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La Meguila textuelle

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La Guemara dans le traité Meguila (7a) nous fait état du dialogue intervenu entre la reine Esther et les Sages à la suite du miracle relaté dans la Meguila : « Inscrivez-moi [portez mon récit] par écrit pour les générations ». Après un échange serré, les Sages accèdent finalement à la requête d’Esther.

Le sens de la demande d’Esther selon les commentateurs, était sa volonté de voir la Meguila consacrée dans le canon biblique, au rang des écritures sacrées. Que voulait Esther par cette demande ? Pourquoi le miracle de Pourim ne pouvait t-il, à l’instar de celui de Hanouka, rester un enseignement de l’ordre de la Torah orale ?

Le Sfat Emet dans son commentaire sur le début du traité de Meguila (2a) développe une idée surprenante susceptible de nous apporter des éléments de réflexion. Il constate dans un premier temps qu’à de très nombreuses reprises dans le Talmud, les Sages autorisent de mettre entre parenthèses certains commandements de la Torah. Ils ont par exemple, interdit de réaliser le commandement de sonner du Chofar lorsque Roch Hachana tombe Chabat. Le but est bien entendu d’éviter la transgression de Chabat mais il n’en reste pas moins qu’ils nous enjoignent de nous abstenir d’un commandement positif prévu explicitement par le texte biblique. D’autres occurrences existent. A plusieurs reprises, le Talmud signale que lorsque l’honneur ou la dignité des créatures est en jeu, certains commandements de la Torah peuvent être également mis de coté.

Or lorsqu’il s’agit d’une institution des Sages, cette possibilité n’existe pas. « Un Beth din ne peut annuler ce qu’a décrété un autre Beth din». Quel paradoxe ! La Torah serait donc moins intangible que les paroles des Sages ? Comment est-ce possible ?

Le Sfat Emet répond ainsi : « Ainsi il faudra dire que les décrets des Sages sont plus rigoureux car les paroles de Torah sont explicites dans le texte de la Torah et les Sages qui en connaissent les raisons [le sens] peuvent les mettre de coté [les arracher] en cas de nécessité; mais un décret du Beth din, on n’en connait pas bien la raison [le sens], peut-être le Beth din qui l’a précédé avait-il d’autres raisons qui, si elles avaient été connues, les auraient conduits à ne pas annuler la mitsva […] ce qui n’est pas le cas de la Torah écrite dont les Sages connaissent [par celle ci ] le sujet de la mitsva [son sens profond] et peuvent se fonder sur leur sagesse pour prescrire de s’abstenir de l’accomplissement d’un commandement.»

En somme, d’après le Sfat Emet, si les Sages bénéficient d’un plus grande latitude pour juger des conditions d’application d’un commandement de la Torah que d’une institution rabbinique, c’est parce que la Torah est par nature livrée à la sagesse humaine, à sa conquête par celui qui l’étudie. L’objectif même, du don de la Torah n’est pas de voiler le sens mais d’offrir à l’Homme la faculté illimitée de lire le Texte avec un seul instrument : sa sagesse. Les ordonnances rabbiniques, quant à elles, sont fondamentalement différentes, elles se veulent pudiques, voilées, échappant ainsi à la manipulation, mais par là même intangibles.

Peut-être était-ce ce que recherchait Esther : inscrire la Meguila dans un rapport d’intimité avec le Peuple juif, ne pas en faire uniquement un décret rabbinique mais un texte sacré, l’ouvrant ainsi à la dracha. Il est d’ailleurs intéressant de constater que du point de vue formel, la Meguila répond à certaines exigences la rapprochant d’un Sefer Torah (gravage des lignes par exemple, Cf Meguila 16b) comme si l’enjeu était d’entretenir avec ce texte un rapport proche de celui qui nous lie au Sefer torah lui-même.

Peut être également est-ce une des raisons pour lesquelles nos Maitres iront jusqu’à dire (Chabat 88a) que Pourim est une sorte de ré-acceptation volontaire de la Torah, après celle quelque peu forcée du Sinaï.

“La Meguila textuelle”

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