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Parachat Vaye’hi : Yaacov ou l’unité

par: Benjamin Bittane

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L’un des thèmes récurrents et prépondérants du livre de Berechit est celui de l’échec de la fraternité. L’un des thèmes récurrents et prépondérants du livre de Berechit est celui de l’échec de la fraternité. De Caïn à Abel jusqu’à Yosseph et ses frères, on a comme l’impression que la fraternité, l’entente est impossible. Comment alors Yaacov va-t-il être capable d’unir ses enfants, les 12 tribus, et d’en faire un peuple uni qui devient le peuple d’Israël ? Quelle est la vertu de Yaacov (qui lui-même n’a pas réussi à garder une bonne relation avec son frère) qui lui a permis d’unir au sein d’une même famille treize lignées[[En réalité, les tribus ne sont pas au nombre de douze mais de treize, Yosseph laissant sa lignée en deux tribus du nom de ses enfants : Ephraïm et Ménaché.]] ? Treize tribus qui, comme nous le voyons dans la paracha à travers les bénédictions que Yaacov donne à chacun de ses enfants, ont des caractères, des traits différents, et revendiquent cette différence. Et pourtant contrairement à leurs ancêtres, ils vont réussir (un certains temps[[Un certain temps, car tout au long de l’histoire juive, les tribus vont être en conflit (la tribu de Binyamine et les autres, dans l’épisode de la plaine de Iva, ou encore le Royaume de Juda et d’Israël).]]), à être unis.

Le Maharal de Prague dans deux de ses livres : le Nétsah’ Israël au chapitre 44, ainsi que le chapitre 7 de la section Nétiv Aavoda du Nétivot Olam (page 99 dans l’édition classique) développe ce point. Pour cet auteur Yaacov possède une qualité particulière que n’ont pas les autres patriarches. Yaacov est éh’ad légamrei, c’est-à-dire « un, complètement ». Pourquoi Yaacov porte-t-il en lui cet attribut si particulier ?

Au début de la paracha Toldoth, le texte dit (Gen. XXV, 21) :
וַיֶּעְתַּר יִצְחָק לַיהוָה לְנֹכַח אִשְׁתּוֹ, כִּי עֲקָרָה הִוא; וַיֵּעָתֶר לוֹ יְהוָה, וַתַּהַר רִבְקָה אִשְׁתּוֹ
« Isaac implora l’Éternel au sujet de sa femme parce qu’elle était stérile ; l’Éternel accueillit sa prière et Rébecca, sa femme, devint enceinte. »

Or les sages font remarquer[[Cf. Midrach Rabba.]] que le verbe vayétar (accueillir, accepter) est à la forme passive. Comme si D-ieu concéda la prière d’Isth’ak. Quelle était sa demande ? Isth’ak avait comme projet initial deux enfants qui à eux deux formeraient une unité, un enfant s’occupant du Olam Hazé (le monde ici-bas) en la personne d’Essaw et un autre du Olam Haba (le monde à venir) : Yaacov. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Rivka voyant qu’Essaw n’était pas prêt à assumer le rôle que son père lui confiait, elle mit son second fils en avant. Yaacov après avoir reçu la bénédiction de son père, dû partir chez Laban son oncle et beau-père. Dans ce contexte, loin de sa famille, Yaacov apprit à affronter la réalité de ce monde, à travers les fourberies et les entourloupes de son beau-père.

Ainsi Yaacov devint à la fois l’homme de l’au-delà et celui du concret, de ce monde-ci. En cela, il incarne l’être un. Donc comme l’explique le Maharal, Yaacov porte en lui cette unité, cette union qu’il réussira malgré les difficultés et les conflits entre les frères à leur transmettre. Cet éminent maître du XVIe siècle, définit la ah’dout « l’unité », selon deux paramètres.

– 1. Tout d’abord, la vision première de l’unité, c’est-à-dire une chose qui en soi est un. Ce premier paramètre est porté par le patriarche Yaacov.
– 2. Le second élément (c’est le h’idouch « l’innovation » du Maharal) qui façonne l’unité est un ensemble d’éléments qui ne sont pas un en tant que tels mais qui sont unifiés à travers un unificateur. Pour comprendre, le Maharal prend l’exemple du corps humain. Le corps humain est composé de plusieurs membres et organes qui s’unissent grâce à la neshama « l’âme ». Comme l’explique le Sefer Yestira[[Livre de base de la Kabbala, que la tradition orale attribue à Avraham.]], nous avons douze membres du corps principaux qui sont unis grâce à la neshama. De la même manière, les 12 tribus sont unies autour de leur père Yaacov et ainsi ils forment l’unité Ah’dout.

D’ailleurs dans le mot même éh’ad אֶחָד, le Maharal voit deux allusions à cette unité des tribus d’Israel :

– La première lettre Aleph qui correspond à la valeur numérique un désigne la tribu, la plus distincte des autres, la tribu de Levi, du fait de sa responsabilité dans la prêtrise. Ensuite H’et, le chiffre 8 désignant les huit tribus issues de Rachel et Léa (y compris les enfants de Yosseph : Ephraïm et Ménaché), puis Daleth (quatre) pour les quatre enfants des servantes Bina et Zilpa.
– La deuxième allusion qui provient du Netivot Olam est un peu plus simple. Le Aleph correspond à Yaacov, le H’eth aux huit enfants des matriarches et le Daleth aux quatre enfants des servantes.

Dans les deux cas de figure, cette allusion soulignée par le Maharal cherche à nous dire que les tribus d’Israël par le biais de Yaacov, sont porteuses de cette unité. Unité qui se veut spécifique, puisqu’elle prend en considération la spécificité, la sensibilité de chacun. Et là est certainement tout le défi, à la fois assumer et vivre ses aspirations, sa tendance propre tout en faisant parti d’un ensemble.

Cette relation des tribus entre elles et des tribus avec leur père n’est pas seulement une histoire biblique, elle préfigure la tension constante dans laquelle la ah’dout du peuple juif se trouve. D’un coté conserver une unité, unité qui se veut plurielle, qui laisse la possibilité à des tendances, des sensibilités d’exister et de s’exprimer. Je dirais même plus, la Thora cherche ces tendances, ces singularités. Le but n’est pas de sortir “tous du même moule”, d’avoir les mêmes points de vue sur les paroles de nos sages. Il faut assumer sa différence !

L’un des maitres qui a le plus par sa personnalité mis en avant ce point est Menahem Mendel de Kotzk. D’ailleurs « le test d’entrée » à Kotzk[[Cité dans le Ori véychi du Rav Eliav Edery.]] montre que c’est une valeur fondamentale de cette école de pensée. Lorsque quelqu‘un voulait intégrer le village et faire partie de cette communauté, on accueillait les prétendants par une fête donnée et bien arrosée. On s’arrangeait pour faire boire les candidats de sorte que le lendemain matin, ils aient du mal à se lever. De très bonne heure, tous les hassidim se levaient à l’insu des nouveaux venus, et se rendaient à la synagogue pour la prière. Ils retournaient ensuite se coucher pour ne se lever qu’en même temps que les candidats. Au réveil, on organisait un petit déjeuner. Or la halah’a stipule qu’il est interdit de manger avant de prier. Le nouveau h’assid tentait de dire quelque chose, d’exprimer sa gêne du non respect de la loi, mais ses remarques restaient sans effet. Les hassidim tentaient de le faire renoncer à ses principes. Si les candidats considéraient que ce que tout le monde fait n’est pas forcément négatif, alors ils ne méritaient pas de faire partie des Hassidim de Kotzk. Si, par contre, ils tenaient tête aux autres, alors ils étaient acceptés. Cette anecdote pour dire l’importance d’assumer sa sensibilité, son identité propre, d’assumer sa différence, tout comme les tribus d’Israël qui étaient chacune différente, mais formaient une ah’dout, une unité autour de Yaacov.

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