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Qu’est-ce que le ‘Hamets ?

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 27 Mars 2023

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Rapportons les paroles du Ran sur la première Mishna du Traité Pessa’him (nous en donnons notre traduction avec quelques ajouts pour mettre en relief les points centraux de son exposé) : ‘Il ressort de la première Mishna de Pessa’him que le Bitoul fondamentalement n’est pas nécessaire, et seule la recherche du ‘Hamets pourrait être nécessaire. Etant donné qu’il a vérifié sa maison il est quitte de son obligation. Mais nous pouvons nous poser la question : peut-être a-t-il oublié du ‘Hamets ? Peut-être trouvera-t-il pendant Pessa’h un très beau gâteau qu’il avait oublié de détruire ?
Il ressort que si effectivement il trouve pendant Pessa’h du ‘Hamets, il le détruira à ce moment-là tout de suite, et il ne transgressera nullement l’interdit d’en posséder rétroactivement.
Pourquoi ne transgresse-t-il pas l’interdit d’en posséder rétroactivement, mais finalement il en possédait ?
Premièrement, les interdits de la Torah s’appuient sur les notions de ‘Hazakot, c’est-à-dire que s’il a fait la Bedika nous pouvons considérer, affirmer, qu’il a fait ce qui lui incombait de faire.
Deuxièmement, s’il a fait la recherche du ‘Hamets dans les lieux où l’on a l’habitude d’y introduire du ‘Hamets il est quitte de son obligation. Nous ne prenons pas en compte le fait qu’il pourrait se trouver du ‘Hamets en haut des poutres du plafond et qu’il l’ignorerait. C’est pourquoi l’enseignant de la Mishna ne mentionne que la recherche du ‘Hamets, et non l’obligation d’annuler le ‘Hamets.
Et c’est là-dessus que vient Rav Yéhouda au nom de Rav innover et nous dire que, quand bien même aurait-il fait la recherche du ‘Hamets, il faut à titre d’une institution rabbinique annuler le ‘Hamets. La conclusion de la Guemara est que cette annulation du ‘Hamets tire sa nécessité, quand bien même la recherche du ‘Hamets aurait-elle été effectuée, de peur qu’il ne trouve un très beau gâteau et que son attention soit sur lui, Rashi explique : de peur qu’étant donné que son attention étant sur ce gâteau, il ne tarde à le détruire et qu’il se trouve alors transgresser l’interdit de le posséder durant Pessa’h. (Explique le Ran) C’est-à-dire que ce serait à partir du moment où il trouve ce beau gâteau et qu’il tarderait à le détruire qu’il transgresserait l’interdit d’en posséder. Nous pouvons déduire d’ici que rétroactivement il ne transgresserait pas l’interdit étant donné qu’il a bien opéré sa recherche du ‘Hamets.’

I. Analyse de l’enseignement du Ran.

Il ressort clairement du Ran deux choses :
– l’obligation de rechercher le ‘Hamets n’incombe qu’aux endroits où l’on a l’habitude d’introduire du ‘Hamets dans l’année. Ces endroits perdent leur ‘Hazaka qu’il n’y a pas de ‘Hamets, et du fait de la Mitsva de Tashbitou on a l’obligation d’après la Torah d’y rechercher le ‘Hamets.
– si l’on a fait la recherche comme il se doit et que l’on a trouvé néanmoins du ‘Hamets significatif (c’est-à-dire autre chose que des miettes qui n’ont aucune importance pour le propriétaire qui les rend Héfker de fait), on n’a pas transgressé rétroactivement l’interdit de posséder du ‘Hamets.

Chacune de ces assertions soulève des questions.
Analysons la seconde proposition.
La source du Ran est le commentaire de Rashi sur la Guemara (6b) [Nous avons déjà mentionné cette Guemara et le commentaire de Rashi afférent dans la première partie,§6]:
‘Rava dit : cette obligation de faire le Bitoul même si la Bedika a été faite est une institution rabbinique de peur qu’il ne trouve pendant la fête un très beau gâteau et qu’il tarde un laps de temps avant de le brûler (et transgresse alors Bal Iraé et Bal Imatsé).’
Rashi explique :
‘Qu’il considère un laps de temps ce gâteau et qu’il ait un instant du scrupule de le détruire, et il transgresserait alors l’interdit d’en posséder’.
Il ressort du commentaire de Rashi que la transgression ne serait qu’à partir du moment où il trouve le ‘Hamets durant la fête et qu’il aurait une hésitation avant de le détruire. Selon Rashi il n’y a aucune transgression rétroactive. Le Ran explique : car s’il a fait la Bedika la Torah s’appuie sur les notions de ‘Hazakot et il y a donc une estimation forte qu’il ne possède plus de ‘Hamets, donc il ne transgresse pas l’interdit.
Néanmoins le Tour analyse les choses différemment (Chapitre 434, אורח חיים סימן תל »ד) :
ואחר הבדיקה מיד בלילה יבטלנו ויאמר כל חמירא דאיתיה ברשותי דלא חזיתיה ודלא ביערתיה לבטל וליהוי כעפרא, דהשתא אפילו אם נשאר בבית חמץ שלא מצא אינו עובר עליו דהוי הפקר ולא דיליה הוא.
‘Et après la recherche du ‘Hamets tout de suite le soir-même qu’il l’annule et dise : que tout levain qui se trouve dans mon domaine et que je n’aie pas vu et que je n’aie pas détruit soit annulé et soit comme de la poussière. Et maintenant qu’il aura fait cette annulation même s’il était resté du ‘Hamets dans sa maison qui aurait échappé à sa recherche il ne transgresserait pas puisqu’il l’a rendu Héfker et qu’il ne lui appartient plus.’
Le sous-entendu de ses dires est que s’il n’a pas effectué le Bitoul au préalable, au moment où il trouverait ce beau gâteau, il transgresserait. Comment ? Rétroactivement.

A priori ce passage du Tour s’oppose à la démarche du Ran. En effet en première lecture il ressort que s’il n’a pas fait le Bitoul et que du ‘Hamets lui a échappé durant la Bedika, la recherche du ‘Hamets, il transgresserait l’interdit d’en posséder.
Néanmoins nous pourrions lire le Tour d’une manière différente [1], et dire :
‘Et s’il restait du ‘Hamets qui aurait échappé à sa recherche il ne transgresserait pas les interdits au moment où il le trouverait durant la fête et qu’il tarderait à le détruire’.
Cependant le Maguen Avraham (chapitre 434,§5, סימן תל »ד סעיף קטן ה’) rapporte le langage du Tour lui-même au chapitre 446 (סימן תמ »ו) qui ne supporte aucune ambiguïté :
המוצא חמץ בביתו אם הוא בחול המועד יוציאנו מיד ואם הוא יום טוב יש אומרים שיכפה עליו כלי עד הלילה שיוציאנו אבל ביום טוב אינו יכול לטלטלו כדי להוציאו. ואחי רבי יחיאל ז »ל כתב שיכול לשרפו ביום טוב כיון שיש קצת מצוה בשריפתו אמרינן מתוך שהותרה הבערה לצורך הותרה נמי שלא לצורך, הלכך אם לא בטלו יוציאנו וישרפנו כדי שלא יעבור עליו במזיד. שעד עתה לא עבר אלא בשוגג, כך כתב בספר המצוות.
‘Si quelqu’un trouve du ‘Hamets dans sa maison durant Pessa’h, s’il le trouve durant ‘Hol Hamoèd, durant les mi-fêtes, qu’il s’en débarrasse tout de suite. S’il trouve ce ‘Hamets durant Yom Tov, certains avis disent qu’il doit le recouvrir d’un récipient jusqu’à la nuit et alors s’en débarrasser. Le jour de Yom Tov même il ne peut pas le déplacer pour s’en débarrasser. Mon frère Rabbi Yehiel a écrit à ce sujet qu’il est permis de brûler ce ‘Hamets durant Yom Tov. Car bien qu’il soit prohibé de faire un travail qui n’a pas de rapport avec la fête, toutefois il y a une certaine Mitsva du jour en brûlant le ‘Hamets trouvé. En effet s’il n’a pas fait le Bitoul il devra s’en débarrasser en le brûlant pour ne pas transgresser l’interdit d’en posséder sciemment, BéMézid. Jusqu’à maintenant il avait transgressé l’interdit d’en posséder BéShogueg, par inadvertance, mais maintenant s’il le gardait il transgresserait l’interdit BéMézid, sciemment.’

Il ressort donc de manière explicite de ces paroles du Tour que si quelqu’un a trouvé durant Pessa’h du ‘Hamets qu’il n’avait pas annulé, il se révèlerait que rétroactivement il aurait transgressé l’interdit d’en posséder par erreur, par inadvertance, BéShogueg, ce qui toutefois est une transgression. Tandis que d’après le Ran et Rashi s’il a fait la Bedika, la recherche du ‘Hamets comme il se doit, il n’y a pas de transgression rétroactive.

II. Mais comment le Tour lit-il la Guemara de Rava dans Pessa’him 6b ?

Reprenons l’enseignement de Rava dans Pessa’him 6b. Rava nous explique la raison de l’institution rabbinique de faire l’annulation du ‘Hamets quand bien aurions-nous fait la Bedika précédemment.
Nous avons expliqué cet enseignement selon la démarche de Rashi. Selon cette lecture il s’impose qu’il n’y aurait aucune transgression rétroactive.
Le problème d’après la lecture de Rashi réside dans le fait qu’en trouvant du ‘Hamets il doit le détruire, et qu’il risque de trainer avant de le faire. Si l’on entre dans l’univers du Tour, la problématique est toute autre. Le problème est qu’en trouvant du ‘Hamets durant Pessa’h il se rend compte qu’il a transgressé l’interdit. Certes le Tour peut lire l’enseignement comme Rashi, mais cette explication ne met nullement en relief la problématique du Tour.
Force est de dire qu’il lit ce passage d’une toute autre manière.

Reprenons le passage en essayant de traduire mot à mot :
אמר רבא גזירה שמא ימצא גלוסקא יפה ודעתיה עילויה.
‘Rava dit : l’institution rabbinique s’impose de peur qu’il ne trouve un très beau gâteau et que sa pensée soit sur lui.’
וכי משכחת ליה לבטליה. דילמא משכחת ליה לבתר איסורא ולאו ברשותיה קיימא ולא מצי מבטיל.
‘Mais lorsqu’il le trouve, il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là ? Il est possible qu’il le trouve après l’heure où il deviendrait interdit de profit, et qu’à ce moment le ‘Hamets ne serait plus dans sa possession pour pouvoir l’annuler.’

Nous avons rapporté plus haut l’explication de Rashi :
De peur qu’il ne trouve un très beau gâteau et que sa pensée soit sur lui, c’est-à-dire qu’il ait pitié de ce beau gâteau et qu’il ne traine avant de le détruire, et cette minute de latence serait un moment où il transgresserait l’interdit de posséder du ‘Hamets.

Tossefot posent la question suivante sur cette explication de Rashi :
Comment peut-on expliquer l’expression דעתיה עילויה , Daaté Ilavé, en disant « qu’il ait pitié de détruire ce beau gâteau », lorsque tout de suite la Guemara propose de dire : « Mais lorsqu’il le trouve il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là ? ». C’est une pure contradiction ! Comment peux-tu proposer de dire qu’il trainerait à détruire ce beau gâteau et tout de suite proposer qu’il l’annule !

Forts de cette remarque, Tossefot proposent une toute autre lecture de l’enseignement de Rava. Mais pour la concevoir, il est nécessaire de relire tout le passage de la Guemara de 6b.

אמר רב יהודה אמר רב הבודק צריך שיבטל. מאי טעמא אי נימא משום פירורין הא לא חשיבי.
‘Rav Yéhouda dit au nom de Rav : la personne qui fait la recherche du ‘Hamets doit aussitôt annuler le ‘’Hamets [en disant : tout le ‘Hamets qui pourrait encore se trouver dans la maison qu’il soit annulé !].
Quelle en est la raison ? Est-ce à titre des miettes [qui lui sont impossibles de ramasser et qui se trouvent néanmoins dans sa maison [2]] ? Non, ce n’est pas à cause des miettes, car elles n’ont aucune sorte d’importance et il les abandonne. [Donc ne leur accordant aucune importance il ne transgresse aucun interdit]
אמר רבא גזירה שמא ימצא גלוסקא יפה ודעתיה עילויה.
‘Rava dit : l’obligation d’annuler le ‘Hamets vient de peur que l’on trouve durant Pessa’h un beau gâteau et que l’on ait gardé depuis le départ sa pensée liée à ce gâteau, Daaté Ilavé.’

Tossefot innovent dans la lecture de cette Guemara. Ils expliquent l’expression ‘sa pensée est sur lui’, non au moment où l’on trouve le gâteau, comme le lit Rashi, mais explique que la pensée du propriétaire est attachée à ce gâteau depuis le début.
L’institution de Bitoul d’après Tossefot répond à la crainte que l’on ait fait la recherche du ‘Hamets comme il se doit, néanmoins il est possible que nous soit échappé un beau morceau de ‘Hamets significatif et qu’au moment on se rende compte que depuis le début ce morceau nous était important, Daaté Ilavé, et que l’on ait alors transgressé l’interdit d’en posséder.
Selon cette lecture, nous comprenons bien la question de la Guemara : « Mais lorsqu’il le trouve il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là ? », en effet, ce morceau significatif de ‘Hamets lui a échappé, mais dès qu’il le trouve et se rend compte qu’en le gardant il transgresse l’interdit, il sera indubitablement disposé à l’annuler, ce qui est difficile d’après l’explication de Rashi.

Reprenons l’enseignement de Rava selon la lecture de Tossefot et en y intégrant la démarche du Tour.
D’après la Torah une recherche du ‘Hamets dans les endroits où l’on en fait rentrer durant l’année est suffisante. Toutes les lois de la Torah se basent les notions de ‘Hazakot, de force de l’a priori. Si l’on a fait la Bedika comme il se doit, on a a priori donc accompli son obligation. De même, il est prohibé d’après la Torah de manger des bestioles, insectes, mollusques. Si l’on a vérifié avec attention qu’il n’y a pas de ces bestioles dans la salade ou les légumes, il nous est permis de manger cette salade ou ces légumes. On ne craint pas qu’un petit vermisseau nous aurait échappé. De plus, il n’y a pas à se soucier qu’il y aurait du ‘Hamets dans un endroit où l’on n’introduit pas de ‘Hamets durant l’année.
Si c’est ainsi pourquoi Rav Yéhouda nous enseigne-t-il au nom de Rav que la personne qui a fait la Bedika du ‘Hamets doit faire tout de suite le Bitoul ? Quel est la crainte ? Et telle est la question de la Guemara מאי טעמא, ‘quelle est la raison de Rav Yéhouda’ ?
Rava répond : c’est de peur qu’il ait effectivement fait la Bedika et que lui ait échappé un morceau de ‘Hamets significatif. La Guemara demande alors : mais, étant donné que nous nous basons sur ces ‘Hazakot, quel risque y a-t-il ? A priori il n’y a rien à craindre puisqu’il a fait la Bedika comme il se doit. Si d’aventure il trouverait un tel morceau de ‘Hamets durant la fête alors qu’il l’annule à ce moment-là ? Certes la démarche du Tour est qu’il aurait a posteriori transgressé par mégarde l’interdit d’en posséder, mais a priori pourquoi prendrais-je cette éventualité en compte et exigerais-je que prospectivement il fasse cette annulation ?
La Guemara répond qu’effectivement s’il avait la possibilité à ce moment de l’annuler on attendrait ce moment pour qu’il annule le ‘Hamets, mais comme il est possible qu’à ce moment il lui serait impossible de le faire, c’est-à-dire à partir du moment où le ‘Hamets devient interdit et qu’il ne lui appartient plus, nos Maîtres ont institué qu’il l’annule prospectivement.
Si quelqu’un a fait la Bedika comme il se doit il n’y a pas de problème. Néanmoins comment gérer le fait que dans l’absolu il soit possible qu’il en trouve durant la fête ? D’après le Tour s’il en trouve il transgresse rétroactivement le fait d’en posséder, par mégarde certes, mais cela s’appelle néanmoins une certaine transgression.
Puisqu’il y a la ‘Hazaka nous n’imposons pas l’annulation prospective, mais comme il est possible qu’au moment où il le trouve il ne soit pas capable juridiquement de l’annuler, alors les Sages ont institué de faire le Bitoul dès que l’on a terminé la Bedika.
Pour synthétiser le fondement de cette institution rabbinique de Rav Yéhouda au nom de Rav, nous dirions que nos Maîtres ne veulent pas qu’un juif se trouve en porte-à-faux dans l’accomplissement des commandements de la Torah. Il n’y a pas à craindre que quelqu’un qui a fait la Bedika trouve du ‘Hamets. Toutefois nous savons que cela est possible. Comme cela est possible, tout le monde fait le Bitoul par ‘solidarité’ avec cette personne que nous ne voulons pas mettre à défaut.

III. Synthèse sur l’institution rabbinique de Bitoul ‘Hamets.

Répétons le point subtil qui ressort de la lecture de Tossefot et du Tour de l’enseignement de Rava.
Rava dit que l’obligation de Bitoul vient à titre de la personne qui trouverait pendant Pessa’h un beau morceau de ‘Hamets. Là-dessus la Guemara dit : mais pourquoi faut-il faire le Bitoul prospectivement ? Mais ce cas est un cas marginal qui n’est pas a priori à prendre en compte ! S’il le trouve au cas où, alors qu’il avise et qu’il l’annule ! Puisqu’a priori nous parlons de quelqu’un qui a fait la Bedika comme il se doit ! Réponse : oui, mais il est possible qu’il ne puisse pas l’annuler à ce moment-là ! Et alors, quel est le problème puisque ce cas n’est pas a priori à envisager ? Réponse : c’est vrai, mais nos Maîtres ne veulent pas qu’un Yid soit mis à mal, et se trouve pris à défaut. C’est pour cela que toute personne doit prospectivement faire le Bitoul. Par solidarité, par prise en compte du problème que pourrait avoir cette personne, même si ce cas est complètement marginal.
Voir le langage de Rambam second chapitre des lois relatives à Shabbat, Halakha 3 :
הא למדת שאין משפטי התורה נקמה בעולם אלא רחמים וחסד ושלום בעולם.
‘Ceci t’enseigne que les lois de la Torah ne sont pas une vengeance [3] dans le monde, mais sont pitié sur les créatures, générosité et paisibilité dans le monde. ‘

IV. Comment Rashi répondra-t-il aux questions de Tossefot ?

Tossefot posent la question suivante sur cette explication de Rashi :
Comment peut-on expliquer l’expression דעתיה עילויה , Daaté Ilavé, en disant « qu’il ait pitié de détruire ce beau gâteau », lorsque tout de suite la Guemara propose de dire : « Mais lorsqu’il le trouve il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là ? ». C’est une pure contradiction ! Comment peux-tu proposer de dire qu’il trainerait à détruire ce beau gâteau et tout de suite proposer qu’il l’annule !

Nous avons vu au second paragraphe de cette étude la question que Tossefot objectent au commentaire de Rashi sur l’expression Daaté Ilavé. Tossefot disaient : comment peux-tu expliquer Daaté Ilavé en disant « qu’il ait pitié de l’annuler », et que tout de suite après la Guemara puisse dire « Mais lorsqu’il le trouve il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là !» ? C’est une contradiction.
En fait Rashi ne dit pas tout à fait cela et se prémunit à l’avance contre les attaques de Tossefot [4]. En effet Rashi explique Daaté Ilavé « qu’il ait pitié de détruire ce beau gâteau », et non « qu’il ait pitié d’annuler ce beau gâteau ». Il faudra répondre que de cette manière Rashi veut nous dire que quelqu’un peut avoir un certain scrupule à détruire ce beau gâteau, et concomitamment être prêt à l’annuler et en retirer tout lien et volonté. Ce qui est certes assez paradoxal, mais non incompréhensible.

VI. Est-ce que Tossefot sont d’accord avec le Tour qu’il y a une notion de transgression de l’interdit de posséder du ‘Hamets de manière rétroactive ?

Bien que Tossefot au Daf 6b explique la Guemara différemment de Rashi, comme nous venons de le voir, cependant le Maguen Avraham que nous avons rapporté au premier paragraphe de cette étude (chapitre 434,§5, סימן תל »ד סעיף קטן ה’) prouve du Tossefot au début du second chapitre de Pessa’him (21a, דף כ »א ע »א דה »מ ואי אשמועינן) qu’ils ne pensent pas comme la démarche du Tour.
En effet Tossefot déduisent de l’enseignement de Rava dans Pessa’him 6b :
‘Et il ressort ainsi de la question de la Guemara (6b) « mais lorsqu’il trouve le beau gâteau, il n’a qu’à l’annuler à ce moment-là », or s’il avait déjà transgressé, en quoi l’annuler maintenant arrangerait quoi que soit ? Donc tant qu’il ne l’a pas trouvé il ne transgresse pas l’interdit d’en posséder.’

En résumé, nous nous sommes aidés de l’explication de Tossefot pour rendre compte de la démarche du Tour bien qu’en fait Tossefot soient opposés sur le fond avec cette démarche.

VII. Quel est le fond du débat entre le Tour et les autres Rishonim ?

En vérité la démarche du Tour parait a priori la plus vraisemblable. En effet il dit que si, d’aventure, il trouve pendant Pessa’h du ‘Hamets qui lui aurait échappé il transgresserait l’interdit d’en posséder par mégarde, BéShoguèg. Effectivement ceci est logique. Prenons un exemple. Il y a un interdit de la Torah de manger des insectes et des mollusques. Dans les salades en général il y a beaucoup de ces bestioles. Pour pouvoir manger de la salade où en général se trouvent de ces bestioles, nos Maîtres exigent que l’on regarde feuille par feuille et qu’on les élimine (Shoul’han Aroukh Yoré Déah chapitre 84,§8, יורה דעה סימן פ »ד סעיף ח’). Si par mégarde il se trouve que malgré le fait que l’on ait fait attentivement cette vérification l’on ait mangé une de ces bestioles, serons-nous considérés Shoguèg ou Anous ? Avoir mangé par inadvertance ou considérés comme contraints ? Ici dans le cas qui nous occupe, cette personne a effectué la recherche du ‘Hamets comme il se doit. Ensuite par extraordinaire elle a trouvé un beau gâteau qui lui a complètement échappé. Le Tour dit que cette personne possédait du ‘Hamets par inadvertance, et de ce fait a transgressé l’interdit d’en posséder BéShoguèg. Les autres Rishonim disent que l’interdit ne commence qu’au moment où elle découvre ce ‘Hamets. Sur quoi porte le débat ?
Le Tour dit que jusqu’à ce qu’il trouve le ‘Hamets pendant Pessa’h in transgressait l’interdit d’en posséder BéShoguèg. Le Ramban dans son commentaire sur la Torah (Vayikra 1,4) soulève une problématique importante. Nous trouvons dans la Torah qu’une faute commise par inadvertance nécessite expiation (Korban ‘Hataat, קרבן חטאת), mais cette nécessité ne s’applique qu’à des interdits passibles de Karet, de retranchement de l’âme, s’ils eussent été transgressés BéMézid, sciemment. Qu’en est-il d’un interdit simple de la Torah, non passible de Karet, s’il eût été transgressé BéShogueg ? Le Ramban dit qu’on ne trouve aucune source qu’une telle transgression nécessiterait expiation. Néanmoins il est possible d’expliquer que le Ramban veut dire qu’il n’y a aucune source pour nous dire qu’une telle transgression nécessiterait d’amener un Korban (un sacrifice) mais peut-être que la trace de la transgression nécessiterait Teshouva, repentir et Kapara, et donc une certaine expiation.
La question est la suivante : y a-t-il une certaine corporalité à la transgression d’un interdit non passible de Karet occasionné BéShogueg ? Il est à noter qu’il ressort a priori du commentaire du Ran sur Sanhédrin 84b (סנהדרין פ »ד ע »ב) qu’il n’y a aucun aspect concret à un interdit simple transgressé BéShogueg.
Est-ce à dire que le débat dans notre sujet entre le Tour et le Ran porterait sur ce point précis ?
Il n’y en a aucune trace dans les dires du Ran.

VIII. Quelques données pour situer le débat entre le Tour et les autres Rishonim. Comment définir une faute par inadvertance, BéShoguèg ?

Le Mordekhi au début de ses Halakhot sur le Traité Shevouot rapporte une Teshouva de Rabbi Méir de Rothenburg sur la question suivante :
‘Une femme a eu un rapport avec son mari hors des périodes fixes de ses règles et le matin a trouvé sur ses draps du sang. Y a-t-il lieu de chercher une Kapara, une expiation, sur le fait que sûrement ce couple a eu une relation au moment où elle a eu ses règles ?’

La Torah interdit les relations intimes avec une femme qui a eu ses règles. Bien évidemment une femme peut avoir des écoulements de sang à des moments que l’on ne prévoit pas, toutefois les Maîtres de notre Tradition nous enseignent que hors période de menstrues a priori une femme ne doit pas avoir ses règles et les relations sont de ce fait permises [5]. Ici le couple a eu une relation a priori permise et il s’est trouvé qu’ils ont découvert a posteriori qu’au moment du rapport les règles ont dû arriver. Est-ce considéré qu’a posteriori il y a eu faute ?

Le Maharam de Rothenburg répond :
‘Je ne comprends pas quelle est la question. Premièrement un tel cas est un cas de Oness, de force majeure, et la Torah disculpe totalement comme nous le voyons dans le second chapitre du Traité Shevouot « si le rapport fut hors période de règles, c’est un Oness ! ». Et de plus que voulais-tu qu’ils fassent ? Les ‘Hakhamim n’ont exigé de faire une vérification de sa pureté qu’à l’époque des Taharot, mais à notre époque ils ont exigé qu’hors période de règles au contraire elle ne fasse pas de vérification de pureté avant le rapport pour ne pas mettre mal à l’aise le mari.’
Cette décision de Rabbi Méir de Rothenburg est rapportée en conclusion légale par Rabbi Moshé Isserless [6] à la fin du chapitre 185,§4 du Shoul’han Aroukh Yoré Déah (יורה דעה סימן קפ »ה סעיף ד’).

Rav Yé’hezkel Landau, dans le Noda Biyouda Taniana, seconde section, Yoré Déah chapitre 96, bombarde cette décision de Rabbi Moshé Isserless de multiples questions [7].
Premièrement il ressort de l’ensemble du premier sujet de la première Mishna du dixième chapitre du Traité Yévamot (87b) la chose suivante (Tossefot Yom Tov sur la fin de la première Mishna).
Le mari de cette femme est parti aux pays lointains. Deux témoins viennent et témoignent que son mari est mort. Sur la foi de ce témoignage elle s’est remariée et le mari est revenu, elle et son second mari doivent apporter un Korban expiatoire pour les relations prohibées qu’ils ont pu avoir entre temps. Et cette nécessité s’impose même si le tribunal lui avait donné une permission explicite de se remarier, mais qu’avait-elle donc à faire de plus ? Où y a-t-il trace d’une quelconque culpabilité puisqu’il lui était absolument licite de se remarier ?
Rashi sur la Mishna explique :
בעדים חייבת בקרבן דשוגגת היא ואין זה אונס להפטר מן הקרבן דאיבעי לה להמתוני.
‘Elle s’est remariée sur la foi des deux témoins, elle doit apporter un Korban expiatoire car elle est Shoguéguet. Elle n’est pas considérée contrainte pour être exempte de Korban car elle n’avait qu’à attendre.’
Seconde question proche de la première. La Torah dans la Parashat Vayikra (4,13) nous enseigne que si le grand tribunal rabbinique de soixante-dix juges qui se trouve au sein du Temple de Jérusalem a rendu un enseignement et que la majorité du peuple d’Israël a suivi cet enseignement et que finalement le tribunal s’est rendu compte que cet enseignement était erroné, le tribunal doit apporter un Korban expiatoire pour l’ensemble de la faute du peuple et du tribunal. Mais qu’en est-il si c’est une minorité du peuple qui a suivi cet enseignement ? Dans ce cas le tribunal n’apporte pas un Korban expiatoire, est-ce à dire qu’alors chaque individu qui a suivi cet enseignement avéré erroné in fine devra apporter un Korban expiatoire sur sa faute ? Et effectivement telle est la conclusion légale (Rambam, Hilkhot Shgagot chapitre 3, Halakha 1). La question alors se pose : mais que pouvait faire cet individu ? Quelle faute a-t-il commise en suivant l’avis de la plus grande autorité rabbinique ? Où y a-t-il lieu pour une expiation ?

Nous voyons donc de ces différentes sources que même dans des cas où la personne n’avait pas de marge de manœuvre et qu’elle a agi de manière tout à fait licite, si après coup il s’avère que la réalité est différente de ce que l’on avait pensé la personne est considérée Shogueg, et non contrainte. Comment donc Rabbi Méir de Rothenburg peut-il dire que la personne qui n’avait pas à faire de vérification sur son état de pureté et qui finalement s’est avérée impure n’a pas besoin d’expiation ?
Le Noda Biyouda répond que les cas sont complètement différents. Dans le cas de la femme qui a un cycle menstruel précis, nos Maîtres nous enseignent qu’a priori il n’y a pas de raison qu’elle ait ses règles hors période habituelle. La Torah nous enseigne que l’on doit suivre les principes fondamentaux de la loi orale comme la ‘Hazaka, le principe de majorité etc… Ici hors période de règles elle a une ‘Hazaka, une présomption forte, qu’elle ne voit pas de sang. Il y a eu un incident, et du sang est venu lors du rapport, c’est un cas d’Oness, de force majeure, la personne est complétement exempte.
Par contre dans les cas des deux témoins, certes la Torah nous enjoint de suivre le témoignage de deux témoins, mais ici comme le mari est revenu sur ses deux jambes, il s’avère que ces témoins étaient des faux témoins. Certes dans les cas d’incertitudes la Torah nous enjoint de suivre les témoignages de deux témoins, comme dit le verset (Devarim 19,15) על פי שני עדים יקום דבר, « sur la bouche de deux témoins un fait sera constaté ». Mais s’il s’est avéré de manière indubitable l’inanité de leurs dires, en cela que le mort est revenu sur ses pieds, certes la personne était habilitée au moment T à suivre leurs dires, mais rétrospectivement il n’y a pas eu témoignage.
De même au sujet de l’enseignement du grand tribunal rabbinique. Certes la personne était habilitée à suivre la décision légale du grand tribunal rabbinique, mais une fois que ceux-ci se sont rendus compte que leur enseignement était erroné, la personne n’a pas agi sur la suite d’un enseignement puisqu’il n’y en a pas eu.

Ces éléments étant posés, comment pouvons-nous aborder notre cas, celui la personne qui a effectué la recherche du ‘Hamets et qui durant la fête trouve un beau gâteau qui lui a complètement échappé ?
Le Ran dit que d’après la démarche de Rashi duquel il ressort que d’après la Torah il suffit de faire la recherche du ‘Hamets comme il se doit pour accomplir son obligation de ne plus posséder de ‘Hamets chez soi, et que le Bitoul n’est alors qu’une institution rabbinique, on est obligé de dire qu’il n’y a pas de transgression rétroactive. Est-ce à dire que le Ran considère que s’il en trouve cela lui sera considéré comme un cas de force majeure, de Oness ? Mais ce ne sont pas les mots du Ran. Les mots précis du Ran sont :
כל שאין לו חמץ ידוע ולא מקומות שהוא רגיל להמצא בהן לא חלה עליו מצות השבתה.
‘Toute situation où la personne n’a pas de ‘Hamets connu dans sa propriété, ni des endroits où elle a l’habitude d’y introduire du ‘Hamets, ne lui incombe pas l’obligation du verset d’annuler le ‘Hamets de sa propriété.’

Il nous semble pouvoir faire ressortir de manière éloquente de cette phrase du Ran la démarche suivante.
Nous avons appris du Noda Biyouda qu’il y a deux situations : une situation où selon les règles de la loi orale il m’est permis de faire telle ou telle chose, et une situation où je peux m’appuyer sur certains renseignements. Dans notre cas la personne a fait la recherche du ‘Hamets, il n’y a pas de problème, la personne a fait ce qu’elle avait à faire. Mais si elle trouve pendant la fête un beau gâteau qui lui a échappé, on ne peut pas dire qu’elle a fait la Bedika comme il se doit. Certes elle n’a pas laissé du ‘Hamets sciemment dans sa propriété mais nous pouvons néanmoins affirmer qu’elle a transgressé rétroactivement BéShoguèg, par inadvertance l’interdit de posséder du ‘Hamets. Le Ran s’oppose à cela et dit que, structurellement, selon les analyses habituelles des interdits de la Torah, il serait d’accord avec le Tour. Mais ici au sujet du ‘Hamets, tout autre chose est visé. Ce n’est pas le ‘Hamets le problème mais ma volonté de me débarrasser de lui. Selon le Tour la Torah m’enjoint de ne pas posséder du ‘Hamets pendant Pessa’h. Selon le Ran la Torah m’enjoint de rompre avec le ‘Hamets et de m’en déposséder, là est le problème.

IX. Développements à partir du débat entre le Tour au nom de son frère Rabbi Yehiel et les autres Rishonim. Introduction à la problématique.

Nous avons, grâce à D., mis en exergue le débat de fond sous-jacent entre le Tour au nom de son frère Rabbi Yehiel et les autres Rishonim.
Le cas révélateur du débat est celui de quelqu’un qui trouve du ‘Hamets le jour de Yom Tov, où la question se pose : qu’en faire ? Le détruire ? Le brûler ? Ou bien attendre la fin de la fête pour le brûler ?
Bien que le passage de la Guemara qui aborde cette question soit simple et paraisse sans aucune ambiguïté, les commentateurs feront feu de tout bois pour l’interroger.

Abordons le texte (Pessa’him 6a, פסחים דף ו’ עמוד א’).
אמר רבי יהודה אמר רב המוצא חמץ בביתו ביום טוב כופה עליו את הכלי. אמר רבא אם של הקדש אינו צריך מאי טעמא מיבדיל בדילי אינשי מיניה.
‘Rav Yéhouda dit au nom de Rav : la personne qui trouve pendant la fête du ‘Hamets dans sa maison doit mettre sur ce morceau de ‘Hamets un récipient à l’envers. Rava dit : si c’est du ‘Hamets de Hékdèsh, voué au Temple, ce n’est pas nécessaire. Pour quelle raison ? Même durant l’année les gens ont l’habitude de s’en éloigner.’

Cet enseignement nous soulève une importante question : s’il trouve du ‘Hamets durant le jour de Yom Tov, le jour de fête, pourquoi ne détruirait-il pas ce ‘Hamets ? Pourquoi le garder alors que la Torah nous enjoint de nous en débarrasser ?
Rashi explique :
‘Il renverse sur lui un récipient, en effet ce ‘Hamets est Mouksé, et il n’est donc pas possible de le déplacer et de le sortir. Cependant il ne transgresse pas « tu n’en verras pas » car il l’a annulé dans son cœur depuis la veille comme cela nous sera enseigné plus loin en nous disant que celui qui a effectué la recherche du ‘Hamets doit faire l’annulation. Il devra donc renverser un récipient sur ce morceau de ‘Hamets de peur qu’il oublie et le mange.’

Un morceau de ‘Hamets n’a aucune utilité les jours de Yom Tov de Pessa’h. De ce fait s’il reste du ‘Hamets il sera Mouksé, c’est-à-dire interdit (rabbiniquement) d’être déplacé. Rashi nous dit que cet enseignement de Rav Yéhouda au nom de Rav est à mettre en relation avec un autre enseignement de ces protagonistes dans la suite de la Guemara où ils nous disent qu’après la recherche du ‘Hamets il faut faire le Bitoul (comme nous l’avons vu plus haut de manière détaillée). Comme le Bitoul a été effectué le propriétaire de ce ‘Hamets ne transgresse plus l’interdit de « tu n’en verras pas ». Il ressort de ce commentaire de Rashi que s’il n’avait pas effectué le Bitoul il lui serait alors permis de se débarrasser de ce morceau de ‘Hamets quand bien même est-il Mouksé car alors il serait confronté à l’interdit de « tu n’en verras pas ».

Rashi innove et explique que cet enseignement ne s’applique qu’à quelqu’un qui a effectué le Bitoul au préalable. N’étant pas confronté à l’interdit de ne pas voir de ‘Hamets, le problème en présence sera alors le risque d’oublier que c’est Pessa’h et que l’on vienne à en manger. Par contre s’il n’a pas effectué le Bitoul il aura, même durant la fête, l’obligation de détruire ce ‘Hamets (ce qui est étonnant par rapport à la lecture simple de la Guemara). Il ressort de l’ensemble des commentateurs de Rashi qu’il serait même permis dans ce cas de brûler le ‘Hamets pour accomplir l’obligation de détruire le ‘Hamets comme il se doit. Cette permission de brûler le ‘Hamets est basée sur la notion de Mitokh.

La Torah nous enjoint (Shemot 12,16) de ne pas faire de travaux les jours de Yom Tov de la même manière qu’il nous est interdit de faire des travaux le jour de Shabbat. Néanmoins le verset dit que ce qui est nécessaire pour le Okhel Néfèsh est permis les jours de Yom Tov. Okhel Néfèsh signifie ‘ce qui est nécessaire pour se nourrir’ [8]. Mais nos Maîtres nous enseignent (Traité Bétsa 12b, Ketoubot 7a, Pessa’him 5b) que selon l’école d’Hillel, une fois que tel travail est permis pour la nécessité de se nourrir il sera aussi permis même pour une nécessité autre que se nourrir [9].
Il ressort du commentaire de Rashi que s’il n’a pas effectué le Bitoul et qu’il trouve pendant Pessa’h un morceau de ‘Hamets à partir de ce moment s’il ne détruit pas le ‘Hamets il transgresse l’interdit d’en posséder, accomplir le commandement de le détruire sera considéré comme un besoin de la fête et il lui sera dès lors permis de le brûler.

X. Démarche de Rambam Hilkhot ‘Hamets OuMatsa chapitre trois Halakha 8.

Rambam [10] a une toute autre lecture de la Guemara de Pessa’him 6a que Rashi.

אם לא בטל קודם שש ומשש שעות ולמעלה מצא חמץ שהיה דעתו עליו והיה בלבו ושכחו בשעת הביעור ולא בערו הרי זה עבר על לא יראה ולא ימצא שהרי לא ביער ולא ביטל. וחייב לבערו בכל עת שימצאנו. ואם מצאו ביום טוב כופה עליו כלי עד לערב ומבערו.
‘S’il n’a pas effectué le Bitoul avant six heures saisonnières et qu’il ait trouvé après six heures du ‘Hamets dont il avait connaissance et auquel il portait un intérêt et qu’il l’ait oublié au moment de la destruction du ‘Hamets, il se trouve alors transgresser ne pas en voir et ne pas en trouver car il ne l’a pas détruit et ne l’a pas annulé.
Il aura dès lors l’obligation de le détruire dès que le trouvera.
Et s’il le trouve durant le jour de Yom Tov il renverse sur ce morceau trouvé de ‘Hamets un récipient de manière à ce que le soir il puisse le détruire.’

Deux points principaux ressortent de cette Halakha de Rambam.
Premièrement il y a une discussion entre le Ran que nous avons rapporté au début de cette étude (paragraphe I.) et cette Halakha de Rambam.

Le Ran dit que dans les endroits où il a l’habitude d’introduire du ‘Hamets durant l’année il a l’obligation d’après la Torah de le rechercher et de le détruire. Rambam dit que l’interdit de voir et de trouver du ‘Hamets ne s’applique d’après la Torah qu’à un ‘Hamets précis que j’avais répertorié et dont j’avais pris connaissance de manière précise.

Deuxièmement, Rambam dit que s’il a oublié de détruire ou d’annuler un tel ‘Hamets (précis et défini) et qu’il le trouve durant Pessa’h il aura transgressé les interdits car, dit-il, ‘il ne l’a pas détruit et ne l’a pas annulé’. Pourquoi Rambam ne dit-il pas plus simplement : il aura transgressé les interdits car il aura possédé du ‘Hamets ?
De plus, Rambam rapporte la Guemara de Pessa’him 6a mais contrairement à Rashi il ne spécifie pas que l’enseignement de Rav Yéhouda au nom de Rav s’appliquerait que dans le cas où la personne aurait au préalable effectué le Bitoul. Il ne précise rien. Et effectivement le Rav HaMaguid, le Maguid Mishné, remarque :
ודעת רבינו לפי הנראה לפרשה אפילו בלא ביטול ואף על פי כן אינו יכול לשרפו ביום טוב ולא לפררו ולזרותו לרוח.
‘L’opinion de Rambam de toute apparence est qu’il explique l’enseignement même s’il n’a pas effectué de Bitoul. Et d’après cela malgré tout s’il trouve ce ‘Hamets durant Pessa’h il ne lui sera pas autorisé à le brûler à Yom Tov ni à l’émietter et à le jeter au vent.’

Rabbi Yossef Caro dans le Késsèf Mishné interroge cette Halakha de Rambam : mais s’il n’a pas effectué le Bitoul, pourquoi n’y aurait-il pas une nécessité de Yom Tov de se débarrasser de ce ‘Hamets, ou tout au moins une nécessité de Mistva ?
Il propose plusieurs réponses à cette question. Il rapporte la démarche de Tossefot dans le Traité Ketoubot 7a (דה »מ מתוך שהותרה לצורך) qui répondent que même s’il n’a pas annulé le ‘Hamets avant Pessa’h, quand bien même serait-ce permis de brûler ce ‘Hamets durant Yom Tov en vertu du principe de Mitokh, néanmoins nos Maîtres l’interdiront car il est interdit de déplacer ce morceau de ‘Hamets du fait de l’interdit rabbinique de Mouksé.
Rabbi Yossef Caro demande :
‘Mais comment à titre d’un interdit rabbinique de ne pas déplacer quelque chose dont on n’a pas d’utilité le jour de fête laisserions-nous cette personne transgresser l’interdit de voir et de trouver chez soi du ‘Hamets à Pessa’h ?’
Il répond (avec quelques-uns de nos ajouts):
‘Il faut dire premièrement que les Maîtres ont donné une force particulière à leurs interdits (rabbiniques).
De plus pour le brûler il faut le déplacer et par cela j’agis de manière active, tandis que la transgression (de ne pas en voir et de ne pas en trouver) s’effectue de manière passive.
[En effet la démarche de Rambam est que si quelqu’un a gardé sciemment du ‘Hamets pendant Pessa’h il n’est pas condamnable en pénal car il n’a pas opéré d’acte, comme nous l’avons vu plus haut (§21 de la première partie de ce texte). Comment peser les choses : est-ce plus répréhensible, transgresser activement un interdit rabbinique ou passivement un interdit de la Torah ? ]
De plus sa volonté est de détruire ce ‘Hamets, seulement les Sages lui ont interdit de le faire. Dans un tel cas il n’y a aucune transgression. La Torah ne parle de ne pas voir de ‘Hamets et de ne pas en trouver que lorsqu’il est dans sa capacité de le détruire et de s’en débarrasser. Dans un cas où il est dans l’impossibilité de détruire le ‘Hamets il n’y a pas d’interdit, or dans notre cas cela lui est impossible (car c’est Yom Tov et le ‘Hamets est Mouksé)’.

Rabbi Yossef Caro nous livre ici un grand secret quant à la lecture la plus plausible dans Rambam. Il fait ressortir de Rambam que lorsque la personne ne peut pas agir sur le ‘Hamets qui se trouve dans son domaine, comme ici où elle le trouve par hasard pendant la fête et que de ce fait le ‘Hamets est Mouksé, elle ne transgresse aucun interdit. Ce n’est pas que ma personne transgresse BéOness, dans l’impossibilité de faire autrement, mais que cela s’appelle somme toute transgresser. Non, il ressort de Rambam que cela ne s’appelle pas transgresser du tout et, de ce fait, il met sur ce morceau un récipient pour signifier qu’il y a du ‘Hamets et qu’il n’oublie pas qu’il est interdit d’en manger, mais il n’y touche pas.
Nous pouvons affirmer de l’ensemble de ces remarques que pour Rambam lorsque la Guemara nous enseigne que celui qui trouve du ‘Hamets à Pessa’h y renverse dessus un ustensile elle nous signifie par cela que l’interdit de voir et de trouver du ‘Hamets à Pessa’h consiste à s’écarter du ‘Hamets et non à ce que l’on n’ait pas du ‘Hamets chez soi.

Forts de cette analyse de Rambam nous pouvons maintenant aborder le commentaire de Rabbi Ye’hiel le frère de Rabbénou le Tour dans le Tour chapitre 446. Comme nous l’avons vu au premier paragraphe de cette étude Rabbi Ye’hiel dit que, s’il n’a pas effectué auparavant le Bitoul, il y a une nécessité du jour de fête de détruire ce ‘Hamets car il est en train de transgresser sciemment ou non sciemment l’interdit de posséder du ‘Hamets et qu’il s’impose donc de le détruire. Il est clair que Rabbi Ye’hiel considère que l’interdit réside dans le fait que du ‘Hamets se trouve dans mon domaine.
Rabbi Yossef Caro, dans le Shoul’han Aroukh chapitre 446,§1 (שולחן ערוך אורח חיים סימן שמ »ו סעיף א’) tranche comme la simplicité de la Guemara que dans tout cas de figure, même dans le cas où il n’a pas effectué de Bitoul au préalable, il n’a pas le droit Yom Tov de brûler le ‘Hamets qu’il aurait trouvé [11].

Il nous semble que de l’ensemble de notre étude présente nous pouvons trancher une grande question posée par les Maîtres des dernières générations.

XI. Une incidence pratique que notre analyse permet de trancher.

Une personne habitant à Los Angeles possède un appartement à Jérusalem où se trouve du ’Hamets indubitablement. Le décalage horaire est de dix heures. Pratiquement on doit s’être débarrassé du ‘Hamets avant la fin de la cinquième heure saisonnière la veille de Pessa’h. Cette personne doit par exemple avoir vendu à un non-juif le ‘Hamets qu’elle possède à Jérusalem selon l’heure de l’endroit où se trouve le ‘Hamets, c’est-à-dire Jérusalem, ou bien selon l’heure où elle se trouve elle, c’est-à-dire dix heures plus tard à Los Angeles [12] ?
En d’autres termes, le commandement de Tashbitou, d’annuler le ‘Hamets de nos maisons, consiste-t-il à ce qu’il n’y ait plus de ‘Hamets dans ma maison ou bien en ce que je me débarrasse du ‘Hamets ? Selon la démarche de Rabbi Ye’hiel le frère du Tour on doit se référer à l’endroit où se trouve le ‘Hamets, selon la démarche du Ran et de Rambam on doit se référer à l’endroit où se trouve le propriétaire de ce ‘Hamets. Il ressort de l’ensemble de notre étude que la majorité des Rishonim penchent selon la seconde démarche.


[1] Remarque du Taz chapitre 434,§3, סימן של »ד סעיף קטן ג’.

[2] Cette hypothèse de la Guemara soulève un sérieux problème. En effet comment la Guemara peut-elle proposer que le Bitoul serait nécessaire pour ne pas transgresser l’interdit de posséder du ‘Hamets à cause des miettes qu’il ne pourrait ramasser, mais a priori l’interdit de posséder du ‘Hamets s’applique pour un volume de Kazaït de ‘Hamets comme on le voit dans la première Mishna du Traité Béitsa ? Voir le Sefat Emet.

[3] Langage sublime du Rambam. Effectivement on aurait pu imaginer que D. ait donné Sa loi aux hommes en leur disant : allez tiens, voilà Ma loi, cela vous apprendra à être des brutes et des êtres vils ! Rambam vient nous dire que les lois de la Torah viennent prendre en compte les créatures, les soutenir et les accompagner.

[4] Voir le commentaire du Maharsha sur Rashi.

[5] Chaque point que nous affirmons ici fait l’objet de développements très importants. Nous n’apportons ici que le strict nécessaire pour la compréhension de notre propos.

[6] Le Beit Yossef cite cette Teshouva et apporte quelques nuances selon la démarche de Rambam, mais cela sort du cadre de notre propos précis.

[7] En fait, ces questions sont celles de Rabbi Wolf Alaskar auxquelles Rav Yé’hezkel Landau s’attache de répondre.

[8] Nous ne rentrons pas ici dans le cœur de ces sujets vastes et fondamentaux. Nous n’apportons que le strict nécessaire à l’abord des discussions relatives à notre sujet de Pessa’h.

[9] Voir le Biour Halakha chapitre 518 sur le premier paragraphe du Shoulkhan Aroukh s’il est nécessaire d’après la Torah qu’il y ait dans cette activité une nécessité liée à Yom Tov.

[10] Il y a sur notre Guemara des lectures très diversifiées dans les Rishonim, voir Tossefot Ketoubot 7a (דה »מ מתוך שהותרה לצורך), Rithva sur Pessa’him 5b (דה »מ וש »מ לא אמרינן מתוך).

[11] Certes le Mishna Beroura au paragraphe cite les avis contradictoires permettant de brûler le ‘Hamets s’il n’a pas été annulé au préalable. Néanmoins il conclut que la coutume suit l’avis du Shoul’han Aroukh.

[12] Cette question est abordée dans le septième tome du Beer Moshé de Rabbi Moshé Stern, Rav de Debrecen, page 242. Il cite Rav Koppel Reich de Budapest qui a été un des premiers à aborder cette question.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Qu’est-ce que le ‘Hamets ?”

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