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CE NE SONT QUE DES PIERRES ? par Rav Yehiel Klein

par: Rav Yehiel Klein

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CE NE SONT QUE DES PIERRES ? par Rav Yehiel Klein

Dans un Midrach (Eih’a Rabba IV, 14 ; cf. aussi Kiddouchin 31b et Rachi Nombres XXIV, 5), nous lisons ce qui suit :

« Comment comprendre (Psaumes LXXIX, 1):  »Chant de Assaf[1] : Seigneur ! Des étrangers se sont rués dans Ta demeure, etc. » ? Il aurait dû s’agir d’élégie, plutôt que de cantique ! […]

[Seulement,] cela correspond à ce que dit le verset (Proverbes XXI, 15) :  »C’est une joie pour l’homme intègre  (Tsaddik) lorsque la Justice s’exerce ». Car les Tsaddikims sont ainsi, ils payent leurs dettes, mais alors en rendent grâce au Créateur. […]

Ceci est à l’exemple d’un roi qui a un fils délinquant, refusant d’écouter son père. Alors que celui-ci lui avait préparé un splendide dais nuptial , voilà que le fils se rebelle ouvertement… Que fit le souverain ? Il s’emporta contre l’ingrat, et rentra en furie sous le dais nuptial. Il le détruit, en déchirant les tentures et en jetant tout aux ordures, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.               Plus tard, le roi déclara : n’ai-je pas bien agi? J’aurais pu faire à mon fils bien pire… Pourtant, je ne l’ai pas tué, malgré ma colère. L’ eussé-je fait, ce serait à mon neveu de me succéder. Or je préfère que ce soit mon propre fils..

C’est cela que nous dit Assaf : D. n’a t’ Il pas agi envers nous  généreusement en déversant Sa colère uniquement sur du bois et de la pierre, et non pas sur Ses Enfants ?

Cette idée se retrouve chez le Prophète Jérémie (Lamentations IV, 11) :  »D. a déchaîné Sa colère […] en incendiant Sion, en consumant ses fondations » »

A – Ce Midrach fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel bleu de nos certitudes.

Quelles sont ainsi les raisons de commémorer pendant trois longues semaines le souvenir de la Destruction  du Temple de Jérusalem, si en fin de compte celle-ci ne s’avère pas aussi grave que cela ?

Mais alors, quel peut bien être le sens de ce qu’on vient de lire ?

Peut-être que l’idée est que, malgré tout, on ne doit jamais se mépriser sur l’essentiel.

Un bâtiment, aussi élevé, majestueux ou saint soit-il, n’est jamais qu’une œuvre de l’Homme, composée de bois et de pierres, de verre et de béton.

Il n’est que le symbole, la représentation, de ce que ses bâtisseurs veulent y projeter ou s’y voir réaliser.

Que sa magnificence ou son état soit à même de nous renseigner sur la situation réelle de la civilisation ou de la société qui l’a construit, c’est indéniable.

Mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il n’a vraiment de sens que si ceux à qui il est destiné sont encore dans la capacité de le faire fonctionner, d’en profiter – de l’habiter.

Et il en fut ainsi du Temple de Jérusalem.

D’après une de nos source le plus établies (cf. Sifté H’aïm [2], Mo’adim III, pp. 284-94, basé sur H’aguiga 5b), un des sens de notre Midrach est que le Temple ne représentait plus rien, déjà spirituellement détruit (  » Tu as moulu de la farine déjà moulue », dit l’Ange à Titus[3]), parce que les Enfants d’Israël n’en étaient plus dignes.

Et ceci parce que sa raison d’être est fonction du niveau spirituel et moral du Peuple au bénéfice duquel il a été construit, et qui si celui-ci est par ailleurs sérieusement détérioré, indigne de que D. en attend (ils se livraient à l’idolâtrie, au meurtre et à la luxure – cf. Yoma 9b), alors le splendide et surnaturel édifice qui couronne leur capitale n’est plus désormais qu’une coquille vide.

Le Temple est déjà en ruine, même si de l’extérieur il n’en paraît rien…

B – Une fois mis en évidence ce contraste entre la pérennité de l’inanimé et la fragilité du vivant, nous sommes à même de percevoir nombres de thématiques rencontrées çà et là dans notre Tradition :

– La réaction de Rabbi ‘Akiva (Makkot 24a) qui trouvait du réconfort en contemplant les ruines[4] abandonnées de Jérusalem, y voyant au-delà du drame présent la confirmation des paroles des Prophètes d’Israël, gage d’un lointain mais certain avenir.

– L’audace de Moïse, prêt à briser de son propre chef les Ta            bles de la Loi (Exode ch. XXXII), comprenant que le Peuple coupable du Veau d’Or serait irrémédiablement condamné si son sort demeurait lié à une Loi gravée éternellement (selon Midrach Chémot Rabba XLIII,1 et Avot deRabbi NathanII, 3) ;

– Ce que nous enseigne le Talmud (Roch haChana 18b), à savoir que d’une certaine manière, la disparition d’un Juste est aussi importante que la Destruction de Temple…

– A contrario, le Prophète Isaïe (LVI, 4-5) promet à ceux qui visiblement n’ont pas d’espoir de perpétuation naturelle, « aux eunuques qui observent mes Chabbats », de leur donner  » un monument, un titre (Yad vaChem) qui vaudra mieux que des fils et des filles ».

Car dans ce cas[5], le bâti est pleinement justifié car il traversera les âges et transmettra non seulement leur souvenir mais bien souvent nous informe de leur existence…

C – Même dans une époque aussi désenchantée que la nôtre, ce phénomène s’observe encore, bien (et peut être surtout…) qu’on ne s’en rende pas forcément compte.

Ainsi, alors que des populations entières sont persécutées et déplacées au Moyen Orient, certains semblent plus bouleversées par la destruction des ruines de Palmyre et autres Bouddahs de Bâmiyân.

Et pendant que d’aucuns ne cessent de se lamenter sur le drame touchant un édifice qui est essentiellement fréquenté par les touristes, d’autres, à quelques pas de là, pleurent la disparition d’un Maître irremplaçable…



[1]Assaf était Lévite – c’est à dire qu’il officiait au temple de Jérusalem en tant que chantre (cf. I Chroniques XXV,1)

[2]Rav H’aïm Friedlander (1923 – 1986), directeur spirituel (Machguiah’) de la grande Yéchiva de Poniowitch  en Erets Israël.

[3]Eih’a Rabba I, 43.

[4]Ceci pourrait dès lors ouvrir la réflexion sur le thème des ruines…

[5]Selon le Targoum sur place.

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