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Le point sur Netilat Yadayim, sans mauvais esprit

par: V Guinard

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Les sages de la tradition orale ont institué l’obligation de se laver les mains au réveil. On retient souvent la raison suivante : « c’est pour se débarrasser des impuretés de la nuit ». De quoi s’agit-il?

Guemara

Les sources de cette institution matinale se trouvent dans le traité Berakhot 14b-15a puis 60b

« Rabbi Yohanan a dit : celui qui souhaite recevoir le joug divin de façon parfaite (au moment du réveil) fait ses besoins, se lave les mains –« yitol »-, met les tefillin, lit le shema, et prie. Voici (comment recevoir) le joug divin de façon parfaite.

Rabbi Hiya bar Abba a dit : Toute personne qui fait ses besoins, se lave les mains, revêt les tefillin, lit le shema et prie, l’Ecriture la considère comme si elle avait construit un autel et y avait apporté une offrande. Ainsi qu’il est écrit : « Je laverai en état de propreté mes mains, ferai le tour de ton autel, Hachem ! » (Tehilim 26).

Rava lui a demandé : Monsieur ne pense-t-il pas qu’il s’agit de se laver l’ensemble du corps ? Ravina lui a répondu : Monsieur, voyez ce jeune étudiant qui venait d’Erets Israel et a dit : Celui qui n’a pas d’eau pour laver ses mains se les nettoie avec de la poussière, une corde, des petits copeaux. Il (Rava) lui a répondu : Il a bien parlé : Il n’est pas écrit je me laverai les mains à l’eau, mais je me laverai les mains (sans précision), j’en déduis que tout ce qui nettoie est adapté. Ainsi Rav Hisda maudissait celui qui partait en quête d’eau à l’heure de la prière. Ceci s’applique au shema, mais pour la prière on peut chercher de l’eau. » (Suit une discussion sur la distance permise à parcourir)

Plus loin dans le traité (60b), on apprend que cette obligation de se laver les mains est accompagnée par la récitation d’une bénédiction faisant partie des birkot hashakhar1. Il est à noter qu’elle est mentionnée en dernier dans cette liste.

Une notion tout à fait nouvelle apparaît dans le traité Shabat 108b où est citée une beraïtha au nom de rabbi Yehouda, qui dit en résumé : « celui qui touche ses orifices avant netilat yadayim du matin, qu’on lui coupe les mains ! » Plus loin : Rabbi Nathan dit : (Avant netilat yadayim, Le rouah ra2) est libre et exige (pour partir) qu’il se lave les mains 3 fois.

On voit donc dans ces 3 guemarot plusieurs éléments :

– (1) Les sages ont institué de se laver les mains le matin avec récitation d’une bénédiction

– (2) Cet acte semble placé chronologiquement avant la tefila et le shema

– (3) En l’absence d’eau, tout nettoyage est valide à cet effet

– (4) Cela semble participer d’une dynamique matinale générale : recevoir le joug divin, mais la raison précise de cette institution n’est pas explicitée

– (5) Par ailleurs, il est interdit ou au moins déconseillé de toucher ses orifices le matin avant de s’être nettoyé les mains à l’eau à 3 reprises. La raison en est la présence d’un rouah ra. Il n’est pas exclu que ce dernier point soit la raison de l’institution (1), mais rien ne le prouve.

Rishonim

Lecture du Rosh (Rosh traité Brakhot 9 §23)

Le Rosh semble s’être centré sur l’enseignement du jeune étudiant dont il est question dans la guemara et dit en substance : l’idée est d’avoir des mains propres pour shema et tefila, et on a institué de réaliser ce lavage des mains avec une bénédiction parce qu’il est certain qu’au matin un homme a les mains « sales » (car il a touché des endroits de son corps normalement couverts). Il va jusqu’au bout de sa vision en disant on aurait du normalement réciter la bénédiction « Al nekiyut yadayim »3, mais par analogie avec les ablutions avant le repas, le nousakh (texte) général « al netilat yadayim »4 a été préféré. La notion de rouah ra n’est pas mentionnée

Quelques implications a priori de la lecture du Rosh (il y a lieu de discuter chacune d’entre elles de façon plus poussée, il s’agit d’une ébauche)

  1. Le fait de ne pas utiliser d’eau ne constituera qu’un défaut mineur dans l’accomplissement de cette injonction rabbinique.
  2. Il n’y aura a priori selon le Rosh aucune raison de réaliser cela spécifiquement avec un keli 5
  3. Il n’y a pas non plus de raison de laver chaque main à 3 reprises, ni de façon alternée
  4. Imaginons qu’on puisse être certain de ne pas avoir touché de partie du corps normalement recouverte, et que nos mains ne sont pas visiblement sales. Le Rosh semble penser qu’il n y aurait alors pas lieu de se laver les mains au réveil.
  5. Le lavage des mains est meakev (c’est à dire condition sine qua non) pour tefila et shema

Vision du Rashba (Responsum 191)

Rabbi Shlomo ben Aderet de Barcelone développe une vision plus lyrique (traduction libre, j’espère ne pas trahir le texte dont l’enchaînement logique ne m’est pas évident): l’homme ressemble au matin à une créature nouvelle, ce qui lui confère un élan spirituel, le rendant comparable à un Cohen qui sanctifie ses mains avant d’exercer son culte6.

D’après le Rashba, l’utilisation d’un keli revêt au moins une valeur symbolique. Par ailleurs, le fait d’avoir dormi semble une condition importante (notion de « créature nouvelle »)

Shoulh’an Aroukh et Ah’aronim

A la lumière des sources citées, nous aborderons quelques aspects de Halakha pratique :

Nécessité de trois ablutions

La guemara de shabbat est reprise telle quelle par R. Yossef Karo (OH 4:2).

Le Mishna Beroura précise que si rouah ra était la seule raison du lavage des mains, on n’aurait pas institué de bénédiction.

Il précise ensuite que ces 3 lavages se font de façon alternée en commençant par la main droite (selon le Magen Avraham et le Hayé Adam). Le Gaon de Vilna pense quant à lui qu’un dernier rinçage est nécessaire pour enlever l’eau impure, ce qui fait 4 rinçages sur chaque main. Si l’on se contente de 3 lavages, il est possible qu’il soit préférable de se sécher les mains afin d’éliminer l’eau potentiellement « impure » avant de réciter la bénédiction (contrairement à netilat yadayim du repas où il est préférable de bénir immédiatement après la netila)

  1. Yossef Karo précise que le fait de tremper ses mains dans un bac d’eau suffit pour pouvoir faire shema et tefila, mais pas pour se débarrasser du rouah ra (si 3 bacs d’eau successifs ont été utilisés, la chose n’est pas claire). Il semble qu’un robinet rentre dans le même cadre.

Interdiction de toucher les orifices

Statué par R. Yossef Karo (OH 4:6).

Le Mishna Beroura explique qu’il y a un risque de dommage, de lésion, si le rouah ra en venait à entrer par les orifices.

Quatre amot

Le Bayit Hadash rapporte un Zohar stipulant qu’une personne qui marche plus de 4 amot sans se laver les mains est condamnable à mort. Le M’’B rapporte cet élément comme halakha lemaassé (euh pas la condamnation à mort, juste les 4 amot). Signalons cependant que certains, en particuliers parmi les élèves du Gaon de Vilna, ne sont pas makpidim (pointilleux)sur ce point (en particulier, certains considèrent toute la maison comme 4 amot, avis repoussé par le Mishna Beroura).

Une source pour les gens moins stricts sur le sujet de rouah ra se trouve dans Tossfot sur Yoma 77b où est exprimée la notion (dans un autre sujet que netilat yadaim du matin) que le rouah ra a perdu de l’importance de nos jours. En outre le Rambam ne mentionne ni rouah ra, ni le fait de réaliser 3 lavages successifs, ce qui prouve d’après le Lehem Mishné (hilkhot shvitat assor 3:2) qu’il n’en tient pas compte.

Cependant d’après de grands décisionnaires récents (Hazon Ish, Mishna Beroura, Ben Ish Hai) rouah ra confère une impureté aux aliments qui a des incidences halakhiques réelles. Le Ben Ish Hai est particulièrement pointilleux sur ce point, aussi bien pour les ablutions du repas que celles du matin, voir Od Yossef Hai, section Toldot §6.

En conclusion, il me semble que l’on peut ressortir la vision suivante:

Le sujet de rouah ra, s’il est difficile à appréhender pour nos esprits occidentaux, a des incidences halakhiques importantes, puisqu’il confère une « impureté » aux aliments, et pourrait même nuire à l’intégrité de l’homme…. C’est de cette notion que découlent les aspects halakhiques les plus techniques de netilat yadayim du matin, en particulier la fameuse règle des 3 lavages successifs. Néanmoins, la base de l’institution du lavage des mains du matin correspond à une préparation au service divin, que l’on pourrait qualifier de « simple » mesure d’hygiène, sans complexité halakhique particulière dans sa réalisation. Les deux aspects ont probablement un sens proche, mais dans des systèmes de pensée différents (disons: mystique et rationaliste).

Notes

  1. Bénédictions récitées le matin avant la prière
  2. Traduction littérale : l’esprit mauvais… Le terme n’apparaît pas dans la guemara mais dans le commentaire de Rashi et de Rabbenou Hananel
  3. « Béni sois-Tu Hachem(…) qui nous a ordonné d’avoir les mains propres »
  4. « Béni sois-Tu Hachem(…) qui nous a ordonné de verser (de l’eau sur) les mains »
  5. Ustensile spécifique, qui permet de réaliser les conditions halakhiques suivantes : koah gavra (par l’action humaine), mahzik reviit (contient le volume d’un reviit)
  6. Le Noda BiYehouda (Orach Chaim tinyana 140) précise qu’il s’agit d’une simple allusion au culte sacerdotal, il ne s’agit pas d’appliquer les règles des ablutions du Cohen à tout le monde
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“Le point sur Netilat Yadayim, sans mauvais esprit”

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