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Telle mère, telle fille ! (Ezéchiel XVI,44)

par: Micho Klein

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Les parachioth Tazria et Metsora – qui traitent de différents cas d’impureté – s’ouvrent en nous exposant les modalités halakhiques inhérentes à l’impureté d’une femme accouchée.

Les parachioth Tazria et Metsora – qui traitent de différents cas d’impureté – s’ouvrent en nous exposant les modalités halakhiques inhérentes à l’impureté d’une femme accouchée.

[…] Lorsqu’une femme, ayant conçu, enfantera un mâle, elle sera impure sept jours. […] Puis, trente-trois jours durant, elle restera dans le sang de purification. […] Si c’est une fille qu’elle met au monde, elle sera impure deux semaines. […] Puis elle restera dans le sang de purification soixante-six jours. Quand sera accompli le temps de sa purification, pour un garçon ou pour une fille, elle apportera un agneau d’un an comme holocauste et une jeune colombe ou une tourterelle comme expiatoire… [[Vayikra XII,2-6]]

Ainsi, d’après la loi juive, une femme doit attendre sept jours après avoir accouché d’un garçon avant de pouvoir entamer le compte de ses jours propres [au terme desquels elle pourra se tremper au Mikvé (bain rituel) et reprendre le cours normal des relations avec son mari] et elle doit attendre le double après la naissance d’une fille.

Mais pourquoi cette différence ?

Le Talmud pose explicitement la question [[Niddah 31b]] :
Les élèves de Rabbi Chim’on ben Yokhaï lui ont demandé :  » Pourquoi la Torah ordonne-t-elle à une accouchée d’offrir un sacrifice ? « . Il leur répondit :  » Au moment où la femme s’accroupit [pour accoucher] elle s’emporte et jure de ne plus avoir de rapports avec son mari, c’est pourquoi la Torah lui demande un sacrifice (pour que ce serment lui soit pardonné) « .  » Et pourquoi la Torah stipule-t-elle qu’une femme qui a accouché d’un garçon [est pure] au bout de sept jours, et au bout de quatorze si c’est une fille ?  » –  » Parce qu’à la naissance d’un garçon, tout le monde se réjouit ; aussi regrette-t-elle son vœu au bout de sept jours ; la naissance d’une fille, au contraire, attriste tout le monde, et elle ne regrette son vœu qu’au bout de quatorze jours « .

Voici comment le Maarcha comprend ce passage :
Concernant un fils, les gens se réjouissent qu’il n’ait pas à subir plus tard les souffrances de l’accouchement. S’agissant d’une fille, tout le monde s’attriste qu’elle ait elle aussi, à l’instar de sa mère, à subir les douleurs de l’enfantement.

Plus l’être que la femme met au monde lui ressemble, moins vite elle a le désir de tomber à nouveau enceinte [[voir Rachi sur Niddah 31b]]. Comme si l’identification à sa fille lui faisait projeter sur celle-ci ses propres douleurs. Comme si cet amalgame qui les unit alors avait pour conséquence une plus longue « convalescence ».

Le Keli Yakar exagère encore cet amalgame en y introduisant la notion de culpabilité:
Et si la femme qui accouche d’une fille est impure deux semaines, c’est qu’elle prend sur elle l’impureté de deux femmes : la sienne et celle de sa fille. Car toute femme est tributaire d’une impureté de sept jours liée à la faute originelle (qui eut pour conséquence la fameuse malédiction  » et tu enfanteras dans la douleur « ) et l’impureté s’ajoute à l’impureté voir [[Rabbenou Be’hayé et le Tsror Hamor sur le lien entre cette impureté et la faute de ‘Hava (Eve)]].

Mais alors, comment le Mikvé dénoue-t-il ce lien fusionnel ?

Le rabbin Gilles Bernheim analyse avec éloquence la fonction du bain rituel [[Gilles Bernheim in Le souci des autres, 2002, Calmann Levy : pages 153 à 155]]. Voici de larges extraits de son propos.

[…] Un commentaire rabbinique fait le lien entre la création de la femme et l’eau ; et il souligne également que la création de la femme est précédée, dans le deuxième chapitre de la Genèse, par l’épisode où Adam est en situation de nommer les animaux. Le Talmud commente en disant qu’après avoir nommé les animaux, l’homme aurait dû se nommer lui-même, et ceci avant même que Dieu l’ait nommé :  » Et pour l’Adam, il ne trouva pas de vis-à-vis face à lui [ou contre lui]  » [[Genèse II, 20]]. […] Un commentaire talmudique se demande si la condition requise pour accéder à la parole ne serait pas justement la faculté de se nommer soi-même, de se désigner comme sujet. […] C’est après l’apparition de la femme dans le champ perceptif masculin que l’homme va pouvoir devenir sujet de parole. La fonction que la femme remplit alors, selon le commentaire rabbinique, sera de « faire parler » l’homme, parce qu’elle ne lui est pas tout à fait semblable. Le commentaire s’appuie sur le principe talmudique selon lequel parler, c’est comme concevoir des enfants [[NdA : Sanhédrin 56b]] : au terme d’un cycle de la femme, lorsqu’il n’y a pas eu de conception, il faut réapprendre à parler. […] C’est le sujet qui est le plus proche de l’élément ambivalent, et dont la tâche consiste à restituer ce qui a été perdu, qui doit s’immerger dans l’élément suggérant l’ambivalence, afin de rétablir la positivité qui y est latente. […] C’est également pour cela que la femme qui vient d’accoucher est dite « impure » : la matrice symbolise le lieu d’une fusion, d’une indifférenciation de la mère et de l’enfant, à partir de quoi une différenciation devra se faire pour permettre à l’enfant d’accéder à la parole. […] La différenciation sexuelle entre l’homme et la femme s’opère sur fond d’une séparation des eaux d’en haut et des hauts d’en bas, ce que nous rappelle le bain rituel constitué par des eaux d’en haut – l’eau de pluie – et des eaux d’en bas – l’eau de source. On s’immerge ainsi symboliquement dans une indifférenciation originaire afin d’en ressortir purifié, c’est-à-dire différencié à nouveau.

D’après cet exposé, il est normal que les proximités sexuelle, psychologique – ou, dit à la manière du Maarcha vu plus haut, physiologique – de la mère avec sa fille engendrent une plus grande indifférenciation, donc une plus grande « impureté » : quatorze jours. L’indifférenciation entre une mère et son fils ou entre une femme et son mari existe mais la distinction sexuelle naturelle amoindrit cette fusion qui est suffisamment révélée par sept jours d’impureté !

Il nous reste à comprendre pourquoi la femme accouchée devait, à l’époque du Temple, attendre trente-trois ou soixante-six jours supplémentaires avant de pouvoir s’immerger dans un Mikvé et ainsi à nouveau manger des aliments saints (de la Teroumah, par exemple).

Si on ajoute les trente-trois ou les soixante-six jours de purification aux sept ou quatorze jours d’impureté, on obtient un total de quarante ou quatre-vingt (2×40) jours d’abstinence vis à vis du sacré. Or le nombre 40 est loin d’être anodin dans la tradition rabbinique.

A propos du déluge, Dieu dit dans le verset [[Génèse VII, 4]] :
[…] Et je ferai pleuvoir quarante jours et quarante nuits…

Commentaire de Rachi :

Ce qui correspond à la formation de l’embryon…
La comparaison pourrait signifier que la catastrophe était destinée à une renaissance de l’être humain. C’est en raison de la durée de quarante jours de la formation du fœtus, dit le rabbin Elie Munk, que la formation morale de l’être humain se rattache également au nombre quarante. Le châtiment destiné a expier la faute et à relever l’être déchu (Malkout) comporte quarante coups. La période d’éducation d’Israël dans le désert comporte quarante années. Moïse fut formé à l’idéal de la Torah pendant les quarante jours de son séjour sur le Mont Sinaï. [[Rekanati sur parachat Noa’h]]

D’une manière plus générale, le nombre quarante symbolise le renouveau spirituel qui suit l’épreuve.

Nous sortîmes d’Egypte après 400 (40×10) ans d’exil. Les quarante jours et quarante nuits que dura le déluge effacèrent toutes les traces de perversion des générations précédentes et permirent à l’humanité de démarrer du bon pied les dix générations qui les menèrent à Avra’am. Yits’hak n’avait-il pas quarante ans quand il épousa Rivka après l’épreuve du sacrifice et Rabbi Akiva n’avait-il pas lui aussi quarante ans quand il épousa la fille de Kalba Savoua et fit Téchouva en partant étudier [[Ketouvoth 62b et Avoth deRabbi Nathan VI, 2]] ?

Après une grossesse et une naissance, après cette sur-intimité, cette ambivalence, n’est-il pas logique que la Torah offre à la femme cette période de réadaptation à la vie morale et spirituelle. Un temps pour réapprendre progressivement cet état de pureté, c’est à dire de distance vis-à-vis d’elle-même, cette ouverture à la vie courante, qui seuls lui autoriseront l’accès au sacré.

L’acte de purification rituelle s’effectue par immersion dans un Mikvé contenant (au minimum) quarante mesures d’eau (Séa) !

Chabbat Chalom / Gout Chabbes à toutes et à tous.

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Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“Telle mère, telle fille ! (Ezéchiel XVI,44)”

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