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Car tu effaceras la domination impie de la terre

par: Rav Gerard Zyzek

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כי תעביר ממשלת זדון מן הארץ:

« Car tu effaceras la domination impie de la terre »

(Tefila des Jours Redoutables)

Un passage de parachat Mattot ne cesse de nous étonner.

כי תעביר ממשלת זדון מן הארץ:

« Car tu effaceras la domination impie de la terre »

(Tefila des Jours Redoutables)

Un passage de parachat Mattot ne cesse de nous étonner. Pin’has a été nommé responsable de l’opération générale de vengeance à l’encontre des Midianim, qui avaient incité et entraîné les enfants d’Israël à fauter et à chuter à Chittim (voir commentaire de Rachi sur Bemidbar 31, 6).

Ramban (commentaire sur 31, 6) explique que ne pouvaient participer à cette opération que des hommes tsadikim, justes, et appréciés par les tribus d’Israël, car beaucoup d’enfants d’Israël avaient trébuché avec les filles de Moav et de Midian. C’est pourquoi seulement douze mille hommes, hommes d’exception, partirent à la guerre, malgré la supériorité numérique des Midianim.
Et pourtant, lorsqu’ils revinrent victorieux de la guerre, Moché s’emporta envers les responsables de cette guerre.

ויקצוף משה על פקודי החיל שרי האלפים ושרי המאות הבאים מצבא המלחמה

« Moché se mit en colère sur les responsables de l’armée, les chefs de mille, les chefs de cent, qui reviennent de la guerre. » (verset 14)

Quelle est la raison de cette colère ? Les versets suivants expliquent (15 et 16) :

ויאמר אליהם משה החייתם כל נקבה

« Moché leur dit : avez-vous laissé en vie toute femme ? »

הן הנה היו לבני ישראל בדבר בלעם למסר מעל בה’ על דבר פעור
ותהי המגפה בעדת ה

« Mais elles étaient celles-là mêmes partie prenante dans l’affront à D. dans l’histoire de Pe’or, et c’est pour cela qu’il y eut la catastrophe dans l’assemblée de D. »

Ramban explique (commentaire sur le verset 6) que Moché avait donné l’ordre général de se venger des Midianim, les modalités de cette vengeance n’étant pas précisées. Pin’has et les responsables tuèrent les hommes adultes, prirent comme captifs les femmes et les enfants, les bestiaux comme butin, et détruisirent par le feu les villes et les citadelles des Midianim.

Moché s’emporta : comment avez-vous pu épargner les femmes midianites, mais ce sont celles-là mêmes qui firent fauter nos frères ! Rachi explique justement l’expression הן הנה, « ce sont elles-mêmes » : « ceci nous enseigne qu’ils les reconnaissaient, mais c’est celle-là qui a fait fauter untel ! »
L’argument de Moché est compréhensible, mais une question se pose : comment Pin’has, grand pourfendeur de la dépravation, organisateur en chef des représailles, a-t-il pu épargner les personnes actrices mêmes de la catastrophe ?

I. Les commentaires classiques (Or Ha’haïm, Keli Yakar) s’attachent à expliquer la décision des responsables de l’armée.

למה שגגו פינחס וצדיקי עליון שהלכו עמו בדבר זה, אכן פינחס ואנשי הצבא דנו ופטרום מטעם שהנשים כפופות הן לבעליהם ולאבותיהם ואנוסים המה

« Comment Pin’has et les éminents justes qui allèrent avec lui ont-ils pu ainsi se tromper ? En fait, Pin’has et les hommes d’armée les ont jugées et innocentées, car ils les ont considérées soumises et contraintes par leurs maris et par leurs pères. » (Or Ha’Haïm)

Si l’on porte un peu attention à cette explication, qui s’impose de l’ensemble du passage comme nous allons le voir, ce que nous dit ici la Torah est proprement stupéfiant.

Les enfants d’Israël furent entraînés à se débaucher par les filles de Moav ainsi que par les filles de Midian. Ces peuples prirent un malin plaisir à faire chuter le peuple qui avait reçu la Torah, qui vivait miraculeusement dans le désert pendant quarante ans dans une proximité intense avec D., en les entraînant dans la dépravation tant spirituelle (idolâtrie de Pe’or) que physique (débauche avec les filles de Moav et de Midian).

D. demande que l’on organise des représailles (31, 1). Les premières personnes qui, me semble-t-il, auraient dû être visées par ces représailles devaient être celles par qui cette déchéance a été vécue !

Ce qui nous interpelle dans ce passage, c’est un regard original face à la déchéance. Si je ne m’abuse, la déchéance, outre le fait qu’elle nous attire, nous dégoûte. On aimerait éradiquer la bassesse. Ce n’est pas le problème de ces צדיקי עליון, éminents justes, comme les appelle le Or Ha’Haïm. Ils n’agissent pas par dégoût. Ils analysent le problème. Ces femmes ont été manipulées. Ce ne sont pas elles les responsables de leur déchéance.
Allons plus avant dans l’analyse.

II. Moché Rabbénou leur reproche donc durement d’avoir épargné les femmes, mais que leur suggère-t-il alors de faire ?

ועתה הרגו כל זכר בטף וכל אשה יודעת איש למשכב זכר הרוגו

« Et maintenant tuez tout enfant mâle et toute femme en âge de connaître un homme. »

וכל הטף בנשים אשר לא ידעו משכב זכר החיו לכם

« Et tout enfant dans les femmes, qui ne sont pas en âge de connaître un homme, faites vivre pour vous. »

Notre propos n’est pas ici de rendre compte de toutes les nuances de ces deux versets, voir pour cela la Guemara du traité Yevamot (60b).

La Guemara rapporte l’avis de Rabbi Chimon bar Yo’haï qui analyse l’expression החיו לכם, « faites vivre pour vous ».
« Faites vivre pour vous », c’est-à-dire : ces femmes petites qui ne sont pas en âge d’avoir connu un homme, eh bien laissez-les en vie, convertissez-les et épousez-les ! De là Rabbi Chimon apprend que, bien qu’un Cohen n’ait pas le droit d’épouser une convertie, néanmoins une non Juive convertie en très bas âge sera permise à un Cohen, car Moché s’adresse aux hommes qui reviennent de la guerre, et Pin’has le Cohen faisait partie des interlocuteurs de Moché.
Il ressort de cette analyse halakhique que dans le fond, Moché était d’accord avec les responsables de la guerre : les représailles ne touchent quant à leur fond que les hommes.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique ainsi, dans son commentaire sur ce passage :
« La déchéance nationale était ancrée principalement chez les hommes. Les femmes, si tant est qu’elles ont été préservées dès leur enfance d’influences négatives et d’impressions impures, étaient tout à fait aptes à s’intégrer dans une parfaite moralité. Nous voyons la même chose au sujet des Moavim au sujet desquels la Torah distingue entre les hommes, qui ont des restrictions au niveau du mariage s’ils viennent à se convertir, et les femmes de Moav, qui pourront être intégrées à part entière dans le peuple juif si elles viennent à se convertir, et même à l’âge adulte (quand bien même les filles de Moav ont-elles incité les enfants d’Israël à fauter). »
Les reproches de Moché portaient sur un tout autre point. Le verset dit : « Mais elles étaient celles-là mêmes partie prenante dans l’affront à D. dans l’histoire de Pe’or et c’est pour cela qu’il y eut la catastrophe dans l’assemblée de D. »
Les commentateurs expliquent (Or Ha’haïm) qu’elles innovèrent en entraînant les enfants d’Israël à s’adonner au culte idolâtre de Pe’or, ce que leurs pères n’avaient pas exigé d’elles. C’est ce qui est mis en exergue dans le verset, « affront à D. dans l’histoire de Pe’or ».

Mais dans le fond Moché était d’accord avec Pin’has.
Ce passage nous semble trouver un fort écho dans ce que nous vivons à notre génération. Les mœurs relâchés, la dépravation, voire la violence, ne laissent parfois que peu d’espoir à un avenir meilleur pour l’humanité. L’humanité parfois peut dégoûter. Et même des personnes ayant vécu des expériences multiples et diverses peuvent s’interroger sur la possibilité de se sortir de ce dans quoi elles ont été enfoncées.
Pin’has avait pensé que quelqu’un qui a vécu une déchéance n’en est pas pour autant forcément atteint, souvent cette personne a été manipulée.
De même aujourd’hui, la dépravation commune, banalisée, est une idéologie, une manipulation. Certes, l’humain a des pulsions, des désirs, mais l’enfoncement dans une recherche de débauche est une manipulation. On enlève cette manipulation, l’humanité peut se retrouver tout d’un coup disponible.

C’est, me semble-t-il, l’écho de ce que nos Maîtres ont institué de dire dans la prière des Jours Redoutables (à Roch Hachana et à Yom Kippour) : « car tu effaceras la domination impie de la terre ». « la domination », c’est-à-dire la manipulation.

[Nous tenons toutefois à préciser que, bien que la lecture de Rabbi Chimon bar Yo’haï soit déterminante dans notre exposé, la conclusion légale n’est pas comme lui. La Guemara tranche légalement comme les ‘Hakhamim qui interdisent à un Cohen d’épouser une non Juive convertie, quel que soit l’âge auquel elle se soit convertie. Leur lecture du verset sera : « faites vivre pour vous », à savoir « ne les tuez pas, mais gardez-les comme servantes ». Ce qui revient au même quant au fond : ne les éliminez pas et ne les rejetez pas !]

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Car tu effaceras la domination impie de la terre”

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