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Bamidbar : Des noms au désert

par: Jérôme Bénarroch

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Plusieurs points généraux font pour nous difficulté dans cette paracha :

1.Quel est l’enjeu de nous enseigner le décompte du peuple dans le désert ?

2. Plusieurs points généraux font pour nous difficulté dans cette paracha :

1.Quel est l’enjeu de nous enseigner le décompte du peuple dans le désert ?

2.Et sa répartition selon les tribus, chacune ayant une place déterminée pour accompagner, au centre, l’Arche d’Alliance ?

3.Et pourquoi ne sont comptés que les hommes aptes à la guerre (pour ce qui est des douze tribus) ?

1. Nous savons que la Tora ne prononce pas un mot inutilement. Lorsqu’il est écrit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », ou « Sarah était stérile », ou encore « lorsqu’un homme voudra approcher une offrande à D. », ou « Tu ne maudiras pas ton père et ta mère », nous entendons immédiatement la portée signifiante de l’énoncé. Lorsque sont énumérés les objets du Tabernacle, les poutres, les tissus, les agrafes, ou les socles, et est décrit minutieusement leur agencement, nous percevons une difficulté, un changement de registre de langage. De la parole de Torah, qui enseigne, ordonne, ou qui s’adresse manifestement à nous par la signifiance des évènements et des images, à un recensement systématique d’une réalité objective, on risque de perdre le sens de l’énonciation.

Ici aussi, le problème se pose : que signifient pour nous ces énumérations de noms de personnages inconnus, et l’attention insistante sur le détail de leurs comptes ?

Le premier commentaire de Rachi sur Bamidbar dit : « Par amour pour eux, ( D.) les compte à tout moment ». Et l’on pourrait peut-être ajouter : « et donc ne craint pas de les énumérer dans Sa Torah ». Pour t’apprendre que les noms des gens, qui constituent la réalité première d’Israël, doivent avoir leur place dans une Torah, un enseignement renfermant l’absolu. Le quatrième livre de la Torah, l’ouverture de ce quatrième tableau, présente la réalité d’Israël : des noms dans le désert.

2. Mais il ne s’agit pas d’une liste, une pierre gravée du souvenir. Cette réalité des noms est présentée dans une organisation rigoureuse, une topologie radicale, où chacun va trouver sa place à un endroit unique, en regard de l’Arche de l’Alliance. « Au premier jour du second mois de la deuxième année après leur sortie d’Egypte », « dans le désert de Sinaï, dans la tente d’assignation », c’est-à-dire après de don de la Torah et la construction du Tabernacle, la réalité d’Israël prend une forme rigoureuse, par noms, par orientation.

Chacun se trouve réaliser, nous dirons ici, sa vocation propre, signifiée par sa place. Yéhouda à l’extrême est, Binyamin à l’extrême ouest, Dan au nord, Réouven au sud. Les significations des directions sont multiples. Nous proposons : l’est : la première lumière, l’avant garde, l’authenticité pure. Le nord : la rigueur, la force. Le sud : la douceur, la miséricorde. L’ouest : la fin, la signification ultime. Le centre : la raison d’être de chaque position, la Torah elle-même.

Pourquoi donc faut-il les compter ?

Compter semble être une manière de donner une forme à l’ensemble. Au lieu de dire « il y a un tel, un tel, un tel, un tel, puis un tel », dans une répétition du même acte de nommer, où chacun apparaît certes en soi, mais radicalement séparé des autres, le nombre vient donner une existence au groupe, une consistance. Il est comme la structure de l’ensemble. Par conséquent le compte de chaque tribu révèle la forme de sa consistance.

Aux yeux de D., non seulement chaque tête est prise dans le compte, nominalement, mais aussi la structure d’ensemble.

3. Pourquoi ne sont comptabilisés que les hommes de plus de vingt ans, aptes à la guerre ? Pour les léviim, seront comptabilisés les hommes « depuis l’âge d’un mois et au delà ». Pourquoi ce décalage, et pourquoi les femmes ne sont jamais comptées ? Faudrait-il entendre, avec l’œil accusateur de celui qui veut se laisser fasciner par l’ombre, que pour la Torah, aux yeux de D., les femmes ne comptent pas ?

A notre sens, que les femmes ne comptent pas dans le compte indique qu’elles ne peuvent représenter la structure de l’ensemble, du groupe. Leur signification serait plutôt du côté de l’intime, du chaque un, le lien de chaque couple, non de ce qui fait le compte du groupe. Or, nous voyons en outre que le compte s’organise pour Israël en général à partir de la notion de « guerre ». Là encore, non que l’adolescent de quinze ans ne compte pas aux yeux de D., il compte évidemment, il est même contraint aux mitsvot entièrement comme son père de trente-cinq ans, mais n’est compté que ce qui peut supporter la fonction générale, la fonction qu’Israël dans son ensemble doit assumer : la guerre.

Pourquoi la guerre est-elle la fonction de l’ensemble ? Parce qu’Israël existe en tant que réalisation de la souveraineté de la Torah sur terre. Dimension affirmative, conquérante, à la mesure des nations. Ainsi, les commentaires font remarquer le nombre extrêmement petit d’Israël comparé autres peuples.

La fonction des léviim est autre : de service et de garde du Tabernacle. Certes l’enfant d’un an ne peut pas aider à la tâche, mais il compte pourtant car les léviim remplacent en réalité une autre catégorie, celle des premiers nés, qui devaient eux assumer la tâche d’être au service de D. à travers son culte permanent. Or, on considère que le nouveau né a la force de se maintenir en vie à partir d’un mois. A partir de là, il représente un premier né comptabilisable. On transpose alors pour les léviim.

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1990
Agrégé de lettres et Docteur en philosophie, Jérôme Benarroch est un ancien élève puis enseignant de la Yechiva des Étudiants de Paris. Il est actuellement professeur de philosophie et de français au lycée Ozar Hatorah Paris 13ème. Enseignant à l’Institut Elie Wiesel, à l’Institut Universitaire Rachi de Troyes, au SNEJ de l’Alliance Israélite Universelle, dans le cadre du cycle ACT de la Yechiva des Etudiants de Marseille, au Collège des Bernardins, et à l’Université Catholique de Louvain, il a publié des articles au sein des Cahiers d’Etudes Lévinassiennes, des revues La Règle d’Abraham, Orient-Occident les racines spirituelles de l’Europe, et des Cahiers philosophiques de Strasbourg et intervient régulièrement sur Akadem.

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