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Parashat Vayakel : La construction de l’homme

par: Akiva Cwajgenbaum

Publié le 2 Mars 2016

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Betzalel 

La parasha Vayakhel relate la construction du Mishkan (Tabernacle) par les enfants d’Israël conformément aux indications détaillées dans les parashiot précédentes.

Betzalel, de la tribu de Yehouda, est le maître d’œuvre de cette construction à la fois imposante et extrêmement minutieuse et son nom est  mentionné à maintes reprises dans la parasha : Exode 35-30, 36-1, 37-1. De plus, les nombreuses occurrences du verbe « vayaass » (et il fît) se réfèrent à lui, ce qui souligne son rôle de cheville ouvrière dans la construction du Mishkan.

On pourrait s’interroger sur les raisons du choix – d’origine divine – de cet homme pour mener à bien une telle entreprise nécessitant des compétences dans des domaines aussi variés que l’ébénisterie, l’orfèvrerie, la menuiserie, la tannerie, etc …

            On se dit qu’un tel bâtisseur avait certainement dû gagner ses galons en Égypte et devait sans doute déjà avoir à son actif la construction d’un certain nombre de pyramides et autres édifices de style « pharaonique »…

Age de Betzalel

Or, la Guemara, dans le traité Sanhédrin 59b, nous révèle que cet architecte hors du commun  ne devait pas avoir beaucoup de poil au menton et que le temps où il courait dans les rues de Goshen en culottes courtes n’était pas si lointain puisque lorsqu’il construisit le Mishkan, Betzalel n’était âgé que de 13 ans !

La Guemara le déduit du verset suivant de notre parasha (Shemot 36-4) :

וַיָּבֹאוּ, כָּל-הַחֲכָמִים, הָעֹשִׂים, אֵת כָּל-מְלֶאכֶת הַקֹּדֶשׁ–אִישׁ-אִישׁ מִמְּלַאכְתּוֹ, אֲשֶׁר-הֵמָּה עֹשִׂים

« Et ils vinrent, tous les sages qui œuvraient à la construction du sanctuaire, chaque homme qui œuvrait à sa tâche. »

Ce verset utilise le mot « ish » (homme) à propos de tous ceux qui participent à la construction du Mishkan, ce qui inclut bien évidemment Betzalel. C’est donc que celui-ci devait avoir au moins l’âge à partir duquel un garçon est appelé « homme », c’est-à-dire l’âge de la bar-mitsva, soit 13 ans.

Mais qu’est-ce qui pousse alors la Guemara à en déduire que si Betzalel avait au moins 13 ans, alors c’est qu’il avait très exactement 13 ans ?

De jeunes papas 

Les circonstances qui amènent la Guemara à formuler cette hypothèse sont elles-même pour le moins intrigantes :

La Guemara s’interroge sur l’âge à partir duquel un rapport intime effectué par un jeune garçon est considéré par la Halakha comme un véritable rapport intime avec toutes les conséquences qui en découlent du point de vue halakhique. Il y a consensus entre les Rabbins du Talmud pour dire que c’en est un si le garçon a au moins 9 ans, mais pas s’il a moins de 8 ans. Il y a désaccord lorsque le garçon a entre 8 et 9 ans, les maîtres de l’école de Shamaï disent que oui, il s’agit d’un véritable rapport intime et ceux de l’école d’Hillel disent que non.

Quelle est l’origine de ce désaccord ? La Guemara explique que dans les anciennes générations, les garçons pouvaient enfanter à partir de 8 ans et même si tel n’est plus le cas à l’époque de leur discussion, Beit Shamaï s’appuient sur cette possibilité tandis que Beit Hillel ne prennent en considération que les propriétés physiologiques des garçons de leur époque.

Mais d’où apprend-on que les garçons pouvaient enfanter dès l’âge de 8 ans ? La Guemara propose, après plusieurs tentatives infructueuses, de le déduire du père, du grand-père et de l’arrière grand-père de Betzalel.

מהכא (שמות לח) ובצלאל בן אורי בן חור למטה יהודה וכתיב (דברי הימים א ב) ותמת עזובה  ויקח לו כלב את אפרת ותלד לו את חור וכי עבד בצלאל משכן בר כמה הוי בר תליסר דכתיב (שמות לו) איש איש ממלאכתו אשר המה עושים ותניא שנה ראשונה עשה משה משכן שניה הקים משכן ושלח מרגלים וכתיב (יהושוע יד) בן ארבעים שנה אנכי בשלח משה עבד ה’ וגו’ ועתה הנה אנכי היום בן חמש ושמנים שנה כמה הויא להו ארבעין דל ארביסר דהוה בצלאל פשא להו עשרים ושית דל תרתי שני דתלתא עיבורי אשתכח דכל חד וחד בתמני אוליד:

On l’apprend d’ici : (Shemot 38) « Et Betzalel, fils de Ouri, fils de H’our, de la tribu de Yehouda » et il est écrit (Chroniques 1 2) « Et Azouva (femme de Calev) mourut, et Calev prit pour femme Efrat, qui engendra H’our » et lorsque Betzalel fit le Mishkan, quel âge avait-il ? 13 ans car il est écrit : (Shemot 36) « chaque homme qui œuvrait à sa tâche » et on enseigne : la première année, Moshé fit le Mishkan, la deuxième année, il érigea le Mishkan et il envoya les explorateurs et il est écrit (Josué 14) « J’avais 40 ans lorsque Moshé m’envoya … ». Quel âge avait-il : 40 ans, retire les 14 ans de Betzalel, il reste 26, retire 2 ans pour les 3 grossesses : tu trouves que chacun d’entre eux a enfanté à 8 ans.

La Guemara fait le calcul suivant : Lorsque Calev avait 40 ans, son arrière-petit-fils Betzalel, qui avait construit le Mishkan l’année précédente, était âgé d’au moins 14 ans : il y a donc au maximum 26 ans qui séparent Calev de Betzalel.

De ces 26 années, il faut retirer le temps correspondant aux grossesses des épouses respectives de Calev, H’our et Ouri, ce qui fait 27 mois, c’est-à-dire 2 ans en arrondissant.

Restent 24 ans, qui divisés par 3 donnent 8 ans.

Il s’ensuit de ces savants calculs que pour que Calev puisse avoir 40 ans et son arrière-petit-fils Betzalel 14 ans au même moment, Calev a dû avoir un rapport intime fécond avec son épouse alors qu’il avait tout juste huit ans, puis que H’our qui naît de cette union, 8 ans plus tard, fasse exactement la même chose à son tour avec sa propre épouse à l’âge de 8 ans également, puis que Ouri, qui naît de cette union, lui aussi devienne père à l’âge de 8 ans.

Passage énigmatique, s’il en est !

La Guemara, comme à son habitude, nous livre ces éléments de manière abrupte sans nous donner de clé d’interprétation.

Quelques pistes

Sans prétendre donner le fin mot de ce passage, quelques pistes d’interprétation de ce texte :

Tout d’abord, cette prodigieuse fécondité des hommes de la génération de la sortie d’Égypte rappelle celle des femmes, comme l’enseigne le Midrash Raba, rapporté par Rashi au tout début du livre de Shemot (Shemot 1-7) : A chaque grossesse, chaque femme donnait naissance à des sextuplés.

En conséquence, en l’espace de 210 ans, la famille composée de Yaakov et de ses fils passent de quelques dizaines d’individus à un peuple qui compte plusieurs millions de personnes au moment de la sortie d’Égypte puisque le nombre de 600 000 ne prend en considération que les hommes adultes âgés entre 20 et 60 ans.

Tout se passe comme si, une fois la problématique du livre de Bereshit résolue, à savoir l’instauration d’une relation de fraternité entre les frères, ce groupe d’hommes et de femmes issues des patriarches Avraham, Itzhak et Yaakov, était animé d’une prodigieuse force vitale qui le faisait passer presque sans transition du statut de famille au statut de peuple, afin de réactualiser la même problématique mais à l’échelle d’une nation cette fois-ci.

Deuxième point : le lien entre le refus de Calev de s’associer à l’entreprise de dénigrement des explorateurs et la construction du Mishkan par Betzalel.

D’après la chronologie, la construction du Mishkan précède l’épisode des explorateurs. On peut penser cependant que Calev cultivait déjà auparavant ce trait de caractère qui le faisait rester droit dans ses sandales et n’accepter aucune compromission.

Les Sages du Talmud le disent de la manière suivante : Pourquoi, Calev est-il appelé « fils de Yefouné » ? C’est parce qu’il s’est détourné (pana) du rapport fait par les explorateurs (Sota 11b).

Son propre fils d’ailleurs, H’our, refusera de céder aux pressions du peuple contrairement à Aharon lors du l’épisode du veau d’or et le paiera de sa vie.

On peut penser que c’est cette faculté de rester à part, de résister à l’air du temps, qui va donner naissance trois générations plus tard à quelqu’un qui pourra construire un Mishkan, c’est-à-dire un lieu de Kedousha, de sainteté, c’est-à-dire un lieu de séparation radicale.

Réciproquement, le fait d’avoir vu son arrière-petit-fils construire le Mishkan quelques mois auparavant a dû renforcer Calev dans la fermeté de ses convictions et lui donner la force de résister aux explorateurs.

Une équation mathématique

Troisième point : Replaçons la Guemara citée plus haut dans son contexte. Cette Guemara est extraite du huitième chapitre de Sanhédrin qui traite des lois du Ben Sorer Oumoré, le fils rebelle (Dvarim 21).        

Tout le début de ce chapitre est consacré à délimiter l’intervalle de temps pendant lequel peuvent s’appliquer les lois du Ben Sorer Oumoré.

D’une analyse détaillée des versets, la Guemara déduit que c’est uniquement entre 13 ans et 13 ans et 3 mois qu’un jeune homme peut être qualifié de Ben Sorer Oumoré, soit le moment du passage entre le statut de « ben » (fils) au statut de « ish » (homme).

On peut remarquer que la notion d’adolescence, cet âge de transition entre le monde de l’enfance et le monde de l’adulte, qui fait l’objet de tant de sollicitude dans notre société actuelle, n’existe pas dans la Torah et que d’un point de vue halakhique, on bascule directement du statut de « katan » à celui de « ish ».

Peut-être que ce petit laps de temps de trois mois au cours desquels un garçon peut (théoriquement) devenir Ben Sorer Oumoré témoigne-t-il des désordres psychiques que peut occasionner ce passage soudain de l’enfance à l’âge d’homme ?

La Guemara, dans le huitième chapitre de Sanhedrin, va définir justement ce statut de « ish » (homme) comme celui de quelqu’un qui est capable d’enfanter.

Nous avons vu que de l’emploi de ce même mot « ish », la Guemara apprenait que Betzalel était âgé d’au moins 13 ans.

Une question se pose alors, elle est d’ailleurs posée par les Tossaphistes :

(סנהדרין סט.   ד »ה בידוע )

Il est contradictoire de partir du mot « ish » appliqué à Betzalel, c’est-à-dire capable d’enfanter,  donc âgé de 13 ans pour en déduire que le père, le grand-père et l’arrière grand-père de Betzalel ont enfanté à 8 ans.

Mais si on part du résultat que l’on souhaite établir, à savoir qu’à 8 ans on peut enfanter et que donc Betzalel avait au moins 8 ans lorsqu’il construisit le Mishkan, il se trouve alors que Calev et Betzalel avaient 31 ans d’écart et, en retirant les 2 années de grossesses des trois épouses, on obtient que Calev, H’our et Ouri avaient 9 ans et 2/3 au moins lorsqu’ils ont enfanté.

Et par conséquent, on ne peut plus déduire que les enfants de cette époque enfantaient à 8 ans et donc que Betzalel avait au moins 8 ans et le raisonnement semble tourner sur lui-même indéfiniment.

Il est en fait possible de résoudre mathématiquement ce problème :

Notons x l’âge auquel un garçon de cette époque pouvait enfanter (au sens d’avoir un rapport intime fécond) et reprenons l’hypothèse de la Guemara : est appelé « ish » (homme) quelqu’un qui peut avoir des enfants, donc qui est âgé d’au moins x années.

Betzalel est donc âgé de x ans lorsqu’il construit le Mishkan. Il a par conséquent x+1 ans, la deuxième année, lorsque son arrière grand-père, Calev, part avec les 11 autres explorateurs. Or, nous savons que Calev avait 40 ans à ce moment-là. Il y a donc un écart de 39 – x ans entre Calev et Betzalel.

Supposons que Calev, H’our et Ouri aient enfanté chacun à l’âge de x ans, et si l’on rajoute les 2 années des trois grossesses, nous obtenons l’équation suivante :

 39 – x = 3 x + 2

qui se résout en x = 37/4, soit x = 9 ans et 3 mois.

Cette équation mathématique, pour séduisante qu’elle soit, n’est posée par aucun des  commentateurs que nous avons pu consulter.

Au contraire, le Maharam (Rabbi Méir de Lublin 1558-1616) constatant que selon l’hypothèse que l’on fait sur l’âge de Betzalel, on aboutit à des conclusions différentes sur l’âge auquel ont enfanté Calev, H’our et Ouri, dit qu’on ne peut que s’appuyer sur la définition « contemporaine » du mot « ish », et donc supposer que Betzalel avait bien 13 ans au moment de la construction du Mishkan.

Il ressort cependant de cette discussion la mise en parallèle de l’utilisation du mot « ish » tantôt pour l’appliquer à celui qui a construit le Mishkan, tantôt pour qualifier quelqu’un capable d’enfanter.

Le Malbim (Rabbi Méir Leibush 1809-1879) développe l’analogie entre la structure du Mishkan et du Beth Hamikdash d’un côté et celle du corps humain de l’autre.

On pourrait prolonger ce parallèle et proposer cette définition de l’homme : quelqu’un capable de donner la vie et/ou quelqu’un capable de construire le Mishkan.

Dans les deux cas, il s’agit de répéter – toutes proportions gardées –  le geste créateur du Créateur :

En effet, d’une part, construire le Mishkan, aménager un lieu pour la Shekhina (présence divine), est d’une certaine manière, une « répétition » du Maassé Bereshit, l’œuvre de la création, qui consiste à  créer et aménager un lieu dans lequel l’homme pourra vivre et d’autre part, enfanter, donner naissance à un nouvel être est lui aussi une « répétition » de la création d’Adam, le premier homme.

Le point commun entre ces deux gestes, c’est la capacité de faire advenir un lieu ou un être porteur d’une altérité radicale.

Bar-Mitsva

Comme mentionné plus haut, la Guemara de Sanhedrin pose l’équivalence entre le passage au statut de « ish » et la capacité de procréer, et si l’on s’en tient au  développement physiologique des jeunes garçons tel que nous le connaissons et tel que le connaissaient les Sages du Talmud, l’âge de ce passage est fixé à 13 ans.

Cette accession au statut de « ish » s’accompagne de toute une série de devoirs.

En d’autres termes, le jeune homme devient Bar-Mitsva.

Y-a-t-il des sources textuelles qui justifient le fait qu’on devienne Bar-Mitsva à 13 ans ?

Selon certains commentateurs (Rosh, Maharil), c’est une tradition orale qui date du Sinaï : (Halakha LeMoshé Misinaï).

Selon Rashi (Nazir 29b), on le déduit de ce qu’au moment de l’épisode de Dina, quand Shimon et Levi vont à Shkhem pour venger leur sœur, le verset (Bereshit 34-25) qualifie les deux frères de « ish » alors que Levi, au moment des faits, n’est âgé que de 13 ans.

Il est intéressant de remarquer que nous avons là une définition exactement inverse de celle que nous avions dans Sanhedrin : ici est appelé « ish »  quelqu’un qui a la capacité de prendre les armes pour passer toute une ville au fil de l’épée.

En conclusion, être un « ish » – d’aucuns diraient : être un Mensch – c’est pourrait-on dire accéder à la possibilité de donner la mort ou de donner la vie, de détruire ou de construire, de se construire en construisant le Mishkan.

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