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Yossef rassemble le monde, par Mme Stéphanie Klein-Allali

par: Stéphanie Allali-Klein

publié le 30 Avril 2020

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Yossef est le premier fils de Rachel et Yaakov.

A sa naissance Yaakov décide de quitter le monde de Lavan avec ses deux femmes Rahel et Lea et ses enfants.

Rahel et Lea répondent d’ailleurs d’une seule voix à la demande de Yaakov comme si sa naissance permettait enfin l’union des deux femmes pour servir le projet de Yaakov de perpétuer la lignée d’Avraham.

Yossef a pour racine dans son prénom l’idée d’ajout (Leossif) et de rassemblement (Laassof).

Yossef apparaît déjà de manière allusive lors de la première rencontre de Rahel et Yaakov au sein de cette discussion surprenante entre les bergers et Yaakov :

 

  • Vayomer lo nouhal ad asher yosefoukol haedarim vegualelou et haeven meal pi habeer vehishkenou hatson ».
  • Nous ne le pourrons pas tant que les troupeaux ne soient rassemblés,on roulera alors l’orifice du puits, et nous ferons boire les brebis. »(Vayetse, chapitre 29, verset 3)

Alors que le rassemblement de tous les troupeaux permet la possibilité de faire rouler la grosse pierre qui couvre l’orifice du puits, il est à noter que Yaakov y arrive seul dès qu’il se trouve pour la première fois devant Rahel. Comme si la présence de l’être immédiatement aimé et désiré équivalait à ce rassemblement, comme une allusion à l’enfant tant désiré qui prendra corps en la venue de Yossef.

Cependant, si Yossef porte en lui ce potentiel, il semble étonnant que ses rêves qui détermineront sa longue errance n’éloignent plutôt que rassemblent.

Il est fort de constater que les rêves de Yossef l’emprisonnent plutôt que ne le libèrent, provoquent pour lui une sorte de descente géographique (le fond d’un puit, la prison en Egypte) et de place : il n’est plus frère mais un captif en Egypte qui finira prisonnier.

Cette étude commune a pour vocation de montrer comment le rêve de Paro au début de Parachat Miquets et l’interprétation qu’en fait Yossef, une fois sorti de prison enclanche un processus de libération et de rassemblement au sens large du terme.

Yossef est détesté de ses frères à cause de l’amour que lui porte Yaakov, le verset dit bien : « Ses frères, voyant que leur père l’aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine, et ils ne purent lui parler en paix. »(Vayechev, chapitre 37, verset 4)

Il est bien étonnant que Yossef relate, par la suite, à ses frères deux rêves qui ne feront qu’attiser leur haine et qui les sépareront pour un long moment.

 

  • Ecoutez s’il vous plait, ce rêve que j’ai eu. Nous liions des gerbes dans le champ, soudain ma gerbe se dressa, elle resta debout ; et les vôtres se rangèrent à l’entour et s’inclinèrent devant la mienne ». (…) « J’ai encore fait un rêve où j’ai vu le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant moi ». (Vayechev, chapitre 37, versets, 6 et7 ; verset 9)

Ces rêves causent sa descente dans le Bor, le trou, la citerne.

 

 

 

Bien plus tard, en prison, il interprètera les deux rêves du maitre échanson et du maitre panetier. Rêves qui seront pour lui une brèche pour permettre sa libération.

  • Le maître échanson raconta son rêve à Yossef, en disant : « Dans mon rêve une vigne était devant moi. A cette vigne était trois ceps ; elle semblait fleurir, ses bourgeons se développaient, ses grappes mûrissaient leur fruit. J’avais en main la coupe de Pharaon ; je cueillais les raisins, je les pressais dans la coupe de Pharaon, et je présentais la coupe à la main du roi. » (Vayechev, chapitre 40, versets 9 à 11).
  • Le maître- panetier, voyant qu’il avait interprété dans un sens favorable, dit à Yossef : « Moi aussi, dans mon rêve j’avais trois corbeilles à claire-voie sur la tête. Le panier supérieur contenait tout ce que mange Pharaon en fait de boulangerie ; et les oiseaux becquetaient dans le panier au-dessus de ma tête. » (Vayechev, chapitre40, versets 16 et 17)

Si l’interprétation de Yossef est favorable pour l’un et non pour l’autre, il est peut- être ici à comprendre, que le rêve « favorable » amène toujours à la délivrance et le non favorable à l’emprisonnement.

Yossef définit d’emblée ce qu’est interpréter le rêve : « L’interprétation n’est -elle pas

  • Dieu, dites-le-moi, je vous prie. » (Vayechev, chapitre 40, verset 8). Nous pouvonsnous demander si Yossef donne une définition du prophète ; ainsi, l’interprète du rêve serait celui qui dévoilerait la parole de Dieu, sans avoir lui-même une quelconque responsabilité dans l’interprétation. Une parole soumise à la transcendance, avec entière confiance, une forme de pensée magique.

Est-ce que c’est cette pensée qui se confrontera à l’interprétation égyptienne des magiciens de Paro ?

La vision égyptienne du monde et de la transcendance est une vision chaotique, écartelée par des dieux qui se font la guerre pour avoir le pouvoir. Interpréter un rêve c’est décrypter dès lors les signes des dieux. Ici, les dieux ne parlent pas au prophète qui dévoile, ce sont dans les signes qu’il faut déchiffrer comme une l’énigme. Ainsi, le rêve a ses codes et c’est à l’interprète de les traduire.

Et si à travers le rêve de Paro, Yossef proposait une autre alternative et nous permettait de comprendre qu’est- ce qu’une interprétation favorable ?

Au début de Parachat Miquets, nous sommes immédiatement immergés dans le rêve de Paro. Miquets, signifie « à la fin de ». Cette formule porte le même radical dans le texte que « Vaïkats Paro » qui signifie « et Paro s’éveilla ». Le texte fait un lien entre la fin de l’emprisonnement de Yossef et l’éveil.

Cette vision égyptienne d’un monde régi par les dieux vit dans l’inconscient de Paro. La première narration du rêve est une narration objective, le texte nous décrit ce que voit Paro dans son rêve.

Paro se voit « Al ha yéhor », « sur le fleuve », (verset 1). Sa vision est celle d’un monarque abusif qui se place au-dessus du dieu Nil. Les 7 vaches sont belles et grasses. (verset 2). Le terme employé pour décrire cette beauté est : « yafot maré ». Ce terme employé dans la Torah, signifie belle d’apparence mais maré est une beauté que l’on pourrait qualifiée d’acquise à savoir une beauté « environnementale. Une beauté commune à la culture égyptienne. Ces vaches représentent ainsi la prospérité égyptienne. Il en est de même pour les vaches chétives qui sont à craindre pour l’Egypte puisque représentant sa pauvreté. Plus encore comment de telles vaches puissent-elles exister dans un pays comme l’Egypte et comment peuvent-elles sortir d’un fleuve comme le Nil qui est le fleuve nourricier de l’Egypte ?

Aussi dans le monde égyptien, le mal est absolu. Et ici, le mal mange le bien. C’est ce qui amène l’éveil de Paro. Ses repères sont bouleversés. (Voir le commentaire du Kli Yakar sur Parachat Miquets)

Encore plus troublant est la continuité du rêve à la suite de l’éveil de Paro. Si les épis de blés représentent la nourriture première, il est difficilement envisageable que du végétal dévore un autre végétal. Cependant, l’idée reste la même, c’est le mal qui mange le bien et prend sa place.

Et le texte, nous confirme bien que ses deux rêves sont un seul rêve. Le Talmud confirme, que deux rêves sur le même sujet est en fait la confirmation d’un rêve qui va se réaliser.

Le deuxième récit du rêve de Paro fait à Yossef à sa sortie de prison par Paro lui-même, diffère par le vocabulaire utilisé. Il n’est plus au-dessus du fleuve, mais « Al sfat hayeor », « au bord du fleuve », (verset 17) . La vision est ici plus subjective (voir le commentaire de Rbenou Behayey Bereshit 41). 

Cela se confirme par la description qu’il fait des vaches, leur beauté est maintenant « yafot tohar »

 

Tohar signifie belle mais de manière subjective, une beauté non acquise mais innée. Cette beauté est propre à la personne et ne rentre dans aucun critère culturel ou sociétal. Ces vaches sont belles aux yeux de Paro. (Voir le commentaire du Kli Yakar sur Parachat Miquets)

Aussi, les vaches maigres ne viennent-elles plus du fleuve dans le récit de Paro, les vaches maigres montent après les vaches grasses mais Paro omet de répéter qu’elles montent du fleuve. Dire cela serait pour lui blasphématoire.

Paro rajoute : « je n’en ai pas vu de pareilles dans tout le pays d’Egypte » (verset 19). Le spectateur c’est lui, son discours s’élabore en fonction de cela. Ce spectacle est incompatible avec la vision qu’il a de l’Egypte. Cette vision est donc extrèmement angoissante pour lui.

Il y a des témoins à la scène : « sans qu’on s’aperçût qu’elles y fussent rentrées », (verset 21) et si les vaches maigres sont d’abord « d’apparence fort chétive », (verset

  • ; elles ne deviennent que « maigres et chétives »,(verset 20), représentant ainsi le mal absolu.

 

 

Il n’y a pas de changement au sujet des épis de blés, car cela n’évoque rien pour Paro.

 

C’est ce deuxième rêve qui va aider Yossef à interpréter le rêve de Paro. Yossef répète que c’est Dieu qui interprète : « Yossef répondit à Paro en disant : « loin de moi, c’est Dieu qui répondra pour donner la paix à Paro. », (verset 16)

Voici, maintenant la troisième narration du rêve élaborée par Yossef lui-même. C’est dans ce récit que nous allons tenter de comprendre ce que veut nous dire véritablement Yossef quant à l’interprétation des rêves.

 

Selon le Sforno les animaux, les vaches représentent la force de travail permettant la production et le blé représente l’objet de ce travail. Ainsi, le premier rêve représente la cause effective de ce que Yossef perçoit immédiatement comme une grande famine en Egypte et le blé comme la cause finale car il y aura un grand manque de blé.

 

De cette manière-là, Yossef arrive à rejoindre les deux parties du même rêve. Le redoublement du rêve selon Yossef est que celui-ci va s’exécuter.
Si Yossef évoque le nom de Dieu, c’est que Dieu parle, a à dire quelque chose de la réalité. Dire que c’est Dieu qui interprète le rêve c’est signifier que nous devons comprendre ce qu’il a à nous dire dans la réalité, ce que nous devons vivre de lui dans la réalité.

Selon le Talmud, le rêve représente un soixantième de la prophétie. Cela signifie sans doute que le rêve est parole divine mais que celui qui vit le rêve est le réceptacle d’une interprétation divine mais qui passe par sa réalité à lui. Ainsi, Paro lors de sa narration interprète déjà le rêve en fonction de ses référents, on le voit dans la modification du langage.

Yossef, le comprend et tente d’écouter la parole de Dieu en fonction de ses références personnelles à lui et de sa compréhension de Dieu.

Dans la vision chaotique égyptienne, le mal ne peut cohabiter avec le bien. L’un ne peut qu’exister au dépend de l’autre, c’est ou l’un ou l’autre. Yossef va innover une nouvelle conception du bien et du mal. En effet, pour lui selon sa vision monothéiste, le mal peut cohabiter avec le bien, c’est l’un et l’autre. Ainsi, si les vaches grasses sont englouties par les vaches maigres, c’est qu’elles doivent apporter aux vaches maigres. Pour Yossef, on peut travailler avec le mal, le bien intègre le mal. (Voir le commentaire du Kli Yakar sur Parachat Miquets)

Comme il est dit : Tsadik vera lo, racha vetov lo, (Berakhot 7, 1), « un juste fait face au mal, un impie fait face au bien ». Car un impie n’a qu’une pensée manichéenne, non nuancée du monde qui l’entoure. Dans ce système du, ou, l’impie voit le monde dans un jeu incessant de pouvoir, sa vision égocentrée ne laisse pas la place « au différent de soi ».

C’est cette vision non manichéenne de Yossef qui lui permet également d’être dans l’action et de devenir gestionnaire de l’Egypte. En effet, cette vision du ou tétanise Paro et empêche d’associer son rêve à une quelconque réalité, ce qui n’est pas le cas de Yossef.

Les épis de blés, sont aussi un lien pour Yossef avec ses rêves d’adolescent, ceux racontés en toute innocence devant ses frères. Ces rêves qui semblaient être la cause de sa descente prennent pour lui une autre signification à savoir une possibilité de sauver sa propre famille de la famine.

Aussi, comme dit plus haut, le fait que les quatorze vaches se trouvent au même moment sur la rive du Nil est ce qui permet à Yossef de comprendre qu’il faut faire cohabiter les années d’abondance et de famine en utilisant le stockage des vivres. Cela n’est pas s’en rappeler, les quatorze années de labeur de son père Yaakov chez Lavan, quatorze années pour Rahel (il devait n’y en avoir que sept) même si à cause de la tromperie de Lavan, sept reviennent à Léa, ce qui permettra de faire coexister les deux matriarches dans la vie de Yaakov, et ce malgré son amour unique pour Rahel.

Ainsi pour Yossef, le songe est un relai entre l’émetteur et un destinataire personnel. Cela lui permet de sortir Paro du fatalisme. Si Yossef ne veut pas être l’interprète du rêve c’est parce qu’il veut être libre d’interpréter la parole de Dieu en fonction de qui il est. Les magiciens de Paro eux sont enfermés dans le rêve qui pour eux est crypté.

Cette manière de concrétiser le rêve sur le plan économique prend le contre-pied de la gestion économique égyptienne qui ne laisse pas la place à l’ouverture et à la mobilité. Yossef transforme le territoire égyptien en espace ouvert.

Paro le nomme : Tsafnat-Paneach, qui signifie selon Rashi à la suite de Onkelos qui dévoile les choses cachées ». Yossef en sortant de devant Paro, « vayetse Yossef milifnei Paro », « et Yossef sortit de devant Paro », (verset 47) ; sort également du fatalisme de ce nom. En effet, Paro fige Yossef dans son interprétation, puisqu’il le définit comme un magicien qui aurait décrypté son rêve. Yossef lui montre sa liberté, celle de celui qui est en lien avec le réel et la parole divine.  Il sort ainsi du déterminisme de Paro et se met en mouvement vers l’extérieur.

Il se place aussi devant Paro, debout devant lui : Béamdo lifnei Paro », (verset 46). La réponse à son rêve d’adolescent se trouve sans doute ici : celui-ci ne le plaçait pas dans un rapport de domination à ses frères mais droit, debout devant Paro pour aider ses frères courbés par la famine.

En effet, cette manière à être au monde, ce que Raphael Drai nomme dans son ouvrage, la sortie d’Egypte, le Joséphisme, est un refus du pouvoir absolu au nom d’une autonomie. Yossef se rend responsable du peuple pour que le peuple se responsabilise. Raphael Drai l’analyse au chapitre un de son livre,comme une manière concrète de gouverner politiquement et économiquement.

Le maître échanson le nomme Naar ivri eved, un jeune esclave hébreu, (verset 12). Yossef est comme Avraham, un Ivri, un passant, parmi les nations, à côté des nations sans être dominé par elles.

Ainsi, le Joséphisme est à comprendre comme un partenariat qui ne se fond pas aux nations mais les éclairent.

Yossef est une fiole de lumière en Egypte.

Yossef montre qu’interpréter un rêve est une parole libre d’une véritable écoute à Dieu. Le monothéisme nous apprend la relation au Dieu unique, celui qui nous libère des jougs des nations mais surtout de notre propre déterminisme. Ecouter la voix de Dieu est autant de possible de se confronter soi-même à la parole de l’Autre, de l’autre. L’autre ne s’interprète pas, ne se déchiffre pas. L’autre c’est Dieu qui parle en lui, à savoir cette part divine qui brille en lui, mais qui est aussi réceptacle de son individualité. Respecter cette part divine de l’autre, c’est amener l’autre à sortir de son déterminisme tout en le respectant dans sa totalité, à savoir ses propres impasses. Yossef nous apprend à nous faire confiance et à nous permettre de puiser en nous la possibilité d’une parole qui nous est propre.

 

 

 

Havrouta collective de Stéphanie Klein, Bella Lumbroso, Sarah Fellous, Nadia D’argenson et Myriam Attlan.

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1983
Enseignante

“Yossef rassemble le monde, par Mme Stéphanie Klein-Allali”

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