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Parashat Tétsavé : les pierres du souvenir. De quel souvenir ? par Rav Jacques Ackerman

par: Jaqui Ackermann

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Parashat Tétsavé : les pierres du souvenir. De quel souvenir ? par Rav Jacques Ackerman

 

Parmi les habits du grand-prêtre, figure le pectoral, sur lequel sont cousues des montures en or, dans lesquelles sont serties douze pierres semi-précieuses. Sur ces pierres sont gravés les noms des douze tribus. Elles constituent un souvenir pour les fils d’Israël (chapitre 28 verset 29). Le pectoral est, quant à lui, soutenu par une sorte de tablier appelé éphod. Ce dernier possède des bretelles. Celles-ci sont aussi habillées, en leur partie haute, de deux pierres également enchâssées, à droite et à gauche sur les épaules. Sur chacune de celles-là sont gravés les noms de six tribus (idem verset 12). Et il est dit également qu’elles constituent un souvenir.

La question qui se pose est double. Que peut signifier « se souvenir » dans ce contexte : est-ce D. qui doit se souvenir ? Pourquoi et de quoi ? Et, deuxième question, pour quelle raison avoir deux sortes de pierres pour deux fonctions qui semblent identiques ?

D. n’a pas « besoin » de se souvenir.

Selon la tradition, la thora utilise notre langage, pour exprimer la conduite divine. Certaines règles du comportement divin sont définies selon le langage humain.

Le souvenir divin revient souvent dans le texte biblique : D. se souvient (ou non) de Son peuple ou des hommes (la fameuse prière du moussaf de roch hachana traite en partie de ce sujet). On peut, par exemple, mentionner que D. s’est souvenu de Noa’h et des animaux qu’il avait avec lui. Il s’est, par ailleurs, souvenu des hébreux qui étaient esclaves en Egypte, etc. Cela signifie que D. va réagir. Comme un homme qui se souvient de quelque chose et qui, de ce fait, va agir dans un sens ou dans un autre. Si le souvenir ne stimule pas, une quelconque action, une quelconque parole, il n’a pas vraiment de valeur. Certes on peut penser à quelqu’un, mais dans la réalité, il se peut qu’il n’y ait pas de changement. Se souvenir peut entraîner des émotions, des paroles. Pour D., le souvenir signifie la mise en route d’un processus, ou la prise d’une décision.

Il existe de nombreux facteurs qui peuvent bloquer la réaction divine. Certaines règles font que D. ne réagit que si un temps est arrivé, que si une situation se présente. Il faut quelques fois un catalyseur pour activer une réaction divine. D. « se souvient » signifie qu’il y a une possibilité d’agir, maintenant.

Se souvenir, dans quel but ?

Nous pouvons activer le « souvenir divin » en faveur d’individus, par exemple en faisant valoir les mérites de ces personnes, ou la valeur que D. leur accorde. Le but sera d’obtenir une action positive. Lorsqu’il est dit que les noms des tribus les rappellent au bon souvenir de D., cela signifie qu’un des avantages des habits du cohen gadol est que le rappel de ces personnes est plus actif. Le fait que leur nom soit gravé sur les pierres, entraîne un souvenir permanent. D. ne sera pas « freiné » par un certain nombre de considérations pour agir en leur faveur. Même si nous ne connaissons pas tous ces freins, nous savons qu’il en existe toujours (les prophètes, eux, les connaissaient bien). Il est donc toujours avantageux pour ces personnes que D. s’en souvienne. Il faut ajouter que le souvenir, si rien n’est précisé, est un souvenir favorable, positif, toujours dans le bon sens.

Pourquoi au temple ?

Le temple est l’endroit du rapprochement entre D. et Son peuple. Le cohen, en général, est l’homme du rapprochement. Le cohen gadol est l’homme qui représente ce rapprochement (tel Aharon, le champion bien connu du lien entre le peuple et son D. et du lien au sein du peuple même, mais ceci est un autre sujet…). Il est donc compréhensible que le cohen soit un artisan du souvenir, qu’il maintienne le lien, positif, entre D. et Son peuple. Cela est encore plus important pour le culte, pour lequel il est constamment dit dans le texte qu’il doit être agréé par D. Le souvenir est alors indispensable, afin que le lien entre D. et Son peuple soit au mieux. La fonction du grand-prêtre est de se faire représentant de cette proximité, de faire valoir la personnalité des tribus en tant que membres du peuple de D.. Ainsi le culte sera efficace, et le lien sera porté au maximum.

Pourquoi par des habits ?

Une des fonctions des habits du cohen gadol est la suivante. Les habits rehaussent la personne. Ils rendent compte d’une dignité. Le talmud dit que ces habits avaient un impact sur la moralité du peuple. Comme s’ils pouvaient limiter les mauvais comportements ou qu’ils pouvaient limiter l’impact des fautes, voire empêcher des fautes.

Il ne s’agit pas de magie. Les responsables du peuple avaient, et ont, un lien avec le peuple qui fait qu’il existe une relation d’influences. Un cohen gadol digne de ce nom avait des influences sur le peuple et pouvait l’élever. Non artificiellement mais parce que la concentration d’une spiritualité sur terre à partir d’une personne peut rayonner. Et réciproquement, cela n’est possible que si le peuple est au niveau de produire une telle personne. Les influences vont dans les deux sens. Ainsi les habits représentent le rayonnement de ce personnage, sa capacité à influencer.

Pourquoi en deux lieux ?

(On aurait peut-être pu également imaginer des noms sur la plaque gravée que le cohen guadol portait sur son front. Il y était écrit « consacré à D. » mais aucun nom d’homme n’y était mentionné. Selon le commentaire du Rachbam, cette inscription du fronteau se rapportait aux pierres : ces noms sont consacrés à D.)

Ces deux lieux font référence à deux places qu’occupent les tribus dans le fonctionnement du peuple. Chaque tribu possède sa propre valeur, indispensable à l’ensemble du peuple. La tradition est qu’une tribu ne peut disparaître. En d’autres termes, elle constitue un peuple à part, une entité. En ce sens-là, elles sont aussi centrales les unes que les autres, elles sont au cœur de ce corps. Par ailleurs, elles sont associées les unes aux autres, se nourrissent mutuellement. Elles forment les différents éléments du peuple, et en ces sens, elles sont englobées dans le peuple, elles n’ont d’existence qu’à travers la globalité (Pa’had Yits’hak Soukoth 48). Ainsi, on peut concevoir différentes formes d’associations entre tribus. Normalement, il faudrait une unité parfaite, mais comme chacune a son identité propre, il arrive que le peuple n’en soit pas encore à une association totale entre les tribus, malheureusement. Lors du fameux schisme, le royaume se divise en deux. Cela a altéré l’unité du pays, mais le concept du peuple tout entier sur sa terre ne l’a pas été. Des lois comme celle du jubilé n’ont pas été remises en cause, sous prétexte qu’il y avait deux rois. L’association des tribus était particulière, pas d’unité globale, mais la vie de chacune des tribus était préservée. Par contre, du moment où toutes les tribus, chacune pour elle-même, n’ont plus été en place, comme à partir du premier exil (celui du roi d’Assyrie qui exila les tribus de l’Est du Jourdain), la loi du jubilé a disparu.

On peut donc comprendre que les tribus rassemblées par six sur les épaules du cohen, représentent cette association. Il ne s’agit de possibilité technique, n’importe qui pourrait s’associer à n’importe qui. Il s’agit de donner un sens à cette association. Le cohen soutient cette action et la considère comme une entreprise spirituelle. Il donne vie, à travers les pierres du pectoral, au rôle de chaque tribu en tant qu’entité pour elle-même. Chacune, membre éternel d’un corps éternel. Et sur ces épaules, chaque tribu est une partie du peuple tout entier qui nourrit les autres et est nourri par les autres. Les épaules ne sont pas un lieu vital comme le cœur, mais elles sont le support des charges qu’on transporte. Il y a des poids que le peuple ne peut supporter que par association, que lorsqu’on se rassemble. Les commentateurs remarquent que les deux pierres des épaules sont de la matière appelée choham. La pierre de choham, sur le pectoral, est celle de Yossef. Yossef est le « rassembleur », par définition. Le représentant, en tant qu’ainé, de l’ensemble du peuple. Et Yossef est enterré à Chékhém, la ville qui d’après la tradition, lui a été donnée par Yaakov. Et en hébreu, cela signifie aussi « épaule ». Nous pouvons synthétiser en disant que les pierres sur les épaules caractérisent les tribus dans leur capacité à s’associer ensemble, les pierres du pectoral caractérisant les tribus dans leurs spécificités à chacune.

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