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Mon premier-né Israël

par: Raphaël Bloch
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Publié le 6 Janvier 2011

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Chemot Chapitre 11 verset 1:
« Et D, dit à Moché, encore une plaie, je vais amener sur Pharaon et sur l’Égypte et ensuite il vous renverra. ».

C’est dans ces termes que la Torah annonce la dixième et dernière plaie : la mort des premiers-nés.
La délivrance semble donc liée à cet événement, mais de quelle manière l’est elle ? Est-ce simplement le cumul des dix plaies qui atteint ici son paroxysme ou bien existe t-il une explication qui rendrait compte d’une dimension propre à cette plaie permettant la fin de l’exil d’Égypte ?
Un premier élément de réponse se trouve déjà dans la Torah, bien avant ces événements alors que Moché prend la route pour se rendre en Égypte.

Chemot Chapitre 4 verset 22 :
« Et tu diras à Pharaon ainsi : Israël est mon fils mon premier-né et je te dis renvoie mon fils afin qu’il me serve et tu refuses de le renvoyer, voilà que je vais tuer ton fils ton premier-né. ».

Indépendamment du fait que D, ne parle ici que de la dernière plaie (voir ici Rachi), la Torah établit ici une symétrie entre les premiers-nés égyptiens et le rôle de premier-né que joue le Peuple juif parmi les nations.
Nos Sages dans le Midrach Rabbah (chapitre 15 siman 27) vont aller plus loin et font remonter l’annonce de cette plaie au « Brit ben habetarim » (alliance entre les morceaux), à l’alliance contractée avec Avraham :
« A propos d’Avraham il est dit et « aussi le peuple qu’il serviront je le jugerai. » Que signifie le mot « jugerai » ? C’est la plaie des premiers nés qui s’exprime dans la Tora en tant que plaie, ainsi qu’il est dit « encore une plaie ». Et ceci est le signe que D. a transmis à Avraham et celui-ci à Itshak et celui-ci à Yaakov et celui-ci à Lévi et celui-ci à Kehat et celui-ci à Amram et celui-ci à Moché et ce dernier attendait qu’enfin vienne ce moment. »

Il semble donc que cette dernière plaie possède une particularité qui justifie sa place intrinsèquement. Mais en quoi peut on justifier le titre de premier né à l’égard d’Israel ? Rachi cite le Midrach selon lequel ce serait ici que D. « contresigne » la vente du droit d’ainesse de Essav à Yaakov. Il ne s’agit donc pas tant du premier né naturel que de celui qui assume de jouer le rôle de premier-né.
Donc on peut affirmer que c’est cette nouvelle dimension du droit d’ainesse, initiée par Yaakov, qui prend tout son sens au moment même de la délivrance, de la sortie d’Égypte.
Pour approfondir ce point nous citerons le Ohr Hahaim à propos des versets suivants :

Chemot Chapitre 11 versets 4 et 5 :
 » Et Moché dit :  » ainsi parle D. : au milieu de la nuit je sortirais en Égypte et mourra tout premier-né en terre d’Égypte du premier-né de Pharaon amené à s’assoir sur son trône, jusqu’au premier-né de la servante. «  »

La Tora ne dit pas « je tuerais » (au lieu « et mourra »), du fait que D., Béni soit Il, est facteur de bien, mais l’action négative est déléguée à ses serviteurs. C’est pourquoi il n’est pas dit « je tuerais » mais « et mourra », c’est à dire par un envoyé, et l’acte de D. se limite à la mention désignant le premier-né, et cela même cause l’action du destructeur, la mort. Ceci révèle l’explication du verset (chap. 12 verset 12) : « et je frapperai tout premier né ». Ce ne peut être que par délégation […] dés lors quand D. dit : « et mourra tout premier né » cela signifie que par le fait que je passerai parmi les Égyptiens, en cela même mourra ton premier né […]. »
Il serait trop long de développer ici toute la richesse des propos du Ohr Hahaim Hakadoch, mais nous retiendrons l’idée suivante : c’est le passage de D. lui même et non pas un ange (ainsi que nous le disons dans la Hagada) qui va permettre de retirer toute substance à la dimension, et par là à l’existence, des premiers-nés égyptiens et afin de libérer le Peuple juif, de faire émerger la dimension de premier-né que ce dernier incarne.
Cette idée se trouve déjà dans le Midrach Rabba (Chapitre 15 verset 27), précédemment cité, qui faisait référence à Avraham au moment de l’alliance. Car c’est bien le terme « Anokhi » (forme accentuée du « je ») qui est utilisé par D. : « Dan Anokhi », « je jugerai ». C’est également le cas dans Chemot chapitre 4 verset 23 : « Anokhi horeg », «je vais tuer ton premier-né ». Autrement dit, c’est le « Anokhi », révélation de D. comme l’unique sur terre qui va libérer le Peuple d’Israël en escamotant la conception du premier-né personnifiée par les Égyptiens. Et ce même mot « Anokhi » sera le premier mot des Dix paroles : « Je suis (Anokhi) l’Eternel ton D. qui t’a fait sortir d’Égypte. ».
Mais en quoi ce concept de premier-né est il porteur de cet enjeu suprême ? Pour essayer de comprendre cela, il faut analyser la définition même du premier-né. C’est avant tout celui qui permet de devenir père. Être géniteur peut avoir deux sens. C’est une pérennité que l’homme construit. Mais la voit-il comme une continuité qui part de l’origine de l’humanité et dont il ne constitue donc qu’un maillon, ou bien se voit il comme un créateur, ce qui fait de lui, à D, ne plaise l’égal du Créateur ?
Il me semble que cette problématique peut s’appliquer à toute l’activité humaine, mais elle prend tout son sens dans l’acte par excellence, celui qui se rapproche le plus de l’acte de création : donner la vie.

Ainsi s’exprime Ezechiel (Chap 29 verset 3), à propos de Pharaon qui dit à D. : « A moi est mon fleuve et je me suis fait. ». Yossef a eu beau rappeler à Pharaon à maintes reprises que c’est D. qui lui annonce ce qu’il fait, Pharaon va oublier Yossef et veut ignorer D. .
L’Égypte s’enfonce dans une course illusoire à l’éternité, en s’enrichissant, en devenant de plus en plus puissante.

Chemot, chapitre 1 verset 8 :
« Et il se leva un nouveau roi en Égypte qui ne connaissait pas Yossef ». Ce verset peut se comprendre ainsi, est « nouveau » qui refuse de se relier à l’origine malgré le message de Yossef. (par ailleurs premier né de Yaacov).

Le concept de premier-né est tout autrement compris par Israël. Les lettres du mot « Bekhor » signifiant « premier né » en Lachon hakodech sont Beth, Kaf et Rech, correspondant à 2, 20, 200. Paradoxalement, le premier né est le deuxième, et cela s’explique dans un regard rétrospectif. C’est en se voyant dans la continuité du père, que le Juif remonte à l’origine première.
Bien sûr, il y a un projet dans lequel l’Homme s’inscrit, mais ce projet a commencé à la création du monde. L’Homme a été créé pour servir son Créateur et celui qui assume cette fonction est par excellence le premier-né. C’est uniquement à ce moment historique qu’est la sortie d’Égypte que ce concept prend tout son sens. Pour cela D. ne dit pas au début des Dix paroles : « je suis ton D. qui t’a créé », mais « Je suis (Anokhi) ton D. qui t’a fait sortir d’Égypte ».

Voir l'auteur

  1. Stéphane

    Très instructif et limpide

  2. Felly

    Três édifiant