img-book
Catégories : , ,

Parachat Chemini. L’enquète de Moïse.

par: Dr Bertrand Klein

Revenir au début
Print Friendly, PDF & Email

Parachat Chemini. L’enquète de Moïse.

« Et Moise rechercha le bouc d’expiation » par Mr Bertrand Klein

 

Rappel

« Et ce fut au huitième jour » : dernier jour de l’inauguration du Michkan , les Cohanim  nouvellement intronisés commencent à exécuter leur service .

Ce jour inaugural, 1er Nissan, Ils apportent (versets 9/2 et suivants):

. pour eux même :                un jeune taureau comme h’atath (expiatoire)

et un bélier comme OLah (holocauste).

. pour les enfants d’Israël : un bouc comme h’atath,

un veau et un mouton comme Olah,

un taureau et un bélier comme chelamim (offrande de paix)

et une minh’a (offrande de farine).

. pour Nah’chon, 1er des 12 princes de tribu à apporter son offrande, entre autres offrandes :

un bouc comme h’atath (cf Nombres 7/12).

. pour le jour de Roch h’odech (néomènie) :

un bouc comme h’atath (cf Nombres 28/15).

La joie est à son comble lorsqu’un feu, venu du ciel, consume les Korbanoth (sacrifices de rapprochement) et qu’«apparaît la Gloire de D.ieu à tout le peuple » (9/23), marquant ainsi le « retour » de la Présence divine en son sein .

Mais, (pour faire court), emportés par leur enthousiasme mystique et l’extase, Nadav et Avihou,  deux des fils d’Aaron, le Grand Prêtre, outrepassent les limites fixées par la Loi divine au service sacerdotal et en meurent.

Moïse interdit à Aaron et à ses deux fils restants les marques de deuil habituelles (10/6 §7), leur interdit l’ivresse (8 à 11) et leur ordonne de consommer, nonobstant leur deuil, leurs parts des sacrifices selon les règles normales. (10/12 à 15).

 

L’enquête de Moïse. Verset 16 à 20. (et leur explication par Rachi)

« Et le bouc de h’atath, Moïse le chercha, le chercha (daroch darach) et voici qu’il avait été brûlé et il s’irrita contre Elazar et Itamar les deux fils d’Aaron restants …. »

Quelle est la cause de la colère de Moïse, adressée contre ses enfants par bienséance, mais en réalité destinée à Aaron ?

Les parts du bouc d’expiation dévolues à être mangées par les prêtres ont été consumées par le feu de l’autel !

Mais de quel bouc de h’atath s’agit-il : notre rappel des faits en mentionne trois :

le bouc « inaugural » des enfants d’Israël,

le bouc de l’offrande de Nah’chon

et le bouc de Roch h’odech.

Les deux premiers sont des korbanoth exceptionnels, motivés par l’événement « historique » que constitue l’inauguration du Tabernacle, saintetés du moment (Kodchei chaah) ;

le troisième se renouvèlera tous les débuts de mois, tant que le culte sacrificiel perdurera, sainteté pour les générations (Kodchei doroth).

Le bouc dont il est question (car un seul a été brûlé et non consommé par Aaron et ses fils) est celui de Roch h’odech.

Seul celui-ci a été donné « pour porter la faute de l’assemblée et obtenir leur expiation devant D.ieu « (verset 17). C’est donc pour ce seul Korban perpétuel que Moïse se met en colère.

Moïse enquête sur les causes légales possibles qui auraient pu motiver qu’il soit consumé mais il n’en existe pas (versets 18 et 19 avec Rachi) : les viandes n’ont pas été sorties du michkan ; le sang n’a pas été aspergé à l’intérieur du Heikhal mais bien sur l’autel extérieur ; c’est Aaron, Cohen gadol , qui a abattu le sacrifice et non ses fils (Le cohen gadol même en deuil a le droit de le faire mais pas les cohanim « simples »), autant de circonstances qui auraient justifié que le bouc ne soit pas brûlé, mais bien consommé.

Alors, Aaron lui-même se justifie (fin du verset 19) : « Mais il m’est advenu de telles choses ; si j’avais mangé de h’atath, cela aurait-il été bon aux yeux d’Hachem ? ».

Et Rachi de commenter : Même si les morts n’étaient pas mes fils mais d’autres parents pour lesquels il m’est ordonné de prendre le deuil et de me rendre impur (cf 21/2 §3), aurais-je du en manger ?

C’est bien le deuil qui est la cause de la décision d’Aaron de brûler et non de consommer les parties de Korbanoth qui le sont normalement.

(Deuil s’entend ici au sens de Onen, c-à-d entre le moment du décès et la mise en terre ; seul deuil de par la Thora, les périodes suivantes de deuil étant d’ordre rabbinique).

Cette décision n’a pas été imaginée par Moïse . Rappelons-nous que celui-ci a demandé à Aaron et ses fils de consommer ce qui doit l’être de la minh’a (malgré leur deuil), ainsi en a-t-il reçu l’ordre (verset 13). Pour lui, cette mesure semble concerner globalement toutes les offrandes du jour (exceptionnelles, kodchei chaah comme la minh’a ; ou perpétuelles, kodchei doroth, comme le bouc de Roch h’odech.

Aaron, lui, a compris du même ordre que si on a besoin de lui préciser de manger de la minh’a (alors qu’il s’agit là d’un processus habituel), c’est qu’il ne le devrait normalement pas car il est en deuil.

Si on lui ordonne donc d’en consommer, malgré son deuil, c’est parce qu’il s’agit d’une offrande exceptionnelle, kodchei Chaah. Mais un sacrifice habituel ou perpétuel, kodchei doroth, comme celui de Roch h’odech ne doit pas être mangé en deuil, même par le Cohen gadol.

La discussion entre Moïse et Aaron se résume donc à ce point : être en deuil (Onene) interdit-il à un cohen de consommer des sacrifices « habituels » ?

 

INTERPRETATIONS

a) Pour Rabbi Chimchon Raphaël Hirsh, le point sensible de la discussion est la faculté ou non du Cohen en deuil d’être tout à son rôle.

En effet, dans les sacrifices de faute, l’expiation du fauteur est apportée par la consommation par le Cohen des parties du sacrifice qui lui reviennent, en état de sainteté dans un lieu saint. (« Cohanim okhelim ou baalim mitcaprim ». Cette expiation advient par la capacité du Cohen de ne tirer profit de cette nourriture matérielle que pour des motivations spirituelles en particulier par la joie de la mitsva pour elle-même. Il s’agit là d’une disposition d’esprit subjective, forcément impossible dans la tristesse inévitable du deuil.

Cela est vrai, en période « routinière » mais est dépassé dans l’allégresse exceptionnelle de l’inauguration du Michkan.

b) En l’absence d’autre commentaire retrouvé, qu’il me soit permis une interprétation personnelle, plus expérimentale que réfléchie.

Qui a vécu un deuil a vécu, a ressenti, a expérimenté une proximité quasi indicible avec le Créateur. Qui a vu un membre de sa famille proche passer en une fraction de seconde de vie à trépas, n’a pu que ressentir à quel point D.ieu est maître de nos vies, à quel point tout dépend de Lui.

Dans ces circonstances, une approche graduée, éducative, pédagogique, symbolique, comme l’est celle des commandements et des Mitsvoth, ou de l’étude, du Limoud, est vaine. Car on est alors projeté, sans le vouloir, dans cette dimension de rapprochement avec le Créateur, sans en avoir effectué la démarche, qui a pourtant ce rapprochement comme but.

(C’est la raison, croyons-nous, pour laquelle le Onene, l’endeuillé avant l’enterrement, est dispensé d’accomplir tous les commandements).

Aaron est dans cet état de proximité avec D.ieu. D.ieu trouverait-il bon de le distraire de cet état pour accomplir une démarche pour s’approcher du même but, alors qu’il l’a déjà atteint ?

C’est sa réponse à Moïse : mon vécu personnel, individuel, de proximité avec D.ieu est noyé dans le même vécu quand il est collectif et national : ainsi en est-il des réjouissances exceptionnelles de l’inauguration du Michkan , kodchei chaah, provoquées par l’irruption renouvelée de la Présence   Divine dans le peuple.

Mais cette même expérience privée , par le deuil, n’a aucune raison d’être niée ou annulée pour réintégrer une démarche éducative collective d’approche de D.ieu comme l’est le Korban Tsibour de Roch h’odech, démarche « renouvelable », kodché doroth, qui plus est communautaire.

(voir note 1)

CONCLUSION

Moïse se rend à cet avis et reconnait l’avoir entendu de D’ieu puis oublié (verset 20). Il est vrai qu’il n’a pas vécu la même expérience du deuil et qu’il est essentiellement le « grand éducateur » par la transmission de la Loi au peuple d’Israêl.

La guemara (Kiddouchin 30a) fait remarquer que la séparation en deux nombres égaux des mots de la Thora, autrement dit le « centre » du Texte révélé, se trouve entre les 2 mots Daroch et Darach (verset 16) qui ouvrent ce récit.

Rav Tsadoch Hacohen pointe que c’est là le premier exemple d’interprétation de la Loi Ecrite par l’intelligence humaine, donc de l’exercice de la loi orale, d’où son importance centrale.

Pour nous, s’il est un point central de la Thora, c’est celui de la tension permanente et du difficile équilibre à trouver entre :

. la nécessaire Loi commune, effort de la collectivité d’Israël pour assumer son destin de peuple de D.ieu,

. et l’expérience privée, fruit d’une démarche personnelle dans le but d’être un homme de D.ieu.

Le texte ici analysé semble nous enseigner que si une expérience personnelle, comme celle de Nadav et Avihou, ne peut s’affranchir des bornes de la Loi Divine ; en revanche, la Loi divine tient compte d’un vécu privé comme celui d’Aaron dans son deuil et s’y adapte.

 

Dr B.KLEIN . Mars 2019

 

Note 1 :

La même distinction entre ressenti personnel de la proximité divine dans le  deuil et démarche éducative par les mitsvoth nous semble à l’origine de la prolongation des manifestations de deuil à 12 mois pour le père et la mère , alors qu’elles sont limitées à 1 mois pour les autres membres de la famille (époux(se), frère ,sœur, enfants).

Dans le deuil des Parents, le premier effet de proximité divine, commun à tous les deuils, est conjugué à la perte des repères éducatifs parentaux ; cela entraine de fait le besoin d’un temps de « cicatrisation » et de « prise d’autonomie » de l’endeuillé beaucoup plus long que pour les autres deuils.

Voir l'auteur

“Parachat Chemini. L’enquète de Moïse.”

Il n'y a pas encore de commentaire.