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Les frères Bielski

par: Emmanuel Vaniche

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1942. Les SS liquident les uns après les autres les ghettos de Biélorussie, assassinant méthodiquement les Juifs à la mitrailleuse, à l’exception de ceux exerçant des professions jugées utiles. 1942. Les SS liquident les uns après les autres les ghettos de Biélorussie, assassinant méthodiquement les Juifs à la mitrailleuse, à l’exception de ceux exerçant des professions jugées utiles. Dans la région de Lida et de Novogrudok, ils soufflent le chaud et le froid : après chaque opération d’extermination, les Juifs qui n’ont pas été sélectionnés sont rassurés par les Allemands, qui leur promettent la vie sauve du moment qu’ils continuent à être productifs dans leurs ateliers. Un climat de terreur s’installe dans les ghettos progressivement vidés de leurs habitants.

Trois frères, Touvia, Zus et Asaël Bielski, sont résolus à ne pas attendre la mort qu’ils sentent inéluctable, et décident avec leurs familles de s’enfuir dans la forêt. Ils sont fils d’un meunier, et connaissent donc la campagne environnante comme leur poche. Ce sont des hommes de la terre, ils savent survivre dans la forêt dense et les marécages d’Europe de l’Est. Leur métier les a mis en contact avec de nombreux paysans, ils entretiennent même des relations cordiales avec certains, ce qui leur permet de se cacher dans des fermes et de s’approvisionner régulièrement en vivres. C’est le début d’une incroyable épopée qui va durer deux ans, jusqu’à la défaite des Nazis à l’été 1944.

Au départ constitué d’une vingtaine de personnes, le groupe des frères Bielski va devenir en quelques mois un détachement de partisans qui aide les Juifs à s’évader des ghettos, tend des embuscades aux troupes allemandes, exerce des représailles contre les collaborateurs biélorusses et sabote des lignes de chemin de fer. Traqués par les Allemands, les frères Bielski doivent fréquemment changer de planque, et déménager les campements édifiés à grand-peine dès que survient le danger. Les marches de nuit s’enchaînent, il faut aider les enfants, les femmes et les personnes âgées, rassembler le bétail et les quelques ustensiles qu’il est possible d’emporter avant de partir, pour se cacher toujours plus profondément dans les bois. Car le groupe Bielski n’est pas un groupe de partisans comme les autres : les deux tiers de ses membres ne sont pas des combattants. Touvia, le frère aîné qui assure la direction du groupe, tient en priorité à sauver des vies, les actions armées passent après. C’est Zus et Asaël qui s’en chargent, et leurs coups d’éclats sont favorablement remarqués par les autorités soviétiques.

A partir de 1943, le groupe Bielski, qui compte 300 personnes, est officiellement intégré à l’armée des partisans soviétiques. Touvia va gérer de main de maître les relations complexes avec ces alliés officiellement athées et peu disposés à voir se constituer une unité sous une bannière confessionnelle ; leur appui est indispensable pour assurer la pérennité du groupe, c’est avec diplomatie qu’il faut leur démontrer l’utilité de son action, en s’exprimant comme un parfait communiste.

Un an après sa fondation, le groupe Bielski devient un véritable village dissimulé dans la forêt, un village que Touvia Bielski va transformer en centre d’approvisionnement pour tous les groupes de partisans de Biélorussie : les artisans juifs sont experts dans le travail du cuir, des tissus, et du métal. Ils fabriquent des selles, des vêtements, des bottes très appréciées (elles sont indispensables dans ces régions neigeuses en hiver et boueuses en été). Ils réparent aussi les fusils, récupèrent du métal pour en faire des fers à cheval ou des ustensiles divers… Les plus jeunes vont ramasser du bois de chauffage dans la forêt, les femmes se chargent de la cuisine, le village a aussi son médecin, sa troupe de théâtre, sa synagogue…

Recevant un jour la visite du général soviétique commandant les partisans de toute la Biélorussie, Touvia Bielski lui fait visiter les différents ateliers ; arrivé à la tannerie, le général découvre avec stupéfaction des ‘hassidim plongés dans leur ‘amida de Min’ha. Il n’en croit pas ses yeux : que font donc ces gens ? Sans se démonter, Touvia lui répond : vous voyez bien, général, ils apprennent par cœur l’histoire du parti ! Et celui-ci éclate alors de rire…

Pendant ce temps, les combattants continuent de harceler les Allemands et leurs auxiliaires, ils en tueront au total plusieurs centaines. Une discipline de fer est nécessaire au sein même du groupe, pour éviter toute dissension qui mettrait à mal la sécurité de l’ensemble.

A la libération en 1944, le village Bielski abrite 1 200 habitants ! Si l’on compte leurs descendants, ce sont plusieurs milliers de Juifs aujourd’hui installés en Israël et aux Etats-Unis principalement, qui doivent la vie sauve à l’action déterminée et à l’intelligence tactique des frères Bielski.

Asaël, mobilisé dans l’Armée Rouge, est tué en 1945 lors du siège de Berlin. Son épouse et sa petite fille née pendant la guerre partiront s’installer à ‘Haïfa. Touvia et Zus, après un bref retour dans leur village d’origine, émigrent en Israël avec leurs familles respectives, avant de s’établir au début des années cinquante à New York. Touvia vit modestement comme chauffeur livreur, Zus réussit un peu mieux et crée sa compagnie de taxis. Leur tout jeune frère Aharon, encore adolescent pendant la guerre, est parti avec eux pour le Nouveau Monde.

En 1986, après plusieurs décennies d’oubli, un dîner est offert en l’honneur de Touvia Bielski à l’hôtel Hilton de New York, en présence de 600 personnes qui l’acclament et le remercient de ce qu’il a fait. Ce chef charismatique et courageux, qui a habilement manœuvré pour sauvegarder un si grand nombre de vies, est mal à l’aise d’être autant honoré. Il s’éteint l’année suivante, et repose à Jérusalem.

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