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Parashat Tetsavé – De l’odeur à l’esprit. par Madame Nathalie Bibas

par: Nathalie A

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Parashat Tetsavé – De l’odeur à l’esprit, par Madame Nathalie Bibas

Suite à une étude avec Madame Pnina Biton 

 

La parashat Tetsavé énonce les prescriptions relatives aux vêtements du Cohen Gadol et du Cohen « hediot » (simple). Cette parasha est également marquée par la description de « l’autel de l’encens » en fin de section. Curieusement, cette prescription est faite  séparément des autres ustensiles du Mishkan, le Aron Hakodesh, la table des pains  et la Menorah, déjà décrits dans la parasha de Terouma.

Dans la mesure où nous savons que tout mot employé par la Torah ainsi que l’ordre choisi ont un sens caché, il est pertinent de s’interroger sur les raisons du choix de cette place décalée pour la prescription de l’autel des encens.

 

L’autel d’encens et sa place dans l’ordre de fabrication des objets du sanctuaire

 

La  place insolite de cette prescription a déjà été relevée par plusieurs commentateurs, notamment Hizkouni, Ramban, Sforno et Ibn Ezra. Ce dernier relève ainsi  « Il y a lieu de se poser la question de savoir pourquoi la Torah a-t-elle donné la préséance à l’ordre de fabriquer l’Arche, laissant entendre que le texte commence par l’objet le plus respectable pour être suivi par celui de la table et du chandelier et du sanctuaire – et n’a-telle pas mentionné l’autel des encens ? »

On remarquera encore que l’autel d’encens n’est pas seulement le dernier objet de sainteté à fabriquer pour le sanctuaire[1] mais qu’en plus il est très éloigné du précédent objet présenté : l’autel des offrandes, fait de cuivre, dont l’ordre de fabrication a été donné à la fin de la parasha de Terouma (chap. 27, versets 1-8).

 

Pourtant et malgré cette distance dans le texte, la prescription de l’autel des encens fait bien partie de la parole initiale adressée par Hashem à Moshé au sujet de la fabrication du Mishkan et introduite au début du chapitre 25 par l’expression :

וידבר האל משה לאמר    

parole qui s’est poursuivie tout au long des parashiot Terouma et Tetsavé.

 

De la  place de l’autel des encens dans le Tabernacle

 

Pour comprendre les raisons de cette place décalée dans le texte tout en étant incluse  dans cette grande parole, il convient de rappeler que le culte de  l’encens ne dépend pas de l’autel destiné à cet effet. Et que si l’autel avait été déplacé, les encens pouvaient être brûlés à l’endroit même où devait se trouver l’autel. Cette déconnexion entre l’ustensile et le service n’a son pareil avec aucun autre objet du Mishkan : sans autel de cuivre, point d’offrandes, sans table pas de réalisation de la mitsva des pains de visage, sans Menorah, pas de possibilité de procéder à l’allumage.

Cette règle spécifique à l’autel des encens a été précisée par l’ordonnance de fabrication des aromates de la Ketoret dont les versets 34 à 38 (chapitre 30) ont ainsi été analysés par Rabbi Meïr Sim’ha de Dvinsk[2]

 

Rabbi Meïr Sim’ha de Dvinsk

Sache que malgré l’absence d’appui dans le Talmud, à la loi qui enseigne de procéder à la combustion des parfums à l’endroit où se trouve habituellement l’autel (même si celui-ci en est manquant puisque déplacé), il semble que cet enseignement se déduit de l’ordre de confection de l’huile pour le candélabre ainsi qu’il est écrit dans (Vayikra 24, 1-4) : « de te choisir une huile pure d’olives….afin d’alimenter les lampes en permanence……… C’est sur le candélabre d’or pur qu’il entretiendra ces lampes, alors que pour les encens dans la section de Ki Tissa il est dit : chap. 30, 36 : Tu le réduiras en poudre fine et tu en poseras devant le Statut, dans la Tente d’assignation, …. » sans mention de l’autel  par exemple : « tu la feras fumer sur l’autel » Ce qui indique que c’est le lieu inapproprié de la combustion qui pourrait invalider et pas l’autel.

רבי מאיר שמחה מדוינסק

דע דאף על גב דבגמרא לא נזכר מהיכן למד

 שמזבח שנעקר מקטירין במקומו נראה דיליף  דבשמן המאור כתיב בפרשת אמור (ויקרא כ »ד, א-ד) ‘ויקחו אליך שמן זית…להעלת נר תמיד…על המנרה הטהרה יערך את הנרת…’, וכאן בפרשת תשא כתיב גבי קטורת (שמות ל’, לו) ‘ושחקת ממנה הדק ונתת ממנה לפני העדת באהל מועד’ ולא זכר את המזבח לומר:’על המזבח יקטירנה’, לכן מורה לנו דרק מקומו מעכב, אבל המזבח לא מעכב, דאם נעקר מקטירין במקומו, וזה דיוק נכון.

 

Le rôle secondaire de l’autel d’encens selon Sforno…

 

Rav Ovadia Sforno accorde à l’autel des encens et au service du Ketoret une importance secondaire comparée aux autres objets et services du sanctuaire, notamment parce que la Menora et la table sont destinées à « faire résider Hashem parmi nous », ce qui n’est pas le cas de l’autel des encens.

 

30, 1 L’autel pour faire fumer les parfums

Cet autel n’est pas mentionné avec les autres objets dans parashat Terouma

1) car sa fabrication ne visait pas à faire résider D. parmi nous comme c’est le cas pour les autres objets pour lesquels il est explicitement dit (25, 8-9) : « Je résiderai au milieu d’eux conformément au modèle du Mishkan et de ses objets que Je te montre »

2) Sa fabrication ne visait pas non plus à  faire descendre la Gloire Divine dans la demeure comme c’est le cas pour les offrandes ainsi qu’il est dit : (29, 43) « Je me mettrai en rapport avec les Bné Israël là-bas, c’est en effet ce que Moshé confirme dans (Vayikra, 9, 6) « Ceci est la chose qu’a ordonnée l’Éternel; accomplissez-la, pour que vous apparaisse la gloire du Seigneur. »

L’autel des encens était là en fait pour témoigner du respect à D. après sa venue pour accepter avec bienveillance le service des offrandes de son peuple matin et soir et l’accueillir le matin avec l’offrande de l’encens dans l’esprit de ce qui est écrit dans Chroniques 16, 29 : Célébrez Sa gloire… Apportez des offrandes et présentez-vous devant Lui.

ל’, א מזבח מקטר קטרת:

לא הוזכר זה המזבח עם שאר הכלים

בפרשת תרומה

(1) כי לא הייתה הכוונה בו להשכין הא-ל יתברך בתוכנו, כמו שהיה העניין בשאר הכלים כאמרו (כ »ה, ח-ט) ‘ושכנתי בתוכם.ככל אשר אני מראה אותך את תבנית המשכן ואת תבנית כל כליו’.

(2)גם לא היה עניינו להוריד מראה כבודו בבית, כעניין מעשה הקרבנות, כאמרו (כ »ט, מג): »ונעדתי שמה לבני ישראל’, וכן העיד משה רבנו באמרו (ויקרא ט’, ו):’אשר צוה ה’ תעשו, וירא אליכם כבוד ה ». אבל היה עניין זה המזבח לכבד את הא-ל יתברך אחרי בואו לקבל ברצון עבודת עמו בקרבנות הבוקר והערב, ולשחר פניו במנחת קטורת, על דרך (דהי »א ט »ז, כט) ‘הבו לה’ כבוד שמו שאו מנחה ובאו לפניו’.

 

 

Cette explication est sans doute fondée sur le commentaire de Ibn Ezra sur Terouma (chap. 25, verset 22) évoquée au début « pourquoi l’autel des encens n’est-il pas mentionné ? car la Gloire divine ne quittant pas le lieu, l’arche symbolise le trône ; la table dressée avec le chandelier symbolisent la réception. »

La tente d’assignation et les objets qui s’y trouvent sont les symboles de l’accueil d’un invité prestigieux, suprême :  l’arche représente « le siège », la table et le chandelier sont des objets caractéristiques de la maison. En les plaçant dans la tente du Rendez-Vous,  on invite Hashem à venir résider parmi nous. Dans ce cadre, l’autel des parfums ne fait donc pas partie de la catégorie « mobiliers de la maison » servant à accueillir des princes.

 

La seconde différence établie par Sforno se fait par contraste avec le rôle de l’autel des offrandes :  selon lui, l’objectif des offrandes vise « à faire descendre Sa gloire dans la maison » afin de permettre  une rencontre active et dévoilée entre le divin et l’homme. Cette rencontre spectaculaire mais brève, est de nature différente de la présence discrète mais constante de Hashem parmi le peuple rendue possible par le Ohel Moed et ses objets.

 

L’autel des encens lui ne répond à aucun de ces deux objectifs. Il ne s’agit pas de favoriser une rencontre spectaculaire avec le divin, ni une présence discrète permanente, mais juste de rendre hommage à Hashem après sa venue.

 

Tout comme la fumigation à la fin d’un repas humain, le Ketoret ne représentait ainsi qu’un supplément arrivant après l’essentiel. C’est la raison pour laquelle la section qui ordonne la fabrication de l’autel et des parfums ne fait pas partie de l’essentiel des ordres de fabrication du sanctuaire et se trouve en annexe de cet ordre principal.

 

Il semble que Sforno se réfère à l’usage de fumigation d’encens à la fin des repas de réception pour des sommités. Mais ceci amène à la conclusion temporaire que ni l’autel d’or ni le service de l’encens ne servent l’objectif double du Mishkan…

 

 

… Néanmoins associé à une fonction essentielle

 

Tous ces commentaires minimisant le rôle de l’autel des encens sont toutefois contredits par d’autres qui lui assignent une fonction essentielle

 

De par le lien avec le Aron Hakodesh

 

Ibn Ezra fait ainsi  remarquer le caractère prééminent de cet objet sur les autres, dans le sanctuaire « L’autel des encens est plus haut que la table d’une demi-coudée, cette dernière était peut-être plus élevée que la Menorah dont la hauteur n’est pas mentionnée. L’autel des encens était en correspondance avec les chérubins qui déployaient leurs ailes vers le haut »

Ibn Ezra fait ainsi allusion à une correspondance entre l’autel des encens et l’arche : La hauteur de l’arche était aussi d’une coudée et demie (chap. 25, v.11) mais elle était surmontée de chérubins déployant leurs ailes vers le haut. L’emplacement de l’autel des encens était « לפני הכפרת אשר על העדת – devant le couvercle qui est sur le Témoignage »  il ressort donc que la hauteur du déploiement des ailes des chérubins correspondait à celle de l’autel.

 

Les mots qui marquent la fin du passage de l’autel des encens (chapitre 30, v. 10) sont :  » ‘קדש קדשים הוא לה  » alors que quelques versets auparavant, au sujet de l’autel de l’offrande journalière (chapitre 29, v. 37), le texte précise :  » והיה המזבח קדש קדשים  » ce que Ibn Ezra analyse ainsi : « La raison de la désignation de l’autel des parfums comme étant éminemment SAINT pour Hashem est la volonté de distinguer entre les deux autels. L’autel des offrandes est éminemment saint tandis que l’autel de l’encens du fait de son importance est éminemment saint pour Hashem ». Il vient de suite après l’Arche, aucun autre objet ne peut l’égaler.

De ces deux commentaires se dégage une correspondance entre l’arche et l’autel des encens, soulignant le lien particulier entre eux : l’emplacement, la hauteur et l’importance.

 

De par la mitsva des encens proprement dite

 

Sur la mitsva des encens,  le  Midrash Tanhouma[3] précise que les encens servaient à  donner une odeur. Toutefois, l’expression  » ריח ניחוח « , odeur agréable, qui revient des dizaines de fois dans la Torah est toujours en rapport avec les sacrifices  mais jamais avec l’encens.

En fait, la  raison du Ketoret est explicitée dans un autre texte de la Torah, celle concernant le  service du Cohen Gadol le jour de Kippour.[4]

 

2 Et Hashem  dit à Moshé : « Signifie à Aaron, ton frère, qu’Il ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire, dans l’enceinte du voile, devant le propitiatoire qui est sur l’arche, s’il ne veut encourir la mort; car je me manifeste, dans un nuage, au-dessus du propitiatoire. ב וַיֹּאמֶר ה’ אֶל-מֹשֶׁה, דַּבֵּר אֶל-אַהֲרֹן אָחִיךָ, וְאַל-יָבֹא בְכָל-עֵת אֶל-הַקֹּדֶשׁ, מִבֵּית לַפָּרֹכֶת–אֶל-פְּנֵי הַכַּפֹּרֶת אֲשֶׁר עַל-הָאָרֹן, וְלֹא יָמוּת, כִּי בֶּעָנָן, אֵרָאֶה עַל-הַכַּפֹּרֶת.

 

Le « nuage » dont il est question ici ne se réfère pas à la nuée de D. – qui recouvrit le sanctuaire le jour de son inauguration – mais au nuage dégagé par la combustion des parfums que le Cohen Gadol fait fumer dans le Saint des Saints le jour de Kippour (Vayikra, 16, versets 12 et 13)

 

12 Il remplira l’encensoir de charbons ardents, pris sur l’autel qui est devant le Seigneur; prendra deux pleines poignées d’aromates pilés menu, et introduira le tout dans l’enceinte du voile.

13 Il jettera le fumigatoire sur le feu, devant le Seigneur, de sorte que le nuage aromatique enveloppe le propitiatoire qui abrite le Statut, et qu’il ne meure point.

יב וְלָקַח מְלֹא-הַמַּחְתָּה גַּחֲלֵי-אֵשׁ מֵעַל הַמִּזְבֵּחַ, מִלִּפְנֵי ה’, וּמְלֹא חָפְנָיו, קְטֹרֶת סַמִּים דַּקָּה; וְהֵבִיא, מִבֵּית לַפָּרֹכֶת.

יג וְנָתַן אֶת-הַקְּטֹרֶת עַל-הָאֵשׁ, לִפְנֵי ה’; וְכִסָּה עֲנַן הַקְּטֹרֶת, אֶת-הַכַּפֹּרֶת אֲשֶׁר עַל-הָעֵדוּת–וְלֹא יָמוּת.

 

A l’instar du Cohen Gadol qui devait couvrir par un nuage humain la présence divine se révélant à lui lorsqu’il s’introduisait dans le Saint des Saints, l’homme qui rencontre D. devra établir une séparation tangible entre lui et Hashem.

Le lieu de la révélation de D. dans le sanctuaire se trouve « au-dessus du couvercle entre les chérubins surmontant l’arche de témoignage » (chap. 25, v. 22). Le Cohen Gadol s’introduisant dans cet espace devait donc provoquer un nuage d’encens pour pouvoir « supporter » la révélation de la présence divine.

 

Et pour le lieu de la combustion des encens il est dit :

 

36 Tu le réduiras en poudre fine et tu en poseras devant le Statut, dans la Tente d’assignation, où je communiquerai avec toi; ce sera pour vous une chose éminemment sainte. לו וְשָׁחַקְתָּ מִמֶּנָּה, הָדֵק, וְנָתַתָּה מִמֶּנָּה לִפְנֵי הָעֵדֻת בְּאֹהֶל מוֹעֵד, אֲשֶׁר אִוָּעֵד לְךָ שָׁמָּה; קֹדֶשׁ קָדָשִׁים, תִּהְיֶה לָכֶם

 

Le lien particulier entre l’autel des encens et l’arche est soulignée par Ibn Ezra. Cependant il y a lieu d’ajouter qu’il ne s’agit pas d’une simple relation entre deux objets. Le rapport entre l’autel des encens et la combustion des parfums sert la rencontre même d’Hashem avec Moshé au-dessus du propitiatoire.

 

Cette rencontre ne se fait pas « une fois l’an », elle est possible chaque jour, aussi l’écran de fumée provoqué par la combustion des encens doit-il se trouver en permanence devant Hashem, devant le rideau et devant le kaporet.

 

Le service de la Ketoret n’est donc pas comme les autres services du Mishkan : il n’est pas pour « Hashem », l’homme ne sert pas D. avec la Ketoret, au contraire l’homme en faisant fumer les encens, agit en tant que messager de D. Il établit avec un nuage une séparation entre lui et le lieu de la révélation pour ouvrir la voie d’une rencontre possible avec D.

 

Nous parvenons ainsi à éclaircir la question de la place qu’occupent l’autel des encens et le service de combustion :

–          La section traitant de l’autel des encens clôt les différents ordres de fabrication du Mishkan, lieu du prolongement de la révélation d’Hashem à Israël par l’intermédiaire de Moshé ; ordre commencé par la prescription relative à l’arche, lieu de révélation par excellence

–          Enfin, l’ordre de fabrication de l’autel des encens vise à accompagner cette révélation à travers le service quotidien de la Ketoret qui ouvre la voie d’une rencontre possible avec D.

 

La Ketoret et l’autel qui lui est réservé ont une plus grande importance que les autres objets et services en raison de leur lien direct avec la révélation de D. dans le sanctuaire au-dessus du Kaporet. Néanmoins, en tant qu’objets ne comportant intrinsèquement aucune caractéristique de culte de l’homme devant Hashem, leur valeur est moindre.

 

 

Pour conclure, de l’encens à l’odeur et de l’odeur à l’esprit

 

Sur le rôle de l’encens, le Maharal nous procure peut-être une piste de lecture dans le commentaire qu’il fait à propos de la Guemara Houlin p. 139b

Où trouve-t-on Moché dans la Torah ? [comme il est écrit, Genèse 6, 3] (Mon esprit n’animera plus les hommes pendant une longue durée), « car lui aussi devient chair ». Où trouve-t-on Haman dans la Torah (…) Où trouve-t-on Esther dans la Torah (…) Où trouve-t-on Mordekhaï dans la Torah ? [comme il est écrit, Exode 30, 23] (Tu prendras aussi des aromates de premier choix) « myrrhe franche » ; dont la traduction en araméen donne « Maré dakhyia »  (= Mordekhaï)

Le Maharal commente ainsi : « Ce texte est bien représentatif de ce qu’un Midrash peut être hermétique ! A première vue, ni questions ni réponses ne semblent avoir la moindre cohérence. Comment demander une allusion à Moshé Rabbénou dans la Torah quand toute la Torah c’est lui et que lui est toute la Tora ? Demandons plutôt où est-ce que Moshé ne se trouverait pas dans la Torah ! Les trois autres thèmes ne se révèlent pas moins mystérieux. Où trouve-t-on Haman dans la Torah ? Où trouve-t-on Esther dans la Torah ? Où trouve-t-on Mordekhaï dans la Torah ? Quel est le sens de ces questions et des réponses données ? Quel message nos Maîtres cherchent ils à nous faire passer ? »

 

D’après le Maharal, la question posée par rapport à Moshé serait en fait : où devons-nous situer notre Moshé omniprésent dans la lecture de la Torah ?

–  Parmi nous et pouvant nous servir d’exemple de ce que l’homme peut devenir ?

–  Ou comme un être céleste, une réalité coupée de nous autres ?

 

Face aux fautes des hommes après la Création, Hashem annonce que l’être humain dans sa totalité est trop fragile pour que l’esprit d’Hashem reste en lui éternellement.  Pourtant, la grandeur formidable de Moshé est de justement ne pas s’être laissé  aller à ses tendances naturelles qui l’auraient automatiquement conduit à la faute comme c’est le cas pour tant d’autres.

 

Quant à  Mordekhaï, le Maharal se réfère au Midrash qui enseigne que parmi les cinq sens, seul l’odorat n’avait pas participé à la faute originelle de Adam et ‘Hava, et est donc le seul à avoir gardé sa fiabilité intacte. L’odorat est donc resté le sens le plus pur. Il constitue la sensation la plus immatérielle de tous les sens.

 

A l’époque du royaume d’Assuerus, Mordekhaï est la seule personne qui semble comprendre pleinement les dangers de la situation. Qu’est-ce qui a permis à Mordekhaï d’être clairvoyant là où d’autres se sont laissés piéger par les promesses d’une sécurité illusoire ? Mordekhaï était capable de sentir une odeur si faible, que seuls les plus accomplis et les plus affirmés de la Torah étaient à même de détecter.

 

Depuis la faute du premier homme, l’homme ne peut plus se faire entièrement confiance. Tous les sens ayant participé à la faute du fruit défendu sont devenus faillibles et l’homme ne peut s’y fier. Seul l’odorat a échappé à cet affaiblissement. L’allusion à Mordekhaï dans la Thora se trouve ainsi dans la myrrhe, cette plante odoriférante dont la traduction en araméen donne « Maré dakhyia » qui ressemble phonétiquement à « Mordekhaï ». A travers l’odeur, nous resterons toujours rattachés aux vérités profondes de création pour reconstruire le lien avec le Divin.

 

Rav disait[5],  le jour viendra, où les jeunes gens d’Israël restés purs et chastes « exhaleront des parfums comme ceux de l’encens » (Berakhot 43b)

Si D. ressent une satisfaction de la conduite des hommes, c’est en raison du ריח ניחוח qu’ils font s’élever vers lui. La parenté des termes « ריח » – odeur – et « רוח » – esprit – évoque également cette symbiose de l’odeur et de l’esprit.  L’encens représente la victoire de l’esprit sur la matière, la chair succombe mais le souffle de vie s’élève de ses cendres comme une flamme éthérée qui continue à répandre son parfum.

 

L’autel des encens fait partie des symboles de la vie nationale à réaliser au moyen de la loi déposée dans l’arche. Seule une parfaite soumission à la volonté divine révélée, soumission alliée à la capacité de détection « des odeurs agréables à D.. » et au rejet des mauvaises est ‘ניחוח לה. L’autel est dès lors placé à l’écart, c’est ainsi certainement l’idéal de la perfection morale – exprimé par le Ketoret sur l’autel des encens – qui a le plus besoin d’être protégé des altérations dont le menace la réalité de la  condition humaine.



[1] Il faut préciser que le bassin d’ablutions en airain (kiyor), étant destiné à rendre les Cohanim aptes à faire leur service, n’est pas considéré comme un objet de sainteté

[2] Auteur du Meshekh ‘Hokhma

[3] Tetsavé 14

[4]  Parashat Aharé Moth, sepher Vayikra 16, 2

[5] En référence à Hoshea IV, 7

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“Parashat Tetsavé – De l’odeur à l’esprit. par Madame Nathalie Bibas”

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