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Parashat Shemot : Être un homme, être une femme.

par: Rav Gerard Zyzek

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Parashat Shemot : Être un homme, être une femme.

 

 Avraham reçut en prophétie (Béréshit 15,13 et 14) que sa descendance sera étrangère dans un pays qui n’est pas le leur, qu’ils seront asservis et qu’ils subiront des souffrances durant quatre cents ans. D. jugera le peuple qui les asservira  et ils sortiront de ce peuple avec de grandes richesses. Le livre de Shemot est la concrétisation de cette prophétie. Il débute par le récit de l’asservissement et de l’esclavage,  et se termine sur la sortie d’Egypte, le don de la Torah et la construction du Mishkan, le Tabernacle. En fait, l’Egypte est la matrice dans laquelle se formera le peuple d’Israël. Il est classique de remarquer que ce récit d’une genèse nationale se passe dans un contexte complètement étranger. Mais quel élément a pu donner une identité commune à cette population confrontée durant des siècles à une toute autre culture et civilisation ? Le premier verset de la Parashat Shemot nous donne tout de suite des indications pour aborder cette grande question[1].

Shemot chapitre 1, verset 1 :
ואלה שמות בני ישראל הבאים מצרימה את יעקב איש וביתו באו.
‘Et voici les noms des enfants d’Israël qui viennent en Egypte, avec Yaakov chaque homme avec sa maison ils sont venus’.

Ils sont venus avec Yaakov, chaque homme avec sa maison.
Premier élément : chaque enfant ou petit enfant de Yaakov qui est venu en Egypte était lié fortement à son aïeul, avait un lien fort avec d’où il venait.
Second élément : ‘chaque homme avec sa maison, ils sont venus’. Il est à remarquer que lorsqu’ils vont sortir d’Egypte, le Korban Pessa’h, l’offrande du Pessa’h, constituera l’étape clef de cette sortie, or cette offrande devra se faire (Shemot 12,13) : שה לבית אבות שה לבית, ‘un agneau par maison paternelle, un agneau par maison’. C’est-à-dire que la formation nationale, sa constitution, se fait en une fête familiale. C’est une fête familiale avec un ton de référence nette au patriarcat : ‘la maison paternelle’. Nous voyons ici cette permanence de la maison paternelle et familiale, et dans l’arrivée en Egypte, et au moment de sa sortie.

Je sais, ami lecteur, que tu te demandes où vont mener nos propos qui paraissent défendre les valeurs familiales, et le vécu familial, comme rempart à l’assimilation et garant de la pérennité du peuple d’Israël. Ceci ne serait pas faux, mais ne nous satisfait pas complètement.

I. En quoi la maison paternelle et familiale fut-elle en Egypte le garant de la pérennité et de la formation d’Israël ?

Le récit du début du livre de Shemot soulève deux problématiques fondamentales : comment un peuple immigré dans une autre culture peut-il préserver sa spécificité, et deuxièmement, comment un peuple peut-il se constituer, se construire, du sein même d’un autre peuple ?
Une lecture rapide pourrait faire penser que la constante d’Israël est la dimension familiale, il nous semble que cet élément seul est erroné[2]. Il y a deux dimensions, la dimension paternelle, et la dimension maternelle. Nous pourrions dire que la possibilité d’une constance, d’une transmission, vient de la conjonction de la dimension masculine et de la dimension féminine : ‘Avec Yaakov, l’homme avec sa maison ils sont venus’. Avec Yaakov, c’est-à-dire qu’il y a une référence à une origine commune. L’homme et sa maison, c’est-à-dire qu’il y a d’un côté l’homme et aussi sa maison, c’est-à-dire sa femme qui lui donne un cadre d’expression vécu de sa spécificité. En effet les Maîtres de la Tradition Orale nous expliquent que ‘sa maison, c’est sa femme’ (Traité Yoma, première Mishna). La femme s’associe à son mari pour lui donner une possibilité de concrétisation de son être, c’est la maison.
L’Egypte était la négation radicale de cette dimension. La civilisation égyptienne était construite sur la confusion des sexes, et la négation de leur complémentarité. Cette affirmation parait a priori étonnante, mais force est de reconnaitre que c’est ainsi que nos Maîtres définissent les mœurs des Egyptiens anciens. En effet Rambam dans deux endroits, dans son commentaire sur le septième chapitre des Mishnayiot du Traité Sanhédrin, ainsi qu’au chapitre vingt et un des Hil’hot Issouré Biah, Hala’ha 8, rapporte le Midrash suivant :
‘ « Comme les actes de la terre d’Egypte vous ne ferez pas » (Vayikra 18,3), la Torah nous enjoint de ne pas nous conduire comme les mœurs des Egyptiens anciens. Que faisaient les Egyptiens anciens ? Un homme épouse un homme, une femme épouse une femme, une femme se marie avec deux hommes[3]’.
Si c’est ainsi, pourquoi donc le peuple d’Israël, défini ici par la constance d’une bi-focalisation homme-femme, s’est-il constitué du sein d’un peuple comme l’Egypte ?

Nous proposons de dire que l’Egypte était l’archétype de la civilisation. La civilisation prône le développement de la société, l’assomption de la société humaine. Chacun d’entre nous est limité par ses déterminations, son sexe, son corps. L’adhésion au projet de civilisation est dans le dépassement de ses limites intimes. Niant son corps, son sexe, nous touchons un pouvoir sans limite. Nous aimerions, par ce faire, toucher quelque part à un illimité, à une sorte de divin.
Le peuple d’Israël s’est constitué par l’affirmation intime de nos limites. Accepter de créer une maison, de fonder une maison, c’est accepter de n’être pas D. , d’être limité, de ne pas être le tout, d’avoir un cadre précis de définition. C’est justement dans l’adversité, lorsqu’il n’était pas tendance de se  limiter et d’assumer ses propres limites qu’Israël a pu se constituer, se construire, de manière puissante.

 

II. Être un homme, être une femme, comme préalable au service du D. Un.

Au début de Béréshit (chapitre 1, 27), lors de la création de l’homme, le verset dit :
‘D. créa l’homme à son image, à l’image de D. Il le créa, mâle et femelle Il les créa’.

Pourquoi lors de la création de l’homme est-ce spécifié qu’il fut créé mâle et femelle, alors qu’au sujet des autres êtres vivants, le fait qu’ils furent créés mâle et femelles n’est pas indiqué, quand bien même s’imposa-t-il qu’ils le soient ?
Chez les autres êtres vivants, le fait d’être soit mâle soit femelle est nécessaire mais conjoncturel. Chez l’humain cette détermination est structurelle.

Souvent on montre du doigt le judaïsme traditionnel, et on l’interpelle sur l’archaïsme de son distingo constant entre hommes et femmes. Les bénédictions du matin ne sont tout à fait les mêmes, les obligations des commandements qu’ont les hommes ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des femmes. D’aucuns prônent une nécessité d’un examen de conscience que le judaïsme devrait opérer sur ce sujet pour être présentable.
Le judaïsme traditionnel ne sera jamais présentable. Nous ne serons jamais présentables. Nous prônons un archaïsme fondé sur l’homme créé à l’image de D. qui s’est Lui-même limité, si nous pouvons nous exprimer ainsi, pour donner la possibilité au monde d’exister. Être un homme, être une femme, n’est pas une donnée biologique. C’est assumer activement d’être limité, et être à l’écoute affectueuse de ses propres déterminations. Notre corps n’est pas une limite insupportable à notre volonté de puissance, et à notre rêve d’être divin. Etre proche de notre détermination est le point de départ de notre relation à ce qui nous donne notre vie. L’homme ou la femme qui se targue de modernité voudrait que la femme puisse vivre comme un homme, et qu’un homme ne soit pas un homme. L’enjeu d’un tel débat est d’évacuer ou non notre relation à la source de notre réalité prosaïque et vivante.
Les enfants de Yaakov sont venus en Egypte, ‘homme et sa maison’. C’est en se limitant à leur cadre précis d’existence qu’ils ont pu à terme ne pas se diluer dans le fantasme civilisationnel.

Les Sages du Talmud on thématisé cette problématique dans un enseignement sublime du Traité Yévamot (62b) :
‘Celui qui aime ses voisins, celui qui rapproche ses proches, celui qui épouse la fille de sa sœur, et celui qui prête une pièce d’or à un pauvre à son heure de détresse, à leurs sujets le verset dit (Yéshayaou 58,9) « Alors tu appelleras et D. répondra, tu imploreras et Il dira : Je suis là ».

Qui est D. ? Ceci est une question un peu compliquée ! Peut-on avoir un lien avec D. ? Question un peu compliquée !
Nos Maîtres nous enseignent : chacun d’entre nous, nous vivons dans un certain univers concret. Soit tout d’abord proche des gens que tu côtoies, tes voisins. A quoi sert-il d’avoir des velléités humanistes abstraites ? Aime les gens que tu côtoies. Ensuite. Nous venons tous d’une famille. Nous avons des frères, des sœurs, des cousins, des cousines. Nos proches, c’est nous, nous avons les mêmes grands parents, les mêmes arrière-grands-parents. Nous avons la même source. Si tu gardes un contact avec tes proches, cela signifie que tu es proche d’où tu viens, du souffle de vie qui passe dans ton être, alors tu peux avoir un lien avec celui, avec la réalité qui est à l’origine de ton souffle de vie. De même, celui qui épouse la fille de sa sœur. Ne rentrons pas dans tous les détails de cet enseignement, mais cela signifie que tu épouses une femme avec laquelle tu as des points communs forts, avec laquelle tu pourras être proche. De même il y a des pauvres. Mais j’attends qu’ils me demandent l’aumône. S’ils ont besoin, ils n’ont qu’à demander !
Si quelqu’un est assez proche des gens et s’interroge sur ce qu’ils vivent, et est à même de percevoir leur détresse, et se préoccupe de les soulager même s’ils ne le demandent pas, alors D. à Son tour sera proche de lui, et écoutera ses requêtes.

Les Maîtres du Talmud ne se préoccupent pas de théologie. L’enjeu n’est pas de savoir si D. est proche de Ses créatures ou non. La préoccupation est de savoir si je suis proche de la réalité prosaïque que je vis ou non. Alors je pourrais éventuellement réaliser qu’à la source de cette réalité il y a une réalité existante qui lui donne existence.

 


[1] Nous appelons cela ‘grande question’ car la formation du peuple d’Israël du sein de la civilisation égyptienne préfigure quelque part la capacité certaine d’Israël à garder une certaine spécificité durant les longs siècles de ses pérégrinations en diaspora.

[2] Souvent chez les immigrés, le cadre familial est le refuge où le nouvel arrivant retrouve ses fondamentaux, la nourriture du pays, l’ambiance d’une origine rêvée. Ce n’est qu’une dimension féminine, l’homme est absent de ce refuge. C’est un matriarcat.

[3] Nous ne pouvons qu’être impressionnés comme ce qui nous parait ici participer de la modernité renvoie à des problématiques multi millénaires.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Parashat Shemot : Être un homme, être une femme.”

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