg.

Ici, les enjeux sont les mêmes, comment créer un jeu d’illusion pour réussir à faire en sorte que l’opinion ne se retourne pas contre nous ? N’est ce pas cela aussi être juif ? N’avons-nous pas tenté tout au long de notre histoire de faire cela ?

La première fois que l’on emploie le terme de Yehoudi, c’est dans la meguila ! Avant, nous sommes appelés les Bnei Israel. Rav Forhman fait un extraordinaire parallèle entre l’histoire D’Esther et de Mordekhai et celle de Yehouda et Binyamin ; voilà ici toute la justesse de notre identité, dans ces versets là. Lorsque Esther, pleure, qu’elle est désespérée, elle emploie sa dernière arme devant le roi, ces paroles dit Rav Forhman, « sont une citation directe d’une déclaration faite plusieurs siècles avant sa naissance ». C’est le désespoir de Yehouda au moment où Binyamin doit se faire emprisonner. Ses mots sont : « comment pourrai-je supporter d’être témoin de la calamité qui atteindrait mon père », et voici celui d’Esther : « Comment pourrais-je supporter d’être témoin de la calamité qui atteindrait mon peuple ? ». Cette formule ne se trouve que dans ces 2 passages.

Voici l’histoire de Yehouda : Yehouda promet à son père : « Laisse aller le jeune homme avec moi , que nous puissions nous disposer au départ ; et nous vivrons au lieu de mourir. Je garantirai personnellement sa sécurité. Si je ne te le ramène et ne le remets en ta présence, je me déclare coupable à jamais envers toi » (Genèse 43 :8-9). Lorsque que Binyamin est arrêté (histoire de la coupe d’argent), Yehouda effrayé prononce les mêmes paroles qu’Esther lorsqu’elle pleure auprès du roi, il dit : « Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant ? Comment pourrais-je supporter d’être témoin de la calamité qui atteindrait mon père ? » (ibid, v.34) .Yehouda qui n’est pas le frère de Byniamin, puisqu’ils n’ont pas la même mère, protège ce dernier coûte que coûte. Yehouda pourrait comme il l’a fait avec Yossef, se défaire de ce frère qui est le fruit de l’amour que Yaakov porte à Rachel.

ET voilà que la première fois que Le terme Yehoudim apparait c’est dans la Méguila. La Bible nous appelait avant Les Enfants d’ Israel. Selon Rav Forhman, les Yehoudim de la Méguila sont les judéens, peuple issu du royaume de Juda et à l’intérieur de ce royaume résidait la Tribu de Benjamin. Nous le remarquons dans le verset que nous lisons à haute voix pendant la lecture de la Meguila, lorsque Mordékhai nous est présenté. « Il y avait un certain Yehoudi dans la capitale de Chouchane et son nom était Mordekhai, le fils de Yair, le fils de Chime, le fils de Kich, ich Yemini ». Ainsi nous constatons bien ici que Mordekhai était Ich Yehoudi mais aussi Ich Yemini, de la tribu de Byniamin ! Et par ce biais, étant de la même famille , Esther aussi ! Il y a comme un effet de symétrie entre l’histoire de Yehouda qui risque sa vie pour sauver Binyamin, et celle d’Esther, descendante de la tribu de Binyamin, qui espère sauver tous les Yehoudim. Voilà toute la force du pleur et du désespoir d’Esther : Haman a été pendu, elle sait qu’aux yeux du roi, elle pourra préserver le sort de ses proches mais qu’en sera-t-il du reste du royaume de Yehouda, va-t-elle risquer sa vie pour eux ?, elle nous le confirme : « Et si je dois périr, je périrai » (4 :16) . Esther rend hommage à l’acte de Yehouda envers Binyamin des siècles auparavant : « Comment pourrais-je supporter de voir la destruction de ceux dont je suis issue ? Comment pourrais-je supporter d’être témoin de la calamité qui atteindrait mon peuple ? ». Ce pleur de désespoir se transforme ainsi en acte de bravoure et en volonté de réconcilier les 2 tribus, celle de Yehouda et celle de Binyamin. D’ailleurs à la fin, nous lisons que Mordekhai eut un haut poste et qu’ « il adressait des paroles de paix à tous ses enfants… » (10 :3). Ce verset fait encore écho au passage dans la genèse lorsque tous les frères de Yosseph le prirent en haine : « ils ne purent se résoudre à lui adresser des paroles de paix » ( Genèse, 37 :4).

Mon désir en vous relatant, surtout, ma lecture du second ouvrage, celui de Rav Fohrman est de l’ordre du questionnement, je n’ai rien innové, rien pensé, juste relaté : Où est la vérité ? la vérité de notre histoire, de notre identité ? Celle-ci vient-elle de la haine des autres qui veulent nous exterminer ? Est-ce cela seulement Pourim ? Se remémorer qu’un génocide allait avoir lieu et que grâce à nous, à Esther et à Mordekhai, nous avons été sauvés ? Est-ce pour cela alors, que nous aimons nous diriger vers l’idée mystique qu’Esther pleure, implore parce qu’elle pense à la Shoa, au procès de Nuremberg et aux pendus ? Est-ce que cela nous apporte quelque chose quant à notre construction ?

Moi, j’aime cet idée d’un pleur vindicatif, de courage, bien sur pour rester en vie, bien sur pour faire disparaitre Amalek à toutes les périodes, mais j’apprécie aussi que ce soit un pleur de réparation, de devoir envers notre origine, notre passé. J’aime dans l’interprétation de Rav Fohrman, cette idée que ce qui prime, ce n’est pas la peur, la détresse mais la détermination que nous devrions avoir de sans cesse réparer les discordes, les scissions entre les membres d’une même origine, qu’à ce moment précis où nous nous enivrons, nous nous déguisons, nous nous réjouissions, nous puissions également montrer notre réalité, notre envie de se dépasser pour ne pas faire disparaitre l’autre. Que ce moment de lâcher-prise, de joie nous permette de nous regarder en face et de faire tomber les masques. Car y a-t-il peut-être une autre alternative que celle de se rattacher à la peur. Une alternative plus sereine, plus honnête qui est celle de l’altérité. D.ieu n’apparait pas dans la Méguila, il nous laisse défendre notre destin et nous réconcilier. Cette étape passe par le pleur, pour se terminer par le rire et la joie. Je souhaiterai terminer ce texte par ce propos du grand rabbin de France, Gilles Bernheim : « Au plus profond, l’homme qui rit de lui-même va vers sa vérité. Il se dépouille et s’abandonne. Il avance inlassablement, renonçant à tous les faux-semblants. Le rire et l’humour ramènent toute chose à sa juste place, à son humilité. Tremblant et pauvre, ayant traversé les apparences et les certitudes, ainsi va celui qui regarde au-delà, en ce rire à la fois tendre et infaillible qui rejoint la prière. Car l’homme qui prie, en son balancement secret, tout offert au divin, sait lui aussi combien grande est sa pauvreté… » (Le Souci Des Autres, p 97,98 sur Pourim). Comment passer des larmes au rire…Au boulot !

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1983
Enseignante

“Ne pleure pas Esther !”

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