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Introduction à la fête de Rosh HaShana.

par: Rav Gerard Zyzek

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La fête de Rosh Hashana est une fête dont le contenu n’est pas aisé à saisir.

La Tradition Orale présente ce jour comme un jour de jugement, mais sur quoi sommes-nous jugés ? Et quelle en est la source ?
Nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse en nous basant sur les passages du livre des Juges, Shoftim, desquels les Maîtres de la Tradition Orale apprennent la teneur des souffleries du Shoffar le jour de Rosh Hashana.
Notre étude abordera plusieurs sujets connexes. Ce ne sont pas des digressions mais des travaux d’approche qui nous permettront de mieux entrer dans le sujet.

Première partie. Étude d’un passage étonnant du livre des Juges, Shoftim. Critique de la recherche de la vérité.

Après la mort de Moshé notre Maître, Yéoshoua fit entrer les enfants d’Israël en terre de Canaan. Le but était de chasser les cananéens et de prendre possession de la terre. Certes la majeure partie de la terre fut conquise, toutefois des territoires restèrent aux mains de cananéens.

Il n’y avait pas après le décès de Yéoshoua d’instance centralisatrice du peuple d’Israël. Lorsque les enfants d’Israël se détournaient du service de D., les cananéens restant s’attaquaient aux enfants d’Israël. C’est ainsi que nous arrivons à la période qui nous occupera dans le cadre de cette étude.

Livre des Juges, Shoftim, chapitre 4 verset 1.

ויוסיפו בני ישראל לעשות הרע בעיני ה’ ואהוד מת.
‘Les enfants d’Israël rajoutèrent de faire le mal aux yeux de D. et Ehoud était mort[1]
וימכרם ה’ ביד יבין מלך כנען אשר מלך בחצור ושר צבאו סיסרא והוא יושב בחרשת הגוים.
‘D. les vendit (les livra) aux mains de Yavin roi de Canaan, qui régna à ‘Hatsor, son général en chef étant Sisra, il siégeait en ces temps-là à ‘Harochèt HaGoïm[2]

‘D. vendit les enfants d’Israël’
Les versets prophétiques nous font découvrir une certaine approche des événements historiques : les oppressions que le peuple d’Israël peut subir sont liées à des aléas spirituels du peuple.

ויצעקו בני ישראל אל ה’ כי תשע מאות רכב ברזל לו והוא לחץ את בני ישראל בחזקה עשרים שנה.
‘Les enfants d’Israël hurlèrent vers D. car il avait neuf cents chars en fer et il opprima Israël férocement durant vingt ans.’

On a du mal à saisir la relation de cause à effet exprimée par la conjonction de coordination ‘car’, comme si la cause du cri des enfants d’Israël à D. était le fait que Yavin était armé de neuf cents chars et non le fait que les enfants d’Israël furent oppressés férocement !
Le Malbim explique qu’en fait si les enfants d’Israël avaient pu se débrouiller par eux-mêmes et se débarrasser de Yavin sans se soucier de D., ils l’auraient fait, ce n’est que parce que Yavin possédait des armes au summum de la technologie de l’époque et qu’il était donc impossible de se battre contre lui qu’ils hurlèrent vers D. . Cette remarque subtile nous montre combien nous sommes enclins à nous désintéresser radicalement de D., de notre Créateur, dans notre existence. Le verset nous montre éloquemment que les enfants d’Israël ne se tournèrent vers D. avec sincérité que parce qu’ils n’avaient aucune autre alternative.

Verset suivant (Vers.4).
ודבורה אשה נביאה אשת לפידות היא שפטה את ישראל בעת ההיא.
‘Et Devorah, une femme prophétesse, la femme de Lapidot, jugeait Israël à ce moment-là.’
[Nous ne rapportons pas l’intégralité des versets, notre propos se centrera à un point précis]
Verset 6.
ותשלח ותקרא לברק בן אבינועם מקדש נפתלי ותאמר אליו הלוא צוה ה’ אלקי ישראל לך ומשכת בהר תבור ולקחת עמך עשרת אלפים איש מבני נפתלי ומבני זבולון.
‘Elle envoya quérir Barak fils d’Avinoam de Kadèsh en Naftali (du territoire de la tribu de Naftali) et lui dit : voici ce que l’Eternel le D. d’Israël a ordonné, va et attire à toi[3] vers le mont Tabor et tu prendras avec toi dix mille hommes des fils de Naftali et de Zévouloun.’
Verset 7.
ומשכתי אליך אל נחל קישון את סיסרא שר צבא יבין ואת רכבו ואת המונו ונתתיהו בידך.
‘J’attirerai vers toi, vers le torrent de Kishon, Sisra, le général d’armée de Yavin, ses chars, la foule de ses soldats, et je le donnerai dans ta main.’

Devorah, quand bien même serait-elle une femme, met au point une stratégie d’attaque. Elle attirera Sisra vers le torrent de Kishon, et alors Barak arrivera par surprise, du haut de la montagne de Tabor. La bataille fut une victoire miraculeuse du peuple d’Israël, à telle enseigne que, de même que les enfants d’Israël chantèrent une Shira, un Cantique, juste après la traversée de la Mer Rouge, de même Devora chanta-t-elle une Shira après cette bataille inouïe. Le verset du Cantique de Devora dit (chapitre 5, verset 20) :
מן השמים נלחמו הכוכבים ממסילותם נלחמו עם סיסרא.
‘Des cieux on combattit, les étoiles depuis leurs orbites ont combattu Sisra.’

Et finalement (chapitre 4, verset 16) :
וברק רדף אחרי הרכב ואחרי המחנה עד חרשת הגוים ויפול כל מחנה סיסרא לפי חרב לא נשאר עד אחד.
‘Et Barak poursuivit les chars et après l’armée jusqu’à ‘Harochèt HaGoïm, et toute l’armée de Sisra tomba au fil de l’épée, il n’en resta pas jusqu’à un[4].’
Verset 17.
וסיסרא נס ברגליו אל אהל יעל אשת חבר הקיני כי שלום בין יבין מלך חצור ובין בית חבר הקיני.
‘Et Sisra fuit à pied vers la tente de Yaël la femme de ‘Hévèr le Keini, car les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini.’

Nous savons que, dans la suite des évènements, Yaël assassina Sisra et scella ainsi la victoire des enfants d’Israël et leur délivrance. Par cette victoire et par la mort de Sisra se conclut la conquête de la terre de Canaan par les enfants d’Israël, conquête qui fut ordonnée par D. à Moshé et à Yéoshoua après lui.

Par contre, et là résidera le corps de notre étude, un élément nous interroge : comment se fait-il que dans la débandade absolue Sisra n’eut pas d’autre idée pour se réfugier que chez ‘Hévèr le Keini ? Et d’ailleurs le verset dit bien que ‘les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini’.

I. Qui est ‘Hévèr le Keini ?

Le verset dit un peu plus haut (chapitre 4, 11) :
וחבר הקיני נפרד מקין מבני חובב חותן משה.
‘Et ‘Hévèr le Keini s’était séparé des Kéinis, des enfants de ‘Hovav le beau-père de Moshé.’

Nos Maîtres disent (Mekhilta de Rabbi Ishmaël, ainsi que Rashi, au début de la Parashat Yétro ainsi que sur la Parashat Béhalotékha 10,29) que Yétro le beau-père de Moshé avait sept noms, ‘Hovav et Kéini font partie de ces sept noms. Yétro, le beau-père de Moshé, rejoint les enfants d’Israël dans le désert et s’associe à leur destin. C’est ce que l’on appelle : être מתגייר, être Mitgaïer, que l’on traduit souvent par ‘se convertir’ ; nous préférons traduire : ‘s’associer au destin du peuple d’Israël’. Yétro, après avoir rejoint les enfants d’Israël dans le désert, retourna dans son pays, Médine, pour les encourager à rejoindre le peuple d’Israël à leur tour. Et c’est ce qu’ils firent effectivement comme nous le voyons au début du livre des Juges (Shoftim 1,16). Yétro, appelé ici dans notre chapitre ‘Hovav, se distingue donc par son attachement puissant, militant, à Israël et à sa Torah, d’autant plus que ce terme ‘Hovav signifie ‘aimer’. Nous disons bien militant, en cela que toute sa famille rejoint comme nous venons de le dire le peuple d’Israël. ‘Hever, dont il est question ici au quatrième chapitre des Juges, est donc un descendant de Yétro, descendant de cette tribu bédouine fidèle au D.ieu d’Israël et à sa Torah. Comment donc, et pourquoi donc, le verset dit-il qu’au cœur de cette période terrible de l’histoire d’Israël ce descendant de Yétro était-il finalement ami avec ce grand ennemi du peuple d’Israël qu’était Yavin le roi des Cananéens, à telle enseigne que lorsque l’oppresseur en chef d’Israël chercha à trouver refuge, c’est vers la maison de ‘Hever qu’il se tourna ?

  1. Pourquoi les relations étaient-elles paisibles entre Yavin ennemi d’Israël et ‘Hévèr le Keini ?

On peut aisément rejeter cette question et dire que les faits étaient ainsi, et pourquoi n’y aurait-il pas des aléas dans la famille de Yétro et de ses descendants comme cela arrive d’ailleurs dans la plupart des familles ! Nous rejetons cet argument pour une double raison, premièrement le livre des Juges fait partie des écrits prophétiques. Les événements rapportés ne sont pas des anecdotes. Certes il y a eu une guerre il y a trois mille ans entre les enfants d’Israël et le restant des Cananéens qui n’avaient pas été repoussés par Yéoshoua, toutefois c’est de la vieille histoire, en quoi ce passage guerrier porte-t-il le sceau de la prophétie ? Et deuxièmement, et cela est une preuve qu’il ne s’agit pas ici d’historicité ni d’anecdote, si tant est que les relations entre Yavin et ‘Hévèr étaient paisibles, il est toutefois étonnant que ce fut par la femme de ‘Hévèr, Yaël, qui elle-même devait être une de ces bédouines enjuivées, descendante elle-même de Yétro, que la délivrance finale arriva, en ce qu’elle rusa et assassina ce grand ennemi d’Israël qu’était Sisra. Précisons. Si les relations étaient paisibles entre l’ennemi terrible d’Israël et ‘Hévèr, comment se fait-il que finalement la chute vint de l’épouse même de ce ‘Hévèr ?
Comment trouver une démarche de résolution à cet écheveau de questions ?

III. Premier élément de réponse. Yétro, c’est Caïn.

Les Mekoubalim, les Maîtres de la Kabbala[5], établissent un lien puissant entre la personnalité de Yétro et celle de Caïn, premier enfant d’Adam et Eve, celui qui a tué Abel son frère, comme nous le voyons dans le Séfèr HaGuilgoulim (Hékdéma 32 et 36) de Rav ‘Haïm Vital au nom de son maître le Ari Zal (rapporté aussi dans le Shné Loukhot HaBrith et dans le Bené Issakhar, entre autres) :
כי זה סוד פסוק וחבר הקיני נפרד מקין, כי הנה יתרו הוא משורש קין, וחבר הקיני הוא מבני בניו של יתרו, גם הוא מן קין, ולכן נקרא חבר הקיני לשון קין.
‘Car ceci est le sens profond du verset « et ‘Hévèr le Keini s’est séparé de Caïn (que nous avons traduit ‘des Keinis’ plus haut) », car Yétro tire son fondement de Caïn, et ‘Hévèr le Keini fait partie des petits enfants de Yétro, donc lui-aussi tire son fondement de Caïn. Et c’est pourquoi le verset l’appelle le Keini, c’est-à-dire qui vient de Caïn.’

Certes il est indéniable que le terme récurrent Keini vient du mot Kaïn que nous orthographions Caïn en français, toutefois quel est le lien intime, profond, que les Mekoubalim veulent nous faire entendre entre Yétro cette grande personnalité, père aussi de l’épouse de Moshé notre Maître, qui s’approcha de la Présence Divine et rejoint les enfants d’Israël dans le désert de Sinaï et le premier assassin de l’histoire de l’humanité ?

IV. Résolution des questions. Critique de la recherche de la vérité.

Longtemps nous nous sommes demandé : quel est le lien entre Yétro et Caïn, entre le bon et le mauvais, si nous pouvons nous exprimer ainsi ?
Le Sod Yésharim[6], livre fondamental de ‘Hassidout, fait de cette question une thématique majeure (Maamar 94 sur Rosh HaShana). Nous rapportons la traduction des phrases qui nous paraissent cruciales :
‘Car au regard on distingue très peu de différences et de séparation entre les valeurs d’Israël et les valeurs des nations idolâtres, et c’est sur ce point que se basait l’accusation du peuple d’Israël[7]. Et c’est à quoi le verset fait référence en disant « les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini ». C’est-à-dire que la nature d’un prosélyte du type de Yétro était de ne voir que ce que le regard donne à voir, il ne capte pas la profondeur des choses. Or dans l’ordre du discernable le roi de ‘Hatsor, Yavin, était quelqu’un de très très bien, et c’est pourquoi ‘Hévèr le Keini, descendant de Yétro, se percevait même plus proche de lui que des enfants d’Israël. (…) La guerre avec Sisra mettait en branle des enjeux tellement puissants que les étoiles durent s’impliquer dans la bataille du haut de leurs trajectoires, cela exprime que D., pour contrer ces terribles accusations, engagea pour sauver Israël les étoiles depuis leurs trajectoires qui sont au-dessus des limites et des catégories de ce monde.’

Plusieurs thèmes fondamentaux s’imbriquent l’un dans l’autre dans ce passage sublime autant que concis. Essayons de les décrypter.

Tout d’abord une critique cinglante de Yétro. ‘La nature d’un prosélyte du type de Yétro était de ne voir que ce que le regard donne à voir, il ne capte pas la profondeur des choses’. Où voit-on une telle attitude chez Yétro ?
Après réflexion, il nous semble que le Sod Yécharim nous donne ici, à la suite des Mekoubalim, une lecture profondément originale d’un verset célèbre du livre de Shemot.

Les versets nous disent que Yétro a entendu tout ce que D. a fait à Israël son peuple à la sortie Égypte. Qu’a-t-il entendu précisément ? Rashi répond : Yétro entendit la traversée de la Mer Rouge et la guerre d’Amalek. Bouleversé, ému, il fait devant Moshé un splendide acte de foi (Shemot 18,11) :
עתה ידעתי כי גדול ה’ מכל האלהים כי בדבר אשר זדו עליהם.
‘Maintenant je sais que l’Eternel est plus grand que tous les autres dieux, car c’est dans ce que les Égyptiens voulaient faire à Israël qu’ils furent châtiés.’

Qu’est-ce qui a tellement bouleversé Yétro ? Nos Maîtres expliquent (Traité Sotha 11, repris par Rashi dans son commentaire) : Pharaon était tourmenté par l’emprise qu’avaient les enfants d’Israël dans son royaume. Comment résoudre le problème ‘juif’ ? Pharaon avait trois conseillers intimes, Bil’am, Yov (Job) et Yétro. Bil’am suggèra de noyer les bébés d’Israël, cette idée séduisit Pharaon. Voyant que cette décision barbare et ingrate[8] allait être appliquée, Yétro claqua la porte, Yov se tut.
Les années passèrent, et lorsque Yétro se rendit compte que le châtiment des Egyptiens correspondit exactement au forfait qu’ils voulaient faire, il se rendit compte de la grandeur du D. Un, D. d’Israël. En quoi ? Et que signifie l’expression ‘l’Eternel est plus grand que tous les autres dieux’ ? Que signifie le terme ‘grandeur’ ?
Grand est ce qui n’est pas limité. Les Idoles connues punissent toujours ceux qui les offensent selon leur propre identité, le Dieu du feu punit par le feu, le Dieu des océans punit par la tempête. Le D.ieu d’Israël n‘est pas limité : il punit selon la juste mesure du forfait à Son égard. Et Yétro qui avait été aux premières loges, dans les secrêts d’alcove, fut bouleversé lorsqu’il réalisa la justesse non-finie de la justice du D.ieu d’Israël, et se rapprocha alors de Son peuple.

‘Plus grand que tous les autres dieux’, Cela nous apprend que Yétro fit le service de toutes les idoles (Commentaire de Rashi, sur la base de la Mekhilta).
En effet, le commentaire de Rashi s’impose car comment Yétro peut-il témoigner de la Grandeur du D. d’Israël en comparaison des autres dieux, peut-être y a-t-il un dieu en Birmanie ou en Papouasie orientale auquel le D. ieu d’Israël pourrait avoir du mal à se mesurer ? A moins de dire que Yétro soit hâbleur et qu’il parle facilement ! Il s’impose donc de dire qu’il fit concrètement le service de toutes les idoles et qu’il parle ici en connaissance de cause.

Yétro est l’exemple du prosélyte qui a roulé sa bosse. C’est l’homme qui s’est investi toute sa vie à la recherche de la vérité. Et qui vient embrasser la foi d’Israël.
Prenons, si nous pouvons nous permettre, un exemple. Quelqu’un vient s’intéresser au judaïsme. Après avoir été communiste, il alla vivre dans des monastères bouddhistes près de Kathmandou. Ensuite, il alla à New York et devint batteur de Jimi Hendrix. Il partit, après plusieurs années aux Etats Unis, vivre dans le Yucatan s’initier aux techniques spirituelles mayas. Il fréquenta les derniers chamanes qui se transmettent dans le plus grand secret la tradition occulte des pré-colombiens. Après avoir été déçu des dérives de la révolution islamique en Iran, il va à la rencontre des Sages d’Israël avec simplicité et humilité, et prend sur lui avec sincérité le joug des commandements de la Torah. Quel parcours extraordinaire ! Quelle vie intérieure, quelle flamme intérieure !
Le Sod Yésharim nous décrypte un tel parcours : c’est Caïn !

Quel rapport ?
Effectivement, au sens premier, pour nous Caïn est l’assassin par excellence, mais les Maîtres de la Kabbala, et le Sod Yésharim à leur suite, nous aident à aller plus loin. Caïn était fondamentalement ambivalent. Ce n’était pas seulement le premier meurtrier, c’était aussi un interlocuteur de D..
Tout d’abord, Caïn fut le premier humain dont la Torah dit qu’il fit une offrande à l’Eternel.
Voyant l’initiative de son grand frère, Abel lui-aussi fit une offrande. L’offrande d’Abel était plus parfaite, plus engageante que celle de Caïn, un feu céleste signifia que D. agréa l’offrande d’Abel. Caïn fut terrassé par ce choix de D., l’initiative n’était-elle pas venue de lui !
D. dit à Caïn : pourquoi prends-tu cela mal, améliore toi, et tes actes seront agréés !
Nous voyons que Caïn était un interlocuteur de l’Eternel (Béréshit 4,6). Y a-t-il plus grand niveau spirituel !
Certes pour nous le texte de la Genèse est un récit, D. parle à l’homme, pourquoi pas ? Mais de nos jours qui, à part les fous, peut se targuer que D. lui parle ? Que D. parle à l’homme montre une proximité et une intimité particulière. Et nonosbtant ces qualités certaines et rares, Caïn tue son frère, et sort volontairement de cette proximité à D., comme dit le verset (Béréshit 4,16) : וצא קן מלפנ ה’ ,’Caïn sortit de devant D.’.
Rabbi Its’hak Louria, le Ari Zal, en nous mettant en relation Yétro et Caïn, nous force à creuser dans les méandres de l’âme humaine. Rashi nous a enseigné que Yétro n’a pas laissé une idole à laquelle il n’aurait pas voué de culte. Certes ses égarements étaient mus par une recherche profonde de la vérité, mais entre-temps cela ne l’a pas dérangé d’être idolâtre au moment précis où il servait telle ou telle idole.
Lorsqu’il découvre la Torah, finalement cette approche vient par comparaison, cette reconnaissance certes heureuse peut être essentiellement réversible, versatile. Et là git une turpitude mise en relief par nos Maîtres : cette versatilité est la même que celle de Caïn. Le Ari Zal (rapporté par Rav ‘Haïm Vital dans le Séfer HaGuilgoulim) relie cette attitude à l’image de la sinuosité du serpent, en opposition à ce que l’on pourrait appeler ישרות, Yashrout, une droiture.

Fort de ce que nous venons de travailler, nous pouvons maintenant apprécier une subtilité dans le commentaire de Rashi.
Nous avons apporté plus haut le commentaire de Rashi, à la suite de la Mekhilta, sur le verset עתה ידעתי כי גדול ה’ מכל האלקים, ‘Maintenant je sais que l’Eternel est plus grand que tous les autres dieux’, mais nous n’en n’avions pas donné la traduction précise. La voici :
‘Plus grand que tous les autres dieux. Cela nous apprend que Yétro connaissait toutes les idolâtries, qu’il n’avait pas laissé une idolâtrie à laquelle il n’avait pas voué de culte’. Le commentaire de Rashi a la réputation d’exceller entre autres pour sa conscision, pourquoi ici Rashi rajoute-t-il une phrase entière ‘qu’il n’avait pas laissé une idolâtrie à laquelle il n’avait pas voué de culte’, pourquoi ne se suffit-il pas de la première proposition, en l’occurrence ‘que Yétro connaissait toutes les idolâtries’ ?
Rashi, par l’ajout de cette seconde proposition, nous définit la profondeur du terme ‘connaître’. Connaître ne signifie pas avoir des informations sur quelque chose, connaître signifie avoir expérimenté cette chose. Si le verset dit que Yétro sait, connait, cela signifie qu’il a voué un culte concrètement à toutes ces idoles. Par voie de conséquence il ressortira de là une définition de la spécificité de Yétro : ‘il n’avait pas laissé une idolâtrie à laquelle il n’avait pas voué de culte’.
Cette nuance est fondamentale et nous permettra dès lors de faire un lien entre la personnalité de Yétro et celle de Caïn[9].

V. La turpitude qu’il y a dans la recherche de la vérité.

Le sujet qui nous occupe a des incidences concrètes dans la Halakha, la loi juive.
Voir Rambam Hilkhot Biat Mikdash chapitre 9 Halakha 13.
כל כהן שעבד עבודה זרה בין במזיד בין בשוגג אע »פ שחזר בתשובה גמורה הרי זה לא ישמש במקדש לעולם שנאמר ולא יגשו אלי לכהן לי.
‘Tout Cohen[10] qui aurait voué un culte à une idole sciemment ou par inconnaissance, quand bien même aurait-il fait une Teshouva parfaite, qu’il serait revenu complètement de ses actes, ne pourra plus jamais faire de service au Temple, comme dit le verset « ils ne s’approcheront plus de moi pour Me servir ».’
Cet enseignement de Rambam est fondé sur la Mishna du Traité Menakhot (108b).

Nous voyons d’ici qu’avoir voué un culte à une idole une fois dans sa vie est considéré par notre tradition comme laissant une trace que n’efface pas la force puissante du repentir, de la Teshouva. Cette trace est unique, on ne la retrouve prise en compte dans aucune autre catégorie de faute et de transgression.

Qu’y a-t-il d’unique dans le fait d’avoir fait un culte idolâtre ?
Nous pourrons trouver des éléments probants de réponse dans un responsumdu Radbaz, Rabbi David Ben Zimra, ( Leshonot HaRambam §1418). Le sujet traité par le Radbaz porte sur la gravité d’avoir été hérétique. Il ne porte pas à proprement parler de l’idolâtrie, mais d’un sujet qui lui est proche. L’hérétique est plutôt l’idéologue de idolâtrie, plutôt que l’idolâtre même. Nous en rapportons le texte in-extenso.
רדב »ז ללשונות הרמב »ם אלף תי »ח. זה לשונו. שאלת ממני אודיעך דעתי במה שכתב הרמב »ם ז »ל פרק שני מהלכות עבודה זרה ישראל שעבד עבודה זרה וכו’ וכן המינים מישראל אינם כישראל לדבר מן הדברים ואין מקבלים אותם בתשובה לעולם ע »כ וקשה דהא נביא קאמר לישראל שובו אלי ואשובה אליכם אע »פ שעבדו עכו »ם בני אותו הדור בפרהסיא ואין לך דבר שעומד בפני התשובה והוא ז »ל כתב בפ’ ג’ מהלכות תשובה בד »א שכל א’ מאלו אין לו חלק לעולם הבא בשמת בלא תשובה אבל אם שב מרשעו ומת וכו’ כל הרשעים והפושעים והמומרים וכיוצא בהם שחזרו בתשובה בין בגלוי בין במטמוניות מקבלים אותם שנאמר שובו בנים שובבים וכו’.

‘Tu m’as demandé mon avis au sujet de ce qu’écrit le Rambam, que sa mémoire soit source de bénédiction, au second chapitre des lois relatives à l’idolâtrie (Halakha 5) « un Israël qui a pratiqué un culte idolâtre (…) et de même les hérétiques parmi les Israël ne sont pas admis dans Israël et on n’accepte nullement leur repentir (leur Teshouva) ». Tels sont les termes de Rambam, cela est très incompréhensible car le Prophète n’haranguait-il pas Israël en disant « revenez vers moi et je reviendrai vers vous ! », ce qui signifie que quand bien même auraient-ils servi l’idolâtrie ostensiblement, rien ne tient devant le repentir. Et d’ailleurs le Rambam lui-même écrit dans le chapitre 3 des lois relatives à la Teshouva, au repentir « lorsque l’on dit dans notre tradition que telle catégorie de personnes n’aurait pas part au Monde Futur, cela ne parle que si cette personne est décédée sans repentir mais non si elle s’est amendée et a fait Teshouva. Tous les impies, les fauteurs, les renégats qui se seraient repentis, au su et au vu de tous ou peut-être rien que dans l’intimité, on les reçoit, comme dit le verset « revenez enfants indisciplinés ! ».’

תשובה. יפה שאלת וכבר נבוכו בה רבים ודעתי הוא כי אין לך דבר עומד בפני התשובה ואפילו מין כל ימיו וחזר מקבלין אותו ויש לו חלק לעולם הבא אבל יש חילוק בין שאר עבירות למינין שבשאר עבירות אפילו עבד עכו »ם כל ימיו וחזר בתשובה מקבלין אותו ומחזיקים אותם בבעל תשובה וחוזר לחזקתו הראשונה כאלו לא עבד כלל אבל המינין נהי דמקבלים אותם בתשובה אבל אין מחזיקים אותם בבעלי תשובה ואינו חוזר לחזקתו לעולם וטעמא דמלתא כיון שהם תרים אחר מחשבות לבם ועוברים על דברי תורה בשאט נפש לפי שהמצוות בזויות בעיניהם היום אומר לו לבו לשוב בתשובה ולמחר אומר לו מה בצע בתשובה ויחזור לסורו ונמצא כיון שהוא תר אחר מחשבות לבו אין אנו בטוחים בו. והמקרא אשר הביא הרב ז »ל לראיה מעיד על כוונתו שנאמר כל באיה לא ישובון ולא ישיגו ארחות חיים. ומה שכתב אין מקבלין אותם בתשובה לעולם הכי קאמר איןמקבלין אותם להחזיקן כבעלי תשובה ואיפשר שלזה כיכוון הרב ז »ל במלת לעולם כלומר אין מקבלין אותם להיות תשובתם לעולם. הנלע »ד כתבתי.

‘Ta question est excellente et en a mis plus d’un en désarroi. Ma synthèse est la suivante. Rien ne tient devant le repentir. Quand bien aurait-il été hérétique toute sa vie, s’il se repent, on le reçoit et il a part au Monde Futur. Mais il ya toutefois une différence entre toutes les fautes et l’hérésie. Quand bien même aurait-il fait le service de l’idolâtrie toute sa vie et qu’il se serait amendé, on le reçoit, on le considère comme étant un Baal Teshiouva véritable, un repentant authentique, et il retrouve le statut de tout juif comme s’il n’avait pas servi du tout l’idolâtrie[11]. Mais les hérétiques, quand bien même les accepterions nous dans la Teshouva mais nous ne les considérerons pas comme des repentis authentiques et ils ne reprendront pas le statut de tout juif jamais. La raison en est que leur faute vient du fait qu’ils suivent la séduction des pensées de leur cœur et par cela même transgressent les paroles de la Torah avec désinvolture car finalement pour eux l’accomplissement des commandements est vil à leurs yeux. Un jour l’élan de son cœur lui dira de revenir dans le giron de la Torah, le lendemain son cœur lui dira : quel intérêt y a-t-il dans le repentir ! Et il retournera à ses habitudes. Le problème est qu’étant habitué à suivre ce qui séduit les pensées de son cœur, nous ne pouvons avoir d’assurance à son égard. Le verset qu’apporte Rambam pour étayer son enseignement témoigne que ce qu’il veut dire n’est pas que l’hérétique ne puisse pas faire Teshouva, mais que loin sera de lui le repentir véritable « tout celui qui la fréquente (l’hérésie) ne pourra pas revenir, et ils n’atteindront pas les chemins de la vie ». Il faudra dès lors comprendre ce que dit Rambam qu’on ne le reçoit jamais en Teshouva est à comprendre dans le sens qu’on ne les reçoit pas pour les considérer comme des repentants à part entière. Il est possible que c’est à cela que Rambam faisait allusion lorsqu’il écrit לעולם, pour toujours, c’est-à-dire qu’on ne les reçoit pas en Teshouva, pensant que ce repentir serait לעולם, LéOlam (du fait de leur versatilité fondamentale). Tel est ce qui me parait ressortir comme synthèse[12].’

  1. Résumons.En première lecture les versets que nous avons abordés ici paraissent datés et circonstanciés. Au milieu du récit guerrier apparait un verset a priori inintéressant : ‘les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini.’
    Nous avons appris après recherche soutenue que ce verset en fait met en relief des enjeux cruciaux et transhistoriques. C’est ce que nous avons appelé ‘la critique de la recherche de la vérité’.
    Une question néanmoins se pose : si fondamentalement la démarche de Yétro voisine avec un risque réel de versatilité, de superficialité, voire de potentialité de traitrise comme nous le voyons dans l’amitié entre ‘Hévèr le Keini et Yavin le terrible ennemi d’Israël, comment donc Moshé notre Maître et les anciens dans le désert accueillirent-ils Yétro et l’aidèrent-ils à s’insérer dans le peuple d’Israël ?
    Cette question prend tout son poids en voyant ses implications légales. En effet nos Maîtres (Tossefot Yévamot 47a, Tossefot Kiddoushin 62b) considèrent que l’accueil de personnes du type de Yétro, de personnes qui s’associent au destin du peuple d’Israël, est une nécessité vitale pour le peuple d’Israël à chaque génération.

VII. Comment combler le manque inhérent à la recherche de la vérité ? Démarche du Rambam.

Rambam Hilkhot Melakhim chapitre 8, Halakha 10.
משה רבינו לא הנחיל התורה והמצוות אלא לישראל שנאמר מורשה קהלת יעקב, ולכל הרוצה להתגייר משאר האומות שנאמר ככם כגר, אבל מי שלא רצה אין כופין אותו לקבל תורה ומצוות.
‘Moshé notre Maître n’a donné la Torah et ses commandements en héritage qu’à Israël, comme dit le verset « héritage de l’assemblée d’Israël », ainsi qu’à quiconque des Nations du monde qui veut se convertir, comme dit le verset « le même statut sera pour l’Israël et pour le converti », mais celui des Nations qui ne veut pas de la Torah et de ses commandements, on ne le force d’aucune manière.’

Le Rambam du verset ככם כגר ‘comme vous, comme le Guer, le converti’, déduit que la qualité d’engagement du prosélyte est structurellement la même que celle du juif de ‘souche’. C’est-à-dire que la Torah s’impose, a été donnée, à toute personne née juive, qu’elle le veuille ou non, ainsi qu’à toute personne parmi les Nations qui s’y sent concerné. Au moment précis où cette personne est concernée, par elle-même, non par des causalités extérieures, alors la Torah lui a été donnée intrinsèquement., comme à un juif de ‘souche’. Rambam résoud ainsi dans une certaine mesure notre problème : ce n’est pas finalement par choix personnel, mais par nécessité. La Torah s’impose à cette personne.

Seconde partie. Développement à partir du commentaire du Sod Yésharim. Où il est question de la pérennité d’Israël.

I.

Le Sod Yésharim, en expliquant avec précision le verset qui est à la base de cette étude, ajoute une nuance supplémentaire, et nous ouvrira à toute une réflexion sur le destin et la vocation transhistorique du peuple d’Israël. ‘Les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini.’ Yétro avait reconnu une grandeur particulière au D. d’Israël. Or parfois les valeurs portées par le peuple d’Israël ne sont plus perceptibles, et a contrario les nations même idolâtres peuvent développer des valeurs parfois égales ou plus éloquantes que ce qui a l’air d’être véhiculé par le peuple d’Israël. Et c’est ce qui se passait à l’époque de la prophétesse Déborah, où le verset dit clairement que ‘les enfants d’Israël faisaient le mal au yeux de D.’ et que les cananéens idolâtres dominaient et opprimaient les enfants d’Israël.
Ce sont les mots du Sod Yésharim :
‘Dans l’ordre du discernable le roi de ‘Hatsor, Yavin, était quelqu’un de très très bien, et c’est pourquoi ‘Hévèr le Keini, descendant de Yétro, se percevait même plus proche de lui que des enfants d’Israël’.
Les guerres, ou les oppressions que subissent souvent le peuple d’Israël, ne sont pas des évènements contingents. La lecture prophétique nous éveille que ces évènements révèlent des contentieux spirituels. C’est ce que dit le Sod Yésharim, Yavin le roi de ‘Hatsor était porteur de valeurs qui dans une certaine mesure accusaient Israël. Et c’est cette dimension profonde que nous suggère cette amitié bizarre entre ‘Hévèr le Keini et l’ennemi juré du peuple d’Israël.

Le peuple d’Israël traverse les temps, les cultures, les civilisations. Où se passe la pérennité d’Israël ?
Pratiquement à chaque génération, la survie d’Israël est contestée. Ce peuple n’est-il pas trop vieux ? Et que propose-t-il dans le vaste marché des idées et des valeurs ?
Il nous semble que le verset qui nous occupe, qui traite de l’amitié entre ‘Hévèr et Yavin le roi de ‘Hatsor, touche cette problématique intemporelle.
Prenons un exemple pour sentir l’incandescence du problème.
Il y a cent ans et plus l’Allemagne était le centre de la vie culturelle mondiale. L’Allemagne avait inventé ou renouvelé la grandeur de la philosophie. La philosophie était allemande. La peinture était allemande, la poésie était allemande, la littérature était allemande, ainsi que la physique, les mathématiques, la chimie, la psychologie, la pensée politique, la pensée économique, pour aboutir finalement à la musique. Et nous, petits juifs du ghetto, qu’étions-nous? Que véhiculions-nous ?
En quoi ‘le cou d’oie farci[13]’ fait-il le poids face à la neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven ?
Le Sod Yésharim[14] de manière quasi-prophétique explique que le roi de ‘Hatsor Yavin présentait d’excellentes valeurs, quand bien même s’opposait-il à Israël de toutes ses forces. Avec ces mots concis, le Sod Yésharim synthétise l’enjeu de la pérennité d’Israël: Israël ne véhicule pas de valeurs.
Certes, mais qu’est-ce qui permet à Israël de tenir le coup ? Son attachement au D. Un ? Mais ne voyons-nous pas aujourd’hui d’énormes populations se réclamer de ce même D. Un tout en refusant au peuple d’Israël ne serait-ce que d’exister ?

  1. Qu’est-ce qui permet à Israël de tenir face à ses accusateurs ? Critique de la notion de compréhension.

Et ici se pose une question qui se réitère génération après génération : y a-t-il une pérennité au peuple d’Israël ?
Les Maîtres du Talmud ont abordé cette thématique redoutable.

Menakhot 29b.
אמר רבא שבעה אותיות צריכות שלשה זיונין ואלו הן שעטנ »ז ג »ץ.
‘Rava nous enseigne : sept lettres nécessitent chacune trois ornementations, ce sont les lettres qui forment les mots Shahatnèz Gats[15].’

Ces ornementations, appelées Ziounin par Rava, consistent en trois petites fléchettes finement écrites en haut de ces lettres. Pourquoi ces sept lettres précisément nécessitent selon la tradition talmudique ces petites fléchettes vers le haut des lettres ?
Le Mishna Beroura (chapitre 36, §15) cite le livre Iguérèt HaTioul[16] : ‘ces sept lettres peuvent se lire aussi Satan Guèts. Ces mots sont des grands accusateurs d’Israël, ce qui est la signification du terme Satan, l’accusateur, Guèts a aussi cette signification. Les Ziounim, ces fléchettes en haut des lettres, sont comme des armes, des glaives, qui nous sauvent de ces accusateurs’.

Ces deux passages, celui du Traité Menakhot et le commentaire du Iguérèt HaTioul, nous paraissent bien ésotériques, voire moyenâgeux !
Est-ce possible de trouver pour nous une pertinence à ces passages talmudiques bizarres ? En quoi ces petites décorations peuvent-elles sauver le peuple d’Israël de ses détracteurs, voire de ses ennemis ?

Le passage rapporté dans le Traité Menakhot (29b) juste au dessus de l’enseignement de Rava pré-cité nous apportera un éclairage. L’enseignement que nous allons rapporter est ce que l’on appelle un enseignement aggadique, c’est-à-dire que sous forme de parabolle, de fable, les Sages du Talmud nous transmettent des considérations d’ordre métaphysique. Ces passages, comme les passages légaux, exigent une méthode d’interprétation précise et rigoureuse. C’est avec crainte et appréhension que nous allons tenter de faire ce travail.

אמר רב יהודה אמר רב בשעה שעלה משה למרום מצאו להקב »ה שיושב וקושר כתרים לאותיות אמר לפניו רבש »ע מי מעכב על ידך אמר לו אדם אחד יש שעתיד להיות בסוף כמה דורות ועקיבא בן יוסף שמו שעתיד לדרוש על כל קוץ וקוץ תילין תילין של הלכות אמר לפניו רבש »ע הראהו לי אמר לו חזור לאחורך הלך וישב בסוף שמנה שורות ולא היה יודע מה הן אומרים תשש כוחו כיון שהגיע לדבר אחד אמרו לו תלמידיו רבי מנין לך אמר להן הלכה למשה מסיני נתיישבה דעתו.
‘Rav Yéouda dit au nom de Rav : lorsque Moshé monta en haut (pour recevoir la Torah) il trouva D. qui était assis et qui accrochait des couronnes aux lettres. Il lui dit : Maître du monde, qui t’oblige à faire cela ? Il lui répondit : un homme viendra au bout de moult générations dont le nom sera Akiva fils de Yossef qui déduira des profusions de Halakhot, de lois, à partir de chaque petite pointe. Il lui dit : Maître du monde, montre-le moi ! Il lui dit : retourne en arrière ! Il alla et s’assit au bout de huit rangées (au fond de la maison d’étude de Rabbi Akiva). Il (Moshé) ne comprenait pas ce qu’ils disaient. Il fut brisé. Arrivant à un point précis, ses élèves lui demandèrent : Rabbi, d’où sais-tu ce que tu nous avances ? Il leur répondit : c’est une loi que nous avons de Moîse du Sinaï. Il fut rasséréné.’
חזר ובא לפני הקב »ה אמר לפניו רבונו של עולם יש לך אדם כזה ואתה נותן תורה על ידי אמר לו שתוק כך עלה במחשבה לפני.
‘Il revint auprès de D., il lui dit : Maître du monde, tu as un tel homme et tu donnes la Torah par mon intermédiaire ? Il lui dit : tais-toi, ainsi est monté dans la pensée devant moi.’

Nous ne pouvons tout d’abord que nous étonner sur la dimension poétique de cet enseignement, sur la hardiesse des images ! Certes l’art n’est pas le cœur de problème des Maîtres du Talmud, mais d’aucuns ressassent en disant qu’il n’y aucune esthétique dans la dimension juive traditionnelle ! Nous repondrions à ces mécontents chroniques qu’il n’y a certes aucune dimension d’art pour l’art,
mais que par contre la volonté de transmettre un enseignement fort impulse chez nos Maîtres une créativité et une hardiesse sans limites.

Par quel bout entrer dans cet enseignement déroutant ?
Nous aimerions relever le point suivant. Dans cette parabole, les Sages disent que Moshé ne comprennait pas ce qu’ils disaient, et qu’il en était brisé. Ensuite Rabbi Akiva justifie ses dires en disant que la source de son enseignement est une Halakha, une loi reçue de Moshé du Sinaï. Revenant auprès de D., Moshé dit : tu as un tel homme et tu donnes la Torah par mon intermédiaire ?
Certes il est connu que Moshé était le plus humble des hommes, mais qu’a-t-il trouvé chez Rabbi Akiva pour que, face à lui, il considère inapproprié à ce que la Torah soit donnée par son intermédiaire ? Sous forme de boutade nous dirions : est-ce le fait qu’il ne comprenait pas ce qu’il disait qui faisait qu’il le trouvait si extraordinaire ?

Nous proposons de dire ainsi.
Ce passage justement viens nous définir la pertinence des enjolivures au dessus de certaines lettres de la Torah. Quel en est leur sens et quelle en est leur utilité.
En quoi le fait que Moshé ne comprenait ce qu’ils disaient a l’air d’être le fait que sur un certain aspect ce qu’ils développaient était supérieur à la dimension de Moshé Notre Maître ?
Moshé représente la Torah écrite. Le texte de la Torah dans une certaine mesure exprime des valeurs, des idées. ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’. ‘Tu donneras le salaire de ton ouvrier en son temps’ etc…
D’une manière ou d’une autre, on peut s’approprier le texte écrit, et c’est ce que les Nations ont fait, ils ont appelé cela ‘la Bible’, ou bien ‘le Pentateuque’. La Bible de Moïse.
Un texte est quelque part une matérialité, le texte est limité par la limite des lettres, la limite de l’écriture.
Le passage du Traité Menakhot nous dit que Moshé a vu D. accrocher des couronnes aux lettres. Le Maharal de Prague, dans les ‘Hidoushé Aggadot, dit que la couronne est au-dessus de la tête, elle couronne la tête. La couronne exprime une dimension au dessus de la compréhension.
Lorsque l’on dit cette phrase ‘une dimension au dessus de la compréhension’, on a tendance à l’interpréter comme un refus de la compréhension, à y voir un appel à l’irrationnel et à l’obscurantisme.
Nous voulons dire par cette expression ‘au dessus de la compréhension’ que l’acte de comprendre est essentiellement limité. Je comprends, c’est-à-dire j’ai enfermé la chose, je l’ai limitée. Je la domine.
L’écrit donne flanc à la compréhension, et à limitation.
Le passage du Traité Menakhot nous donne l’idée de fléchettes qui émanent de ces lettres. Le texte relatif à Rabbi Akiva les appelle ‘des couronnes’. Ces ornementations représentent la manière dont le corps de la Torah se développe, se ramifie jusqu’à irradier tous les détails de notre vie, c’est ce qui s’appelle ‘le travail de la Halakha’, le labeur incessant de la Tradition Orale, du travail du Talmud.
Labeur incessant car la Halakha n’est jamais figée, elle est constamment en mouvement, l’intellect est en mouvement constant, et dépasse la saisie partielle de la compréhension.
Les esprits chagrins montrent les talmudistes du doigt en les accusant d’obsession du légalisme, de volonté de limiter les choses comme si le credo du talmudiste était : hors la Halakha point de salut !
L’ignorant dans l’étude de la Torah pense que la Halakha est figée, et qu’il faut se conformer à une trame définie une fois pour toute et réductrice.
Nous apprenons de ce passage du Traité Menakhot que le travail de la Tradition Orale, représentée par la personnalité de Rabbi Akiva, est comme ces couronnes qui sont au dessus de la tête et exprime un intellect actif, dynamique, non-limité.

Rava, dans le premier enseignement cité plus haut, appelle ces couronnes, ces ornementations, des ‘fléchettes’, ‘Ziounim’. Le Iguéret HaTioul, cité plus-haut, dit que ces ornementations sont comme des armes qui défendent Israël de leurs accusateurs, de leurs ennemis.
En quoi ? Et, corollairement, pourquoi Moshé dans le passage dans Menakhot, considère-t-il Rabbi Akiva comme étant plus grand que lui ?
Il nous semble devoir répondre ainsi. La Torah écrite peut se percevoir telle quelle, la Torah orale, toute en mouvement et en redéfinition constante, nécessite un travail brisant. Ce qui est figé en nous, notre corporalité, en prend un rude coup.
Depuis toujours l’intellect et ses limites ont posé problème. Certaines démarches ont promu la négation de l’intellect.
Le travail de la Tradition orale met en jeu une brisure de l’intellect, donc de mon moi, pour faire jaillir de cet intellect, de la brisure de mon moi, une dimension qui lui est supérieure, une dimension d’infini, de non-limité.
Prenons un exemple.
Traité Sanhédrin 17a.
אמר רב יהודה אמר רב אין מושיבין בסנהדרין אל מי שיודע לטהר את השרץ מן התורה.
‘Rav Yéouda nous enseigne au nom de Rav : on ne nomme au Grand Tribunal Rabbinique (le Sanhédrin) que quelqu’un qui sait prouver que le Shérèts est pur selon la Torah’.
Le Sanhédrin est l’instance centrale de définition de la loi orale. C’est au Sanhédrin que l’on vote (à l’époque du Temple de Jérusalem) les lois. Dans la Torah il y a des lois relatives à la pureté et à l’impureté. Il est écrit explicitement dans la Torah écrite que les Shérèts sont impurs. Les Shérèts sont certains animaux (hérisson, lézard, taupe…) dont les cadavres rendent impurs indubitablement (voir Vayikra 11,29). Malgré tout Rav Yéouda nous enseigne au nom de Rav que ne sera capable de trancher la Halakha que quelqu’un qui pourra prouver que le contraire est possible.
Indéniablement, ne pourra participer de l’élaboration de la Halakha que quelqu’un prèt à briser ses certitudes, mêmes les certitudes qu’il pourrait tirer du texte même de la Torah.
Et ceci est la particularité de l’enseignement de Rabbi Akiva : la capacité d’innovation et d’insuffler des lectures neuves du texte même de la Torah. De secouer le texte pour lui donner une dimension vivante.
Prenons un exemple à partir de l’enseignement même de Rabbi Akiva.

III. Analyse d’un enseignement de Rabbi Akiva. La sortie du monde de la morale, et l’entrée dans le monde de la responsabilité.

Traité Baba Métsia 62a.
תניא שנים שהיו מהלכין בדרך וביד אחד מהן קיתון של מים אם שותין שניהם מתים ואם שותה אחד מהן מגיע לישוב דרש בן פטורא מוטב שישתו שניהם וימותו ואל ירא אחד במתתו של חבירו עד שבא רבי עקיבא ולימד וחי אחיך עמך חייך קודמים לחיי חבירך.
‘Nos maîtres enseignent : deux personnes allaient en voyage. Dans la main d’un des deux il y a une gourde d’eau. Si les deux boivent, les deux meurent ; si un seul boit, il arrive à bon port. Ben Patoura déduisait : il est préférable que les deux boivent et meurent et que l’un ne voie pas dans la mort de son prochain. Telle était la loi jusqu’à ce que ne vienne Rabbi Akiva et nous enseigne : le verset dit « il vivra ton frère avec toi », qui à comprendre dans le sens « il vivra avec toi » ce qui signifie que ta vie prévaut par rapport à la vie de ton prochain.’

Notre travail ici ne consistera pas à analyser le corps de cet enseignement sublime mais de mettre en relief le travail caractéristique de Rabbi Akiva, caractéristique de ce que l’on appelle ‘la Tradition Orale’.
Essayons toutefois de mettre en relief la problématique.
On ne peut que s’étonner sur l’enseignement de Ben Patoura, que gagne-t-on à ce que finalement les deux meurent, et que signifie cet argument ‘que l’un ne voie pas dans la mort de son prochain’ ?
De manière superficielle, le cas présenté et la manière dont Ben Patoura l’aborde ont l’air d’être l’exemple du cas aporétique, où l’humain se trouve dans l’impasse d’un système moral.
Le ‘Hazon Ish (Rabbi Avraham Yishayaou Karelits, dans ‘Hoshèn Mishpath Likoutim ch.20) analyse la problématique en lui donnant un cadre légal précis qui fera sortir le cas de la pure impasse morale.
S’il y avait dans la main de l’un des deux un bien insécable, il est clair qu’il garderait ce bien dans sa main, en effet il peu vraisemblable que Ben Patoura s’oppose à la Beraïta du Traité Orayot (13a) où il est enseigné que l’homme passe avant son maître, avant son père. Le problème posé par Ben Patoura est le suivant.
La Guemara dans le Traité Yoma (85a) ainsi que dans le Traité Avoda Zara (27b) présente une différence entre ‘Hayé Olam et ‘Hayé Shaha, entre un pronostic de longue durée, dont l’échéance n’est pas limitée, et un pronostic à échéance limitée.
La Guemara (Yoma) nous enseigne qu’une échéance vitale même limitée dans le temps prime par rapport au respect de Shabbat[17].
Ces éléments étant posés, nous pouvons alors discerner la nuance suivante dans le cas qui nous occupe : ici l’eau peut être partagée, ce qui fait que la question se posera dans les termes suivants.
Est-ce que mon pronostic de longue durée prime lorsqu’il pourrait y avoir un pronostic limité pour les deux ?
Si je garde l’eau pour moi, certes je sauve ma vie, mais l’autre indéniablement meurt, or la Torah m’enjoint de venir en assistance à mon prochain en danger. Je pourrais théoriquement lui donner toute mon eau, mais cette personne a elle aussi l’injonction de me porter assistance, et d’autre part, comme le propose le ‘Hazon Ish, il n’y a pas de raison de dire que Ben Patoura s’oppose à l’enseignement du Traité Orayot cité plus haut. Nous partageons. Le pronostic de vie des deux est certes limité dans le temps, mais par rapport à la mort certaine immédiate de l’un il y a une avancée, et cela est fondamental.
Quand bien même avons-nous tenté de rendre compte de l’analyse de l’enseignement de Ben Patoura, nous nous trouvons toutefois dans une impasse[18].
L’enseignement continue et nous dit : ‘telle était la loi jusqu’à ce que ne vienne Rabbi Akiva et nous enseigne (…)’.
Rabbi Akiva va innover et aider à trancher le dilemme. Mais cette innovation ne sera pas une contradiction avec la tradition, il ouvrira une nouvelle lecture au texte même de la Torah.
Le verset dans Vayikra (25,36) dit :
אל תקח מאתו נשך ותרבית ויראת מאלקיך וחי אחיך עמך.
‘N’accepte pas (de ton prochain) ni d’intérêt ni profit[19] , tu craindras ton D. et la vie de ton frère sera avec toi !’
C’est-à-dire que tu dois faire en sorte que ton frère vive avec toi, expression que Rabbi Akiva expliquera ainsi : ton frère vivra avec toi, c’est-à-dire que tu es la proposition principale, ton frère est second par rapport à toi. Ta vie prime par rapport à autrui, tu dois garder la gourde.
le ‘Hazon Ish fait remarquer que l’innovation de l’enseignement de Rabbi Akiva ne porte pas comme le sens simple du texte le laisserait entendre que ‘ta vie passe avant la vie d’autrui’, ce que nous savons déjà de par ailleurs. L’innovation est que ton bien fait partie ici de ton intégrité.
Expliquons cette nuance :
Lorsque la vie est en danger, la Torah nous enjoint à repousser ses interdits pour sauver cette vie. Il y a quelques exceptions dont le meurtre : je n’ai pas le droit de sauver ma vie en tuant autrui. Par contre, il est légitime de voler un bien pour sauver ma vie[20].
Nous pourrions dès lors nous poser la question : certes Rabbi Akiva nous enseigne que je dois garder ma gourde et ne pas en partager le contenu avec autrui s’il n’y a pas assez d’eau pour survivre, mais est-ce que cette personne aurait le droit de me la voler ?
Le ‘Hazon Ish explique que ceci est le cœur de l’enseignement de Rabbi Akiva : mon bien fait partie de mon intégrité, s’il me vole cette eau, il vole ma vie.

Nous voulons déduire d’ici le fond de la démarche de la Tradition Orale : la sortie du monde des valeurs, du monde de la morale, et l’entrée dans le monde de la responsabilité. Mais pour arriver à cette conclusion, Rabbi Akiva a du frayer une nouvelle voie dans la lecture du verset.
Nous avons posé en préambule la question : pourquoi et comment, dans le texte du Traité Menakhot, Moshé Rabbénou pouvait-il demander à D. : ‘tu as un tel homme et tu donnes la Torah par mon intermédiaire ?’. Qu’a-t-il vu pour considérer Rabbi Akiva comme plus grand que lui ?
De cette étude relative au cas des deux hommes dans le désert, il nous semble pouvoir trouver une démarche pour répondre à notre question.
La Torah nous enjoint moult commandements relatifs à notre solidarité envers autrui. Le cas des deux personnes dans le désert présente l’impasse des principes moraux, si nous pouvons nous exprimer ainsi.
Rabbi Akiva va lire le verset : ‘il vivra ton frère avec toi’, cela signifie que tu es premier par rapport aux engagements relatifs à ton frère.

Le passage du Traité Menakhot dit que Moshé était interloqué face à la grandeur de Rabbi Akiva. Cela ne signifie pas que dans l’absolu Rabbi Akiva était plus grand que Moshé, ce texte veut nous mettre en relief la différence entre la Torah écrite et la Torah orale. Les Maîtres de la Tradition orale nous enseignent que l’on ne dit pas : c’est écrit. Tout dépend comment on lit le texte, un texte est là pour être lu. Dans une certaine mesure, le Maître de la Tradition orale est supérieur à Moshé en cela qu’il donne de nouvelles dimensions, de nouvelles lectures au texte écrit. L’écrit est quelque part limité, circonscrit, limité aux lettres qui sont la matérialité du noir sur le blanc. La lecture va donner une dimension non-limitée au texte.

Et ces lectures sont les petites fléchettes au dessus des lettres de la Torah. Ce sont elles qui protègent et défendent Israël de ses ennemis et de ses détracteurs.

Reprenons le texte duquel nous sommes partis.
‘Les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini.’
Le Sod Yésharim nous a aidés à entrer dans la problématique profonde posée par ce verset énigmatique : parfois le bien-fondé d’Israël est contesté, certains accusent Israël en disant « mais il y a des valeurs peut-être plus parfaites chez les Nations ! Mais où est la moralité d’Israël ? ».
Nous voulons apprendre des enseignements du Traité Menakhot que l’éternité d’Israël se trouve dans la lecture sans cesse renouvelée du texte de la Torah.

Il nous faut ajouter un élément supplémentaire.
La lecture superficielle de ce que nous avançons a l’air de donner que tout est possible, ce que nous pourrions résumer par ce slogan : ‘l’imagination au pouvoir !’. Il n’en est rien.
Nous voulons opposer les valeurs, la morale, ou que d’aucuns appelleraient l’éthique, à de nouvelles lectures. La morale est dans une certaine mesure une attitude narcissique, auto plaisante. Qui plait, que l’on comprend. Pour initier de nouvelles lectures, ce que l’on appelle ‘des ‘Hidoushim[21]’ dans la tradition juive, il faut s’annihiler au texte, se perdre pour que jaillisse du texte de nouvelles lectures. Ces lectures ne jaillissent pas de mon moi narcissique mais du texte. Et c’est de cette annihilation que jaillit l’éternité d’Israël, face au narcissisme de la vérité ou des valeurs.

  1. Ethique et Halakha.Nous aimerions dans ce chapitre prendre un exemple du travail contemporain de la loi juive.
    La question suivante a été posée au grand décisonnaire contemporain Rav Yossef Shalom Eliachiv ז »ל. Le développement est rapporté dans le livre Torat HaYolédèt de Rav Itshak Silberstein et du docteur Moshé Rothschild (chapitre 60, page 297).
    Une femme enceinte se trouve aux premiers mois de sa grossesse. Souffrant de rhumatisme ou de goutte qui lui causent d’énormes douleurs, elle se pose la question sur la conduite à prendre : a-t-elle le droit de prendre des médicaments qui lui atténueraient les souffrances mais qui pourraient causer de graves séquelles sur le développement psychomoteur de l’enfant, ou bien doit-elle supporter ces atroces souffrances et ne pas prendre de médicaments ?
    Réponse.
    Si les douleurs sont extrèmement fortes, il est possible qu’il lui soit permis de prendre ces médicaments.
    Rav Eliachiv apporte plusieurs preuves à cette décision.
    Le statut juridique du fœtus fait l’objet d’énormes discussions dans le Talmud. Le fœtus a-t-il une indépendance juridique ou bien fait-il partie intégrante de sa mère qui le porte ?

Le Talmud (Traité Irkhin 7a) traite dans une certaine mesure exactement notre problème.
האשה שיצאה ליהרג אין ממתינין לה עד שתלד.
‘Une femme qui a été condamnée à mort par le tribunal, si elle est enceinte on n’attend pas qu’elle accouche.’

La Torah prévoit parfois des condamnations à mort. Le cas envisagé dans la Mishna du Traité Erkhin est celui d’une femme enceinte qui vient d’être condamnée à mort par le tribunal. Si elle a fauté,et qu’elle doit assumer sa responsabilité et son châtiment, le fœtus qu’a-t-il fait ? La Mishna toutefois nous enseigne qu’on n’attend pas qu’elle ait accouché pour appliquer la sentence. Pourquoi ?
Car nos Maîtres nous enseignent que retarder une exécution est une souffrance difficilement tolérable pour le condamné. Mais n’exigerions-nous pas que cette personne doive supporter sa souffrance plutôt qu’attenter à la vie de ce fœtus ?
Rabbénou Nissim de Gérone dans son commentaire sur le Traité ‘Houlin (57a) explique : quand bien même le fœtus aurait-il un statut juridique autonome עובר לאו ירך אמו, ‘le fœtus n’est pas comme la cuisse de sa mère’, toutefois étant donné que la mère doit subir son châtiment, on ne doit pas faire trainer l’exécution, et le fœtus, tant qu’il n’est pas sorti au jour, on ne le prend pas en considération.
Que veut dire Rabbénou Nissim ? N’y a-t-il pas contradiction ?
Rav Eliachiv (propos rapportés dans le Torat HaYolédèt) explique :
il y a deux notions, le statut juridique du fœtus, dont l’impact sera pertinent pour savoir s’il peut être bénéficiaire d’une donation par exemple, et la réalité prosaïque de ce fœtus qui tant qu’il n’est pas né est entièrement dépendant de sa mère. Cet être ne tire de vitalité que d’elle. Toute sa viabilité est entièrement dépendante d’elle, de ce fait elle n’a aucunement l’obligation juridique de souffrir pour lui donner vie.
Tout ce dont on parle est d’ordre juridique, il n’est nullement question du bien, du mal ou du souhaitable.
Rav Eliachiv apporte une seconde preuve.
Rambam (Hilkhot Ishout chapitre 21, Halakha 11) sur la base de la Guemara du Traité Ketoubbot enseigne :
האשה כל זמן שהיא מניקה את בנה פוחתין לה ממעשה ידיה ומוסיפין לה על מזונותיה יין ודברים שיפין לחלב. פסקו לה מזונות הראוייות לה והרי היא מתאווה לאכול יותר או לאכול מאכלות אחרות מפני חולי התאווה שיש לה בבטנה הרי זו אוכלת משלה כל מה שתרצה ואין הבעל יכול לעכב ולומר שאם תאכל יתר מדאי או תאכל מאכל רע ימות הולד מפני שצער גופה קודם.

‘[Le mari a l’obligation juridique de nourrir sa femme, en contrepartie elle doit avoir une certaine activité professionnelle.] Lorsque la femme allaite son enfant, son quota de travail doit être diminué. De même le mari doit ajouter à l’ordinaire de sa femme du vin[22] et des aliments bons pour l’allaitement. Si le mari lui fournit des aliments adéquats mais elle désire manger plus ou bien d’ autres aliments par une envie maladive, elle peut manger ce qu’elle veut mais de sa poche et non de l’argent du mari. Par contre le mari n’est pas habilité à l’empêcher en disant que si elle mange de trop ou bien si elle mange des aliments mauvais pour l’allaitement elle risquerait de tuer l’enfant, car la souffrance de son corps à elle prime.’

Rabbi Yossef Karo rapporte cet avis de Rambam dans le Shoukhan Aroukh Even HaEzer chapitre 80 §12.

Tous les commentateurs s’interloquent : comment est-ce possible qu’elle puisse éventuellement mettre en danger son enfant pour des envies, quand bien même Rambam appellerait-il ces envies ‘souffrances’ ? Mais incombe à cette mère, comme à quiconque, de sauver la vie de cet enfant !
Le Beth Shemouel (sur le Shoulkhan Aroukh, §15) répond que Rambam fonde son enseignement sur un passage du Traité Nédarim (80b).
מעיין של בני העיר חייהן וחיי אחרים חייהן קודמין לחיי אחרים חיי אחרים וכביסתן חיי אחרים קודמין לכביסתן רבי יוסי אומר כביסתן קודמת לחיי אחרים.
‘La source des gens de ce village, la vie des gens de ce village passe avant la vie des gens d’un autre village. La vie des gens d’un autre village et le lavage de leur linge, la vie des gens d’un autre village passe avant leur linge. Rabbi Yossi dit : le lavage de leur linge passe avant la vie des gens d’un autre village.’

De quoi parle-t-on ?
Il y a dans un village une source d’eau. La production d’eau de cette source est limitée, elle n’est suffisante que pour ses riverains. La vie des riverains passe avant la vie des gens d’un autre village qui n’ont pas de source.
Seconde question. S’il y a dans la source juste de l’eau pour que les deux villages puissent s’abreuver, est-ce que le village riverain peut utiliser cette eau pour laver son linge, sachant qu’ainsi il n’y aura pas suffisamment d’eau pour les gens de l’autre village. Le premier avis pense que la survie des gens de l’autre village prime. Rabbi Yossi pense qu’avoir du linge propre est un besoin impérieux, et qu’un besoin impérieux de ce type prime par rapport à la survie d’autrui[23].

Pour synthétiser, nous pourrions dire que face à un être qui est complètement dépendant d’elle, dont toute la réalité vitale est elle-même, cette dame n’a, si un besoin grave se présente, aucune obligation juridique de se soucier du développement futur de cet enfant. Ah ! Mais ce n’est pas moral ! Comment pouvons-nous assumer qu’elle refuse de se priver de quelque chose dont elle aurait besoin au risque qu’il y ait des séquelles voire un danger pour la vie de l’enfant ?
Nous ne sommes pas en train de parler de valeurs, mais d’engagements, de responsabilité. Nous irions jusqu’à dire qu’il est question d’existence.

Nous nous gargarisons toute notre vie avec des principes abstraits qui nous empèchent de vivre. Vivre c’est choisir, choisir c’est assumer des risques.
Rabbi Akiva a déduit de nouvelles directions de lecture des versets de la Torah. Ce sont ces petites flêches en haut des lettres.
Pour reprendre l’exemple de la source attenante à un village. Les personnes riveraines peuvent et doivent utiliser cette eau. Ah ! Mais il n’y aura pas assez d’eau pour les gens du village d’à côté ! Rabbi Akiva nous enseigne : il est possible qu’ils meurent de soif, mais ce n’est pas de ta faute. Ton champ de responsablité est limité. Tu ne peux pas, et tu ne dois pas, assumer tous les problèmes.

Vivre, c’est annihiler l’orgueil de notre moralité.
Pour reprendre la thématique du Sod Yésharim, les Nations qui sont bien adaptées au développement du monde présentent parfois une moralité, des valeurs, plus éloquentes qu’Israël. Et par cela accusent justement Israël. Nous voulons déduire de cette étude que la moralité est une jouissance de ce monde-ci comme d’autres jouissances, l’argent, le manger, le pouvoir, ou autres.

Ah ! Mais vous allez me rétorquez, ces enseignements finalement prônent un certain égoïsme ! L’égoïsme est aussi une forme de concept, un petit concept certes mais une abstraction tout de même, l’essentiel ce ne sont pas les mots, mais ce que l’on y met ou bien ce qui nous incombe à nous de vivre ! Egoïste, et alors ? Et que mettez-vous dans ce mot ?

L’étude des détails de la Halakha, de la loi quant à sa conception traditionnelle juive, est le garant de la pérennité et de la permanence d’Israël, comme nous avons pu le metre en exergue dans ces quelques enseignements.

  1. Comment Rabbi Akiva qui nous enseigne « ta vie passe avant la vie des autres » peut-il en même temps nous enseigner « tu aimeras ton prochain comme toi-même est le principe le plus englobant de la Torah » ?Le verset (Vayikra 19,18) nous enseigne :
    ואהבת לרעך כמוך אני ה’.
    ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis l’Eternel.’
    Rashi, citant le Midrash Torat Cohanim, commente :
    אמר רבי עקיבא זה כלל גדול בתורה.
    ‘Rabbi Akiva nous enseigne : ce verset est le principe le plus englobant de la Torah’[24].

Si la relation à autrui est la base de toute la Torah, comment est-ce possible de concilier ce principe avec l’injonction de Rabbi Akiva que ma vie passe avant la vie des autres ?
Il ne rentre pas dans le cadre de cette étude précise de répondre à cette grande question à laquelle se sont attachés à répondre les plus grands de nos Maîtres (Ramban sur le verset chez les anciens, Rav Ist’hak Hutner chez les Maîtres contemporains, dans son premier Maamar sur Rosh HaShana, par exemple).
Nous pourrions synthétiser la problématique en disant qu’un ‘Hessed, une aide à autrui, une attention concrète à autrui, n’est possible qu’en en percevant intimement son impossibilité radicale. Là seulement elle peut parfois se réaliser et se concrétiser.

Troisième partie. Retour au passage du livre des Juges, Shoftim. Réflexion sur l’existence humaine.

Shoftim, Chapitre 5, verset 20
מן שמים נלחמו הכוכבים ממסילותם נלחמו עם סיסרא.
‘Des cieux ils ont fait la guerre, les étoiles de leurs orbites elles ont fait la guerre avec Sisra’.

Le Sod Yésharim, dans le passage cité plus haut, écrit : ‘ la guerre avec Sisra était tellement puissante que les étoiles devaient sortir de leurs orbites pour le combattre. Cela exprime que l’Eternel, pour contrer l’accusation sévère contre Israël, a fait sortir les étoiles de leurs orbites pour sauver Israël, les étoiles qui sont au dessus des limites de ce monde précis.’

Cette phrase résume l’enjeu puissant de la confrontation d’Israël aux valeurs des Nations, à tel point que l’unique manière d’échapper à ces accusations est de sortir des limites strictes de la manière dont le monde fonctionne[25]. C’est ce que nous avons appelé dans le chapitre précédent ‘le travail de la Halakha’.

Le Talmud (Traité Nidda 73a) se scelle par l’enseignement suivant :
תנא דבי אליהו כל השונה הלכות בכל יום מובטח לו שהוא בן העולם הבא שנאמר הליכות עולם לו, אל תקרי הליכות אלא הלכות.
‘On enseigne au nom d’Eliahou (le prophète) : Toute personne qui étudie des Halakhot, des lois, chaque jour est promis à la vie du monde futur, comme le dit le verset (‘Habakouk 3,6) : « les chemins du monde sont pour lui », ne comprends pas « les chemins, Halikhot » mais « les lois, Halakhot ». ’

La Halakha est ce qui m’incombe de faire concrètement dans ma vie, dans mon quotidien, dans ma vie ici-bas. Quel est le lien entre l’étude de la Halakha et le monde futur, ou plus précisément ‘le monde qui vient’ comme disent nos Maîtres ? Et d’autre part quel ce jeu de mots sur lequel se base cet enseignement ?

Regardons justement le verset cité dans cet enseignement, mais dans son intégrité (‘Habakouk 3,6).
עמד וימודד ארץ ראה ויתר גוים ויתפוצצו הררי עד שחו גבעות עולם הליכות עולם לו.
‘Il se tint et mesura la terre, Il vit et abandonna les Nations, éclatèrent les montagnes éternelles, s’effondrèrent les collines de toujours, les chemins du monde sont pour Lui’.

En première lecture, ce verset clame la grandeur de l’Eternel, et Sa liberté dans Son monde. Que les puissants s’effondrent, pour faire face aux chemins libres de D. ! Cette lecture simple du verset est juste indéniablement. Nous pourrions penser que ce monde est insensé et que la loi du plus fort sera toujours la meilleure, et que les empires scélérats pourront sans vergogne se maintenir éternellement.
Non ! D. scrute le monde, mesure et applique sa libre volonté, son libre chemin.

Les Maîtres du Talmud subvertissent le verset, si nous pouvons nous exprimer ainsi. L’homme peut lui-aussi, dans une certaine mesure, vivre et goûter de cette liberté, de cette marge de manœuvre dans sa vie. Le monde peut être pour lui.
Les chemins du monde sont à Lui, pas seulement à D., mais aussi à tout à chacun qui étudie Halakhot, les lois.
Les chemins libres sont à qui ? Le verset dit « à lui ». mais qui est « lui » ? Nous pensons qu’indéniablement c’est D., l’Eternel, mais ce n’est pas explicite. Les Maîtres du Talmud disent : ce peut être aussi toi, par le biais de Halakhot, de l’étude quotidienne des lois.

Ce qui va donner la lecture suivante : ‘Halakhot ! Le monde est à lui !’

Posons encore une question :
« le monde est à lui », on pourrait croire qu’il s’agit de ce monde-ci, pourquoi traduisent-ils par « le monde qui vient » ?

Pour entrer dans la lecture percutante du verset qu’en font les Maîtres du Talmud, et par laquelle ils clôturent justement le Talmud, nous suggérons d’élargir la réflexion.
‘Il vit et abandonna les Nations’, nous sommes dans le monde, dans ce monde-ci, comme disent nos Maîtres. Qu’est-ce que nous avons à y faire ? A bosser ? A faire tourner la machine ? Quelle est ma place dans ce monde ? Et ce monde par ses aspects rouleau-compresseur a l’air d’exister, mais existe-t-il ? N’est-ce pas quelque part une énorme illusion ? Un énorme mensonge ? Si je passe ma vie à bosser, à tourner à vide, le fais-je pour moi ou pour le monde ? Pour le grand capital ?
L’enseignement de Tana Débé Eliahou nous dit : si tu étudies quotidiennement des Halakhot, des lois précises de la Torah, ‘le monde est à toi’, c’est-à-dire que tu n’es pas otage du monde, bien au contraire, le monde est à toi. Tu existes.
C’est cela le monde qui vient, un monde vient, qui n’est pas limité, qui n’est pas oppressant. Un monde où tu as quelque chose à faire pour toi.
L’existence humaine est une énigme depuis la nuit des temps. Est-ce que j’existe ? Vaste question !
L’enseignemenr de Tana déBè Eliahou nous dit que celui qui étudie quotidiennement des Halakhot a le monde pour lui. Ce n’est pas fuir le monde comme d’aucuns pourraient le penser ou le concevoir. A la limite c’est le contraire, les seuls qui sont dans le monde, dont le monde est pour eux, qui agissent librement dans le monde, comme D. dans une certaine mesure qui agit librement dans Sa création, ce sont ceux qui étudient comment agir librement dans le monde.

Nous voulons déduire d’ici une idée subtile, qui sera à la base de tout le travail futur sur le commandement de fructifier et de multiplier. Cher lecteur, porte ton attention à ce que nous allons avancer.
Nous venons de prouver à partir de cet enseignement de Tana déBé Eliahou que le monde futur, ou plutôt ‘le monde-qui-vient’, revient à celui qui étudie quotidiennement des Halakhot, c’est-à-dire à celui qui rompt avec la trivialité de ce ‘monde-ci’. Paradoxalement exister dans ce monde vient d’une rupture avec la mondanité du monde. Exister n’est pas d’une dimension du monde.
La vie, l’existence, nous paraissent des données évidentes. Il ressortirait que bien au contraire, l’existence, vivre, sont des réalités qui dépassent la réalité prosaïque du monde, que nos Maîtres appellent ‘ce monde-ci’.
Le Maharal de Prague, dans plusieurs endroits de ses livres (Nétsah Israël chapitre 13, Netiv HaAvoda chapitre 6, Guevourot HaShem chapitre 65), développe que la vie, vivre est une dimension supérieure à la dimension simple de ce monde, de ‘ce monde-ci’.
Il explique de cette manière pourquoi sauver une vie prime par rapport au respect de Shabbat, Shabbat étant מעין עולם הבא ‘un avant-goût dans ce monde-ci du monde futur, du monde qui vient’, la vie elle-même est le monde-qui-vient par essence.
כי העולם הזה יש לו חיבור ודביקות בעולם הבא מצד החיים כי עולם הבא שם החיים הגמורים שאין להם מיתה כלל.
‘Car ce monde-ci a un lien et un attachement avec le monde-qui-vient par le biais de la vie, car le monde-qui-vient là se trouve la vie au sens fort car ne s’y trouve aucune mort.’

Shabbat est un décrochement par rapport au rythme trivial du monde, il nous permet de nous positionner dans notre existence, de poser nos marques. Mais l’aboutissement sera, après Shabbat, de vivre activement ce qu’il nous est donné à nous, à chacun d’entre nous, de vivre, dans sa spécificité, là est la dimension, par le biais de ce monde-ci, du monde qui vient. C’est le travail de la Halakha.

Pour résumer, en prenant la démarche du Maharal, il ressort que la vie (au sens le plus simple) n’est pas une dimension de ce ‘monde-ci’, mais participe de la dimension d’un monde supérieur, le ‘monde-qui-vient’.

[Nous pouvons, d’après cela, répondre à une question: si le jour de Shabbat, il y a tellement d’actions interdites, comment se fait-il que la relation entre un mari et sa femme, et la fécondation possible d’un enfant ce jour même, soit permise voire encouragée le jour de Shabbat ? N’y a-t-il pas action humaine plus grande et impressionnante que la fécondation d’un enfant ? Ne pourrions-nous pas interdire à titre d’un dérivé de l’interdit de semer des graines le jour de Shabbat ? La réponse sera que, bien que structurellement il y ait indéniablement similitude entre semer et féconder, amener une vie humaine au monde ou y participer est d’une dimension supérieure à la dimension de Shabbat[26].]

Nous avons voulu, par ces développements, donner une certaine concrétisation à ce que disent les versets : ‘les étoiles sont sorties de leurs orbites pour faire la guerre à Sisra’.

Quatrième partie. Le jugement de Rosh HaShana.

La défaite des Cananéens fut totale, comme nous l’avons vu dans la première partie de cette étude (chapitre 4, verset 16) :
וברק רדף אחרי הרכב ואחרי המחנה עד חרשת הגוים ויפול כל מחנה סיסרא לפי חרב לא נשאר עד אחד.
‘Et Barak poursuivit les chars et après l’armée jusqu’à ‘Harochèt HaGoïm, et toute l’armée de Sisra tomba au fil de l’épée, il n’en resta pas jusqu’à un.’
Verset 17.
וסיסרא נס ברגליו אל אהל יעל אשת חבר הקיני כי שלום בין יבין מלך חצור ובין בית חבר הקיני.
‘Et Sisra fuit à pied vers la tente de Yaël la femme de ‘Hévèr le Keini, car les relations étaient paisibles entre Yavin le roi de ‘Hatsor et la maison de ‘Hévèr le Keini[27].’

Sisra se réfugie dans la tente de Yaël, la femme de son ami ‘Héver. Il est connu que Yaël amadoua Sisra, se laissa faire par lui et finalement profita de son épuisement pour le tuer. La mise à mort de Sisra par Yaël scella la victoire d’Israël.
Yaël était une femme mariée, femme de ‘Héver HaKéni. Comment se fait-il que la victoire finale se soit faite par la transgression de l’interdit d’adultère ? Cette grande question est une thématique majeure dans les commentateurs traditionnels. Nous ne voulons pas nous étendre sur cette problématique, malgré son importance. Nous pourrions dire succinctement toutefois, que si la Halakha, comme nous l’avons vu précédemment, développe parfois une dimension différente de la morale, amorale dirions-nous, nous pouvons concevoir alors qu’exceptionnellement elle puisse toucher à l’immoral.
Les commentateurs disent que, de même que la sortie d’Egypte fut véritablement accomplie avec la traversée de la Mer Rouge, et couronnée par le Cantique de la Mer Rouge, de même l’entrée dans la terre de Canaan se conclut par cette bataille et cette victoire, son apothéose étant le Cantique de Deborah (chapitre 5).
Dans ce Cantique, Deborah chante au travers d’une vision prophétique les différents éléments qui conduisirent à la victoire finale. A la fin du Cantique, Deborah décrit les circonstances précises de la mort de Sisra, l’ennemi d’Israël. Étrangement, c’est d’un détail relatif à la mort de Sisra que nos Maîtres de la tradition talmudique définiront la teneur du premier jour de l’année juive, la fête de Rosh HaShana. C’est ce point précis que nous allons aborder maintenant.

I. Passage du Talmud du Traité Rosh HaShana (33b). Comment définir la fête de Rosh HaShana ?

Comment définir la fête de Rosh HaShana ? Evidemment, comme son nom l’indique, c’est le premier jour de l’année, ‘la tête de l’année’. Mais pourquoi commencer l’année à la fin de l’été, vers le commencement de l’automne ? D’autre part, Rosh HaShana est aussi appelé dans la première de ce jour ‘le jour du jugement’, de quel jugement s’agit-il ? Sur quoi est-on jugé ? Et s’il s’agit d’un jour de jugement, comment se fait-il que Rosh HaShana soit un jour à fort caractère festif, ne faudrait-il pas en faire un jour de contrition ?

Regardons comment la Torah présente ce jour redoutable (Bamidbar 29,1).
ובחודש השביעי באחד לחודש מקרא קודש יהיה לכם כל מלאכת עבודה לא תעשו יום תרועה יהיה לכם.
‘Et dans le septième mois, le premier jour du mois, ce sera pour vous une proclamation sainte, vous ne ferez aucun travail d’activité, jour de Terouha ce sera pour vous.’

Le premier jour du septième mois à partir du mois de Nissan, mois de la sortie d’Egypte, sera un jour proclamé saint, c’est-à-dire festif, différent des autres jours. On n’y pratiquera pas nos activités, nos travaux habituels, ce qui somme toute est commun à tous les jours de fête de la Torah[28]. La caractéristique de ce jour sera donc la dernière proposition : ‘jour de Terouha ce sera pour vous’.
Mais que signifie le terme Terouha, תרועה ?
Il est évident que ce terme vient de la racine רעע, qui signifie briser, affaisser. Terouha signifierait ‘brisure’, donc RoshHaShana serait un ‘jour de brisure’.
Malgré ces remarques sémantiques simples, le Talmud dans le Traité Rosh HaShana (33b) demande la signification de ce terme et fait appel à la traduction d’Onkelos sur la Torah pour le définir avec précision.
יום תרועה יהיה לכם ומתרגמינן יום יבבא יהא לכון וכתיב באימיה דסיסרא בעד החלון נשקפה ותיבב אם סיסרא. מר סבר גנוחי גנח ומר סבר ילולי יליל.
‘Un jour de Terouha sera pour vous, la traduction en araméen de Onkelos donne : un jour de Yevava sera pour vous. Or nous trouvons au sujet de la mère de Sisra (Shoftim (5,28) « par la fenêtre elle jette un regard et balbutie, Teyavèv, la mère de Sisra ».
Il y a débat quant à la teneur de ce balbutiement, certains pensent que c’est du type d’un sanglot, d’autres que c’est du type d’une lamentation.’

C’est de ces deux acceptions du terme de Yevava, de sanglot et de lamentation, que les Maîtres de la Tradition Orale déduiront la teneur des sonneries de Shoffar le jour de Rosh HaShana.
Il y aura deux sortes de sons, des sons appelés Shevarim qui ressemblent à de gros sanglots, et des sons appelés Terouha qui ressemblent à un déferlement de pleurs.

Mais si finalement toute la teneur de ce grand jour, la dimension de sonnerie de Shoffar qui est le commandement spécifique de ce grand jour et la définition de cette sonnerie qui doit ressembler à des pleurs ou à des sanglots, est apprise du terme Terouha, pourquoi nos Maîtres définissent-ils ce terme des pleurs de la mère de Sisra ? Et quels sont ses pleurs justement ?

Regardons les derniers versets du Cantique de Deborah qui relatent la mort de Sisra.

  1. Derniers versets du Cantique de Deborah (chapitre 5, à partir du verset 25).

מים שאל חלב נתנה בספל אדירים הקריבה חמאה.
‘Il quémanda de l’eau, du lait elle donna. Dans un magnifique plat elle lui présenta de la crème.’

Sisra se réfugie chez Yaël la femme de ‘Héver. Sisra est épuisé, assoiffé. Yaël a déjà en tête de l’assassiner. Pour ce faire, elle profite de sa grande soif pour lui faire boire du lait. En effet le lait est lourd à digérer et l’endormira facilement. De même elle lui offre de la crème dans un plat magnifique, son idée étant de lui faire croire qu’elle le considère comme un prince.

ידה ליתד תשלחנה וימינה להלמות עמלים והלמה סיסרא מחקה ראשו ומחצה וחלפה רקתו.
‘Vers le piquet (de la tente) elle tendit son bras et sa droite au marteau des travailleurs, elle frappa Sisra, elle retira sa tête, elle écrasa et transperça ses tempes.’

בין רגליה כרע נפל שכב בין רגליה כרע נפל באשר כרע שם נפל שדוד.
‘Entre ses jambes il s’affaissa, il chuta, il succomba, entre ses jambes il s’affaissa. Là où il s’affaissa, là il chuta brisé.’

Rabbi Yokhanan (Traité Nazir 23b) déduit de ces répétitions étonnantes que ‘sept relations intimes cet impie a abusé de Yaël à ce moment-là’.

בעד החלון נשקפה ותיבב אם סיסרא בעד האשנב מדוע בושש ריכבו לבא מדוע אחרו פעמי מרכבותיו.
‘Par la fenêtre elle tend son regard, elle balbutie la mère de Sisra, par le grillagé de la fenêtre : pourquoi tarde à venir son coursier ? Pourquoi n’entends-je pas le son de ses chars ?’

C’est de ce balbutiement, de ces pleurs saccadés, que les Sages de la Tradition Orale vont définir la teneur des sonneries de Shoffar de Rosh HaShana, et par là même définir la teneur du cœur même de ce jour.
N’est-il pas surprenant que ce soient des pleurs de la mère d’un tel impie que l’on déduise la définition de Rosh HaShana, jour éminent de fête, premier des jours redoutables, premier des dix jours de repentance ?

Et que signifient ces cris du Shoffar, ces sons bruts ?

Nous pourrions dire spontanément que les pleurs d’une mère, quelle qu’elle soit, sont la référence même de la sincérité. Et que notre retour à D. le jour de Rosh HaShana doit avoir cette franchise, cette pureté serions-nous tentés de dire.

Mais nous voulons prouver que ce ne peut être la bonne explication. Car les versets qui suivent nous montrent la fange dans laquelle était cette femme, la mère de Sisra [Voir aussi le commentaire magnifique de Rabbi Avraham Sebbah dans son livre Eshkol HaKofer sur le touleau d’Esther. Il explique, sur la base du Zohar, que la fenêtre et les grillages par lesquelles la mère de Sisra regarde représentent les ustensiles de sorcellerie par lesquelles elle essaie de comprendre le retard de son fils. Ce sont des sortes de boules de cristal.]

Versets suivants.
חכמות שרותיה תענינה אף היא תשיב אמריה לה.
‘Les sages de ses compagnes la rassurent, et elle-même trouve des paroles pour se convaincre.’

Et quelles sont les paroles qu’elle trouve pour se rassurer ?

הלא ימצאו יחלקו שלל רחם רחמתים לראש גבר שלל צבעים לסיסרא שלל צבעים רקמה צבע רקמתים לצוארי שלל.
‘C’est sûr, ils ont trouvé, ils partagent le butin, un ventre, deux ventres de femmes par guerrier ! Du butin teint de couleurs pour Sisra ! Du butin de toutes les couleurs, des broderies ! De la couleur en broderies au cou des captives !’

Le Eshkol HaKofer explique qu’elle a vu par ses sortilèges, au fond de sa boule de cristal, de la couleur rouge, qui en fait représente le sang versé de Sisra, mais elle veut se persuader que tout va bien ! Alors elle interprète ce rouge comme étant l’hymen de captives que son chéri doit abuser[29] ! Ou bien des broderies chamarrées !

Ce verset est terrible ! Elle essaie de se consoler en se disant que son fils chéri, son petit garçon doit passer du bon temps ! A violer ! A chaparder ! Ah vous savez ces jeunes, il faut bien qu’ils s’amusent un peu !

Et c’est de là que l’on apprend les souffleries de Rosh HaShana ! Des pleurs d’une dévoyée ! Des pleurs d’une minable ! Dont la consolation est que son chéri tarde parce qu’il doit être dans une maison de tolérance !

Le Cantique de Deborah se conclut par le verset suivant :

כן יאבדו כל אויביך ה’ ואוהביו כצאת השמש בגבורתו.
‘Qu’ainsi se perdent tous tes ennemis D. ! Et ceux qui t’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance.’

Il est bien clair, et ce verset est sans appel ! La mère de Sisra dans sa saleté est bien l’exemple de l’ennemie de D., comme son rejeton Sisra.

III. Pourquoi apprend-on la teneur des sonneries de Rosh HaShana des pleurs de la mère de Sisra ?

Nous proposons la démarche suivante.
Depuis le début de l’étude de ces deux chapitres du livre des Juges, s’est mis petit à petit à jour à travers cette guerre avec les derniers cananéens combien l’existence du peuple d’Israël était menacée et attaquée non seulement physiquement mais aussi et surtout quant à sa pérennité spirituelle.
C’est comme si Israël était, à travers cette guerre, en jugement. Le dernier verset du Cantique de Deborah est en quelque sorte le dénouement de ce jugement terrible :
‘Qu’ainsi se perdent tous tes ennemis D. ! Et ceux qui t’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance.’

A Rosh HaShana, au début de l’année, vont se réactualiser ces mêmes enjeux, mais de manière plus générale : est-ce que le monde vaut le coup de continuer ? Est-ce que le monde vaut le coup d’exister ?
On fait le point : on continue ? Ou bien on arrête ?
Le texte de la prière de Rosh HaShana donne le ton :
זה היום תחלת מעשיך זכרון ליום ראשון
‘Car ce jour est le début de tes œuvres, souvenir (nous traduisons par ‘réactualisation’) du premier jour’.
C’est comme si la création se rejouait, se réactualisait.
Mais qu’est que cela veut dire : le monde est créé ?
Créé signifie ex nihilo, existence à partir du rien, יש מאין.
Et d’ailleurs tel est le sens du verbe utilisé dans le premier verset de la Torah : Bara, ברא, créer dans sa nuance d’ex nihilo.
Mais tout cela est de la théologie, de l’abstraction ! On ne sait pas de quoi cela parle.
Abordons cela à la juive !

Qu’est-ce qu’on s’en fout qu’il y ait création ou non ? Qu’est-ce que ça change dans notre vie ?
Prenons les premiers mots de la Torah :
בראשית ברא אלקים
‘Au commencement D. créa.’
Dire qu’il y a création, c’est dire qu’il y a un commencement.
Depuis l’aube de l’humanité, cette question se pose : y a-t-il eu commencement ?
Et alors ?
Cette question est fondamentale, et c’est cette question qui sous-tend tout notre travail dans l’étude présente. Dire qu’il y a eu ou qu’il y a le jour de Rosh HaShana commencement ou réactualisation de ce commencement, c’est donner la possibilité à une fraicheur, à quelque chose qui commence, c’est peut-être donner la place à ce que l’on puisse exister, que l’on puisse innover. Dire qu’il n’y a pas eu un commencement, c’est dire que l’on entre dans une réalité qui a toujours été là, on est un écrou indistinct dans un système lambda.
Mais dire aussi qu’il y a eu création c’est dire qu’il y a eu à un moment T néant. Il n’y a création que si elle vient à partir du néant, ce que l’on appelle en bon français ex nihilo.
A Rosh HaShana, nous réactualisons cet enjeu. Nous allons vivre cette question : le monde commence-t-il ? Est-il créé ou bien est-il incroyablement vieux ?
Pour ce faire, nous passons en jugement devant D., et nous percevons notre néant face à Sa Gloire.
On se retrouve devant D., et on se rend compte qu’on n’est rien.

Lorsque l’on se rend compte de sa vacuité, on pleure. Lorsque notre monde s’effondre, on pleure. Lorsque l’on perd quelque chose de cher, de très cher, on pleure. Là, nous perdons tout, en particulier notre chère contenance.

Toute l’année, on a besoin d’avoir quelques certitudes, quelques illusions sur soi-même car sinon on serait peut-être paralysé, angoissé. On ne ferait rien de notre vie. On ne serait pas de bons commerciaux. On ne ferait pas de bons consultants. On ne serait pas de bons vendeurs.
Mais à Rosh HaShana, les enjeux de Béréshit vont se réactualiser.

Notre tradition apprend les pleurs de Rosh HaShana de la mère de Sisra, nous proposons de dire que ce n’est que d’elle que l’on peut apprendre un vrai anéantissement. Nous trouvons certes dans la Torah d’autres personnes qui pleurent, mais leurs pleurs sont modérés. Quelqu’un de pieux n’est pas anéanti. Il a confiance en quelque chose.
Nous voyons en quoi la mère de Sisra cherchait à se consoler, dans des fantasmes de richesses, de plaisirs. En réalisant la perte de son enfant, de son chéri, de son héros, tout est anéanti. C’est d’elle que l’on peut apprendre un vrai pleur. C’est d’elle que l’on peut apprendre ce qu’est le néant.

  1. Sur quoi porte le jugement de Rosh HaShana ? ‘Bonheur du peuple qui connait la brisure’ (Téhilim 89,16).

Résumons succinctement notre travail.
Durant l’étude précise de ces deux chapitres du livre des Juges, Israël a été accusé, attaqué, et finalement sortit triomphalement de l’épreuve.
Il ressort où nous en sommes que c’est dans la manière de vivre son anéantissement que tout va se jouer.
Reprenons le dernier verset du Cantique de Deborah :
כן יאבדו כל אויביך ה’ ואוהביו כצאת השמש בגבורתו.
‘Qu’ainsi se perdent tous tes ennemis D. ! Et ceux qui l’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance.’

Et là se clôt le Cantique.

Que signifie la fin du verset ‘Et ceux qui l’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance’ ? Et que viennent apporter ces quelques mots ?

Le Talmud dans le Traité Shabbat (88b) met ce verset en situation[30] :
תנו רבנן הנעלבין ואינן עולבין שומעין חרפתן ואינן משיבין עושין מאהבה ושמחין ביסורין עליהן הכתוב אומר ואוהביו כצאת השמש בגבורתו.
‘Nos Maîtres enseignent : ceux qui sont insultés et qui n’insultent pas, ceux qui écoutent leur dénigrement mais ne dénigrent pas, agissent par amour et se réjouissent dans les souffrances, à leur sujet le verset dit « et ceux qui l’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance ».’

Les thèmes abordés par ce passage du Talmud ne sont pas dans l’air du temps, sont inactuels, comme dirait Nietszche. Certains d’entre vous, amis lecteurs, pourraient dire que cela ressemble à du christianisme. Peu nous importe. Notre préoccupation est de venir à la rencontre des paroles de nos Maîtres.

Avez-vous déjà été injurié ? Insulté ? Trainé dans la boue ? Vous a-t-on déjà fait honte en public ? Essayons d’écouter ce que l’on vit à ce moment-là.
On vit qu’on n’existe pas[31].
Prenons un exemple que vous n’allez pas aimer, amis lecteurs ! Lorsqu’il y a de l’antisémitisme, c’est insupportable ! Comment peut-on vilipender un peuple tellement loyal ? Un peuple qui apporte tellement aux cultures dans lesquelles il se trouve ? Quelle injustice ! Comment supporter une telle injustice ? N’a-t-on pas envie de crier, d’hurler : c’est pas juste !
Comment peut-on imaginer qu’on se taise ? Qu’on ne réponde pas ? Et quel intérêt y a-t-il à ne pas répondre à l’offense, ne serait-ce pas un signe de faiblesse et de couardise [32]?
N’a-t-on pas tout un chacun droit à une place sous le soleil ? Comment supporter que notre dignité soit offensée ?
Il nous semble devoir répondre ainsi : c’est ce que le verset dit (selon la mise en situation humaine donnée par les ‘Hakhamim) « et ceux qui l’aiment sont comme le soleil qui se lève dans sa puissance ».
Le soleil se lève.
Nous cherchons tous notre place au soleil, et il nous est intolérable qu’elle soit niée et bafouée. Le soleil c’est le monde constitué, institutionnalisé dirions-nous. Le Concert des Nations.
Mais le soleil se lève-t-il ?
Expliquons-nous.
Tu m’injuries, je te crache dessus. C’est naturel. Tu m’agresses, je t’agresse. C’est normal, c’est darwinien dirions-nous. Le monde suit son cours. Le monde est vieux, il est l’assemblage de mécanismes huilés et infaillibles. Tu m’humilies, je ne réponds pas, la possibilité est donnée qu’un monde commence, qu’il y ait une fraicheur, que paradoxalement l’on puisse exister, que l’on puisse vivre. Le soleil peut se lever dans sa puissance (le Maharal relève que le verset dit « dans sa puissance », car une telle attitude n’est pas un signe de faiblesse, bien au contraire c’est l’expression d’une puissance). Un monde peut commencer[33].
L’existence vient du néant, יש מאין, Yèsh MéAïn. Le vivant vient du néant.

Le début du premier verset de la Torah dit :
בראשית ברא אלקים.
‘Au commencement D. créa…’

Rashi relève que le mot Béréshit est sous une forme construite, c’est-à-dire que ‘le commencement’ devrait se dire Bérosh et non Béréshit.
Nos Maîtres donnent plusieurs explications pour rendre compte de cette nuance importante.
Dans une de ses explications, Rashi, rapportant le Midrash, dit : ‘c’est pour Israël qui sont appelés Réshit que D. a créé le monde’. Israël est appelé Réshit comme dit le verset (Yirmiahou 2,3) : ‘Israël est saint pour D., Réshit, prémices de sa récolte’.
Il faudra donc lire le verset ainsi : ‘c’est pour Réshit, Israël qui est appelé Réshit, que D. créa…’.

De ce que nous venons d’étudier, il nous semble pouvoir expliquer ainsi : la vocation d’Israël ‘est d’être le Réshit’, ce qui donne un début au monde. Ce n’est pas un peuple-institution, ce n’est pas un peuple d’universitaires, c’est un peuple qui a comme vocation de donner un début, un vivant au monde. Mais ce vivant, cette existence, vient d’un anéantissement quelque part.
A Rosh HaShana, Israël assume joyeusement cette vocation, assume joyeusement d’être devant D., sans faux semblants. Car si on se raconte toujours des histoires, on parait solide mais on est mort.

C’est ce que dit le verset emblématique de la fête de Rosh HaShana (Téhilim 89,16) :
אשרי העם יודעי תרועה הי באור פניך יהלכון.
‘Bonheur du peuple qui connaissent[34] le brisement, D. dans la lumière de Ton visage ils iront’.

Nous pouvons traduire ainsi ce verset :
Bonheur du peuple qui connait le brisement, c’est dans la lumière originelle de D. qu’ils avancent, et non forcément dans la lumière fixe du soleil.

Certains commentateurs (Ibn Ezra par exemple) traduisent le terme Terouha utilisé dans le verset de Téhilim dans le sens de son utilisation dans le verset de Bamidbar (23,21) :
לא הביט און ביעקב ולא ראה עמל ביקראל ה’ אלקיו עמו ותרועת מלך בו.
‘Il n’a pas réussi à voir d’iniquité dans Yaakov et n’a pas vu de chose pénible dans Israël. L’Eternel Son D. est avec lui, et la Terouha, l’amitié du roi, est avec lui.’
Ici le terme Terouha vient de la racine ריע, Réha, qui signifie ‘ami’.

Nous pouvons rapprocher ces deux acceptions du terme Terouha l’une à l’autre. L’amitié est une grande énigme dans l’histoire de la pensée, et de ses fantasmes. Ici nous verrions que l’amitié, la proximité entre êtres, peut se concevoir si l’on assume quelque part son propre anéantissement, si l’on assume et si l’on est éduqué à supporter d’être brisé au plus profond de son être.
Lors des mariages, nos Maîtres ont institué de dire des bénédictions. Le niveau d’amitié, de Réhout, ריעות, est le niveau supérieur que l’on souhaite que puissent vivre les jeunes mariés :
גילה רינה דיצה וחדוה אהבה ואחוה ושלום וריעות
Guila, allégresse, Rina, chant, Ditsa, exubérance, ‘Hédva, jubilation, Ahava, amour, A’hva, fraternité, Shalom, paisibilité, Réhout, amitié.’
En général dans notre tradition le sept exprime l’aboutissement, le niveau supérieur de ce qui nous est donné à vivre dans ce monde-ci, qui est défini ici par la paisibilité. L’amitié est la huitième dimension, au-dessus de la dimension de ce monde. Elle vient d’une brisure de notre perception de ce monde.

La Guemara citée plus haut (Rosh HaShana 33b) enseigne que chaque fois que l’on souffle Terouha, l’on doit souffler d’abord un son franc et non brisé avant, c’est ce que l’on appelle Tekiha, ainsi qu’un autre son franc après le son brisé. Ce qui donne : Tekiha, Terouha, Tekiha. Son franc, son brisé, son franc.
En effet, le jour de Rosh HaShana, où va se décider le départ du monde, Israël assume avec fermeté et détermination joyeuse de passer devant D., et à être face à son propre désarroi. Pour pouvoir faire qu’il puisse y avoir un commencement.

Cinquième partie. Éclairages sur le fait d’avoir des enfants, ainsi que sur le commandement de fructifier et de multiplier.

La première chose que D. ait dite à l’homme fut de fructifier et de multiplier.
Regardons les versets.

D. créa l’homme (Béréshit 1,27).
ויברא אלקים את האדם בצלמו בצלם אלקים ברא אותו זכר ונקבה ברא אותם.
‘D. créa l’homme à son image, à l’image de D. Il le créa, mâle et femelle Il les créa.’

Verset suivant.
ויברך אותם אלקים ויאמר להם אלקים פרו ורבו ומלאו את הארץ וכבשוה.
‘D. les bénit et D. leur dit : fructifier et multiplier, et remplissez la terre et conquérez la.’

Une fois que D. a créé l’homme, mâle et femelle, il les bénit.
Ce point est fondamental : la première chose que D. fit une fois qu’Il eût créé l’homme fut de les bénir, c’est-à-dire que l’issue d’une telle aventure sera heureuse !
Dans la société dans laquelle nous vivons, nous avons la perception que nous sommes seuls. C’est avec la seule force de nos talents que nous devons nous en sortir. Et si des personnes viennent à se marier ou tout au moins à vivre en couple, nous avons la perception que ce n’est que sur nous même que nous pouvons compter pour que cette aventure soit réussie. Autant dire que nous sommes rapidement anéantis par l’ampleur de la tâche.
La première chose : D. bénit l’homme et la femme dans leur entreprise commune. Ils ne sont pas seuls ! Ils sont accompagnés par la bénédiction divine. Cette notion a un impact légal. En effet, quand bien même un mariage dans la tradition juive soit une procédure de type légal et non un rituel de type religieux, néanmoins la Beraïta du Traité Cala (1,1, rapportée par Rashi, Traité Kettoubot 7b) et le Shoulkhan Aroukh à la suite (Even HaEzer 55 §1) stipulent qu’un couple ne peut avoir de vie commune tant que n’ont pas été prononcées sept bénédictions par la communauté. C’est-à-dire qu’un couple d’après le droit juif ne peut cohabiter tant qu’ils ne sont pas accompagnés par des bénédictions.
Une fois que D. les eut bénis, il leur parla. C’est la première chose que D. dit à l’homme. On peut imaginer que si c’est la première parole que D. dit à l’homme, cette parole doit signifier quelque chose de très particulier, d’unique, de fondateur.
Que dit D. à l’homme ? ‘Fructifier et multiplier’ !

Est-ce bien là la première parole ? Pourquoi D. ne demande-t-il pas à l’homme de Le servir ? Ou bien pourquoi ne lui intime-t-il pas de se garder de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (comme nous l’aurions imaginé spontanément) ?

Nous avons déjà traité ailleurs de la raison pour laquelle la première chose que D. ait dite à l’homme fut l’injonction de fructifier et de multiplier.
Des études que nous venons de faire au sujet de la fête de Rosh HaShana, il nous semble que nous pouvons mettre à jour de nouveaux éclairages.

Posons une question que l’on ose rarement poser. Pourquoi avoir des enfants ?
Mais cela nous rend la vie impossible ! On ne dort pas la nuit. La journée on navigue dans le vide ! Certes on pourra répondre que cela vaut le coup, que finalement les vrais satisfactions de la vie ne viennent-elles pas des enfants ? Mais pourquoi toutes ces difficultés ?
Jamais quelqu’un ne m’a expliqué pourquoi une naissance est souvent suivie d’un quotidien proche d’un chaos, ce qui d’ailleurs est fortement dissuasif pour le commun des mortels ! Pourquoi s’embêter la vie à avoir des enfants ? Pourquoi toutes ces fatigues ?
Alors vous allez me dire, amis lecteurs : mais pourquoi cet auteur cherche-t-il à nous angoisser ? Qu’il nous encourage plutôt que de nous casser le moral !
Eh bien non, au contraire c’est la réflexion sur le concret du vécu qui nous interroge et qui nous interpelle. Jamais on ne parle de ce quotidien explosé qui fait le lot des parents, jeunes ou moins jeunes !
Nous voulons apprendre de manière extrêmement précise des études relatives à Rosh HaShana qu’amener la vie, donner la vie, donner l’existence, vient de l’expérience du néant. Et que là se trouve notre point de liberté, de choix fondamental, notre point où l’humain est jugé, est testé.
Nous voulons déduire et expliquer que si l’homme est créé בצלם אלקים, BéTsélèm Elokim, ‘à la ressemblance de D.’, la première injonction que D. donnera à cette merveilleuse créature sera d’affronter sa propre liberté fondamentale : donner ou non de l’existence.

 

Vous pouvez approfondir davantage le sujet de Roch Hashana via une étude très complète et résultant de longues journées d’étude dans le livre « Le Monde commence » de Rav Zyzek disponible à ce lien

 

 

 

[1] Eoud était le Juge précédent, il avait sauvé le peuple d’Israël de ses oppresseurs.

[2] Notre traduction suit l’explication de Radak et du Malbim. Au début Yavin régnait à ‘Hatsor, mais après que cette ville fut détruite par Yéoshoua, il s’installa à ‘Harochèt HaGoïm, terme pouvant signifier ‘forteresse des nations’ selon Yonathan ben Ouziel.

[3] Attire à toi, car les enfants d’Israël avaient besoin d’être encouragés car ils craignaient fortement la puissance des armées de Sisra.

[4] Nous traduisons volontairement mot-à-mot dans le but de mettre en relief l’ambiguïté de l’expression. Veut-elle dire que tous furent frappés au fil de l’épée, ou bien dire qu’un seul en réchappa ? Nous trouvons la même expression lors de la traversée de la Mer Rouge (Shemot 14,28) : לא נשאר עד אחד, ‘il n’en resta pas jusqu’à un’. Le verset de Shoftim veut indéniablement nous mettre en parallèle les deux événements. Nous proposons de dire à partir de cette similitude de termes que le texte prophétique de Shoftim vient ici nous mettre en exergue l’importance centrale et trans-historique de cette bataille avec les hommes de Sisra.

[5] La tradition ésotérique.

[6] Œuvre du Rabbi de Radzin, Rabbi Gershon ‘Hanokh Leiner.

[7] Le Sod Yésharim nous livre ici toute une conception de ce que l’on appelle ‘la guerre’. S’il y avait oppression des Cananéens sur le peuple d’Israël, oppression qui tourna finalement en une guerre terrible, c’est qu’il y avait une accusation métaphysique du bien-fondé d’Israël. Et que sortir de cette accusation nécessita des mobilisations extra-ordinaires, c’est un des enjeux de ce passage du livre prophétique des Juges.

[8] Ingrate car les enfants d’Israël avaient largement participé à la construction du pays.

[9] Nous constatons ici, et cette remarque est pratiquement systématique, que le commentaire de Rashi dans sa volonté de donner une lecture serrée des versets, met en place des éléments de réflexion qui seront ensuite travaillés par les maîtres de la Kabbala, en l’oocurence ici mettre en relation Yétro avec Caïn. En d’autres termes, le travail du Pshat est l’introduction au Sod.

[10] Les Cohens sont les descendants de Aaron le frère de Moshé. Ce sont eux exclusivement à qui incombe de faire le service au Temple de Jérusalem. Certaines conditions par contre peuvent les rendre invalides à ce service, dont le sujet qui nous occupe.

[11] Nous apportons une direction de réponse à partir de ce responsum du Radbaz, or le Radbaz dit explicitement que le repentir enlève toute trace de l’ancien idolâtre ! Nous avons précisé que le Radbaz va parler précisément de l’hérésie et non du service idolâtre proprement dit. La loi initiale qui nous occupe est le service du Temple pour un Cohen, qui aurait été serviteur de l’idolâtrie. Il nous semble que nous pourrons apprendre néanmoins à partir de ce que dira le Radbaz de l’hérétique . En effet l’hérétique est comme nous l’avons dit plus haut l’idéologue de l’idolâtrie, ce qui sera mis en exergue pour l’hérétique aura un impact pour le Cohen dont toute la vocation est le service du D. Un.

[12] Le Radbaz résoud la contradiction en disant que le terme ,לעולם , ‘pour toujours’ ne se rapporte pas au fait de le recevoir en Teshouva, mais se rapporte au fait qu’on ne le reçoit pas en pensant que sa Teshouva serait לעולם , ‘pour toujours’, du fait de cette versatilité.

[13] Spécialité juive polonaise.

[14] Décédé en 1890.

[15] C’est-à-dire le Shin, le Haïn, le Tèth, le Noun, le Zaïn, le Guimèl et le Tsadé, sept lettres de l’alphabet hébraïque.

[16] De Rabbi Haïm beRabbi Bétsalel, le frère du Maharal de Prague.

[17] Nous savons l’importance des interdits de travail le jour de Shabbat. Toutefois s’il faut sauver une vie, la Torah nous enseigne que sauver une vie prime par rapport au respect des lois de Shabbat. Nous apprenons ici que l’on doit enfreindre les interdits relatifs à Shabbat même pour sauver quelqu’un qui ne pourra vivre que quelques heures, c’est ce que l’on appelle ‘Hayé Shaha, un pronostic à échéance limitée.

[18] Nous proposons de dire que cette impasse est signifiée dans le nom même du Maître qui nous l’enseigne :le nom Ben Patoura signifie ‘déresponsabilisation’. En effet quelque part on se trouve coincé par la question posée. Nous trouvons souvent dans le Talmud des noms qui expriment la teneur de l’enseignement exprimé.

[19] C’est-à-dire qu’il y a une injonction de la Torah d’aider son prochain qui est dans le besoin en lui prétant de l’argent, notre verset nous interdit de lui demander des intérêts.

[20] Il faudra que je le rembourse après coup.

[21] Innovations.

[22] Pour nos Maîtres, un peu de vin de temps en temps est bon pour la santé, et en particulier pour une femme qui allaite.

[23] Cet avis de Rabbi Yossi est dans une certaine mesure la suite logique de l’enseignement de Rabbi Akiva cité plus haut. Toutefois le Beth Shemouel demande que, si cet enseignement est la source de la décision légale de Rambam, pourquoi tranche-t-il comme l’avis de Rabbi Yossi et non comme le premier avis ? Rav ‘Haïm Ozèr Grodszinsky (Akhiézèr troisième partie, chapitre 15) répond que le cas de la femme qui allaite est structurellement différent du cas du Traité Nédarim car la survie de l’enfant n’incombe pas seulement à sa mère, son père peut trouver des substituts au lait de la maman si ce lait n’est pas bon pour l’enfant. Dans ce cas elle n’est juridiquement pas obligée de passer outre à son besoin personnel, combien même cela aurait un impact grave pour l’enfant. Manifestement, Rav Eliachiv ne suit pas la démarche du Akhiézèr.

[24] Le Sifté ‘Hakhamim commente ainsi l’enseignement de Rabbi Akiva : c’est-à-dire que dans ce commandement est incluse toute la Torah, comme Hillel l’Ancien avait dit « ce que tu hais pour toi, ne le fais pas à autrui ! Ceci est toute la Torah, le reste en est le commentaire ! ».

[25] C’est ce que mon Maître Rav Eliahou Abitbol exprime dans une formule lapidaire : ‘sortir de la mondanité’.

[26] Nous ne parlons pas ici de fécondation médicalement assistée qui sera prohibée le jour de Shabbat.

[27] Nous avons déjà développé longuement en première partie sur cette amitié étonnante entre Sisra, Yavin et ‘Héver.

[28] Voir commentaire de Ramban sur Vayikra (23,24) au sujet de la première occurrence du jour de Rosh HaShana où la Torah qualifie ce jour de באחד לחודש יהיה לכם שבתון, ‘le premier de ce mois sera pour vous Shabbaton, un repos’. Ramban nous enseigne que le concept général de repos les jours de fête est dit principalement au sujet de Rosh HaShana. Rosh HaShana est le jour de repos par excellence. Shabbaton peut aussi être traduit par ‘arrêt’.

[29] Nous n’avons pas traduit en français le terme utilisé par le verset, le mot utilisé étant trop cru.

[30] C’est-à-dire va nous donner des cas concrets pour saisir de quoi parle le verset.

[31] Ah mais, il n’écrit pas en bon français ! En bon français on dit : que l’on ne vit pas ! J’écris intentionnellement en mauvais français, car quand on souffre, lorsqu’on nous crache au visage, notre préoccupation n’est pas, à ce moment-là, de soigner notre syntaxe.

[32] Il est question ici d’agression verbale. Si la vie est en danger, il y a obligation stricte de se défendre, voire d’attaquer l’agresseur avant lui.

[33] Dans notre vie, en fait peut nous importe de vivre, que nous soyons vivants, ce qui nous importe c’est d’être des institutions.

[34] C’est le verset qui donne une dimension de pluriel au mot ‘peuple’ qui a priori est au singulier.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Introduction à la fête de Rosh HaShana.”

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