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Parashat Shemot. Grandeur dans le drame, les sages-femmes et Pharaon, par Madame Catherine Zyzek

par: Caty Zyzek

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Grandeur dans le drame, les sages-femmes et Pharaon, par Mme Catherine Zyzek

Etude de texte : Exode, 1. 15-22

Parashat Shemot

 

Pharaon a essayé de briser les Enfants d’Israël par l’asservissement. Voyant qu’au lieu d’avoir eu comme conséquence de diminuer leur développement incroyable ils se sont multipliés prodigieusement, il entreprend une nouvelle étape d’oppression. Il convoque secrètement les sages-femmes, et leur ordonne de tuer les bébés garçons hébreux. Mais ces femmes vertueuses vont avoir le courage de lui désobéir et alors il passera à une étape encore plus cruelle, il ordonnera ouvertement à son peuple de tuer les bébés.

טו. וַיֹּאמֶר מֶלֶךְ מִצְרַיִם לַמְיַלְּדֹת הָעִבְרִיֹּת אֲשֶׁר שֵׁם הָאַחַת שִׁפְרָה וְשֵׁם הַשֵּׁנִית פּוּעָה.

.Et le roi d’Egypte dit aux sages-femmes des Hébreux dont le nom de l’une était Shifra, et le nom de la deuxième Poua

טז. וַיֹּאמֶר בְּיַלֶּדְכֶן אֶת הָעִבְרִיּוֹת וּרְאִיתֶן עַל הָאָבְנָיִם אִם בֵּן הוּא וַהֲמִתֶּן אֹתוֹ וְאִם בַּת הִוא וָחָיָה.

Et il leur dit : lorsque vous accoucherez les femmes des Hébreux et vous regarderez sur le siège d’enfantement, si c’est un garçon vous le tuerez, et si c’est une fille qu’elle vive

יז. וַתִּירֶאןָ הַמְיַלְּדֹת אֶת הָאֱלֹהִים וְלֹא עָשׂוּ כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר אֲלֵיהֶן מֶלֶךְ מִצְרָיִם וַתְּחַיֶּיןָ אֶת הַיְלָדִים.

.Les sages-femmes ont craint D. et n’ont pas agi comme le roi d’Egypte leur avait parlé, et elles ont fait vivre les enfants

יח. וַיִּקְרָא מֶלֶךְ מִצְרַיִם לַמְיַלְּדֹת וַיֹּאמֶר לָהֶן מַדּוּעַ עֲשִׂיתֶן הַדָּבָר הַזֶּה וַתְּחַיֶּיןָ אֶת הַיְלָדִים

Le roi d’Egypte a appelé les sages-femmes et il leur a dit : pourquoi avez-vous fait cette chose et avez-vous fait vivre les enfants ?

יט. וַתֹּאמַרְןָ הַמְיַלְּדֹת אֶל פַּרְעֹה כִּי לֹא כַנָּשִׁים הַמִּצְרִיֹּת הָעִבְרִיֹּת כִּי חָיוֹת הֵנָּה בְּטֶרֶם תָּבוֹא אֲלֵהֶן הַמְיַלֶּדֶת וְיָלָדוּ.

Et les sages-femmes ont dit à Pharaon : car ne sont pas comme les femmes égyptiennes les femmes des Hébreux ; car elle sont vives, avant que ne vienne auprès d’elles la sage-femme et elles ont enfanté

 כ. וַיֵּיטֶב אֱלֹהִים לַמְיַלְּדֹת וַיִּרֶב הָעָם וַיַּעַצְמוּ מְאֹד.

.Et D. a fait du bien aux sages-femmes et le peuple s’est accru et ils sont devenus très puissants

כא .וַיְהִי כִּי יָרְאוּ הַמְיַלְּדֹת אֶת הָאֱלֹהִים וַיַּעַשׂ לָהֶם בָּתִּים.

.Et ce fut comme les sages-femmes ont craint D. et Il leur a fait des maisons

כב.וַיְצַו פַּרְעֹה לְכָל עַמּוֹ לֵאמֹר כָּל הַבֵּן הַיִּלּוֹד הַיְאֹרָה תַּשְׁלִיכֻהוּ וְכָל הַבַּת תְּחַיּוּן.

Pharaon a ordonné à tout son peuple de dire tout garçon qui naîtra vous le jetterez dans le fleuve et toute fille vous la laisserez vivre

 

Verset 15

וַיֹּאמֶר : Et il a dit.

Que leur a-t-il dit puisque nous avons une deuxième fois וַיֹּאמֶר dans le verset suivant, alors qu’il n’y a pas de parole exprimée dans ce verset.

Le premier ויאמר c’est pour dire qu’il les a désignées. Et nous pouvons remarquer que le verbe employé est אמר qui est une manière de parler douce, aimable (voir le commentaire de Rachi sur Exode 19.3). Dans le verset 17 nous avons כאשר דבר (comme il leur avait ordonné), et dans le verset 22, nous avons ויצו, il a ordonné.

לַמְיַלְּדֹת : aux sages-femmes

Qui sont donc ces femmes ?

Ibn Ezra nous enseigne qu’elles étaient responsables de toutes les sages-femmes, car il n’y a pas de doute qu’il y avait plus de 500 sages-femmes, mais ces deux-là étaient les préposées pour donner au roi l’impôt sur le  salaire.

שֵׁם הָאַחַת / וְשֵׁם הַשֵּׁנִית : et le nom de l’une… et le nom de la deuxième

L’une est secondaire par rapport à la première, la Tradition comprend de là qu’il s’agit d’une mère et de sa fille, Shifra, c’est Yokheved, Poua, c’est Myriam. (Sifri, Behalotekha 78)

[Dans un pays où la natalité était dense et dans une société où la femme hautement considérée occupait une place prépondérante, les sages-femmes, à l’instar des médecins, détenaient probablement une position privilégiée et respectée.

L’obstétrique, partie intégrante de la médecine, conserva longtemps un caractère sacré. Dès les temps prédynastiques, elle est pratiquée par des sages-femmes prêtresses et ce sont des divinités féminines qui sont évoquées par les femmes en cas de danger.

Profondément religieux, traditionalistes, les Égyptiens conservèrent toujours à la médecine et à l’obstétrique le caractère magique des origines, mais, avec le temps, elles perdirent peu à peu leur caractère sacerdotal; il semble qu’alors une médecine laïque se soit instaurée, car des corporations de sages-femmes et de médecins existaient déjà antérieurement à l’Exode. Source : Association Nationale des Etudiants Sages-Femmes]

לַמְיַלְּדֹת הָעִבְרִיֹּת : aux sages-femmes des Hébreux

Les sages-femmes  hébreues ou les sages-femmes des femmes des Hébreux ?

Rachbam enseigne que c’était des sages-femmes hébreues

Abravanel enseigne que c’était les sages-femmes égyptiennes des femmes des Hébreux. Car comment aurait-il pu penser que les femmes des Hébreux allaient tuer leurs enfants. Mais c’était les femmes égyptiennes qui accouchaient les femmes des Hébreux, c’est-à-dire qui les aidaient au moment de l’accouchement, comme c’est écrit : בְּיַלֶּדְכֶן אֶת הָעִבְרִיּוֹת, lorsque vous accoucherez les femmes des Hébreux.

Notre développement va suivre le premier avis.

אֲשֶׁר שֵׁם הָאַחַת שִׁפְרָה וְשֵׁם הַשֵּׁנִית פּוּעָה : dont le nom de l’une était Shifra, et le nom de la deuxième était Poua

שפר : Shefer, être beau, plaire/améliorer

פוע/ הופיע : Poua, faire respirer, ranimer

פעה : Pea, crier

Shifra, car elle embellissait le bébé (elle redressait ses membres au moment de l’accouchement et le nettoyait comme il sortait plein de sang » (Chemot Rabba 1.13). Tout enfant qui passait entre ses mains sortait parfait dans son corps, ses membres redressés, et fort.
Poua parlait et émettait des sons pour l’enfant à la manière des femmes qui apaisent le bébé qui pleure. (Rachi, 16)

Pendant que Yokheved s’occupait du corps du bébé, Myriam avait un talent particulier pour divertir le bébé avec des sons qu’elle lui faisait entendre pour le calmer. Elle se souciait de son état spirituel. La mère et la fille se complétaient l’une l’autre et les bébés étaient parfaits dans leurs corps et dans leurs âmes.

Ces noms reflètent leurs qualités et précisément leur compétence en tant que sages-femmes. Et c’est justement pour cela que Pharaon les convoque.

Il y a des longueurs dans ce verset. On aurait pu avoir : il a appelé Shifra et Poua.

Comme on a vu plus haut, Pharaon leur a parlé d’une manière douce et séductrice. Dans la première phase ce n’est pas écrit ce qu’il leur a dit, mais le contenu de ses paroles est en allusion dans les mots אֲשֶׁר שֵׁם הָאַחַת שִׁפְרָה וְשֵׁם הַשֵּׁנִית פּוּעָה. Le Alchikh Hakadosh dit qu’il les a complimentées sur leurs talents et leurs compétences dans l’enfantement des bébés. Il a introduit cela dans ses paroles doucereuses pour extirper de leurs cœurs la crainte que suite à son exigence de tuer les bébés, elles prendraient le risque d’être soupçonnées d’être des assassins. « Vous êtes les dernières sur qui on fera peser la culpabilité de la mort des bébés », il leur a fait une allusion au fait qu’elles sont connues dans leur profession pour leur compétence et leur dévouement.

Quelle importance pour nous de connaître leurs noms ?

Vous avez la réputation avec ces noms-là de renforcer les bébés. Et donc, écoutez-moi ainsi que mon ordre, qui est : « Lorsque vous mettrez au monde… », car on ne vous soupçonnera pas d’avoir changé. Dans ses paroles « douces » il leur a promis pour les amadouer qu’en contrepartie du meurtre des bébés elles deviendraient des femmes importantes du royaume, des femmes du roi et pourraient profiter de tous les avantages du pouvoir. (Chemot Rabba 1.15). On voit là que Pharaon a mal estimé le Peuple Juif. Il s’est tourné vers les sages-femmes selon l’échelle de valeurs de ses propres normes de jouissance : honneur, qualité de vie, bonheur matériel. Il n’a pas compris que ce ne sont pas les valeurs qui se situent en haut de l’échelle du Peuple Juif.

Et là, on peut poser la question : pourquoi Pharaon n’a-t-il pas voulu tuer les enfants hébreux lui-même par les préposés royaux qui auraient traqué les femmes enceintes ; mais il a justement voulu passer par les sages-femmes ? Pourquoi n’a-t-il pas dès le départ ordonné : כָּל הַבֵּן הַיִּלּוֹד הַיְאֹרָה תַּשְׁלִיכֻהוּ ? (Tout garçon qui naîtra, vous le jetterez au fleuve). Le Midrach répond : « Pour que D. ne lui demande pas des comptes et se venge sur elles ». Pharaon était intéressé à ce que ce soient justement les sages-femmes qui tuent les bébés des Hébreux pour que D. se venge sur elles, il était intéressé à les faire trébucher. Il avait déjà compris que la solidité du Peuple Juif ce sont ses vertus, la délicatesse de leur âme et leur noblesse morale. C’est justement cela qu’il voulait atteindre. Il aspirait à effriter le Peuple Juif dans son intériorité. Il voulait les voir assassins d’eux-mêmes, qu’ils se transforment et deviennent cruels, qu’ils perdent leur élévation morale.

Kli Yakar nous enseigne que Pharaon qui veut détruire les Enfants d’Israël est en train de préparer de ses propres mains la Gueoula, la délivrance. Les femmes qu’il désigne, ce sont justement elles qui vont amener la délivrance.

Myriam Hanevia, la prophétesse, par sa parole a complètement transformé la situation (elle a parlé à son père et prophétisé la naissance du sauveur d’Israël).

Yokheved, c’est la beauté, elle a retrouvé la beauté de sa jeunesse : alors qu’elle avait 130 ans. (le verset 2.1 nous dit : bat Lévi, la fille de Lévi, bat, c’est le qualificatif d’une jeune fille)

C’est cela que nos maitres veulent nous enseigner avec les noms. Ils nous disent que leurs noms ont été changés. Pourquoi nous disent-ils cela ? Ils emploient des anecdotes, c’est un moyen de nous faire comprendre l’essentiel (mais les anecdotes, ne sont pas l’essentiel). Nos maîtres nous disent que dans le décret cruel de tuer les enfants, il est en train lui-même de préparer la Gueoula.

Myriam et Yokheved ont parfaitement compris le venin caché dans le complot de Pharaon, וְלֹא עָשׂוּ כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר אֲלֵיהֶן מֶלֶךְ מִצְרָיִם : et n’ont pas agi comme le roi d’Egypte leur avait parlé. Elles ont compris son intention scélérate et la parole dure qui se cachait dans ses paroles doucereuses et séduisantes.

Verset 16

הָאָבְנָיִם Haovnaïm : le siège d’enfantement

Ce terme n’est pas du tout courant. Habituellement, le mot employé pour le siège d’enfantement c’est משבר, Mashbèr.

משבר  =  crise, effondrement

Et là le mot אבנים, Rachi nous dit qu’il s’agit du tour du potier (qui sert à façonner la glaise pour en faire un objet). Dans le moment le plus dramatique, la Gueoula est en préparation. Dans cette destruction, on façonne quelque chose. On construit quelque chose. Ce que Pharaon pensait être un instrument de destruction, sera en fait un instrument de construction pour le Am Israël.

וּרְאִיתֶן : et vous regarderez

Que devaient-elles regarder ?

וַהֲמִתֶּן : et vous tuerez

Pourquoi le ו  ? Sans que le verset ne nous indique une action auparavant ?

Vous regarderez d’abord si c’est un garçon ou une fille, et après vous le tuerez.

אִם בֵּן הוּא וַהֲמִתֶּן אֹתוֹ : Si c’est un garçon vous le tuerez 

Lorsqu’il a vu que les souffrances de l’oppression ne servaient pas son dessein, comme il est écrit : (verset 12) plus il l’opprimait, plus il se multipliait, etc. alors il a pris le parti de tuer les garçons qui habituellement font la guerre, car les Egyptiens avaient peur d’une guerre comme il est écrit au verset 10 : et ils nous combattraient.

אִם בֵּן הוּא וַהֲמִתֶּן אֹתוֹ : Si c’est un garçon vous le tuerez 

Rachi : ce qui lui importait c’était de tuer les garçons car ses astrologues avaient vu qu’allait naître un fils qui allait les délivrer. Qu’est-ce que ça peut bien leur faire qu’il sauve les Enfants d’Israël? On voit pourtant au verset 12 :

ויקוצו מפני בני ישראל : Ils ont été dégoûtés des Bné Israël. Ils auraient pu être soulagés qu’ils partent, enfin débarrassés de cette vermine ! Mais  c’est à la ‘hachivout (grandeur) des Enfants d’Israël, qu’ils veulent s’attaquer. Qu’ils soient susceptibles de quitter l’Egypte, qu’il y ait la Gueoula, la délivrance, montre leur grandeur. Le fait que la grandeur des Enfants d’Israël leur fasse prendre conscience de leur propre bassesse, que l’Egypte ce n’est rien du tout, que Pharaon est un empereur de rien du tout, cela leur est insupportable. Israël et la Gueoula signifient la destruction de l’Egypte. Toute la ‘hachivout (grandeur) de l’Egypte va être détruite.

Le Pchat (sens simple) : c’est détruire les garçons, pour qu’il n’y ait pas de Gueoula.

 

וְאִם בַּת הִוא וָחָיָה : Si c’est une fille, qu’elle vive, car ce n’est pas l‘habitude des femmes de combattre.

Pourquoi précise-t-il cela ? Si le décret est sur les garçons, c’est clair que les filles on les laisse vivre. Et pourquoi n’a-t-il pas décrété sur les filles, c’est sûr que ce n’est pas par miséricorde, car fondamentalement il est cruel. Et bien évidemment que les sages-femmes ne voudront pas tuer tous les bébés.

Réponse du Ohr Ha’hayim :

En fait ce mécréant-là s’est ingénié pour que son complot réussisse, car quelle femme va appeler une sage-femme qui va tuer son enfant ? Pour cela il a rusé et leur a dit de se comporter d’après le protocole qu’il leur a indiqué et de le faire en dissimulant leurs actes pour que les femmes ne remarquent rien. Car avant même qu’on ne sache si l’enfant à naître est un garçon ou une fille, les sages-femmes regarderont sur le siège d’enfantement, si c’est un garçon, elles le tueront en disant qu’il est mort-né, en n’ayant pas attendu qu’il vienne au monde. Pour ne pas donner l’impression que les bébés ont été tués, les filles ne meurent pas, et les garçons sont tués avant même de naître, pour ne pas inquiéter les femmes et qu’elles ne s’empêchent pas d’appeler les sages-femmes pour accoucher. Et comment sauront-elles ? C’est pour cela que les Sages ont dit qu’il leur a transmis les signes. Baal Hatourim : il leur a transmis que la femme qui est sur le point d’accoucher,  ses cuisses se refroidissent comme des pierres (ce qui est même en allusion dans le mot le siège d’enfantement הָאָבְנָיִם, dans lequel il y a la racine אבן, pierre)

Hizkouni : le garçon, son visage est vers le bas, la fille son visage est vers le haut, comme pour l’intimité (Sota 11b).

Et c’est pour cela que c’est écrit והמיתן  avec le ו supplémentaire, car le premier ordre qu’il leur a donné c’est de distinguer pour savoir si c’est un garçon avant qu’il ne vienne au monde, et pousse un cri. Et le deuxième ordre : et (alors) vous le tuerez lorsqu’il sortira du ventre de sa mère. Et quand il dit : si c’est une fille, qu’elle vive, il avait une intention par cela que les femmes qui accouchent ne se rendent pas compte, en voyant que des fois leurs bébés survivent, et donc ne soupçonnent pas les sages-femmes, et ne pourront pas discerner qu’elles tuent les garçons et pas les filles. Et peut-être leur a-t-il ordonné de ne pas faire savoir que c’est un garçon, mais seulement que l’enfant est mort-né et que par ce biais le soupçon soit écarté.

אִם בַּת הִוא וָחָיָה

Ohr Ha’hayim : C’est un dessein rusé que Pharaon a conseillé en cela, pour que les Enfants d’Israël ne puissent pas monter de la terre d’Egypte. Cela fait partie justement du complot de faire vivre les filles. Tuer les garçons, pour que les femmes se retrouvent contraintes à se marier avec des Egyptiens, et alors il n’y aura plus une possibilité  de monter d’Egypte parce qu’ils seront devenus un seul peuple. Et aussi les âmes pures se retrouveront souillées en se mêlant aux âmes impures (le Midrach rapporte que les Egyptiens vivaient dans la débauche), et resteront là-bas éternellement, que D. nous en préserve et donc les mœurs des Enfants d’Israël se dégraderont. C’était réellement un plan pour empêcher la Gueoula. Car les Sages disent (Vayikra Rabba 32.5) qu’ils ont été délivrés grâce à quatre mérites, un de ces quatre mérites est le fait qu’ils se soient gardés des arayot (relations interdites), (et ce fait est explicite dans la tradition, Chir Hachirim 4.12, un jardin verrouillé (les jeunes filles) est ma sœur, ma fiancée, un puits fermé (les femmes mariées), une fontaine scellée (les hommes) aucun de ces groupes ne s’est profané avec les Egyptiens) et s’ils en venaient à se marier avec les Egyptiens, il n’y aurait pas de relève. Ainsi les contraindre à une situation telle qu’ils se retrouvent obligés de transgresser, aurait eu comme conséquence d’empêcher la Gueoula.

Verset 17

וַתִּירֶאןָ הַמְיַלְּדֹת אֶת הָאֱלֹהִים : Et les sages-femmes ont craint D. Le verset aborde la notion de « יראת שמים », la crainte du Ciel, et nous pouvons en tirer un enseignement fondamental dans notre existence. Il arrive que des gens dans certaines circonstances subissent d’énormes pressions et qu’ils fassent des choses que leur conscience réprouve. Et ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de faire ces choses-là. Résister et ne pas le faire, et même faire le contraire, c’est ce qu’on appelle la crainte de D. Car effectivement, il n’y a que la crainte de D. qui peut nous sortir de ces pressions. Et le verset dans la suite va nous dire, que non seulement cela n’a pas été au détriment de ces sages-femmes, mais encore cela les a construites pour toutes les générations, comme dit le verset 21 : ויַּעַשׂ לָהֶם בָּתִּים : et Il leur a fait des maisons.

Il ressort donc que leur crainte de D. était une très grande crainte, par rapport à l’injonction divine de donner la vie pour établir une descendance sainte, pour mettre au monde le Peuple Juif pour que la Présence Divine y réside et que D. puisse unir Son Nom au monde. Leur crainte de D. était comme la crainte de leur ancêtre Avraham Avinou, dont la crainte était au-dessus du niveau d’amour (Voir Netivot Olam Netiv Yirat H. 81.23). Les Sages disent : וַתִּירֶאןָ הַמְיַלְּדֹת, elles se sont parées de l’action de leur ancêtre, c’est-à-dire Avraham. Comme Le Saint-Béni-Soit-il témoigne sur lui : « Maintenant je sais que tu es craignant D. » (Genèse 22.12/Chemot Rabba). De même qu’Avraham Avinou du fait de la profondeur de son amour pour D. craignait pour l’accomplissement de la parole divine dans le monde de la manière la plus parfaite, ainsi en était-il pour Yokheved et Myriam.
Ils ont dit encore : « Rabbi ’Hanina fils de Rav Yts’hak  a dit :

Shifra : qui a établi Israël pour D., pour lesquels le ciel a été créé comme il est écrit à son sujet au moment de leur création : ‘Par son souffle,  le ciel s’est dégagé (embelli, affermi)  שפרה’ (Job 26.13). Shifra est nommée par rapport à l’action par laquelle D. a créé le ciel car elle a établi le peuple qui est le but de la création du ciel.

Et Poua aussi est appelée par le fait qu’elle a établi le Peuple Juif, qui est préparé pour la Présence Divine. « Poua qui a fait apparaître Israël pour D. שהופיע » (Chemot Rabba 1.13)

כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר  : comme (lorsque) il leur avait parlé. Elles ont annulé le décret aussitôt qu’il leur a ordonné. Normalement, au début, la crainte d’un dictateur fait qu’on applique ses décrets, même si après quelques temps l’application s’affaiblit.

דִּבֶּר אֲלֵיהֶן : leur avait parlé. On se serait attendu à דבר להם. Plus haut il a déjà dit ce qu’il attend d’eux. On n’est pas en train de répéter la parole de Pharaon aux sages-femmes. Ce terme exprime une « proximité » particulière, « Il abuse de son ascendant » sur quelqu’un d’autre. C’est ce que les ‘Hakhamim veulent mettre en exergue, c’est pour cela qu’il fallait une crainte de D. exceptionnelle.

וַתְּחַיֶּיןָ אֶת הַיְלָדִים : et elles ont fait vivre les enfants

Avons-nous besoin de cette précision ? Nous savons qu’elles n’ont pas tué les bébés. Mais ותחיין c’est actif, non seulement elles ne les ont pas tués, mais elles leur donnaient de quoi vivre. Elles voulaient éviter d’être accusées de tuer les bébés, en cas de bébés mort-né, elles ont donc prié et fait le maximum pour que même les bébés en danger, fragiles, vivent.

Il y avait des accouchées pauvres, et les sages-femmes allaient collecter de l’eau et de la nourriture dans les maisons des riches et elles venaient apporter chez les pauvres pour qu’elles puissent allaiter leurs bébés. Et ainsi elles donnaient vie aux bébés. (Chemot Rabba 1.15)

Verset 18

וַיִּקְרָא : et il a appelé

Que nous rajoute cette expression ? Le verbe ויאמר (il a dit) n’aurait-il pas suffi ?

C’est un verbe qui peut être employé pour une expression d’affection (Voir Rachi Lévitique 1.1). Le comportement des sages-femmes aurait dû causer la colère de Pharaon envers elles. On dirait au contraire qu’il a inspiré en lui une attitude de respect envers elles. Il a été saisi d’admiration et d’étonnement en voyant la bravoure et la vaillance de ces femmes. Par elles, il a croisé la compréhension qu’il existe une valeur élevée de la vie qui passe avant sa propre vie ; car elles sont prêtes à renoncer à toute proposition séductrice de gloire et de « bonne vie ». Et à passer outre la parole du roi bien qu’elles sachent qu’elles risquent de payer de leur vie. Il y a des valeurs qui sont chères aux sages-femmes plus que leur vie et leur bonheur personnel.

מַדּוּעַ עֲשִׂיתֶן הַדָּבָר הַזֶּה וַתְּחַיֶּיןָ אֶת הַיְלָדִים : pourquoi avez-vous fait cette chose et avez-vous fait vivre les enfants ?

On se serait attendu à ce que Pharaon dise : Pourquoi n’avez-vous pas fait ce que je vous ai ordonné ? Il leur dit : pourquoi avez-vous fait cela ? Il les accuse d’avoir fait vivre les enfants et apparemment elles ne répondent pas à ce reproche. Elles parlent de la « sauvagerie des femmes des Hébreux qui accouchent rapidement et sans sage-femme. » Il faut savoir en quoi est-ce une réponse dans leur bouche au reproche de leur avoir fourni de la nourriture ? On voit que Pharaon a accepté leur réponse.

Sforno répond à la question : pourquoi parle-t-il sur le mode positif, et non pas au négatif. Pourquoi avait vous fait ? Vous m’avez trahi, car lorsque je vous ai ordonné, vous n’avez pas refusé d’accomplir mon ordre, et j’ai eu confiance ainsi que vous tuerez les enfants, et mon espoir a été déçu.

Kli Yakar dit qu’elles n’ont pas réagi lorsqu’il leur a donné cet ordre cruel, car elles voulaient éviter que suite à un refus de leur part, il ne nomme d’autres sages-femmes, qui elles, n’auraient pas eu la même détermination et auraient accompli son décret.

Et la suite dans le verset 19 : כִּי חָיוֹת הֵנָּה. Elles s’y connaissent dans le métier de sage-femme, et si nous voulions faire quelque chose ou parler d’une façon inconvenante, elles s’en rendraient compte, et ne nous appelleraient plus pour accoucher, et pour le roi cela ne vaudrait rien d’en tuer un ou deux seulement.

Et alors, selon cette hypothèse, elles faisaient comme d’habitude d’apporter de l’eau et de la nourriture et se comportaient comme il faut, pour rapprocher le cœur des femmes enceintes, et qu’elles ne soient pas soupçonnées d’être des assassins, et que cela leur donne la possibilité d’accomplir l’ordre du roi de tuer les garçons, et pensaient arriver avant qu’elles n’aient accouché, et en fait lorsqu’elles arrivaient, elles avaient déjà accouché. Et donc même si elles apportaient de l’eau et de la nourriture, se conclut la plainte et le soupçon de Pharaon, bien que pourrait se justifier les propos des colporteurs qui disaient que les sages-femmes leur procuraient de la nourriture.

On pourrait percevoir chez Pharaon un instant furtif au cours duquel il s’affranchit de ses intérêts mauvais. Confronté au comportement noble des sages-femmes, émerge en lui une volonté véridique de comprendre la source de ce comportement. Et donc Pharaon ne demande pas : « pourquoi n’avez-vous pas fait comme je l’ai ordonné ? ». Ce n’est pas le fait qu’elles ont transgressé ses paroles qui l’a perturbé à cet instant-là. Mais « Pourquoi avez-vous fait cette chose-là ? », « pourquoi non seulement vous ne vous êtes pas contentées d’une attitude passive » dit Pharaon, (selon l’expression : ‘שב ואל תעשה’, reste assis et n’agis pas), mais encore « Vous avez donné vie aux enfants, vous avez eu une attitude active en faisant des efforts pour les faire vivre. Qu’est-ce qui vous pousse à agir ainsi ? »

Verset 19

וַתֹּאמַרְןָ הַמְיַלְּדֹת אֶל פַּרְעֹה : et les sages-femmes ont dit à Pharaon

Du point de vue de Yokheved et Myriam, l’ordre de Pharaon n’a aucune validité et ne vaut pas plus que la poussière du sol. Jusque-là, lorsqu’il s’adresse à elles, il est appelé « Roi d’Egypte », par contre lorsqu’elles s’adressent à lui, le texte dit que c’est à « Pharaon ». Elles lui parlent comme à n’importe qui d’autre sans crainte de la royauté. Un roi qui ne se soucie pas de ses citoyens mais qui désire leur anéantissement vide sa royauté de tout contenu, et donc ses paroles n’ont pas de sens pour elles.

כִּי לֹא כַנָּשִׁים הַמִּצְרִיֹּת הָעִבְרִיֹּת : car ne sont pas comme les femmes égyptiennes les femmes des Hébreux

Pourquoi cette précision, à quoi cela sert-il de comparer les femmes des Hébreux aux égyptiennes ?

Ohr Ha’hayim :

Il faut savoir pourquoi il y a des longueurs dans le verset. On aurait pu avoir « ne sont pas comme les Egyptiennes, les Hébreues », ou bien « car les Hébreues ne sont pas comme les Egyptiennes ». Et donc, l’intention du texte est qu’elles lui ont répondu qu’il ne prenne pas la mesure pour les femmes des Hébreux parmi les plus remarquables des Egyptiennes, car elles sont toutes plus expérimentées que toutes les Egyptiennes, et c’est ce qui est écrit כי חיות הנה, car elles sont des sages-femmes, et s’accouchent l’une l’autre, ou n’ont même pas besoin de sage-femme. Et peut-être ont-elles fait une allusion au fait que les femmes des Hébreux avaient en elles deux instructions dans leur connaissances, une du fait qu’elles sont nées Hébreues, et une parce qu’elles sont maintenant Egyptiennes, et par ce biais, elles ont acquis deux modes d’instruction, et c’est cela la mesure du verset כי לא כנשים (car pas comme les femmes) habituelles qui se trouvent là, sont celles-là, car elles sont égyptiennes-hébreux.

כִּי חָיוֹת הֵנָּה : car elles sont vives

On voit dans la Guemara חיות c’est une sage-femme. Onkelos traduit par חכימין , sage-femme.

חייתא : c’est celle qui met au monde

 

Rachi donne 2 explications :

Première explication : ce sont des sages-femmes, elles n’ont pas besoin d’appeler une sage-femme, et elles demandent de l’aide à leurs sœur, cousine, voisine.

Deuxième explication : ce sont des bêtes sauvages, elles ont en elles la berakha (la bénédiction) de Yaakov Avinou des bêtes sauvages, qu’il a donnée à ses fils avant de mourir ; et même les tribus pour lesquelles ce n’est pas explicite, Rachi dit que cela a été englobé finalement dans les berakhot de Yaakov, et cela ressortira clairement dans la prophétie de Ye’hézkiel : 19.2. « Qu’est donc ta mère ? Une lionne. » Qu’est-ce que cela signifie que les Enfants d’Israël sont comparés aux bêtes sauvages ? C’est-à-dire qu’ils ont reçu la berakha d’avoir une certaine sauvagerie qui leur permet de surmonter et de se développer en période de crise, de ne pas se laisser limiter par l’organisation, les institutions que représentent les sages-femmes officielles.

Ibn Ezra : חָיוֹת  elles ont une grande force de vie

La capacité de prendre ses drames et d’en faire des choses énormes. Le Peuple Juif a des ressources incroyables, anormales, qui n’ont rien à voir avec les ressources, la normalité des Nations.
Toi, Pharaon tu organises, mais les femmes des Hébreux fonctionnent autrement, pas selon ton organisation.

 כִּי לֹא כַנָּשִׁים הַמִּצְרִיֹּת הָעִבְרִיֹּת : car ne sont pas comme les femmes égyptiennes les femmes des Hébreux

Avec le souffle saint, Yokheved et Myriam réussissent à peser leurs mots avec précision pour répondre à la question de Pharaon sur leurs motivations spirituelles, et en même temps  à les innocenter pour sauver leurs vies. Comment cela ?

Elles mettent en relief la différence entre les femmes égyptiennes et les femmes des Hébreux.

כִּי חָיוֹת הֵנָּה : elles sont pleines de vie, elles descendent de ‘Hava : mère de tout vivant. Elles sont les mères de la vie ; par elles, se dévoile le désir de vie comme il est à partir de la source de vie, du « Roi qui désire la vie », elles ne désirent pas une vie égoïste, mais une vie de vérité, une vie qui exprime la bonté de D. C’est pour cela que les femmes des Hébreux (et leurs descendantes les femmes juives) sont remplies de dévouement pour l’édification de leur famille, un dévouement qui dépasse tous les calculs de tranquillité, de confort, etc. Pour de telles femmes il n’y a pas quelque chose de plus naturel que d’enfanter, « c’est dans leur nature d’accoucher facilement » (Abravanel Genèse 18. 9-16)

כי חָיוֹת הֵנָּה : car elles sont vives

Le Rachbam enseigne : saines et intelligentes et s’empressent d’accoucher ». La facilité de l’accouchement indique le niveau spirituel des femmes juives vertueuses. « Les femmes vertueuses n’étaient pas dans le châtiment de ‘Hava » (Sota 12a). Chez elles, il n’y a pas la pesanteur de la matière, le corps n’empêche pas et n’alourdit pas, et donc le mouvement de l’enfantement leur est naturel. Le fait que les femmes juives sont « pleines de vitalité » exprime leur grandeur en général, le fait que leur nature n’est pas soumise à des volontés et des désirs individuels. C’est ainsi que les sages-femmes ont discrètement expliqué à Pharaon leur motivation à mettre leur vie en danger.

Et ensuite, étant donné que les femmes des Hébreux accouchent avant que nous n’ayons le temps d’arriver, que nous reste-t-il à faire quand nous arrivons ? Ta recommandation de regarder sur le siège d’enfantement avant même que l’enfant ne vienne au monde n’a plus lieu d’être, il ne nous reste plus qu’à calmer les bébés et les pouponner. Nous n’avons pas transgressé l’ordre du roi ! Les bébés étaient en vie sans notre intervention ! Nous n’avons fait qu’améliorer ce qui existait déjà.

Le niveau des femmes des Hébreux autant que la force spirituelle et la perfection morale de Yokheved et Myriam a déraciné fondamentalement du cœur de Pharaon toute velléité de leur faire du mal, et nous n’avons jamais entendu qu’il les aurait punies.

.avant que ne vienne auprès d’elles la sage-femme et elles ont enfant ,בְּטֶרֶם תָּבוֹא אֲלֵהֶן הַמְיַלֶּדֶתוְיָלָדו

Mais alors, si elles accouchent tellement vite, pourquoi y a-t-il besoin d’une sage-femme ?

Pharaon pouvait leur reprocher de ne pas s’imposer aux femmes qui devaient accoucher, alors qu’elles étaient nommées par le roi. A cela elles ont répondu : בְּטֶרֶם car nous nous ingénions à arriver auprès d’elles avant que n’arrive le terme de l’accouchement selon notre propre compte pour les accoucher, et malgré cela nous trouvons qu’elles ont déjà accouché, וְיָלָדוּ car les femmes enceintes faisaient en sorte d’annoncer un terme plus tardif de leur grossesse, car elles avaient une intuition de la situation.

Verset 20

וַיֵּיטֶב אֱלֹהִים לַמְיַלְּדֹת וַיִּרֶב הָעָם וַיַּעַצְמוּ מְאֹד : Et D. a fait du bien aux sages-femmes et le peuple s’est accru et ils sont devenus très puissants

Quelle a été la récompense des sages-femmes ?

Quel est le bienfait que D. a prodigué aux sages-femmes ? Si c’est ce que dit le verset suivant : וַיַּעַשׂ לָהֶם בָּתִּים (Il leur a fait des maisons) pourquoi est-ce interrompu par וַיִּרֶב הָעָם וַיַּעַצְמוּ מְאֹד ?

Au lieu de se détruire, elles se sont construites. Et elles ont construit le Peuple Juif.

Première réponse : le peuple s’est multiplié et renforcé. Le fait d’avoir pu sauver de nombreuses vies en Israël, en soi a été pour elles un grand bienfait. (‘Hatam Sofer, Ohr Ha’hayim, Kli Yakar)

Autre explication : D., voyant leur crainte du ciel, leur a donné la possibilité de faire encore plus de Mitsvot sans limite pour augmenter leur salaire.

וַיִּרֶב הָעָם : le peuple s’est accru

Cette expression est au singulier.

וַיַּעַצְמוּ מְאֹד : et ils sont devenus très puissants

Cette expression est au pluriel. Suite au fait qu’elles ont risqué leur vie pour apporter de la nourriture et de l’eau aux femmes qui accouchaient, D. les a enrichies, et par cela elles ont pu faire encore plus de bien. (Rabbi Eliézer Ashkénazi) (Ce qui pourrait nous expliquer que le mot וַיַּעַצְמוּ soit au pluriel, car dans ce cas-là il se rapporte aux sages-femmes. Ce verbe peut s’appliquer à la richesse matérielle, voir Genèse 26.16)

Verset 21

וַיַּעַשׂ לָהֶם בָּתִּים : et Il leur a fait des maisons

De quoi s’agit-il ?

Nous trouvons dans le texte un autre endroit où cette expression est employée lorsque le prophète Nathan dit au Roi David (Shmouel II 7. 11-12) : « D. t’a fait savoir qu’il te fera une maison… et je préparerais sa royauté. Il construira une maison à mon nom ». Nous apprenons par-là que la maison que D. va construire sera une ‘maison de royauté’. Et par cela est mentionnée une autre maison : le Beith Hamikdach (le Saint Temple), « une maison à mon nom ». C’est pour cela que Rachi explique : וַיַּעַשׂ לָהֶם בָּתִּים : maison de prêtres, de lévites et de royauté qui sont appelées ‘maisons’. Comme il est écrit : « Il a construit la maison de D. et la maison du roi » (Rois I 9.1)

Pourquoi להֶם au masculin, et non pas להן au féminin ? A priori il semble qu’on parle des sages-femmes ?

Prêtres et lévites de Yokheved, Rois de Myriam (Sota 11b). On comprend de là qu’en fait il n’est pas question de maisons personnelles pour Yokheved et Myriam, mais cette récompense concerne le peuple tout entier.

« Et ce fut parce que les sages-femmes ont craint D. et Il leur a fait des maisons. » L’apparition de la prêtrise et de la royauté dans le Peuple Juif est la conséquence directe de la crainte de D. qui s’est dévoilée chez les sages-femmes. Leur crainte n’enseigne pas uniquement sur elles, mais sur le Peuple tout entier. Par leur comportement est née une réalité de vie nouvelle au sein des Enfants d’Israël, un niveau de crainte du ciel pure. ‘La crainte du ciel pure se maintiendra pour l’éternité’ (Psaumes 19.10). C’est le niveau de vie du Peuple Juif tout au long des générations. La mission des prêtres et des rois est d’insuffler ce contenu de vie noble au sein de toute la communauté.

Citation du OHEL RAHEL, ouvrage de Rav Mena’hem Schlanger : La Force de la Emouna. Fin du chapitre 4

« Le Peuple juif dans son ensemble, est désigné dans la Torah Ecrite par le nom « maison », « בית יעקב : maison de Yaakov, maison d’Israël ». Et les Sages ont dit aussi que c’est avec le nom « maison » qu’a été choisi l’endroit du service de D-ieu pour l’éternité (בית המקדש): « Abraham a appelé le Temple : ‘montagne’, Yits’hak l’a appelé : ‘le champ’, Yaakov l’a appelé : ‘maison’ » (Pessa’him 88a)

La maison est la force qui est transmise dans la main de l’homme pour introduire les lois de l’existence éternelle et supérieure au sein de sa vie. Et c’est donc le nom qui exprime la permanence du lien entre Israël et D-ieu. La force de la maison est supérieure à la montagne et au champ car Yaakov a ajouté par rapport à Abraham et Yits’hak et a nommé ce lien « maison ». Et par ce nom, le lien pour l’éternité a été fixé. Et sur cela, il est dit (Isaïe 54:10) : « Que les montagnes chancellent (Abraham l’a appelé montagne) que les collines s’ébranlent, (Yits’hak l’a appelé champ) ma tendresse pour toi ne chancellera pas, ni mon alliance de paix ne sera ébranlée (l’alliance qui est dans la maison de Yaakov.) »

Etant donné que la maison est l’endroit où se fixe dans la réalité la vie intérieure de l’homme, pour cela toute fixation de lien de la Kedoucha (sainteté) avec le monde, s’exprime avec le terme « maison » בית . Le ‘Temple’ בית המקדש est l’endroit du rapport entre Israël et D-ieu qui est fixé concrètement ; Le ‘lieu d’étude’ בית המדרש est l’endroit où se fixe le dévoilement de la Torah ; la ‘synagogue’ בית הכנסת est l’endroit de la prière. Et sur tous ceux-là, la maison du couple, le Temple, le lieu d’étude, la synagogue, il est dit : « Qu’elles sont belles tes tentes Israël, comme des plantes odoriférantes D-ieu a planté, comme des cèdres qui sont dressés sur l’eau. » (Bamidbar 24:5) Et de là, dans le fait que l’homme et la femme fixent par leur confiance, une « maison de Emouna », (de confiance), ils forment la base pour l’éternité de la réception de la Torah, sa réalisation dans la vie de l’homme et sa transmission à la génération à venir. »

[Il leur a fait des maisons : il existe plusieurs avis car le sujet de וַיַּעַשׂ, il leur a fait peut porter à controverse. S’agit-il de D. ou de Pharaon?

– H. leur a fait des « maisons » de Kehouna, Levia et Malkhout (prêtrise, lévites, royauté)

– Pharaon a fait des maisons pour surveiller les sages-femmes

– Pharaon a enfermé les femmes enceintes pour savoir quand elles vont accoucher

– D. donné des maisons aux sages-femmes où elles ont pu se cacher et échapper à Pharaon]

Verset 22

וַיְצַו : et il a ordonné

C’est la première fois depuis le début de Séfer Chemot qu’apparaît ce verbe. Pourquoi ?

La rencontre entre Pharaon et la pureté morale des sages-femmes ne l’a pas transformé en un homme de morale. Au contraire, comme expliqué au verset 16 il en a été très perturbé. Il a bien perçu le grand fossé entre lui et la vérité supérieure de la vie, et à quel point elle met en péril sa position, ses idées et sa société. Mais cela a causé une explosion encore plus grande de haine et de méchanceté. Comme Pharaon a vu que son plan n’a pas marché avec les sages-femmes, il a ordonné à tout son peuple de s’en charger.

On peut comprendre : tout enfant qui naîtra jetez le dans le Nil (indifféremment Hébreu ou Egyptien). (Chemot Rabba 1.15)

Ou bien il a ordonné à son peuple d’aider à jeter les bébés hébreux dans le fleuve.

Rachi dit qu’il a ordonné sur tout son peuple le jour où Moshé Rabbénou est né, car ce jour-là ses astrologues lui ont dit : « le sauveur d’Israël est né et nous ne savons pas s’il est Hébreu ou Egyptien, et nous voyons qu’il finira par être frappé par l’eau ». C’est pour cela qu’il a ordonné de tuer tous les bébés même égyptiens comme il est écrit : כָּל הַבֵּן הַיִּלּוֹד tout garçon qui naîtra, et ce n’est pas écrit qui naîtra aux Hébreux. Et ils ne savaient pas qu’il finirait par être frappé à cause des eaux de Meriba (bien plus tard Moshé chutera par les eaux de Meriba).

Il y a une ambiguïté chez Moshé Rabbénou. Il a été élevé dans la maison de Pharaon. Les filles de Yitro reviennent chez leur père en disant : « un homme égyptien » nous a sauvées. Et il avait beaucoup de disciples égyptiens, c’est le « ערב רב ». Il est de la tribu de Lévi, mais d’un autre côté il a des aspects universels. La Torah, c’est la Torah d’Israël, mais les Nations s’y réfèrent. Le président des Etats-Unis jure sur la Bible.

Moshé Rabbénou a été le maître de tout Israël, celui qui est complètement dans la vie juive, dans l’étude, et celui qui vit parmi les Nations. Il a des aspects complètement juifs, et aussi universels. Les enfants d’Israël n’ont pas toujours eu confiance en Moshé Rabbénou. Il n’a jamais été esclave. Eux l’ont été. A Matan Tora, ils ont eu confiance.

לֵאמֹר : pour dire

Que nous rajoute ce mot ? Pharaon a ordonné à tout son peuple de jeter les bébés hébreux dans le fleuve, alors à qui doivent-ils dire « tout garçon qui naîtra vous le jetterez au fleuve » ?

Ohr Ha’hayim dit : pour que les Egyptiens disent aux Enfants d’Israël de jeter eux-mêmes les bébés dans l’eau. Les astrologues ont vu que Pharaon serait frappé par l’eau, par la faute des Enfants d’Israël. C’est pour cela qu’il leur a ordonné qu’ils jettent, eux, les bébés à l’eau.

Pchat : il a ordonné à tout son peuple de dire aux Enfants d’Israël de jeter les bébés hébreux.

Drach : il a ordonné à tout son peuple de jeter leurs enfants ce jour-là.

כָּל הַבֵּן הַיִּלּוֹד הַיְאֹרָה תַּשְׁלִיכֻהוּ : tout garçon qui naîtra vous le jetterez dans le fleuve.

Chaque Egyptien devait se soucier personnellement d’imposer le décret de Pharaon sur les enfants hébreux à naître. On exigeait d’eux de traquer toute femme enceinte dans leur voisinage et de s’assurer qu’ils jetteraient leurs enfants dans le fleuve. Et ainsi aucun n’échapperait sous leurs mains. (Ohr Ha’hayim).

Comme nous avons vu au sujet des sages-femmes, le fil conducteur du comportement des Egyptiens était que les Enfants d’Israël eux-mêmes deviennent cruels vis-à-vis de leurs propres enfants.

Et plus que cela explique le Natsiv « c’est écrit: וַיְצַו et Pharaon a ordonné, qui est un langage de pression »

Le langage de l’ordre montre le stress qui allait en grandissant dans lequel se trouvait Pharaon en conséquence de l’accroissement de la tension spirituelle, et la résultante de cela c’est que toutes ses démarches pour affaiblir et déprimer le Peuple Juif jusque-là étaient vaines.

Deux grands enseignements ressortent de ce passage. Et ce sont des femmes qui sont les grandes actrices de ce qui se passe, et de ce qui va être les prémices de la délivrance. Et la Tora témoigne explicitement sur leur grandeur, le Midrach ne fait que détailler et mettre en valeur ce qui est exprimé en clair.

וַתִּירֶאןָ הַמְיַלְּדֹת אֶת הָאֱלֹהִים

Le « Ktav Vehakabala » sur Genèse 22.2 écrit : « L’amour est la cause de la crainte, et la crainte est la perfection de l’amour, elle le dépasse en niveau, comme le père avec son jeune fils qui craint sans cesse qu’il ne lui arrive souffrance et accident, et qui l’empêche de tomber. Et quel est le sujet de cette crainte-là et quelle en est la cause ? Tu peux dire que c’est l’amour qu’il lui porte, c’est pour cela qu’il a l’habitude de craindre toujours de peur qu’il ne lui arrive un malheur, et c’est en soi le sujet de l’amour de la grandeur et la crainte de la puissance de D., lorsqu’il aime D. vraiment, alors il craint toujours de porter atteinte à sa gloire .»

Les Sages-femmes ont réussi à résister aux propositions de faveur de Pharaon, ainsi qu’au danger et à la peur de lui désobéir car elles avaient cette crainte exceptionnelle qui se tenait fermement sur l’amour de la parole divine.

כי חיות הנה

Ibn Ezra : חָיוֹת  elles ont une grande force de vie

Aussi bien les sages-femmes que les femmes en général ont montré un amour de la vie, une détermination à donner la vie, d’un niveau tout-à-fait exceptionnel. Malgré la servitude, malgré les décrets infâmes, elles ont tenu bon, elles ont encouragé et entrainé leurs maris pour que le Peuple Juif continue à vivre. Et voilà la récompense : toutes les tentatives pour éliminer le Peuple Juif, pour le déprimer, le décourager, non seulement ont échoué, mais encore l’ont construit pour être préparé à la délivrance.

כי חיות הנה

ותחיינה : le désir de vie n’est pas une notion naturelle, c’est un niveau élevé.

Quelques mois après la libération des camps, en 1945, il y a eu Yom Kippour. Un yid a dit au Rabbi de Klausenburg : Rabbi, qu’est-ce que ça signifie pour nous un jour de pardon, qu’avons-nous pu fauter dans ces conditions si terribles ? Qu’avons-nous à nous faire pardonner ? N’avons-nous pas assez enduré ? Le Rabbi a répondu : «Si. Il y a une chose à nous faire pardonner. N’est-ce pas qu’il y a eu des moments où tu ne voulais plus vivre ? Eh bien tu dois demander expiation pour ces moments-là. »

Voir l'auteur

“Parashat Shemot. Grandeur dans le drame, les sages-femmes et Pharaon, par Madame Catherine Zyzek”

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