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Parachat haH’odech : « En vacances, j’oublie tout? » (Chabbat 147b)

par: Rav Yehiel Klein

Publié le 6 Mars 2013

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La Guémara (Chabbat 147b) nous raconte un épisode très étonnant, offrant un rapport certain avec la Parachat haH’odech que nous lisons cette semaine:

« Rabbi H’elbo a enseigné: le vin de Pérouguaïta et les sources de Dioumsit ont causé la perte des Dix Tribus d’Israël (car ils devinrent à leur contact des sybarites qui y consacraient leur temps, négligeant ainsi de s’occuper de la Thorah; ils furent alors vulnérables à l’influence de leurs souverains idolâtres – Rachi). Rabbi El’azar ben ‘Arah’ fréquenta également ces lieux, et y prolongea son séjour. Il en perdit son savoir: quand il revint chez lui, il s’appréta à lire la Thorah, et au lieu de lire « החודש הזה לכם » (« Ce mois-ci est pour vous » – Chémot XII, 2), il lit: « החרש היה לבם » (« Sourd étail leur coeur »)!… Les sages prièrent pour lui, et sa Sagesse lui revint… C’est à ce sujet qu’il est enseigné (Avot IV, 15): Rabbi Néhouraï disait, sois prêt à t’exiler pour apprendre la Thorah, et ne pense pas qu’elle viendra à toi, ni que tes camarades t’aideront à te la conserver, et ne te fie pas à ton intelligence » [….]. Selon certains, ce rabbi Néhouraï n’est autre que Rabbi El’azar ben ‘Arah’ lui-même, mais que ce surnom lui fut donné car il éclairait (אור=נהוראי) les yeux des Sages

(cf. Midrach Kohelet Rabba VII, 7, où l’histoire est racontée avec plus de détails)

Ce texte est d’autant plus interpellant que ce Rabbi El’azar ben ‘Arah’ est un des cinq plus grand élèves de Rabbi Yoh’anan ben Zaccaï (celui qui obtint des Romains la survie spirituelle du Peuple juif), et que, lorsque celui-ci contait les louanges de ses disciples, il considéra Rabbi El’azar comme une « source jaillissante » (Avot II, 8). Comment comprende qu’une telle personnalité, connue pour sa profondeur et sa vivacité d’esprit dont profitaient tous les Sages, put ainsi oublier tout son savoir de si fracassante manière, et tout ceci pour s’être quelques temps absenté?

Le Maharal, dans son commentaire sur la michna ramenée par la Guémara (Dereh’ haH’aïm IV, 15) nous apprend qu’il s’agit là tout simplement de la particularité de l’Étude de la Thorah et de son acquisition. Il s’agit en effet d’une Sagesse d’origine divine, d’essence tellement fine que l’esprit humain ne peut l’acquérir qu’au prix de nombreux efforts, tant intellectuels que moraux, puisque, fondamentalement elle ne devrait pas être compatible avec nous, car elle n’est pas de ce Monde! (cf. Nétivot ‘Olam, Nétiv haThorah, ch. I)

C’est la raison pour laquelle elle ne peut se trouver que chez celui qui est prêt à s’y consacrer, au point de se séparer de ses autres centres d’intérêt qui peuvent lui accaparer l’esprit, tant celui-ci a besoin de concentration et d’investissement pour étudier et intégrer le message de D. Tel est le sens de l’adage de Rabbi Néhouraï, « Sois prêt à t’exiler pour apprendre la Thorah », car c’est uniquement auprès de son Maître que la fine alchimie qu’est l’assimilation d’une telle « science divine » par notre esprit foncièrement terre à terre peut se réaliser.

On peut dès lors comprendre pourquoi la fréquentation assidue des bains et l’initiation à l’oenologie, et la place grandissante qu’ils prennent dans l’existence, aient causé tant de torts aux Dix Tribus (et avec de si tragiques conséquences, car on ne sait pas si elles nous reviendrons… cf. Sanhedrin 110b) et à la grande autorité qu’était Rabbi El’azar ben ‘Arah’.

Mais il faut comprendre pourquoi ce phénomène se traduisit chez Rabbi El’azar par ce lapsus édifiant. Il est évident que cela n’est pas un hasard si la première Paracha qu’il rencontra à son retour fut la Parachat haH’odech, et que son erreur y prit la forme décrivant la réalité décrite plus haut: « Sourd étaient leurs cœurs »…

Qu’est ce que cela peut bien nous révéler?

Pour répondre à cette interrogation, il faut bien sur se pencher sur la signification exacte de la Mitsva de Kiddouch haH’odech, ce commandement inaugurant la naissance du Peuple d’Israël (cf. Rachi Beréchit I, 1)

Il s’agit en réalité d’une idée toute simple: pour être en mesure d’accomplir nombre de Mitsvot liées aux diverses Fêtes que D. a fixé, il nous faut un calendrier, et pour ce faire, nous devons nous-même veiller à l’observation du renouvellement de la lune, de même qu’à l’équilibre entre le cycle de celle-ci et celui du soleil – car notre calendrier est luno-solaire: nos mois sont lunaires, mais les principales Fêtes (les Trois Fêtes de pèlerinage) doivent respecter les saisons (cf. Sanhédrin 11b)…

Or, cela signifie avoir, pour ce faire, constamment la tête dans les étoiles, mais pas seulement. Car le cycle de la lune que nous devons scruter, n’est pas comme celui du soleil, qui s’impose à nous de par les jours et les saisons. Il est un phénomène caché qu’il faut prospecter et auquel il faut accorder de l’attention, quitte à faire abstraction de la lumière du jour pour pouvoir observer la nouvelle lune (il fallait deux témoins pour l’officialiser, que le Beit-Din interrogeait sérieusement, etc….)

En d’autres termes, le juif est appelé par la loi elle-même à aller au-delà du Monde naturel et à le depasser, pour pouvoir acceder à des réalités spirituelles qui le concernent plus: telle est bien la Thorah, selon ce que l’on a vu dans le Maharal.

Cette idée ressort, entre autres, du commentaire que consacre le Rav Chimchon Raphaêl Hirsh à la Parachat haH’odech, lorsqu’il oppose l’Égypte au cycle (presque trop) naturel, dans lequel rien n’a jamais fondamentalement changé et dans lequel rien ne changera jamais, au calendrier que D. veut nous faire adopter, où la lune elle-même semble être capable de se renouveler chaque mois…

On comprend alors que c’est la Providence elle-même qui a provoqué le lapsus de Rabbi El’azar ben ‘Arah’, pour lui que ce changement de ses centres d’intérêt était à l’origine de son oubli de la Thorah. La « source jaillissante » – qui symbolise cette capacité à toujours chercher et trouver au fond de soi de nouvelles approches de la Thorah – s’est tarie parce que cette introspection continuelle fut stoppée, puisque Rabbi El’azar avait l’esprit ailleurs.

C’est le sens des paroles du Maharcha sur notre Guémara: selon lui, « le cœur de Rabbi El’azar ben ‘Arah’ devint un cœur de pierre, incapable de comprendre alors qu’auparavant il était cette « source jaillissante », au contact des Sages ». C’est donc le trop plein de préoccupations extérieures qui prive l’homme de pouvoir rechercher la Sagesse qui réside au fond de chacun de nous.

Dans le même ordre d’idée, le Ya’avets analyse ainsi l’erreur du grand Tanna: « Il me semble que sa langue a fourché specifiquement sur ce verset là, par allusion aux Dix Tribus qui developpèrent une telle dépendance à la boisson [et aux sources thermales] que leur coeur se raidit, et devint insensible à la crainte de D. et à Sa Thorah… » on trouve là une idée parallèle à la précédente, en ce que l’abus de plaisirs physiques peut annihiler la sensibilité de l’homme, en faire uns sorte de robot consommateur, et lui couper tout désir de spiritualité.

Le message que nous pouvons tous prendre de cet épisode, est relevé par le Rav H’aïm Shmoulévitch, le grand Roch Yéchiva de Mir (Sih’ot Moussar, « Lo Yavo beh’ol Et el haMikdach« ): si il nous est parfois nécessaire de prendre des congés, de se couper du rythme de notre vie quotidienne qui, pour aussi riche qu’elle soit, n’en comporte pas moins le risque du « Métro Boulot Dodo », il ne faut pas que ceux-ci se transforment en relâchement total où les valeurs qui font notre force le reste de l’année se trouvent totalement mises de côté jusqu’à la rentrée; la pause nécessaire ne doit pas devenir ce que sont les « vacances » pour la société qui nous entoure…

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