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Inversion fatale…

par: Rav Yehiel Klein

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I – Les deux Parachiots de la semaine sont essentiellement consacrées à la Tsara’at (sorte d’affection quelque peu surnaturelle de la peau, des vêtements ou même de la maison, que l’on a pris l’habitude de traduire par lèpre).

La Torah introduit le sujet ainsi (Lévitique XIII, 2): « S’il se forme sur la peau d’un homme une tumeur, ou un dartre ou une tâche pouvant dégénérer sur cette peau en affection lépreuse, il sera présenté à Aharon le pontife, etc. ». Le terme utilisé par le texte pour dénommer l’affection est « Négu’a » (mot qui se rapporte à la notion d’atteinte, tel un coup qui viendrait soudain frapper quelqu’un – cf. le commentaire de Rav Chimchon Raphaël Hirsh sur place)

II – Or, à ce propos, nous avons une réflexion étonnante de nos Sages: « Il n’y a rien de plus haut que le ‘Oneg, et rien de plus bas que le Négu’a » (Séfer Yétsira II, 4) – le ‘Oneg étant la réjouissance, le plaisir, qui caractérise dans notre Tradition le jour du Chabbat, comme il est dit (Isaïe LVIII, 13): « […]Si tu considères le Chabbat comme un délice, etc. »

Que peut bien signifier cette énigmatique comparaison?

III – Pour le découvrir, tournons-nous vers les paroles du Séfat Emet (Rav Yéhouda Leïb Alter (1847-1905), le Rabbi de Gour, un des grands Maîtres du H’assidisme), qui explique ainsi ces notions (commentaire sur la Parachat Métsor’a, année 5654):

‘Oneg, nous apprend la Kabbala (Tikkouné Zohar XLV), est en fait l’acrostiche de ‘Eden, Nahar (le Fleuve) et Gan (le Jardin), cela se rapportant au verset du début de la Genèse (II, 10) décrivant le Jardin d’Eden: « un fleuve sortait d’Eden pour arroser le Jardin, etc. »: le « Gan ‘Eden » recevant, dans cette Création originelle, sa vitalité d’un endroit encore supérieur appelé ‘Eden (qui n’est pas forcément un lieu du Monde réel), par l’intermédiaire du fleuve qui les reliait. Et nous savons, continue notre auteur que tout ce qui se trouve dans le Monde se trouve également, à son échelle, chez l’Homme, car l’Homme est un « petit Monde » (‘Olam Katan – cf. Séfer Yétsira I, 4). Dès lors, le parallèle de ce ‘Oneg chez l’être humain sera notre structure psychique, ce que l’on reconnaît comme nos différentes « âmes »: Néfech, Rouah‘ et Néchama (Zohar Ah’aré-Mot): la première étant l’âme basique, animale, qui nous permet d’assurer nos fonctions vitales, la deuxième étant quelque part l’âme humaine, comprenant tout ce qui est d’ordre intellectuel et affectif et ce qui s’y rattache, et la troisième, Néchama, étant l’âme divine, cette part spirituelle qui nous permet de percevoir et de servir le Créateur.

IV – Si il en est ainsi, alors nous pouvons comprendre ce que nous dit le Séfer Yétsira: « Il n’a rien de plus élevé que le ‘Oneg« , car c’est là l’état idéal de l’Homme, c’est la Néchama qui met le Roua’h à son service pour diriger et influencer le Néfech, ce dernier étant comme le Jardin, irrigué et vivifié par le ‘Eden grâce au Fleuve qui le traverse. Dans cet ordre, le matériel est au service et se voit conduire par le spirituel, et le Néfech lui-même se retrouve en contact avec D. Par contre, « Il n’a rien de plus bas que le Négu’a« , car dans un tel système où les valeurs ont été déplacées- ce mot étant à présent l’acrostiche de NaharGan ‘Eden -, l’Homme se trouve privé de la source active que représente la Néchama, car il a choisi de donner la priorité à ses composantes les moins spirituelles, laissant le Rouah‘ diriger le Néfech et assujettir la Néchama. Il s’agit désormais d’une personne située moralement très bas, car elle a choisi de centrer son existence sur les besoins de sa personnalité la plus basique, et quelque part, de satisfaire ses instincts les moins spirituels possibles…

V – Il est possible à présent d’aller plus loin, et à l’aide de ce que nous venons de découvrir, d’obtenir une meilleure compréhension de ces notions mêmes de ‘Oneg et de Négu’a, c’est à dire, du Chabbat et de la Lèpre de nos Parachiots.

Le Séfat Emet lui même développe dans la suite de ses propos l’idée selon laquelle le Chabbat est le jour du ‘Oneg par excellence: la Guémara (Bétsa 16a) ne nous dit-elle pas qu’en ce jour nous avons droit à une « Néchama Yetéra« , une « âme supplémentaire », due probablement aux efforts que nous y produisons pour y être les plus spirituels possible, détachés de nos soucis quotidiens et tentant, au contraire, d’investir spirituellement les actes que nous y accomplissons, comme les Trois repas obligatoires. (cf. Recanati sur le verset suscité de la Genèse qui développe ce lien privilégié entre le ‘Eden et le Chabbat…)

Quant à cette lèpre que la Thorah appelle Négu’a, on aura compris qu’il s’agit dès lors du contraire de ce que le Chabbat peut nous apporter: alors que le Chabbat nous ouvrait des portes, nous permettait d’approfondir notre relation au Divin, et d’acquérir de grandes richesses spirituelles, la Tsara’at nous enferme dans la matérialité en ce que nous refusons, comme nous l’avons vu, ce rapport direct au Créateur. Le Targoum Ounkelos traduit justement « Tsara’at » par « Ousseguirou« , ce qui signifie « être enfermé », puisque le lépreux s’est lui même coupé de ses racines et de ses ressources spirituelles. Cela se retrouve dans l’affection elle-même – sa peau, ses vêtements voire sa maison eux-mêmes sont tâchés, troublés, nous montrant par là que cet individu s’est détaché du Créateur qui insuffle la vie à la Création, et, d’autres part, le processus de guérison indiqué par la Torah (Lévitique XIII, 45-46) prévoit justement qu’il doive s’enfermer, en se retranchant pendant une certaine période du Camp et qu’il y réside entièrement seul – le temps, peut être, de devoir se détacher des calculs terrestres qu’il a ainsi désiré mettre au centre de sa vie…

VI – Pour continuer dans le même ordre d’idée, nous pouvons remarquer la chose suivante: Nos Sages (‘Arah’in 16a) nous apprennent qu’une des raisons essentielles de la venue de la Lèpre est la Médisance (Lachon haR’a). Or, le langage, pour notre Tradition, est le propre de l’Homme: c’est ainsi que le Targoum Ounkelos rend une des descriptions que la Torah dresse de la Création de l’Homme (Genèse II, 7); « [et l’Eternel] fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l’Homme devint un être vivant », dernier terme que le Targoum retranscrit par « Rouah’ Mémaléla » – « un Esprit parlant ». Nous retrouvons la même notion de Rouah’ que précédemment, et ce n’est pas un hasard, puisque qu’est ce que la Parole, si ce n’est l’expression, l’instrument de ce Rouah’, ce que l’homme utilise pour relier ses aspirations spirituelles (Néchama) à ses capacités physiques et matérielles (Néfech)? On devrait alors l’utiliser normalement pour le service Divin (cf. Sanhedrin 99b ), mais au lieu de cela le médisant utilise la Parole pour son propre profit: y a t il pire détournement de ‘Oneg à Négu’a?

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“Inversion fatale…”

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